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Une opérationnalisation incarnée du cadre politico-institutionnel / des configurations spécifiques, horizons de référence pour les professionnels

Le niveau d’analyse « établissement/s »

Ce deuxième chapitre d’analyse descriptive focalise l’attention sur le niveau à la fois emblématique des transformations de la régulation de l’action éducative – mis en avant de manière générale dans la partie consacrée à la contextualisation de la recherche – et cohérent avec les éléments émergeant de l’analyse des documents politico-institutionnels présentée dans le chapitre précédent. Le niveau établissement/s coïncide avec l’ensemble des principes-objectifs repérés au niveau politico-institutionnel. Il s’inscrit dans les différentes conceptions explicitées et véhiculées dans les documents officiels, qu’elles renvoient à l’enseignement en général, aux différents protagonistes (élèves, parents, enseignants ou autres professionnels), ou encore aux différentes notions transversales telles que la proximité et l’autonomie, la collaboration ou le partenariat, le projet et l’évaluation. L’établissement représente ainsi l’échelle par excellence des modes d’action qui y prennent sens et corps. Ces derniers édictent et confèrent l’autonomie des établissements, tout en étant des moyens de la réguler. De même, la règlementation continue à encadrer les pratiques sur un mode universaliste (à l’échelle cantonale) mais inclut cet échelon en laissant des marges d’action à ces collectifs locaux ; elle leur donne une existence légale et rend aussi des pratiques spécifiques obligatoires. Les règlements viennent encadrer, réguler, baliser les pratiques laissées à l’appréciation des acteurs locaux, individuels ou collectifs, en d’autres termes l’autonomie partielle des établissements.

C’est sur ces éléments en cohérence que repose la justification de la création de cet échelon dans le canton de Genève en 2008, dans la perspective d’un enseignement plus adapté au monde actuel, d’une meilleure considération de l’élève et de ses parents, d’un rapprochement du terrain et des partenaires institutionnels présents localement, mais aussi dans une logique de modernisation de l’action éducative et de développement professionnel des enseignants. Les principes énoncés au niveau politico-institutionnel se voient opérationnalisés et mis en œuvre à l’échelle de l’établissement, incarnés dans et par des entités (Conseil d’établissement, Projet d’établissement…) et des acteurs professionnels particuliers (directeurs…), tant dans leurs mandats et fonctions respectifs que dans leurs activités quotidiennes observées. L’objectif d’une meilleure prise en compte des spécificités des contextes d’enseignement, adossé aux transformations du système (le Nouveau fonctionnement de l’enseignement primaire), entraîne une réappropriation, voire une délégation de la mise en œuvre des principes et objectifs au niveau établissement/s. Les établissements entrent dans le cadre des « nouveaux espaces de régulation » (Muller et al., 1996) traduisant la multiplication des échelles spatiales de l’action institutionnelle (Lascoumes & Le Galès, 2011). Cette reterritorialisation des enjeux politiques se traduit, entre autre, par une responsabilisation accrue des acteurs locaux (Cattonar & Lessard, 2011 ; Maroy &

Mangez, 2011).

En outre, par rapport à la problématique de recherche, si ce niveau s’inscrit dans les trois axes d’exploration, il correspond parfaitement au troisième (H4, mais aussi H5). En effet, l’établissement représente le contexte situationnel, organisationnel et relationnel le plus adéquat pour l’analyse : milieu de sociabilité ordinaire pour les enseignants et échelon de l’action

publique. Il s’agit du niveau auquel les principes et modes d’action prônés par l’institution prennent corps, s’ajustent. Par ailleurs, l’établissement regroupe des acteurs différents. Il est l’espace où « s’effectue, s’imagine, se régule le travail. […] Les personnes et les logiques sociales se rencontrent dans des situations sociales ; elles se réalisent, se constituent, s’incarnent lors et grâce à ces situations ou expériences sociales du monde quotidien » (Lantheaume &

