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VI.2 Positions et discours du camp contre-la-charte

VI.2.1 Sous-groupes du camp contre-la-charte

En analysant le discours du camp contre-la-charte (ou anti-charte), trois positions différentes ressortent à la surface. Ces dernières émergent des observations, déclarations écrites et prises de

paroles en public recueillis au cours du débat. Chaque position correspond à un sous-groupe particulier et chaque sous-groupe peut rassembler des personnes issues de diverses confessions ou positionnements par rapport au fait religieux comme on peut le constater en regardant la composition de ses membres cités ci-dessous. Le premier sous-groupe refuse catégoriquement et en totalité la loi proposée. Ses membres croient que l'idée d'une charte est fausse dès le départ et ne rime pas avec la liberté, la justice et les droits de l'Homme stipulés dans la « Charte québécoise des droits et libertés »57. Un intervenant, S.J. un sécularisé actif avec « No-One-Is-Illegal »,

explique son refus de concéder quoi que ce soit au « gouvernement du PQ » en avançant que « la liberté est un tout qui ne peut pas être partiellement abandonné sinon il perd toute sa signification ». Les membres de ce premier sous-groupe voient dans le projet de loi une volonté du Parti québécois, le parti au pouvoir, de gagner plus de votes à partir des régions de campagne58 tout en

évitant d'être interrogé sur sa performance sociale et économique. Ils s'opposent à toute concession ou négociation parce qu'ils voient dans le projet de loi 60 une première étape d’un processus qui mènera à d'autres projets de loi contre la liberté de conscience. De nombreux groupes musulmans, comme MCM et Bel Agir se situent dans ce sous-groupe. On peut y compter également la position officielle du Parti Libéral du Québec et beaucoup d'organisations laïques comme la « Ligue des Droits et Libertés »59, « No-One-Is-Illegal »60 et certains organismes étatiques comme la

« Commission des Droits de la personne et des Droits de la jeunesse ». On peut affirmer que ce sous-groupe préfère un débat de forme sur la charte plutôt que sur son contenu, ce qui explique sa

57 La Charte des droits et libertés a été adoptée par l'Assemblée nationale du Québec le 27 juin 1975. Elle est entrée

en vigueur, un an après, dès le 28 juin 1976.

58 Plus tard, un sondage par CROP, publié dans le journal Lapresse le 11 décembre 2013. L’article faisait entendre

qu’il existe une corrélation entre le niveau de scolarité et le soutien au projet de charte des valeurs. L’auteur affirme : « ceux qui ont "complété des études secondaires ou moins" sont graduellement passées de 28 % à 39 %, un bond de 11 points ». Ce qui est important pour cette étude, c’est que le débat de la charte a permis au PQ de gagner plus d’intentions de vote dans les régions selon ce même sondage. Voir l’article intitulé « Le PQ et le PLQ ont chacun 35 % des intentions de vote ». Source : https://www.lesoleil.com/actualite/politique/le-pq-et-le-plq-ont-chacun-35--des- intentions-de-vote-bd990621c540f3d199b4b472f01856a4. Visité le 28 janvier 2014.

59 LDL: ONG locale spécialisée dans les droits de l'homme.

60 NOII: Un réseau de groupes d'activistes travaillant pour défendre et représenter les immigrants, les sans-papiers et

revendication quant au retrait du projet. Pour eux, un projet qui veut légiférer sur les habillements des gens pour des raisons religieuses est refusé par principe.

Quant au deuxième sous-groupe, ses membres tentent de débattre sur le contenu en déclarant qu’ils acceptent les quatre parties du projet, y compris que les services publics doivent être fournis avec des visages découverts des deux côtés. De ce fait, ils s’opposent principalement à la partie qui exige des employés d’enlever leur hijab ou n’importe quel autre « signe religieux ». Telle est la position de certains membres de l’organisme Québécois Musulmans Pour Les Droits et Libertés (QMDL), une grande coalition contre la charte composée de l’AMQ, FMC, Bel Agir, AMAL, Ahl- ill Bait Islamic Organization, Congrès Maghrébin au Québec, COR et d’autres associations mosquées pour un total de cinquante organismes. La même position rime avec celle de l’AECQ, représentant officiel des catholiques au Québec. Cette position est justifiée selon une personne responsable au sein d’une association musulmane qui a partiellement soutenu le projet de loi comme étant un moyen de négociation : « la seule façon de changer la position du gouvernement est de négocier et de donner quelque chose en échange ». Cette personne a rapporté qu’elle a rencontré une représentante du "Conseil du Statut de la Femme" (CSF) en Septembre 2013. Suite à cette rencontre, elle a été convaincue que la stratégie de « négociation » permettrait à ceux qui soutenaient le projet de mieux comprendre ses retombées sur les droits et les libertés des femmes musulmanes. Pour éviter de compter le CSF parmi les opposants à son projet de charte, toujours selon cette même personne, le gouvernement doit nommer quatre nouveaux membres « pro- charte » au sein du conseil des administrateurs de cet organisme officiel des femmes61.

La troisième et dernière position parmi le camp des contre-la-charte suit les propositions de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables. Cette dernière a proposé d'interdire les « symboles religieux » uniquement aux employés de l'État chargés de l'application

61 Cette version des faits est validée par la polémique qui a accompagné la nomination des nouveaux membres par la

ministre responsable de la condition féminine à l’époque Agnès Maltais. Voir le communiqué de presse du CSF pour le 19 Septembre, 2013 intitulé : « L'indépendance de la CSF est remise en question ». Cependant, la position adoptée par le CSF dans le passé lors de la 231 e réunion de ses membres le 11 Février, 2011 va partiellement dans le même

sens que la Charte des valeurs dans l'interdiction des vêtements ou des symboles avec une signification religieuse pour les agents de l'État.

de la loi. Les anciens dirigeants du PQ et un grand nombre de ses anciens officiers partagent cette vision et la défendent dans les débats ainsi que dans les entretiens dans les médias.

Compte tenu de ces points, il est évident que le QMDL, créé par une initiative du Forum musulman canadien (FMC-CMF)62, serait considéré comme un classement hétérogène d’associations plutôt

qu'une organisation cohérente. Par exemple, l'association Bel Agir, qui a pris part à cette coalition, continue à travailler en son sein tandis que sa position officielle est de « demander au gouvernement de retirer le projet de loi complètement ». Cette façon de penser est celle qui rime le plus avec la position du premier sous-groupe. En revanche, AMAL63, autre organisation membre

de la même coalition, a soutenu l'idée d'accepter l’interdiction du "niqab" (ensemble voilant tout le visage sauf les yeux) pour les fonctionnaires et lors de l'obtention des services d'une instance publique. En discutant avec des responsables de Bel Agir, on comprend qu’ils ne soutiennent pas l’idée qu’une fonctionnaire porte le niqab, mais préfèrent encore suivre une stratégie de rejet de la charte dans son ensemble en avançant des arguments similaires à ceux cités ci-dessus et qui tournent autour d’un point central : « la liberté est un tout ». Le rôle du QMDL s'est limité aux conférences, aux communiqués de presse et à l'appui de certains rassemblements et manifestations. En outre, les membres de cette association ont organisé deux rencontres avec les politiciens. Là encore, les membres du comité représentaient plutôt leurs associations respectives et non pas le QMDL comme entité. Dans une rencontre du QMDL à la fin novembre, des membres encore actifs ont décidé de dissoudre la coalition, découragés par les divisions et les discordes.