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Chapitre II Faire médecine…

II. Étudier en faculté

Chaque faculté jouit d'une grande autonomie pour organiser les programmes et les validations des enseignements propres aux deux premiers cycles des études médicales. Les modifications intervenues dans chaque faculté à l'issue de la réforme de 1982 dépendaient donc de la capacité d'anticipation des responsables pédagogiques, quant aux changements induits par le nouveau dispositif. Les maquettes d'enseignement ont toutes subi des modifications plus ou moins importantes dans les années qui suivirent, créant parfois de fortes distorsions d'une université à l'autre. Ces changements mettaient en cause, non seulement les traditions propres à chaque université, mais aussi sa réputation au regard des premiers résultats du nouvel internat. C'est ce que nous montrerons, dans une première partie, en prenant pour exemple les trois facultés que nous avons étudiées.

Une fois brossé le contexte dans lequel se déroulent ces études, nous regarderons quel est l'impact des politiques universitaires sur le déroulement des cursus pour les étudiants, en particulier leurs conséquences sur les temps d'études — puisque le troisième cycle est devenu plus long — et ses effets différentiels selon les facultés.

Enfin, il semble que les étudiants de médecine fréquentent peu les bancs de la faculté. Au- delà de ce constat général, il nous est apparu qu'il y avait plus de variations dans l'assiduité aux cours qu'il n'y paraît. Les entretiens permettent de mieux comprendre ce qui peut motiver ou non un étudiant pour aller à la faculté, ainsi que les problèmes que pose la relative désertion d'un lieu pourtant décisif de la socialisation professionnelle.

II.A Des "certificats" aux "matières"

L'enquête dans les facultés a permis de mieux comprendre les rapports complexes qui lient — et parfois mettent en rivalité — deux programmes que les étudiants sont censés acquérir dans les mêmes temps : celui des enseignements universitaires et celui du concours de l'internat. Il fut, au moment de la réforme, discuté de l'intérêt de ne pas distinguer ces deux programmes, quitte à supprimer celui du concours. Cela n'a pas pu se faire, et le principe du double apprentissage a été conservé. Mais, dans les faits, nous avons constaté que le programme universitaire a eu tendance à se calquer sur celui de l'internat, qui est devenu dominant. L'uniformisation s'est presque faite, mais dans le sens inverse de ce qui avait été préconisé. Aujourd'hui, l'idée de ne plus distinguer les deux programmes est à nouveau à l'ordre du jour, mais les modifications déjà intervenues dans les universités posent la question des modalités de cette harmonisation.

Il n'est pas aisé, pour les non initiés, de bien saisir les subtilités d'un enseignement aussi spécifique que celui de la médecine. Nous allons tenter de montrer comment celui-ci évolue, d'un point de vue strictement technique, sachant que l'autonomie des universités et la liberté de chaque enseignant produit, dans chaque faculté, des résultats différents.

Ces disparités ne sont pas sans poser des problèmes car, à travers ces variations, c'est l'internat comme enjeu d'excellence qui est directement mis en cause, créant de grandes inégalités quant aux conditions de préparation au concours dans les différentes facultés. Le nouvel internat, national, cherchait à réduire les différences entre les CHU organisateurs du concours ancien régime. Pourtant, d'autres disparités géographiques ont pris la relève qui pèsent, nous le verrons, sur l'harmonisation territoriale de la démographie médicale.

Il reste beaucoup à apprendre sur les motifs et les arguments qui ont donné lieu, dans chaque université, aux modifications apportées à l'enseignement (théorique et pratique) du deuxième cycle.

Notre enquête n'apporte que trois exemples, mais les informations que nous avons recueillies nous conduisent à penser que nous aurions eu autant de cas différents que de facultés retenues. Nous pouvons déplorer de ne pas avoir eu accès à des sites plus contrastés en ce qui concerne leurs résultats à l'internat, puisqu'il apparaît que c'est là que se concrétisent ces différences d'organisation. Dans les facultés où nous nous sommes rendu, le principe organisateur des études médicales semblait concordant — avant la réforme — avec le principe de base de la profession : seul un médecin est habilité à pratiquer la médecine et toutes les médecines, dans la limite de ses compétences et de ses possibilités. Puisqu'il s'agit de former avant tout des médecins généralistes, il fallait s'assurer que tout étudiant ait acquis un niveau minimal de connaissances dans chacune des grandes branches de son art. Ce principe trouvait son application dans la construction et la validation des modules enseignés : ceux-ci étaient groupés par ensembles appelés certificats et la validation des années était soumise à l'obtention d'une note au moins égale à la moyenne dans chacun de ces certificats. S'il était possible de passer l'année suivante en ayant raté un certificat, l'étudiant contractait alors une "dette" qu'il devait valider pour passer en troisième cycle. Les certificats, comme nous l'avons vu dans le premier chapitre, étaient enseignés durant les trois dernières années du deuxième cycle et recoupaient, en général, les principales spécialités médicales. Nous avons reproduit, dans l'encadré figurant à la fin de cette partie, le détail de ces enseignements tels qu'ils étaient dispensés pour la promotion 1975 et pour la promotion 1984. Sous l'ancien régime, les principes généraux étaient globalement les mêmes à Marseille et à Nantes, seuls changeaient les intitulés des certificats et leur place dans les différentes années64