Hélou, 2008, p. 9). Il représente donc l’échelle la plus pertinente pour explorer ces similarités/différences puisqu’il permet de mettre en lien des similarités/différences individuelles et des similarités/différences des contextes d’exercice. Du fait de ce double caractère, l’établissement est à la fois singulier et pluriel (dans tous les sens des termes), c’est pourquoi ce niveau est nommé « établissement/s ». Il est également qualifié d’intermédiaire, car il est à la fois produit « par le haut » (régenté, configuré, régulé par l’institution) et produit « par le bas » (constitué des individualités et des collectifs qui y prennent place), d’autant plus que, si l’entité

« établissement » est récente, les enseignants exercent dans des espaces anciennement constitués, qui ainsi, se reconfigurent.

Par rapport à la métaphore de la peinture du tableau, ce chapitre constitue une couche intermédiaire. Il fait le lien entre le haut et le bas du tableau, entre les couches inférieures et supérieures de peinture, entre les éléments de l’arrière-plan, du paysage, et les éléments du premier plan, les personnages principaux, l’action représentée. Il donne à voir et focalise l’attention sur des composantes particulières du décor, les lieux, les ambiances, les personnages secondaires (non pas qu’ils aient un rôle moins important par rapport à ce qui est en train de se jouer sur la scène principale, mais parce qu’ils ne sont pas les personnages sur lesquels se focalise le peintre). Ces éléments sont fondamentaux pour la composition générale car ils définissent les configurations, les circonstances, les dynamiques spécifiques. D’un point de vue technique, ils sont tout autant constitués de dessins précis, de traits mis en perspective que de couleurs qui, par petits étalages, confèrent des tonalités spécifiques aux différents espaces et personnages de la toile, atténuant ou renforçant les nappes de couleurs de l’arrière-plan ou des couches inférieures, mettant plus ou moins en valeur les personnages principaux, atténuant ou renforçant leurs ressemblances ou leurs différences.

Les différentes sources analysées

Pour ce niveau d’analyse, il s’est révélé pertinent de mobiliser différentes sources et méthodes. Cette combinaison est révélatrice de l’aspect intermédiaire de l’établissement.

Premièrement, les modalités de son existence et la régulation de ses activités sont institutionnelles. Si des documents encadrent son organisation, nous l’avons vu, des données organisationnelles existent et permettent de mieux cerner leur fonctionnement, les similitudes et distinctions. Deuxièmement, chaque établissement a une activité en propre, formalisée et visibilisée dans des formes à la fois encadrées et obligatoires, mais aussi en tant qu’entité collective et spécifique. Il s’agit alors de chercher à mieux cerner ce qui se joue dans chacun des établissements. Là aussi, des similitudes et des divergences peuvent être repérées. Et, troisièmement, la manière de mettre en œuvre l’action locale, son déroulement ordinaire, s’avère

importante à considérer par rapport à la perspective de recherche. Elle dépend des configurations situationnelles, des choix organisationnels, mais aussi des individualités et des relations qui se nouent au sein de l’établissement. Les trois établissements de la recherche permettront alors de cerner ces éléments de manière précise et incarnée, d’autant que les professionnels qui y exercent sont les plus à-même de décrire leur vécu de l’établissement.

Parmi les sources institutionnelles, des documents de cadrage sont spécifiquement attachés au fonctionnement des établissements, à ses acteurs et entités spécifiques. Certains d’entre eux ont été mobilisés dans le chapitre précédent, mais servent également à positionner le niveau établissement/s par rapport à la manière dont il est envisagé par l’institution, notamment à travers l’encadrement de ses entités et des fonctions professionnelles spécifiques qui y sont attachées.

