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B.2 Un processus de démocratisation bloqué par le Numerus Clausus ?

La réforme de 1982 visait à modifier les règles de la répartition des segments médicaux, tant d'un point de vue global que dans des aires

II. B.2 Un processus de démocratisation bloqué par le Numerus Clausus ?

D'un strict point de vue statistique, et si l'on s'en tient à nos données, on ne peut, là encore, mesurer l'évolution socioprofessionnelle de l'origine des étudiants que sur la population des nantais. On constate alors que les chances d'accès à la seconde année de médecine selon l'origine sociale des étudiants ont été modifiées par l'apparition, puis la réduction du Numerus Clausus. L'instauration du concours de première année apparaît comme préjudiciable aux étudiants d'origine populaire, ce qui tend à confirmer l'idée que tout accroissement de la sélection universitaire joue dans le sens d'une sur-sélection sociale.

CSP du père des étudiants nantais selon la promotion

promotion pts indép. cadres et PL prof int. empl et ouv. Total

1973 10,9% 50,9% 3,6% 34,5% 100%

1975 10,5% 61,4% 12,3% 15,8% 100%

1978 11,1% 64,8% 13,0% 11,1% 100%

1984 14,0% 70,2% 10,5% 5,3% 100%

1986 7,5% 66,0% 17,0% 9,4% 100%

Total 10,7% 63,7% 11,0% 14,6% 100%

Alors que les étudiants issus des classes populaires représentaient le tiers de la promotion de 1973, ils représentent, les dernières années, moins de 10 % de l'ensemble. En revanche, on voit croître la proportion d'enfants issus des catégories intermédiaires et des catégories supérieures. Les problèmes de codage liés à la manipulation des CSP par l'Université et le changement de nomenclature nécessitent de traiter ces données avec prudence. Néanmoins, ce phénomène suit la logique d'une concurrence accrue qui prédispose d'emblée les plus proches du système universitaire et des modalités informelles de la sélection. Nous verrons plus loin, à propos des conditions de passage du concours de première année, comment les étudiants eux-mêmes racontent et expliquent ces variations de réussite.

En couplant l'origine sociale avec la série du baccalauréat, on voit apparaître des effets de proximité entre les hiérarchies scolaires et les hiérarchies sociales. Ainsi, les étudiants originaires de catégories supérieures sont les seules à réussir un passage en deuxième année avec un baccalauréat littéraire. La proximité sociale vient alors combler une distance scolaire, sachant qu'il s'agit en grande majorité de jeunes femmes. On voit également apparaître une sur-représentation de bacs C chez les enfants des catégories intermédiaires, plus souvent des garçons, dont la réussite scolaire très conforme permet une réussite en faculté de médecine.

CSP du père des étudiants nantais selon la série du bac

CSP père A Eco C D Technique Total

pts indép. 0,0% 0,0% 34,4% 65,6% 0,0% 100%

cadres et PL 3,0% 1,0% 35,8% 59,7% 0,5% 100%

prof int. 0,0% 0,0% 51,4% 45,7% 2,9% 100%

empl et ouv. 0,0% 0,0% 22,9% 75,0% 2,1% 100%

Total 1,9% 0,6% 35,4% 61,1% 0,9% 100%

Ces quelques données doivent être lues avec prudence, mais elles montrent un phénomène qui doit retenir notre attention, au vu de notre problématique. Devant un mode de sélection qui se base sur une concurrence qui s'accroît au fil des années, les caractéristiques sociales des "élus" se modifient et contribuent à l'homogénéisation d'une population qui, pour les dernières promotions, sera soumise à une deuxième concurrence à l'occasion du nouveau concours de l'internat.

II.B.3 Des scientifiques "moyens" ?

On voit, au fil des années, s'affirmer le primat des filières scientifiques du baccalauréat, avec une accentuation sur les mathématiques au détriment des sciences. Ainsi, pour la promotion 1973, 6 % des étudiants de deuxième année venaient d'une section littéraire, 24 % d'une série C et 68 % d'une série D. Très vite, avec l'élévation de la sélection, ces tendances basculent au profit de la série C. A partir de la promotion 1975, on rencontre près de 40 % des PCEM2 issus d'une série C et les bacheliers littéraires diminuent entre 1 et 3 % selon les années. Les autres filières restent marginales : les bacheliers techniques se font plus rares tandis que les bacheliers économiques se maintiennent dans une frange très réduite (entre 1 et 2 %).

Mention au baccalauréat selon la promotion

promotion TB B AB sans Total

1973 0,0% 2,8% 33,9% 63,3% 100%

1978 0,0% 8,9% 37,2% 53,9% 100%

1980 0,0% 5,0% 16,6% 78,5% 100%

1984 0,0% 2,8% 19,6% 77,7% 100%

1986 0,0% 1,7% 18,9% 79,4% 100%

Total 0,2% 4,4% 26,6% 68,9% 100%

Enfin, il faut noter que nos résultats ne font pas apparaître un accroissement des mentions au baccalauréat dans le temps. En effet, on trouve moins de bacheliers avec mention dans les dernières années que dans les premières, avec un pic au moment de la baisse du Numerus Clausus. On peut poser l'hypothèse que, lorsqu'ils ont une mention, et plus encore lorsqu'il s'agit de garçons, les bacheliers scientifiques vont tenter les classes préparatoires plutôt que la faculté de médecine. Nos entretiens semblent confirmer une forme de dévalorisation de la profession médicale dans les couches sociales aisées, y compris médicales, surtout pour les élèves brillants. La féminisation de la médecine pourrait être comprise aussi comme une conséquence de cette relative désertion chez les jeunes hommes de ces milieux.

L'évolution des caractéristiques des étudiants qui constituent notre échantillon montre que l'instauration d'un concours sélectif en première année a freiné le processus de démocratisation de l'accès à la profession médicale, qui s'amorçait au début des années 1970. Les garçons des classes supérieures ont laissé la place à leurs homologues féminins et aux fils des catégories intermédiaires, constituant un bloc face aux catégories populaires pour qui l'accès est devenu particulièrement difficile. On voit que le primat accordé à des disciplines abstraites a favorisé les sortants de "C" au détriment des sortants de "D" et "A", faisant passer la conformité aux matières sélectives du concours (mathématiques, physique, chimie) avant l'intérêt pour la matière scientifique. Ceci se couplant à des stratégies de choix de faculté, qui peuvent faire varier considérablement les taux de réussite au concours. Les trois facultés étudiées sont, en effet, réputées comme ne basant pas leur sélection uniquement sur les mathématiques ou la physique, mais accordant un coefficient non négligeable à l'anatomie, qui place tous les étudiants sur le même plan de connaissances. Il est probable que d'autres facultés ne donneraient pas le même résultat.