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À Lariboisière, on constate que les disciplines enseignées à partir du DCEM2 sont plus nombreuses, construites sur le modèle des "matières" et que la moyenne dans chacune d'elles n'était pas exigée. Les dossiers étudiants faisaient état de possibilités de passage d'une année sur l'autre avec une note inférieure à 8 dans une des matières, mais en ayant la moyenne générale. Contrairement aux deux autres facultés, il était donc possible de compenser un mauvais résultat dans un module par une très bonne note dans un autre. Le pré-requis de la moyenne pour chaque groupe d'enseignement était déjà abandonné.

La réforme de 1982 a imposé une modification quant à la répartition de ces enseignements. Dans un premier temps, le concours avait lieu en septembre suivant le DCEM4, mais, très vite, il fut programmé au printemps. Certaines facultés avaient, dès le début, anticipé le cumul des épreuves de fin de DCEM4 et du concours pour alléger le programme de la sixième année. D'autres ont réagit plus tard, ce qui explique en partie les grandes variations de réussite des étudiants les premières années du concours. Dès le changement de programmation du concours, la réorganisation de l'enseignement du deuxième cycle devenait obligatoire, et les responsables pédagogiques se sont alors attachés à rendre plus souple la validation des épreuves universitaires.

Progressivement, on note trois types de modifications formelles de l'enseignement du deuxième cycle des études médicales.

La première porte sur son organisation temporelle. Celle-ci est devenue nécessaire, mais sous des formes laissées à l'initiative de chaque université. Par exemple, Nantes a chargé le programme de DCEM1 en y introduisant deux certificats, afin d'alléger le programme du DCEM4. Elle a, dans le même temps, mis en place un système d'anticipation, permettant aux étudiants de passer jusqu'à deux certificats de l'année suivante. Combiné au système des dettes, cela permettait de donner une certaine souplesse dans l'organisation du travail de chacun, en fonction de ses projets. Sous la forme

64 Ces variations pouvaient poser des problèmes dans le cas de transfert en cours de cycle des étudiants, pour qui les équivalences de validation sont compliquées à réaliser. Ceci montre le côté très identifiant de l'appartenance à une faculté donnée, où l'on retrouve des survivances de l'époque des Écoles de médecine, indépendantes les unes des autres.

de "matières" globalisées, on trouve le même système de renforcement des programmes des DCEM2 et DCEM3 sur Marseille et sur Lariboisière.

La deuxième modification porte sur les modalités de validation. Devant ces programmes chargés, la faculté de Marseille a adopté une forme de validation des années proche de celle de Lariboisière. Les notes obtenues dans chaque matière sont désormais globalisées dans une moyenne, l'exigence d'obtention séparée de chaque certificat est abandonnée. Au-delà de l'aspect pratique, c'est aussi l'esprit de l'enseignement universitaire qui s'en trouve modifié, puisque le principe de validation ne retient pas l'autonomie de chaque certificat en tant qu'ensemble de connaissances devant être acquis dans les grands domaines de la médecine, conformément à la formation de base d'un futur généraliste. On voit alors se profiler un nouveau modèle médical, véhiculé par les transformations des modalités de validation, qui devient plutôt celui du médecin spécialiste : celui-ci peut avoir fait l'impasse sur une partie des connaissances et se rattraper en étant très pointu dans un autre domaine.

Enfin, dans l'enseignement lui-même, et parallèlement au découpage des matières, le contenu des enseignements a changé. Celui-ci a eu tendance à se calquer, plus ou moins systématiquement, sur le programme de l'internat et prendre la forme des "questions", les épreuves également se présentant sous la même forme que les modalités du concours. Au final, certaines facultés organisent de véritables préparations à l'internat, dont l'objectif est autant d'améliorer les scores de leurs étudiants que de les attirer dans des amphis plus vides que jamais.

