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Chapitre II Faire médecine…

idem 75 avec un commencement de sémiologie et changement pour les choix de stages :

II. B Choisir l'internat des hôpitau

Certains décident de préparer et de présenter le concours d'internat des hôpitaux. Cette décision pouvait se prendre tôt, dans les études, ou plus tardivement, puisqu'il n'y avait pas d'exigences aussi strictes qu'aujourd'hui quant au moment des candidatures. En revanche, cet internat jouissait d'une réputation d'excellence et beaucoup d'étudiants n'ont pas vraiment envisagé de le présenter sérieusement, même s'il représentait pour certains un "rêve".

Il faut, à ce sujet, distinguer la préparation, de la présentation au concours. On voit alors apparaître trois attitudes différentes :

- la première consiste à refuser, d'emblée, de se positionner sur ce registre. Refus de présenter l'internat et, bien sûr, de le préparer. Hormis ceux qui ont eu une "vocation précoce" pour une pratique généraliste, deux formes de raisons sont évoquées: la première, souvent implicite, concerne la question du "niveau". Les étudiants, se considérant médiocres, ne se posent pas vraiment la question de l'internat et adaptent leurs ambitions à ce qui leur semble, raisonnablement, accessible. Cette raison est rarement dite explicitement, mais elle transparaît dans les discours, lorsque, spontanément, les interviewés décrivent un parcours un peu difficile : ainsi, ce généraliste, issu d'une filière littéraire et qui ne s'est jamais considéré comme un "scientifique" :

"Moi, dès le début, j’ai fait impasse sur le concours de internat. J’ai travaillé, j’ai suivi les conférences et tout, mais j'avais fait impasse parce que je voulais être médecin généraliste. (...) Je suis pas un scientifique de raisonnement. J’ai une approche littéraire et beaucoup plus intuitive donc si vous voulez ça ne me

passionnait pas de me pencher sur le cas exceptionnel de pathologie pancréatique parce que je savais que de toute façon je ne serai pas compétent pour traiter le problème, que je ne serai pas compétent pour éventuellement faire le diagnostic, qu’il fallait simplement que je sache orienter ce patient-là qui présentait une symptomatologie difficile..."

(généraliste, ancien régime)

On trouve aussi des refus qui ne sont pas liés aux chances objectives de réussite, ni à des vocations précoces, mais plutôt à un rejet du "système". Que celui-ci soit exprimé par une argumentation politique ou sociale. On voit alors que le fait de refuser de se lancer dans la course n'obère pas systématiquement les chances de spécialisation ou de réalisation d'un projet professionnel. Ainsi cette fille de "patron" décide de se spécialiser par la voie des CES pour ne pas être accusée de "favoritisme" si elle avait l'internat, ou ce cancérologue qui ne le passe pas parce que trop occupé par son militantisme politique, mais qui réussit tout de même à se spécialiser et à intégrer ensuite la filière hospitalo-universitaire :

"J’ai décidé de ne pas préparer l’internat parce que, je vous dis c’était incompatible : un avec mon militantisme et deux avec mon travail. (...) Question de temps absolument, à l’époque je pense que ça n’allait guère au delà, et puis un peu quand même sur un rejet on va dire du côté caste du corps médical, ça allait avec le reste.(...) Sur le moment on n’avait pas l’impression de sacrifier quoi que ce soit on ne raisonnait pas de la même façon, maintenant, bon, je pense que c’était très certainement une erreur." (cancérologue, ancien régime)

- La deuxième attitude consiste à travailler l'internat. Les fameuses "questions" jouissaient auprès des étudiants de la réputation de traiter de manière complète de sujets qui n'étaient pas toujours abordés de manière satisfaisante dans leurs polycopiés. Sachant que peu d'entre eux suivaient régulièrement les cours, le travail sur les "questions" et les interrogations collectives venaient remplacer ce que la faculté n'apportait pas, à savoir une forme de sociabilité médiatisée par l'apprentissage :

"Je l’ai préparé et puis, comme petit à petit, je m’orientais vers l’anesthésie-réanimation, qu’il y avait le CES, et qu’à l’époque, la formation était aussi simple, voire un petit peu plus courte, parce que on commençait à en avoir ras le bol des études longues, voire plus courte par le CES, que par l’internat, parce que c’était trois ans de CES alors que c’est quatre ans d’internat plus éventuellement chef de clinique… et comme j’avais… donc je l’ai quand même préparé pour, ben pour, pour moi, pour travailler et puis bon, on s’était fait un groupe d’internat, de copains, et puis bon. (...) c’était par conférences d’internat, c’est-à-dire que on trouvait un maît.. régulièrement des praticiens hospitaliers ou des profs qui font, on se retrouve dans une petite pièce comme ça le soir et on bosse, c’est vrai que c’est différent parce que, bon. On apprend pas de la même façon. Le contact n’est pas le même que dans un grand amphi où il y a un cours magistral quoi ! "

(anesthésiste, ancien régime).

