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Chapitre II Faire médecine…

idem 75 avec un commencement de sémiologie et changement pour les choix de stages :

II. C Aller en cours

Comme nous l'avons vu, l'année du PCEM1 est une année initiatique, mais nous l'avons surtout abordée à travers ses contraintes, l'apprentissage des méthodes de travail et l'ambiance concurrentielle qui y règne. Qu'en est-il ensuite, alors que les validations s'effectuent sous la forme d'examens qui ne sont pas censés classer les étudiants ? La fréquentation de l'université durant les cinq années suivantes contribue-t-elle à une socialisation professionnelle commune à l'ensemble du corps médical ?

Il existe plusieurs manières de fréquenter l'université, d'assister (ou non) aux cours, d'appartenir à des corpos, de prendre des responsabilités, qui contribuent à distinguer les étudiants entre eux. En ce sens l'enseignement a une place fondamentale dans la mesure où, pour reprendre les termes de l'analyse d'Isabelle Bazsanger autour de la question de l'acquisition de la valeur "responsabilité", "les étudiants auraient moins à apprendre une valeur comme celle de la

responsabilité qu'à apprendre à l'utiliser dans le cadre d'une pratique professionnelle. C'est plus au fonctionnement réel d'une profession, à ses pratiques et à sa hiérarchie qu'ils vont être confrontés - socialisés - qu'à des valeurs en soi"65

.

La faculté de médecine constitue un des lieux de ce type d'acquisition. Nous l'étudierons à travers ce que les étudiants disent de leur fréquentation des cours et de ce qu'ils pensent de leurs enseignants et de leur pédagogie.

II.C.1 Une" désertion" des amphis ?

L’assistance aux cours fut l'une des questions de l'enquête. Si nous nous en tenions à ce qui est dit explicitement par les étudiants, nous garderions une image d'amphis déserts, où quelques étudiants chargés par la corpo de prendre les cours appuient sur les touches des magnétophones. Mais si l'on regarde en détail les récits des uns et des autres, la réalité paraît plus complexe. Tout d'abord, on peut noter une différence sexuée : les filles de la première génération (futures généralistes et spécialistes confondues) assistent plus aux cours que leurs camarades masculins. On peut avancer des hypothèses sur le côté "bonne élève", "scolaire" des filles à l'école, mais plus probablement s'exprime déjà, dès la première année, la nécessité pour ces jeunes femmes — qui s'exprimera sans détour dans leur fréquentation et leur usage des stages — d'être concrètement en relation avec l’institution hospitalo-universitaire.

Une autre différence apparaît a posteriori, à travers le mode d'exercice de nos interviewés. Tous ne nous ont pas parlé de leur fréquentation de l'université, mais chez ceux qui nous ont dit assister régulièrement aux cours, la plupart sont devenus généralistes (14 sur 21) et, chez les spécialistes, il s'agit surtout de femmes (5 sur 7).

Les très nombreuses façons de justifier une assiduité aux cours ne permettent pas de former de grandes catégories. Certains y vont parce qu’ils ont, disent-ils, une "mémoire auditive" ; d’autres privilégient les cours "intéressants" ; beaucoup suivent les cours des trois premières années et ensuite se contentent des polycopiés. Certains n’y vont pas parce qu’ils travaillent66

, d’autres parce qu’on n’y apprend pas ce qui est nécessaire pour réussir les examens, ce qui se traduit par "ça sert à rien".

“D'ailleurs c'est simple, si vous allez dans les amphi, 1° année, il est plein, 2° année, un peu moins et à partir de là…Bien entendu, on travaille tous sur polycops. Moi j'ai toujours préféré entendre parce que ma mémoire est plutôt auditive, mais bon, …

Q : Donc vous vous y alliez?

Moi j'avais tendance à y aller.

65 I. B

ASZANGER, "Socialisation professionnelle et contrôle social. Le cas des étudiants en médecine futurs généralistes", Revue française de sociologie, XXII, 1981, p. 227.

66Ce qui a valu à l’un d’entre eux demandant une dispense pour des TD la réponse suivante de son professeur : "on ne travaille pas quand on fait des études de médecine"

Q : Plus que les autres…

Plus que la majorité des gens, oui. On était un petit groupe, on y allait et puis en plus après on se retrouvait, on allait travailler ensemble”

(femme généraliste promotion 80)

Au-delà de ces raisons, ceux et celles qui assistent plus régulièrement aux cours savent qu'ils forment une minorité et, souvent, y trouvent là l'occasion de nouer des relations amicales. On trouve cela, par exemple, chez des étudiants d'origine populaire qui ont besoin de ce contact avec l'institution pour intégrer "le milieu". Ils font de même pour les stages. Mais on voit également que, chez les étudiants avertis des règles informelles du milieu, cette fréquentation n'est pas utile, sauf à prendre une place de responsabilité, par exemple dans la direction d'une corpo. S'opère alors un clivage entre ces étudiants et ceux qui se retrouvent dans d'autres lieux, pour suivre les conférences d'internat, d'où les différences de devenir des uns et des autres. Tout se passe comme si la formation des généralistes se passait à la faculté et celle des spécialistes "ailleurs". La "formation commune" serait-elle devenue la formation du "commun", par opposition à celle de l'élite ?

Ainsi, dans tous les cas de figure, ce n’est pas le fait d’aller ou non dans les amphis que les étudiants privilégient. Ce qui importe, c’est le type de relation qu’ainsi on entretient avec l’institution. Ceux qui ne vont jamais en cours disent souvent : "on n’y allait jamais". C’est le groupe lui-même qui se met en scène dans ce boycott. Pour ces étudiants, ne pas aller en cours ne signifie pas une exclusion, bien au contraire, c'est faire "comme tout le monde". De même, fonder une corpo parallèle parce que l’on conteste la corpo officielle peut être un signe de forte intégration au milieu.

Enfin, la faible fréquentation des facultés semble s'aggraver avec les années. L'impact d'un internat devenu obligatoire et mettant, cette fois, la quasi totalité des étudiants en concurrence, contribue à faire éclater un peu plus la formation commune : à chacun ses conférences (ses écuries, dit-on à Marseille), et l'on voit mal comment les universités pourraient récupérer un public dans ces conditions-là. Une des facultés que nous avons enquêtées mettait en place, depuis quelques années, des cours qui ressemblaient exactement à des conférences d'internat, en espérant ramener les étudiants dans ses murs. Nous ne pouvons pas savoir quel en fut l'impact réel, mais nous avons constaté que ce sont les stratégies inverses qui peuvent inciter les étudiants à fréquenter les cours. Ainsi, ce sont les étudiants nantais qui nous ont paru les plus assidus (ou les moins déserteurs...) aux cours, en particulier pour les enseignements qui se distinguaient des questions d'internat. La présence à la faculté représente moins une "perte de temps" lorsqu'elle permet de commencer à apprendre un contenu différent de celui qui s'acquiert lors de la préparation au concours. Parmi nos interviewés, les étudiants du nouveau régime semblaient moins assidus que ceux de l'ancien régime. Qu'il s'agisse d'une conséquence des pratiques pédagogiques ou de l'importance accrue des préparations à l'internat extérieures à la faculté, on voit que le primat du concours a contribué à affaiblir l'assiduité universitaire.