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Une problématisation et des méthodes de recherche qui se définissent à partir d’une approche théorico-méthodologique

L’approche théorique et l’approche méthodologique ne peuvent être considérées séparément.

Elles sont étroitement liées, voire intriquées, car elles ont de profondes implications croisées.

Mais elles apparaissent aussi en cohérence par rapport à la contextualisation proposée dans la partie précédente, par rapport aux choix opérés pour le cadrage de l’objet de recherche. La manière d’envisager l’individu et ses liens avec la société est à mettre en relation avec le contexte sociétal et politique, avec la place de l’individu dans nos sociétés modernes, ainsi qu’avec le regard sociologique développé, qui focalise l’attention sur les situations, les acteurs, les actions (2-1). Contextualisation, perspective sociologique et méthodologie n’apparaissent pas simplement aboutés, mis bout à bout, mais forment un tout, s’articulent, s’emboîtent pour former un édifice relativement cohérent. C’est de cette cohérence que la problématisation (2-2) et les méthodes (2-3) sont issues et prennent sens. Cette cohérence explique la terminologie retenue d’approche théorico-méthodologique. L’approche traduit à la fois l’idée de regard porté, une dimension active, une manière de questionner et de faire, mais aussi une dimension évolutive, adaptable, qui ne soit ni rigide, ni figée. Elle relève (et implique) aussi bien de la théorie que de la méthodologie, plus exactement de l’alliage des deux puisque l’un ne semble pas pouvoir aller sans l’autre. L’utilisation du tiret entre les deux termes met l’accent sur ce lien. Ainsi, dans cette partie, il s’agit dans un premier temps de tenir compte des implications, en termes d’approche théorico-méthodologique, des choix de contextualisation, en s’intéressant d’abord au processus de modernité et à la place de l’individu dans la société, puis à la régulation de l’action publique et aux transformations des institutions. Dans un second temps, le regard sociologique sera développé de manière plus autonome à partir de la considération des situations, des acteurs et des actions.

2-1- Une perspective théorico-méthodologique qui met l’acteur et son environnement au cœur de la recherche

Les transformations de l’action éducative et leur réappropriation par les individus concernés ne peuvent être envisagées sans tenir compte du contexte sociétal et politique dans lesquelles elles s’inscrivent. Elles prennent place dans un processus de modernité multidimensionnel (Giddens, 1990/2012) – « produit d’une pluralité de logiques sociales » (économiques, politiques, sociétales) (Corcuff, Ion & de Singly, 2005) – qui rend nécessaire de penser autrement l’individu, son rapport à la société, aux institutions, aux autres, à lui-même (Martuccelli, 2010 ; Elias, 1987/1997). « Progressivement, nous sommes passés à une société centrée sur les individus » (de Singly, 2003, p. 13), ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils sont isolés ; ils s’inscrivent dans un tissu de relations complexes (Lyotard, 1979). L’individu est sollicité d’une manière plus individualisée par un ensemble d’institutions sociales, l’enjoignant de développer une biographie personnelle de plus en plus singulière. « Il revient aux individus de donner un sens » aux

événements (Martuccelli, 2005). Le processus de modernité étant étroitement lié à la place de l’individu, il est important d’envisager cet individu moderne et son identité complexe de manière à positionner plus largement l’action éducative dans la société, tout comme les enseignants (2-1-1). Cette montée de la figure de l’individu dans nos sociétés rend nécessaire sa prise en compte dans les recherches sociologiques. Les différentes approches sociologiques de l’individu traduisent un « surcroît d’attention octroyé aux dimensions proprement individuelles », l’« exploration croissante des dimensions plurielles et contradictoires de la socialisation », ou encore une plus grande attention aux « expériences des individus et leurs épreuves sociales » (Martuccelli, 2005). Ce contexte sociétal apparait alors cohérent avec un regard sociologique qui prête attention aux situations vécues, qui considère les acteurs réflexifs, pluriels, évolutifs, inscrits dans des configurations spécifiques, qui envisage des actions ajustées, négociées dans les interactions (2-1-2).

