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Chapitre II Faire médecine…

idem 75 avec un commencement de sémiologie et changement pour les choix de stages :

III. Passer ou ne pas passer l'internat ?

La construction même du schéma d'orientation auquel sont soumis les étudiants actuels est duale : d'un côté, il y a l'internat, de l'autre, la médecine générale. Les entretiens permettent d'interroger la nature de ce choix qui s'opère selon des procédures différentes que pour les étudiants de l'ancien régime, puisque d'une part, la réforme fait intervenir de nouvelles contraintes et, d'autre part, elle supprime certaines opportunités.

La première de ces contraintes est temporelle : les étudiants doivent se déterminer rapidement et ils sont soumis à un calendrier beaucoup plus serré que celui de leurs aînés. En outre, les solutions de "rattrapage" et de réorientation sont très limitées, ils sont donc pris dans une sorte de "course contre la montre" qui déterminera leur carrière ultérieure.

Par ailleurs, l'éventail des possibles qui leur est offert se résume à une succession

d'alternatives : préparer ou non l'internat ; y réussir ou y échouer ; accepter ou non la filière

d'affectation. À partir de là, un choix plus large est offert aux "meilleurs" : choisir une spécialité médicale ou chirurgicale, à condition que leur choix géographique et leur rang de classement leur en laisse la possibilité. Cette binarité du processus de décision laisse peu d'espace aux projections imaginaires, aux conseils extérieurs, aux expériences sur le terrain.

Dans ce contexte très contraignant, les étudiants tentent de préserver leur libre arbitre et de trouver des stratégies qui leur permettent de s'approprier leur destin. Pour se prémunir d'une relégation par l'échec, les projets sont toujours prudents, l'échec anticipé, la réussite aléatoire.

Enfin, la suppression des CES aboutit, dans le nouveau régime, à fermer ce qui était vécu comme la "voie féminine" de la spécialisation. Pouvons-nous, pour autant, considérer que l'alternative nouvelle suit un modèle asexué de division du corps médical ?

III.A Faire la course

Les règles du nouveau concours de l'internat imposent de se présenter la première fois en fin (ou en cours) de DCEM4, après validation de tous les certificats sauf un, le concours étant validé après l'obtention du CSCT. Il n'est donc pas possible, pour un résident qui décide de se réorienter vers une médecine spécialisée, de tenter le concours s'il ne l'a pas présenté une première fois à ce moment-là. Et s'il s'y est présenté, il ne lui reste plus qu'une seule tentative.

La comparaison entre les données des fichiers statistiques et les récits recueillis lors des entretiens montre que certains généralistes se sont inscrits à l'internat, quitte à ne pas s'y présenter, alors qu'ils affirment n'y avoir jamais songé. Il ne s'agit pourtant pas là de la négation d'un échec, mais de "l'oubli" d'une démarche qui, si elle n'engage pas l'étudiant, peut être interprétée comme une "mesure de précaution" :

"Au début moi c’était vraiment médecin généraliste. Moi je voulais être médecin de famille, vraiment c’est ce qui m’attirait dans la médecine."

(généraliste nouveau régime, s'est présenté une fois à l'internat)

Cet autre généraliste se décrit comme : "Quelqu’un qui se dédie d’entrée, à la médecine générale, parce

que moi le concours d’internat je n’ai jamais voulu le passer. La spécialité, pour moi elle n’a jamais été dans ma tête, je ne me voyais pas être spécialiste en quelque chose, ça ne m’intéressait pas trop à l’époque.

Bon maintenant aussi, même si je vois bien que les spécialistes par rapport aux généralistes, ont quand même énormément d’avantages."

(généraliste nouveau régime, inscrit à l'internat, non classé)

La décision de préparer l'internat doit être prise tôt et si l'étudiant hésite un peu trop longtemps, ce sera trop tard pour lui. Pour tenter de récupérer ce "temps perdu", la stratégie consiste à redoubler les dernières années, comme l'ont montré les résultats statistiques.

"Je pensais, comme je n’étais pas très bien classé que je serais jamais capable d’avoir l’internat, parce que dès la deuxième troisième année il y en a qui étaient déjà en train de préparer l’internat, j’étais impressionné je savais même pas ce que c’était mais eux ils savaient visiblement, ils commençaient déjà à récupérer les conf., les adresses. Je regardais ça, j’étais déjà content de passer d’une année sur l’autre, je me disais que je serais médecin et puis voilà. Non c’est en cinquième année. (...) et puis en sixième année que j’ai redoublé volontairement pour avoir le temps de le préparer. Il y avait des tas de combines, comme d’avoir toutes les matières et d’en planter une exprès sans avoir zéro, ce qui est toujours un peu délicat. Mais j’avais très peur en fait d’avoir une note suffisante qui me fasse passer."