Ces étudiants n'étaient pas vraiment décidés à "passer" l'internat et ils se donnaient la possibilité d'envisager parallèlement leur avenir professionnel. Si ce concours désignait l'élite, ne pas le passer ne signifiait pas se priver de la reconnaissance des pairs. Ceci, évidemment, dépendait des milieux familiaux et universitaires dans lesquels évoluaient les étudiants. Cette souplesse d'attitude face à l'internat est néanmoins caractéristique des étudiants de l'ancien régime, pour qui la "préparation" pouvait se faire sans, pour autant, qu'ils intègrent l'obligation d'entrer dans une concurrence systématique entre camarades.

- La troisième attitude est celle des étudiants qui préparent l'internat pour l'avoir. Ils se placent alors dans une autre position et soumettent leur choix d'exercice à une réussite ou un échec éventuel. Cette position peut être précoce ou plus tardive, elle peut être liée à une pression extérieure du groupe ou relever d'un projet de carrière. Mais l'éventail des choix possibles en cas d'échec est tel, pour cette génération, qu'ils n'adoptent pas de position "fermée" à ce sujet : s'ils reconnaissent avoir parfois mal "digéré" un échec, ils ne se sentent pas, pour autant, sans possibilité d'investir par eux-mêmes une autre "vocation".

"En fait, lorsqu'on faisait ces études, l'internat était toujours là, en perspective. Mais il fallait se mettre au travail. Et en fait, pour moi c'était les conditions de travail, c'était une rencontre avec … le gars qui était dans la même année d'études que moi, qui s'appelle P et avec qui on s'est mis à travailler l'internat. Donc mon cursus est plutôt une affaire de rencontre. (...) l'internat j'ai pensé à l'échec les deux derniers mois. Où là, j'ai complètement tout laissé tomber. Je n'arrivais plus à travailler. Donc là, j'ai pensé à l'échec, car en fait si j'ai arrêté de travailler, c'était une façon de préparer l'échec. Si je loupe, c'est parce que je n'ai pas travaillé. En fait on avait vraiment travaillé. (...) Malheureusement il (son copain P) a échoué. Après il pris lui l'option, à l'époque il existait encore les CES. Il a fait un CES d'O.R.L. et il parti s'installer.

Q : Vous auriez envisagé de faire un CES si vous aviez échoué à l'internat?

Poufff!.… Là aussi, je n'ai pas le souvenir d'avoir envisagé autre chose. Je pense que j'aurais fait de la médecine générale."

(chirurgien vasculaire, ancien régime)

Tous ces exemples montrent que l'internat s'inscrivait dans un ensemble de voies possibles et non comme une alternative décisive. Il remplissait par ailleurs des fonctions diverses, au-delà du concours lui-même, puisqu'il était l'occasion à la fois d'améliorer ses connaissances et de construire un réseau de sociabilité à partir duquel des liens se tissent entre ces futurs professionnels. Presque tous les étudiants de l'ancien régime ont travaillé sur les questions de l'internat, mais fort peu l'ont fait systématiquement et dans toutes les matières, et le fait de s'inscrire dans une conférence n'obligeait pas non plus à aller jusqu'au bout. On sent, dans ces récits que, si l'internat jouissait d'une réputation d'excellence, ceux qui ne le préparaient pas ne se sentaient pas particulièrement "nuls"76.

II.C Expérimenter

Une des caractéristiques majeures de cette génération d'étudiants est la place des l'expériences concrètes dans le processus de décision. Deux moments sont essentiels : le premier est celui des stages, où ils semblent plus investis que pour les générations suivantes, même si les procédures de choix leur barraient parfois des possibilités d'expérimentation. Le second moment est celui de l'arrivée en septième année. Là, tous sont à la même enseigne et sont susceptibles de faire des remplacements de médecine générale. À l'époque, ils s'y essayaient presque tous et, étant donné le nombre croissant d'étudiants en médecine, il n'était pas facile de trouver une place de remplaçant, ce qui donnait de la valeur à cette expérience initiatique. Ce moment du remplacement met, véritablement, les étudiants en situation professionnelle, dans un contexte qui leur était jusque là, inconnu. Moment qui génère des stress, plus ou moins supportables, qui les conduisent à s'interroger sur leurs choix ultérieurs. Pour certains, c'est la confirmation de ce qu'ils veulent faire, pour d'autres, c'est une épreuve trop éprouvante pour qu'ils s'arrêtent là et ils s’engagent alors dans une spécialisation.

"Pendant l’été j’avais été remplaçante d’un généraliste et je me suis dit : je ne serai jamais généraliste (…) C’est ingrat d’être généraliste. On ne peut pas être compétent en tout. C’est très difficile, surtout quand on est seule dans son cabinet."

(neurologue, ancien régime)

"Et puis j’ai fait de la médecine, j’ai commencé à faire des remplacements de médecine générale et puis je me suis dit que c’était pas ça, que ça ne me plairait pas. (...)L’anesthésie ça a un côté plus technique, enfin on fait des choses, et puis … tandis que la médecine générale, c’est bon , c’est les patients qui viennent … c’est plus un contact … peut-être plus humain effectivement mais, il y a un côté plus technique."