2-1-1- Les transformations sociétales et leurs implications théorico-méthodologiques : place de l’individu et Modernité

Le processus de modernité

Pour resituer ces évolutions dans leur contexte sociohistorique, s’il s’agit bien de considérer la dimension processuelle, différentes phases peuvent être distinguées. Le processus historique de modernité s’amorce en Europe au XVIIe et XVIIIe siècle avec la période des Lumières, dont les principaux représentants (Diderot, Montesquieu, Rousseau, Voltaire) développent une réflexion philosophique, politique, scientifique, sociale. Ce mouvement se prolonge par (et s’inscrit dans) des événements marquants tels que la Révolution française, mais aussi par une transformation en profondeur des sociétés occidentales, allant vers plus d’égalité entre les hommes, une rationalisation de la pensée scientifique, une laïcisation de la société. Elias observe les prémices de ce processus historique à partir du « processus de civilisation » qu’il attribue au monopole de la violence physique légale par les États et au développement d’une « civilisation des mœurs » passant principalement par une intériorisation des affects (Elias, 1939/2003 ; Foucault, 1984).

Tout au long du XIXe siècle, le processus d’individualisation s’approfondit avec l’industrialisation et la démocratisation de la société, rendant les individus davantage égaux et interdépendants. Dès la fin du XIXe siècle, la société accorde une place plus importante à l’individu, ce que Durkheim présente comme un risque majeur pour la société. Pour lui, l’individualisation génère une dissolution des liens sociaux et un affaiblissement de la prégnance du groupe sur l’individu, avec un risque de désordre social et d’anomie (1922/2009).

Le passage d’une société traditionnelle, holiste, une « société homogène, peu différenciée » dans laquelle l’acteur est en relation « avec peu de cercles sociaux » mais où le groupe prime sur l’individu dès sa naissance à une société plus « complexe, hautement différenciée et rationalisée », où l’acteur est inséré dans une « pluralité de cercles sociaux », amène l’individu à acquérir des compétences diverses pour faire face aux différentes situations auxquelles il est confronté (Martuccelli, 2006). L’individu s’émancipe de ses appartenances (Beck, 1986/2008),

« se détache des subordinations imposées par l’ordre traditionnel », ce qui le conduit à

réinterroger les normes et valeurs en vigueur (Martuccelli, 2002, p. 63) et à développer une conscience individuelle. Ce rapport à soi, « le fait de se référer à soi, de s’autonomiser de son intériorité, n’est pas une préoccupation naturelle et universelle » (Elias, 1987/1997). Pour certains auteurs, l’affirmation de l’autonomie individuelle et de l’égalité passe par un processus de rationalisation, de désinstitutionalisation et de détraditionalisation (Bonny, 2002). On voit dès lors apparaître une certaine ambiguïté dans la notion d’individu puisque la Modernité conduit à une rupture avec des modes de vie hyper territorialisés tout en faisant une plus grande part aux particularités individuelles. Les modes de vie tendent à s’unifier en étant moins empreints par le

« local » tout en étant plus individualisés, ce qui peut paraître paradoxal.

À partir des années 1960-1970, une nouvelle phase du processus est repérée qui, selon les auteurs, s’inscrit dans une continuité ou, au contraire, marque une profonde rupture avec « la première modernité ». Si sa dénomination est variable : « seconde modernité », « post-modernité », « post-modernité avancée », « radicale » ou « réflexive », c’est ce dernier terme qui caractérise le plus cette période. Après avoir été arraché à ses appartenances particulières, l’individu va aspirer à se détacher des institutions qui le rendaient autonome mais sur un mode impersonnel. Conscient de son individualité, il va vouloir être considéré comme un être particulier, être lui-même, se réaliser. Cette « montée des singularités » (Martuccelli, 2010), par laquelle « l’individu s’individualise » (de Singly, 2003), se développe concomitamment avec le déploiement de la réflexivité qui permet de développer un sentiment de soi (Giddens, 1990/2012), c’est-à-dire la capacité pour l’individu à s’interroger, à prendre de la distance et à observer comme de l’extérieur la manière dont il agit. L’individu revendique la possibilité d’adapter son comportement aux situations. Il refuse que son identité soit définie une fois pour toutes. « Être un individu, c’est être défini par le double sceau incompressible de la souveraineté sur soi et de la séparation d’avec les autres » (Martuccelli, 2002, p. 43). Ce « sujet réflexif » (Beck, 1986/2008 ; Giddens, 1990/2012) veut pouvoir exprimer ses différentes facettes et se différencier des autres.

Il aspire à être reconnu comme étant à la fois singulier (non interchangeable, distinct des autres) et complet, ayant une identité multidimensionnelle et évolutive. Le souci de l’égalité de traitement coexiste avec celui de la différenciation (de Singly, 2003), dans un contexte de multiplication des appartenances, de pluralisation culturelle et normative (Bonny, 2002). Le développement d’une norme d’autonomie extrêmement forte (du fait d’une plus grande place accordée à l’individu) va en partie contribuer à porter un plus grand intérêt au niveau particulier.