(anesthésiste nouveau régime, faculté de Nantes)

Cette temporalité conditionne les choix. Durant leurs études, les futurs médecins ont l'occasion de fréquenter une médecine hospitalière fortement spécialisée et les praticiens qu'ils rencontrent sont tous des anciens internes. Le choix ne peut donc s'effectuer qu'à partir de deux critères : les représentations, souvent floues, de la médecine générale et/ou l'anticipation de sa propre capacité à préparer l'internat.

Ce rythme imposé par la nouvelle réforme induit des stratégies qui s'opèrent dès le début du deuxième cycle des études, stratégies qui ne correspondent pas nécessairement aux exigences de la faculté. Ainsi, on constate que ceux qui peuvent le mieux anticiper ce calendrier sont ceux qui bénéficient d'informations extérieures à l'université, par leur famille ou des amis issus du milieu médical. Quand l'étudiant ne dispose pas d'informateurs proches et qu'il concentre son attention à pénétrer un milieu qui lui est étranger, il peut alors "passer à côté" des règles imposées par le système.

On peut ici comparer les récits de deux étudiants : l'un, issu d'un milieu ouvrier, n'a aucune idée des stratégies qu'il faut adopter pour anticiper une orientation future et se retrouve "naturellement" généraliste (1) ; l'autre a un grand frère qui lui donne les "bons conseils" et il arrive alors à maîtriser son parcours qui le conduit à une brillante carrière de pédiatre hospitalier (2) :

1/ "Q : Vous n’aviez donc pas fait le choix de préparer l’internat ?

non pas du tout. Moi je me destinais à faire des études de médecine, en voyant au fur et à mesure comment les choses se passaient. Et c’est en cinquième année, là mes premiers stages d’externe, et où on se retrouve plus là en relation avec des internes. Là on commence à nous dire, faut que tu prépares l’internat

Q : on vous l’a pas dit avant la cinquième année ?

non non. Ah non

Q : parce que certains commençaient déjà à le préparer…

ah bien sûr. Je m’en doutais mais finalement on s’en rendait même pas compte. Il y avait des certificats et on voyait bien ceux qui réussissaient de manière fantastique leurs certificats. Mais nous l’objectif c’était la moyenne, et ne pas perdre de place dans le classement pour pouvoir choisir des stages intéressants. C’était ça l’objectif, pour la simple et bonne raison que les stages étant pas du tout formateurs, ça nous engageait pas du tout à faire un choix ultérieur. Le concours de l’internat ? pour quoi faire ? On n’avait pas d’envies. Enfin moi personnellement j’avais aucune idée, si ce n’est toujours la petite arrière pensée de médecine humanitaire."

(généraliste nouveau régime)

2/ "Parce que moi j’avais la chance, enfin…mon frère qui avait 7 ans de plus, je dirais il avait toujours eu un train d’avance, et je voyais le devenir. Donc finalement je voyais…je connaissais je dirais les défauts du système de formation médicale. Donc j’ai pas du tout été surpris. J’étais préparé (...) Je crois que si on pose les bonnes questions on a les réponses. Je crois que là, je sais pas. Où j’ai été aidé, c’est par mon frère au départ parce que lui m’a guidé et j’ai vu que c’était très très rentable. Quand vous travaillez une matière qui sert à rien à l’examen, je crois que c’est un peu décourageant. Je crois que demander les bons renseignements au bon moment c’est très très important."

(pédiatre nouveau régime)

Cet impact des temps met visiblement les étudiants sur des "lignes de départ" différentes en fonction de leur capacité à anticiper ce qui va se passer. Ce n'est pas toujours à la faculté qu'ils doivent trouver les bons renseignements. Ceux-ci se trouvent ailleurs et l'on voit que ceux qui prennent le temps des études de médecine proprement dites, qui vont en stage, qui suivent les cours conformément aux prescriptions universitaires, se font "prendre de vitesse" par ceux qui ont, d'emblée, intégré l'idée qu'avant de s'interroger sur le métier de médecin, il faut préparer le concours de l'internat.