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Chapitre II Faire médecine…

I. B.1 L'effet Numerus Clausus

Les études médicales ont connu une attraction très fluctuante, durant ces trente dernières années. En effet, se sont combinés deux phénomènes contingents : l'augmentation massive des étudiants, toutes disciplines confondues, au début des années 70 fut contrecarrée, rapidement, par l'instauration du concours d'entrée en PCEM2 qui a agi comme une limitation des possibilités d'accès à la profession. À cela, il faut ajouter une perte de prestige de la profession, associée à des discours souvent alarmistes sur l'augmentation pléthorique du nombre des praticiens induisant une baisse conséquente de leurs revenus. Les données présentées dans le chapitre 1 illustrent bien ces mouvements d'attractivité fluctuante selon les années et le niveau de sélectivité du concours.

Les données que nous avons recueillies sur les trois facultés étudiées ne peuvent être considérées comme statistiquement représentatives de l'ensemble des étudiants en médecine. Nous ignorions, au moment où nous les avons sélectionnées, que les facultés retenues présentent certaines similitudes quant aux critères de sélection en première année, puisqu'elles accordent une place non négligeable aux matières nouvelles : biologie, anatomie, sciences humaines, au détriment des disciplines plus scolaires : mathématiques, physique, chimie. C'est en tenant compte de cette particularité qu'il faut lire nos résultats.

Les caractéristiques de notre échantillon ne permettent donc pas d'appréhender les modalités de la sélection à l'issue du PCEM1, mais il est possible d'y trouver quelques indicateurs sur les circonstances de la réussite au concours. En premier lieu, nos résultats confirment l'augmentation des redoublements de la première année.

Temps passé en première année selon la promotion

promotion 1 an 2 ans 3 ans et + Total

1973 77,0 23,0 0,0 100 1975 52,0 44,7 3,4 100 1978 37,2 55,0 7,8 100 1980 27,8 63,3 8,9 100 1984 35,8 60,3 3,9 100 1986 26,1 67,2 6,7 100

Total 42,6 52,3 5,1 100

Alors que pour la génération 73, plus des trois-quarts des étudiants ne redoublaient pas la première année, cette proportion s'inverse presque puisque cela ne concerne qu'à peine plus du quart de la génération 86. La norme a changé, même certains interviewés redoublants des plus anciennes années disaient avoir échoué au PCEM1 "comme tout le monde"…

Les conditions de la réussite méritent d'être interrogées. Car tous ces étudiants n'ont pas réussi leur concours au même prix et des indicateurs statistiques peuvent mettre en évidence des profils plus ou moins favorables.

Une première tendance concerne les caractéristiques scolaires et sexuelles des étudiants, au regard de leur probabilité de redoublement. Le tableau ci-dessous en retrace quelques-uns et montre les évolutions consécutives au changement de régime qui signe, rappelons-le, une baisse significative du Numerus Clausus, donc une sélectivité plus importante.

Taux de réussite au PCEM1 en une année selon le régime de thèse et le type de bac, l'âge au bac et le sexe

régime Bac A Bac C Bac D B<18ans B18ans B19ans+ hommes femmes ensemble

A.R. 27,8 61,9 54,3 63 57,3 47,2 57,5 54,5 56,4

N.R. 30 37,3 27,6 37,1 34,4 22,9 33 29 31,1

Total 28,1 49,1 39,1 50,2 43,5 35,5 44,9 39,5 42,6

On constate ainsi que les variations relatives aux caractéristiques scolaires des étudiants ont tendance à s'atténuer au fil des années : la différence de réussite entre un bachelier A et un bachelier C était de 34 points dans l'ancien régime, alors qu'il n'est plus que de 7 points dans le nouveau régime. Les bacheliers littéraires, marginaux dans les promotions les plus récentes, sont aussi sur- sélectionnés, à la fois par l'interdit officieux qui annonce d'emblée qu'ils ont des chances quasi nulles de réussir et à la fois par leurs caractéristiques objectives. Ainsi, 60 % des bacheliers littéraires non redoublants en PCEM1 n'avaient pas de mention au bac dans l'ancien régime, alors que tous ceux du nouveau régime avaient une mention (dont un tiers une mention "Bien"). Chez les étudiants du nouveau régime, ce ne sont que 30 % des bacs C non-redoublants qui avaient obtenu une mention (alors qu'ils étaient 50 % sous l'ancien régime).