L’individu moderne et la question de l’identité : un individu autonome, singulier, multiple, réflexif, mais aussi incertain, avec une identité complexe

La considération du processus d’individualisation, et plus largement de modernité, permet d’envisager un individu moderne. Il s’agit alors de chercher à saisir ses caractéristiques principales et les reconfigurations d’une identité qui devient plus complexe. Ce processus d’individualisation est ambivalent dans le sens où il présente une double-face. Les différents auteurs qui traitent du sujet mettent l’accent sur une face claire et une face plus sombre. D’un côté, il ouvre un espace de liberté aux individus sans précédent ; ces derniers peuvent manifester leur singularité, leur multiplicité, leur personnalité, s’épanouir, faire des choix qui leur sont

propres. D’un autre côté, il repose sur des normes puissantes et ont, de ce fait, un caractère obligatoire. « Chacun doit devenir soi-même », être autonome, indépendant, être capable de se définir, de s’affirmer, de s’épanouir (de Singly, 2003), se réaliser (Giddens, 1990/2012), s’inventer (Kaufmann, 2010), « être authentique » (Bonny, 2002), original, être « l’« auteur » de sa vie » (Dubet, 2014). Ces éléments peuvent être interprétés comme étant des injonctions paradoxales. « Pour être membre de la société, deviens un individu individualisé » (de Singly, 2003, p. 240).

Cette injonction à devenir soi-même dans un contexte de pluralisation des normes fait naître un sentiment généralisé d’incertitude qui prend place à un niveau collectif, mais surtout individuel (Beck, 1986/2008 ; Ehrenberg, 1991, 1995, 1998). « La modernité exige beaucoup de ses acteurs. Ces derniers doivent d’une part composer un rôle conforme à leur statut, et néanmoins un rôle original ; et d’autre part improviser des morceaux inattendus » (de Singly, 2003, p. 80). Ils éprouvent une tension entre l’origine et l’originalité (ibid.). De plus, « l’exigence d’une “ouverture de soi” à l’autre, qui accompagne les relations personnelles de confiance, l’injonction de ne rien cacher à l’autre, est source de réconfort, mais aussi d’anxiété » (Giddens, 1990/2012, p. 150). Devoir se définir (et se redéfinir) tout au long de sa vie représente une ouverture des possibles, mais aussi une source d’angoisse et d’insécurité (Martuccelli, 2010, p. 39). La grande liberté de l’individu le rend davantage responsable de ses opinions et de ses actes. Il est considéré comme étant le seul responsable de sa vie. Il peut « changer » sa vie et est donc responsable de son propre épanouissement (Ehrenberg, 1998). La « montée des incertitudes » est multiforme, c’est-à-dire qu’elle est aussi bien liée à la pluralisation des normes (déjà repérée par Durkheim), au contexte sociétal de gestion des risques – économiques, écologiques, technologiques, scientifiques (Beck, 1986/2008 ; Callon, Lascoumes & Barthe, 2001) – à l’« impératif de l’individu souverain » (Martuccelli, 2002, p. 50). Pour autant, si cette injonction d’être soi est source de pathologies spécifiques (Ehrenberg, 1998) et d’insécurité identitaire, « si chacun est renvoyé à soi […], ce soi n’est pas pour autant isolé, il est pris dans une texture de relations plus complexe et plus mobile que jamais » (Lyotard, 1979). « L’individu moderne se construit en effet tout entier sur ce paradoxe : il définit sa spécificité personnelle au croisement d’appartenances collectives » (Kaufmann, 2010, p. 121).

Puisque le processus de modernité est étroitement lié à une transformation des conceptions de l’individu (pour les autres et pour lui-même), la question de l’identité s’avère importante à considérer. L’identité est intrinsèquement liée à la modernité et à « l’invention de soi » (Kaufmann, 2010). Le modèle d’une identité statutaire, définie par la seule position sociale (héritée et acquise par le niveau de diplôme obtenu et l’activité professionnelle occupée) s’affaiblit, ou tout du moins apparait insuffisante. « Tout se passe comme si les identités sociales étaient de moins en moins capables de cerner notre singularité » (Martuccelli, 2010, p. 29).

L’identité se complexifie, elle tend à devenir plus individuelle, singulière, multiple. De Singly évoque une « fluidité identitaire », « une identité à géométrie variable » (2002), Martuccelli une

« labilité identitaire » (2002). Pourtant, à condition d’être envisagée de manière plus souple, en incluant notamment une dimension auto-définie, plurielle et non-figée, cette notion reste

pertinente car elle met l’accent sur une série d’oppositions et d’ambivalences qui apparaissent complètement contemporaines, et fortement éprouvées par les individus.