(anesthésiste , ancien régime)

76Il est vrai que nous avons affaire à des anciens étudiants issus de facultés dont l'objectif pédagogique était tourné vers l'omnipratique. Peut-être que les discours auraient été plus tranchés si nous avions pu interroger des anciens étudiants des grandes facultés du centre parisien, où l'incitation à la préparation au concours était plus forte.

On voit alors se profiler un mécanisme intéressant à prendre en compte, dans un contexte où les pouvoirs publics déploraient le manque d'attractivité de la médecine générale pour les étudiants. Ces derniers se retrouvaient, avec une formation très théorique le plus souvent, seuls dans un cabinet, à prendre en charge la totalité d'une clientèle déjà constituée et sans bénéficier d'un encadrement susceptible de les rassurer. C'est une confrontation souvent éprouvante avec des responsabilités qui leur paraissent dépasser leurs propres compétences. On voit alors que, pour bon nombre de ces futurs médecins, la lourdeur de la tâche les conduit à préférer s'orienter vers une spécialité, autant pour éviter l'exercice solitaire de l'omnipratique que pour prolonger leur formation. Ce n'est jamais, dans ce cas, par mépris pour la médecine générale qu'ils décident de se spécialiser mais, au contraire, parce qu'ils considèrent que c'est un métier très difficile et qu'ils craignent de ne pas "être à la hauteur". Le choix de poursuivre leur formation vers une spécialité devient alors un moyen d'acquérir de l'assurance. Les discours des spécialistes qui ont expérimenté la médecine générale diffèrent de ceux qui ne l'ont jamais pratiquée. Les premiers ont l'idée d'un métier difficile et complet et, une fois installés comme spécialistes, ils parlent de leurs confrères omnipraticiens avec respect. Ceux qui n'ont jamais fait cette expérience — et ils sont rares parmi les anciens régimes — ont tendance à ne pas comprendre la complexité du métier et c'est chez eux que les critiques envers les omnipraticiens sont les plus vives.

Considérer que l'orientation préférentielle des étudiants, à la fin des années 70, vers les spécialités signifiait que la médecine générale était dévalorisée nous semble relever d'une interprétation un peu rapide des processus de choix. Car c'était en connaissance de cause que, le plus souvent, ces étudiants choisissaient et ils considéraient alors l'omnipratique libérale comme un métier difficile, peut-être mal rémunéré au regard de ses exigences, mais pas comme une médecine sous qualifiée. Au contraire, certains se spécialisaient parce qu'il leur paraissait plus facile d'être bon dans un domaine précis que dans tous les domaines, et avaient même tendance à mésestimer leur capacité à pratiquer la médecine générale. Là s'opère une grande différence dans les discours, entre ceux qui s'imaginent et ceux qui ont pratiqué cette forme de médecine.

Par ailleurs, on remarque que le fait d'avoir le choix entre plusieurs voies possibles permettait d'adopter des stratégies qui laissaient la porte ouverte à d'éventuelles réorientations. Ainsi, l'anesthésiste cité ci-dessus se ménage, grâce au stage interné, la possibilité de poursuivre dans une autre spécialité au cas où celle-ci ne lui conviendrait pas.

"C’est pour ça que, le stage interné que j’ai fait à A., avant de commencer la spécialité, était pas mal. Parce que ça m’a permis de rentrer, je n’étais ni anesthésiste, ni même CES d’anesthésie mais j’étais mais, un peu en fonction d’interne d’anesthésie, en anesthésie et réanimation. Donc, j’étais sous la dépendance de beaucoup de cardiologues parce que le service de soins intensifs ou d’anesthésie réanimation. Comme ils savaient que je voulais faire ça en plus, ils m’ont laissé faire plein de trucs, ils m’ont appris ! et puis finalement bon j’ai fait du SAMU, de l’urgence, j’ai pu voir, pendant un an, avant de commencer, en gros si ça me plaisait ou pas hein ! si à l’époque je pense que ça m’avait pas plu, comme j’avais passé qu’un probatoire, j’aurais dit ben écoutez, je reviens pas parce que ça me plaît pas donc… j’ai pu tester un peu avant et puis finalement j’ai dit si ça va, ça m’a bien plu donc j’ai continué."

(anesthésiste, ancien régime)

Plus tard, ce même médecin effectuera des remplacements dans le privé tout en terminant sa formation, se donnant, là encore, la possibilité de "tester" la pertinence de ses choix.

Cette place de la confrontation avec le réel d'un métier est essentielle pour comprendre la manière dont peuvent s'opérer des choix dans une configuration où l'apprentissage est celui d'une médecine hospitalière spécialisée et le destin commun des étudiants l'exercice d'une médecine générale libérale. Le lien entre un lieu de formation et un lieu d'exercice séparés ne peut se faire qu'au cours d'une période de transition où l'expérience précède les choix. Il est évident que le régime actuel, n'ouvrant la porte des généralistes qu'aux futurs généralistes, empêche catégoriquement que ce choix s'effectue sur autre chose que sur des prénotions tirées le plus

souvent des hiérarchies universitaires, laissant donc peu de place à la réalité de la médecine générale.