Cette relative homogénéité se repère également au niveau de l'âge au baccalauréat : le fait d'avoir de l'avance dans son parcours apparaît comme un avantage plus important sous l'ancien régime que sous le nouveau régime. Mais il faut lire ces résultats en fonction de la population initiale, puisqu'il s'agit ici d'un concours. Il apparaît en effet que, sur l'ensemble de l'échantillon, c'est la nature de la population qui se modifie : les très bons élèves, sortant des filières scientifiques en avance et avec mention s'inscrivent moins souvent en médecine ces dernières années qu'il y a 25 ans. On s'orienterait alors vers une population plus homogène faite de bons élèves mais pas exceptionnellement brillants.

Les différences observées entre les hommes et les femmes ne sont pas très importantes. La tendance serait à des redoublements un peu plus fréquents chez les femmes, qui tendent alors à perdre la légère "avance" qu'elles avaient au niveau du baccalauréat. Cette tendance est plus forte pour la promotion 1986 où l'écart des taux de redoublement est de plus de 7 % entre les hommes et les femmes.

Mais le taux de redoublants parmi les reçus en PCEM2 varie également selon les facultés. On peut poser comme hypothèse que, plus de taux de redoublants est important, plus la concurrence est forte et laisse peu d'espace pour les primo entrants. Les variations par faculté montrent une

sélectivité forte à Lariboisière, qui s'accroît sous le nouveau régime des études. Nantes, en revanche, semble moins concurrentielle, les chances d'obtenir le PCEM1 en un an étant de près de 10 points plus élevées qu'à Lariboisière. La faculté de Marseille se distingue par un taux élevé de triplants (voire plus), qui s'accroît sous le nouveau régime57.

Temps passé en PCEM1 selon la faculté d'origine et le régime d'études

Temps en Lariboisière Marseille Nantes

PCEM1 A.R. N.R. A.R. N.R. A.R. N.R.

1 an 57,1 26,4 50,6 31,8 61,9 35,1

2 ans 39,7 70,7 42,9 53,5 35,6 62,5

3 ans et+ 3,2, 2,9 6,5 14,6 2,5 2,4

total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %

La particularité de ce concours est surtout visible à travers le taux d'individus qui ont été reçus après deux tentatives. Celui-ci est particulièrement élevé et mérite que l'on se pose une question : qu'est-ce qui justifie deux années de préparation ? On pourrait, évidemment, expliquer cela par le fait que seuls les étudiants très brillants réussissent en un an, les moins bons devant redoubler pour y arriver. Mais un paradoxe a retenu notre attention : au fil des années, les premiers reçus ont compté de moins en moins de primo-entrants et de plus en plus de redoublants. À tel point que les étudiants établissent un double classement : celui, général et officiel, et celui des "bizuts". On peut alors être reçu trentième au classement général et troisième "bizut". L'excellence se mesure dans la combinaison entre le rang et la rapidité.

Ce paradoxe peut être en partie mis en évidence par nos données, où l'on perçoit les signes de cette évolution. En partant des résultats obtenus lors du passage en PCEM2, nous avons classé — par faculté et par année — les étudiants en trois groupes de taille similaire : les "très bons", les "bons" et les "moins bons".