En effet, l’identité s’établit à la croisée de dimensions qui apparaissent en opposition mais qui coexistent. Tout d’abord, elle permet de considérer une dimension qui se caractérise par la continuité, la stabilité, la permanence et une dimension qui inclut les changements, les évolutions, les ajustements. Elle « renvoie à ce qui est censé garantir la permanence dans le temps d’un individu, ce qui fait que, malgré les changements qu’il connaît, il est toujours ce même individu » (Martuccelli, 2002, p. 343). Mais elle fait aussi référence « à une série de profils sociaux et culturels propres aux individus dans les sociétés modernes » (ibid.). Ensuite, l’identité dénote d’une dimension individuelle, intime, singulière, qui se constitue dans ce qui est unique chez la personne, mais aussi d’une dimension collective, statutaire, qui se constitue par la similarité, par ce qui est commun avec d’autres. Identité individuelle et identité collective peuvent être opposées, distinctes, mais sont parfois liées, voire inextricables (Kaufmann, 2010, p. 121). « Les identités collectives ne sont ni des données stables, ni des entités composées en dehors des individus, mais résultent très concrètement d’une dynamique de groupe continuelle » (ibid., p. 141). « L’identité permet dans un seul et même mouvement à la fois de souligner la singularité d’un individu et de nous rendre semblables à certains autres » (Martuccelli, 2002, p. 343). Elle

« est censée marquer ce qui est unique par le biais de ce qui est commun et partagé » (ibid., p. 435). « L’identité se joue dans l’articulation entre liberté, subjectivité de l’acteur et détermination » (Kaufmann, 2010). Par ailleurs, elle incorpore une dimension réciproque et relationnelle puisqu’elle se constitue à partir d’une auto-perception et auto-définition de l’individu, par lui-même, et d’une perception croisée, par autrui. Cette « identité pour soi et pour autrui » se définit dans une « transaction entre soi et autrui », (Dubar, 1991), dans la relation et s’ajuste au cours des interactions (Becker, 1963/1985 ; Goffman, 1963/1975).

Le processus de modernité et la place de l’individu dans la recherche

Dans le cadre du projet de recherche, le processus de modernité, la place et la considération de l’individu, ainsi que les reconfigurations de l’identité sont envisagés à plusieurs niveaux de la recherche : par rapport au monde spécifique étudié (la sphère éducative et scolaire), par rapport aux identités professionnelles (l’identité enseignante), par rapport à la régulation de l’action publique et éducative, mais aussi par rapport aux analyses et méthodes de recherche. Ces différents niveaux d’achoppement marquent « la force du processus de modernité, en tant que rapport au monde, à l’autre et à soi » (Payet, 2006a).

En premier lieu, cette considération de l’individu traverse la sphère éducative. « Nos sociétés civilisées contemporaines tendent de plus en plus à substituer la règle de coopération à la règle de contrainte » (Piaget, 1932/1978). L’enfant aussi tend à être considéré de manière individualisée.

On note le « passage d’une éducation centrée sur la transmission à une éducation centrée sur le développement des potentialités de l’enfant » (de Singly, 2003, p. 135). L’enfant est mis au cœur du système éducatif qui ne considère plus seulement l’élève et son rapport aux savoirs et disciplines scolaires, mais l’enfant de manière plus globale, mettant davantage en lien les

différentes dimensions de sa vie et son épanouissement personnel (Dubet & Martuccelli, 1996).

C’est à partir de cette considération de l’enfant que les pratiques d’enseignement évoluent dans le sens d’une plus grande transversalité, personnalisation et différenciation. Les normes éducatives s’inscrivent dans des équilibres complexes à adapter à chaque situation et à chaque enfant. Nous verrons également que les enseignants (leur identité professionnelle mais aussi leurs représentations et leurs pratiques) s’inscrivent dans ces tendances ambivalentes, notamment autour de la question de l’autonomie ou de la collaboration.

En second lieu, ces transformations suggèrent une complexification des identités sociales (pluralisation des normes) pour les professionnels eux-mêmes, dans la manière de se considérer (autonomes, différenciés, multiples) et de mettre en œuvre leur activité (selon différents modes de réappropriation). Elles impliquent de prendre en compte la pluralité des mondes et registres de signification pour comprendre les logiques professionnelles. Aussi, elles ouvrent une porte au changement et une manière de le saisir. « Le changement […] est à l’œuvre dans les plis de la société, il advient dans les situations les plus incertaines du monde contemporain » (Payet, 2007).