Il y a, dans les universités où nous nous sommes rendus, un véritable débat sur ces questions. Les enseignants qui construisent un cours spécifique, indépendant du programme du concours, se font de plus en plus rares, mais les doyens s'inquiètent de cette perte de la spécificité de l'enseignement universitaire. La différenciation des programmes pouvait être argumentée par des objectifs spécifiques : l'université poursuit une mission de formation générale des futurs médecins ; le concours de l'internat vise à sélectionner les futurs spécialistes. Dans la pratique, l'accumulation des deux formes d'apprentissage alourdit considérablement la charge des étudiants. À Nantes, nous le verrons, le maintien des principes universitaires a conduit de nombreux étudiants à redoubler leur dernière année, voire les deux dernières, afin d'assimiler les deux programmes et de se donner un maximum de chances au concours. Ils se trouvent donc dans une position défavorable par rapport à leurs camarades issus de facultés où les règles universitaires sont plus souples.

Paradoxalement, le verdict est sans appel : les facultés qui cherchent à conserver leur propre mission produisent des candidats moins performants au concours de l'internat et sont considérées comme des "mauvaises" universités. La référence de l'excellence universitaire devient donc celle du classement au concours, hiérarchie renforcée par le caractère national de celui-ci. À travers les résultats de leurs étudiants, ce sont les facultés qui sont "classées" et jouent leur réputation. Mais aussi, c'est la possibilité de retenir les futurs spécialistes dans leurs hôpitaux, qui se joue à travers ces stratégies locales. Car, lorsqu'une université fournit peu d'internes, les postes hospitaliers sont occupés par des "extérieurs" qui ne resteront pas nécessairement sur place, ce qui fait craindre la pénurie de médecins hospitaliers dans des régions où ils sont déjà peu nombreux.

La réforme a donc induit un maillage encore plus étroit entre des intérêts et des missions différentes. C'est ainsi que l'on peut comprendre le lien entre l'organisation d'un enseignement universitaire, en principe théorique et général, et ses conséquences au niveau de la structuration du corps hospitalo-universitaire local. D'où la grande difficulté, pour les enseignants, à penser leur mission en termes pédagogiques lorsque, en tant que praticiens hospitaliers, ils perçoivent la nécessité de pourvoir au recrutement de leurs pairs. Ce dilemme est commun aux doyens que nous avons rencontrés, ainsi que l'exprime l'un d'entre eux :

"(…) nous avons, nous, dans notre faculté, un objectif précis (…) . Au fond le choix qu’on doit faire c’est : doit-on former des médecins généralistes et bien les former ou doit-on au contraire adapter la maquette de

façon à avoir le plus possible d’internes et de spécialités, et de spécialistes. Et déjà, si vous voulez faire l’option : j’ai une faculté où la plupart des étudiants peuvent préparer l’internat, passer le concours de l’internat, et réussir, et vous en enorgueillir d’un taux de réussite qui vous place au hit parade dans les journaux ou dans le cœur des étudiants, parce que il y a tant % de reçus à l’internat, c’est déjà un choix, (…). Si par contre, vous dites que l’internat est un épiphénomène que certains étudiants peuvent présenter mais que vous vous voulez fabriquer des médecins généralistes, des bons médecins généralistes et que vous n’en avez cure de nettoyer la quatrième année, le D4, pour qu’il n’y ait pas de cours pendant la préparation de l’internat et que vous allez faire des cours pour préparer des médecins généralistes, ça n’est plus du tout, du tout la même philosophie, d’abord au départ c’est quand même.. et ensuite ça n’est pas du tout la même pratique. Jusqu’à il y a quatre ou cinq ans, je ne suis pas sûr de la date mais c’est à peu près ça, cette faculté avait la réputation de faire des médecins généralistes hein, c’était l’option qui avait été faite, et d’ailleurs ceci avait pour conséquence d’avoir un assez faible taux de réussite à l’internat."

Encadré n°5

Comparaison dans la programmation de l'enseignement et ses modes de validation dans les trois facultés, sur deux promotions ancien et nouveau régime.

Nantes

promotion 75 promotion 84

PCEM1 concours et classement sur note globale idem 75 PCEM2 note globale avec session de septembre et

choix des stages sur classement

idem 75 avec un commencement de sémiologie