Niveau de classement des étudiants selon différentes caractéristiques

catégorie d'étudiant "très bons" "bons" "moins bons" Ecart** ensemble

Ancien régime*

non-redoublants 56,2 % 58,3 % 55,0 % +1,2 % 56,6 %

mentions au bac 60,0 % 60,8 % 55,8 % +4,2 % 59,4 %

Nouveau régime

non-redoublants 28,7 % 28,1 % 35,0 % -6,3 % 30,4 %

femmes non redoublantes 24,1 % 28,9 % 32,5 % -8,4 % 28,4 %

mentions au bac 44,4 % 45,0 % 51,8 % -7,4 % 46,3 %

* : Nous avons scindé notre population en fonction du régime de thèse, correspondant à la réforme de 1982. Ici, cette réforme est surtout significative en ce qu'elle marque deux périodes en même temps que le début d'une baisse drastique du Numerus Clausus.

** : il s'agit de la différence entre les "très bons" et les "moins bons".

Lecture : 56,2 % des "très bons" étudiants de l'ancien régime étaient non-redoublants : 55,8 % des "moins bons"

étudiants de l'ancien régime avaient une mention au bac.

On peut supposer, au vu de ces résultats, que l'on assiste à une modification dans les facteurs favorisant la réussite au concours. Ainsi, au fil des années, les redoublants, non seulement ont de

57Hors circonstances particulières (maladie, évènements familiaux, etc.), il est courant que les facultés accordent un triplement aux premiers collés de la liste, le nombre étant laissé à la discrétion de chaque université.

meilleurs résultats que les non-redoublants, mais les bacheliers avec mention obtiennent un moins bon classement que ceux qui n'en n'ont pas. En réalité, les deux phénomènes se conjuguent, puisque le fait d'avoir une mention favorise la réussite en un an, mais avec un moins bon classement. Notre travail ne portant pas sur le concours de PCEM1, nous n'avons pas suffisamment de données pour bien étudier ce phénomène, mais il serait judicieux de s'y arrêter et de le comparer à d'autres concours afin de tester son originalité.

À ce stade, nous pouvons seulement nous interroger sur l'effet produit par cette première année : s'agit-il simplement "d'écrémer" la population candidate aux études de médecine à partir de critères reposant sur l'excellence scolaire — on pourrait alors aussi bien procéder par un tri à l'entrée sur dossier — ou s'agit-il d'une sélection de type normalisante ? Dans cette hypothèse, on se trouverait devant un modèle qui serait celui d'une course d'endurance et l'on comprend mieux pourquoi les redoublants, qui ont un "tour" d'avance, réussissent mieux que les non-redoublants. Ceci signifierait également que, pour avoir le concours dès la première année, il faut, soit "courir très vite", soit avoir, d'emblée, un peu "d'avance" sur les autres. Aujourd'hui d'ailleurs, certains étudiants ne s'inscrivent pas en médecine dès le baccalauréat, mais commencent à préparer seuls le concours durant une année avant de s'inscrire en faculté, se donnant ainsi une chance supplémentaire.

Enfin, ces taux de redoublements connaissent, sur Nantes, des variations significatives en fonction de l'origine sociale des étudiants. On remarque alors un phénomène comparable à celui observé au niveau des origines scolaires : à partir du moment où ils ont franchi la barrière du concours de PCEM1, les étudiants d'origine populaire seraient plutôt plus performants que les autres, même si ce phénomène semble s'inverser avec la baisse du NC . En outre, on voit les taux de réussite varier plus significativement dès lors que l'on combine l'origine sociale et le sexe.

Taux de réussite en 1 an au PCEM1 des étudiants nantais selon la CSP du père

CSP père ensemble femmes hommes A.R. N.R.

pts indép. 51,4 53,3 50,0 81,3 29,4

cadres et PL 48,3 50,5 46,5 61,4 38,0

prof int. 44,4 37,5 50,0 53,3 42,1

empl et ouv. 52,1 28,6 70,4 65,5 25,0

pop. totale 48,8 46,3 50,8 63,5 36,2

On voit ici se renforcer l'aspect sélectif d'un NC en augmentation. Les "gagnants" de cette évolution semblent être les enfants des professions intermédiaires, dont la conformité scolaire colle bien avec une concurrence accrue entre les étudiants, ce d'autant plus que nous avons vu qu'il s'agit en majorité d'hommes.