Elles rendent possible un changement des rôles et des activités des professionnels initié par l’institution scolaire, sans pour autant être dissocié des logiques générales. Par exemple, « le thème de l’innovation est omniprésent dans le discours social contemporain, pour des raisons à la fois culturelles et idéologiques. […] Il est en phase avec un imaginaire social qui valorise le nouveau » et « se présente comme un leitmotiv des discours politiques, le plus souvent à caractère injonctif » (Bonny & Giuliani, 2012, p. 1).

La conception de la place de l’individu n’est donc pas sans lien avec le déploiement de logiques transversales de régulation de l’action éducative (autonomie des acteurs, importance du niveau local, diversification des tâches…). Ce processus d’individualisation permet de comprendre les fondements des « nouveaux » modes de gestion politique qui nous intéressent.

Par exemple, les phénomènes de décentralisation et de territorialisation de l’action politique sont fondés sur la norme d’autonomie et nécessitent de considérer les acteurs locaux (institutionnels ou ordinaires) comme étant capables d’analyser les spécificités d’une situation particulière par rapport à un cadre général, d’être « force de proposition », de prendre des décisions, d’organiser et mettre en œuvre une action pertinente, d’en évaluer les effets. Sur ce point, Giddens remarque que la dé-localisation coexiste avec une re-localisation. En d’autres termes, la globalisation ou l’internationalisation – qui passe par un engagement anonyme – se conjugue à des contextes d’action localisés, territorialisés – qui donnent lieu à des engagements en face-à-face (Giddens, 1990/2012, p. 86).

Par ailleurs, considérer l’individu dans le cadre de la modernité (l’individu moderne), c’est l’envisager comme n’étant ni en dehors de son environnement, des contextes, des structures, ni déterminé ou agi par ces derniers. Ce positionnement permet justement de s’intéresser aux liens réciproques, aux corrélations et distanciations, aux libertés et aux obligations, aux dynamiques et ajustements. De même, cette approche renvoie à la manière de considérer le lien entre société et individu. Elle invite à s’intéresser au processus de co-construction réciproque – plus qu’à la

production de l’un par l’autre en envisageant les liens de manière unidirectionnelle. « La Société est produite par les interactions entre les individus qui la constituent. La Société elle-même, comme un tout organisé et organisateur rétroagit pour produire les individus par l’éducation, le langage, l’école. Ainsi les individus, dans leurs interactions, produisent la Société, laquelle produit les individus qui la produisent. Cela se fait dans un circuit spiral à travers l’évolution historique » (Morin, 2005, p. 115-116). Resituer la recherche dans le contexte de modernité, c’est envisager le monde contemporain (et le monde étudié) dans sa complexité, et les acteurs dans la leur. C’est se focaliser à la fois sur ce qui rassemble et ce qui distingue, sur ce qui est homogène et hétérogène, sur le global et le particulier. Ainsi, les catégorisations effectuées pour donner du sens à l’analyse cherchent à tenir ensemble ces deux aspects, à rendre la réalité observée intelligible, sans pour autant faire preuve de réductionnisme. Dans ce sens, les typologies sont constituées à partir d’une analyse inductive du matériau de recherche, à partir de catégories vécues, perçues, observées par les acteurs, à partir des réseaux de sociabilité observés, des relations formelles ou informelles (Martuccelli, 2002), à partir des configurations.

Enfin, considérer l’individu à partir d’une définition de lui-même et d’une définition par les autres, c’est accorder une importance à la dimension narrative pour saisir son identité (Kaufmann, 2010 ; Lyotard, 1979 ; Martuccelli, 2010 ; de Singly, 2003). De ce fait, les entretiens approfondis (inscrits dans le cadre d’une observation ethnographique) apparaissent être des méthodes adaptées pour chercher à saisir ce qui fait sens pour les individus, la manière dont ils se définissent, perçoivent leur activité (par rapport à eux-mêmes et aux autres), la manière dont ils en parlent. Le discours produit donne à voir des choix entre des soi possibles, entre des images de

Enfin, considérer l’individu à partir d’une définition de lui-même et d’une définition par les autres, c’est accorder une importance à la dimension narrative pour saisir son identité (Kaufmann, 2010 ; Lyotard, 1979 ; Martuccelli, 2010 ; de Singly, 2003). De ce fait, les entretiens approfondis (inscrits dans le cadre d’une observation ethnographique) apparaissent être des méthodes adaptées pour chercher à saisir ce qui fait sens pour les individus, la manière dont ils se définissent, perçoivent leur activité (par rapport à eux-mêmes et aux autres), la manière dont ils en parlent. Le discours produit donne à voir des choix entre des soi possibles, entre des images de