Ici, les Projets d’établissement ont été utilisés de deux manières différentes. Tous les Projets d’établissement accessibles sur ETIDEP18 au moment de leur recueil (juillet 2014) ont été mobilisés (70 sur les 79 établissements existant en 2012, année d’élaboration de cette vague de Projets). Tout d’abord, ils incorporent des données comptables sur chacun des établissements qui permettent de repérer des similitudes et divergences d’organisation ou de fonctionnement. En effet, chaque Projet commence par une présentation de l’établissement sous une forme standardisée (nombre d’élèves, nombre de classes dans les différentes divisions d’enseignement, nombre de titulaires de classe…). Dans cette même perspective, des données (relatives aux caractéristiques générales des établissements) recueillies dans le cadre d’entretiens effectués au cours d’un séminaire de recherche sont utilisés. Ayant été réalisés sur la quasi-totalité des établissements du canton, ils permettent d’illustrer certaines analyses non spécifiques aux trois établissements de la recherche. Une analyse particulière a également été réalisée sur le contenu des Projets des établissements, de manière à percevoir comment les établissements se sont réappropriés cet exercice à partir des « produits finis ». En outre, les Projets d’établissement des trois établissements de la recherche ont été étudiés de manière particulièrement approfondie puisque la recherche ethnographique permet également de les resituer dans le contexte de leur élaboration. Ils représentent alors un point d’entrée dans l’action collective (politique d’établissement) et dans les dynamiques collectives de chaque établissement.

La recherche ethnographique, les entretiens et le travail d’observation, sont également mobilisés. Tout d’abord, le processus d’élaboration des Projets dans les trois établissements de la recherche apporte un éclairage complémentaire. Les différentes séances de travail observées représentent des moments privilégiés de compréhension des dynamiques collectives et des rôles adoptés par les différents acteurs, mais aussi du sens qu’ils confèrent au processus et au résultat du Projet de l’établissement. Les autres moments ou situations observés dans le cadre de la recherche ethnographique (réunions formelles ou moments informels), ainsi que les entretiens menés auprès des différents acteurs, servent ici à mieux cerner les contextes, les fonctionnements et les configurations spécifiques des trois établissements. La description de ces derniers s’appuie

18 Espace de travail, d’information et de documentation de l’enseignement primaire. Il s’agit d’un espace internet permettant d’accéder librement à un ensemble de documents de référence en vigueur au niveau du canton.

sur la perception et le vécu qu’en ont les enseignants, les directeurs, les éducateurs, les coordinateurs pédagogiques.

Les différentes parties de ce chapitre mêlent les trois types de sources et méthodes d’analyse.

La première décrit plus spécifiquement le fonctionnement des établissements primaires genevois en mettant en avant leur fonctionnement général et leurs différences à partir des sources institutionnelles et des données statistiques des Projets d’établissement. La deuxième prolonge cette perspective de manière encore plus précise et incarnée, pour les trois établissements de la recherche, qu’il s’agit alors de décrire en mobilisant des données caractéristiques présentées dans les Projets d’établissement, mais surtout à partir des perceptions et du vécu qu’expriment les acteurs dans les entretiens de recherche, resitués dans le travail d’observation. La troisième partie focalise plus particulièrement l’attention sur les acteurs emblématiques du niveau établissement/s, à savoir les directeurs d’établissement. Il s’agit d’approfondir la description des trois établissements à partir de ces acteurs pivots du fonctionnement en établissement, en précisant leur manière singulière d’incarner leur fonction, tout en dégageant des questionnements plus généraux autour de leur rôle. Quant à la quatrième partie, elle s’attache aux entités spécifiques des établissements à partir des Projets d’établissement, objets emblématiques du fonctionnement en établissements. Une analyse transversale de l’ensemble des Projets des établissements du canton est proposée de manière à en prendre la mesure, puis une analyse plus précise des trois projets des établissements de la recherche est mise en perspective avec leur processus d’élaboration, observé dans le cadre de la recherche ethnographique et questionné en entretien.

Partie 1 :

L’échelle organisationnelle qui opérationnalise l’action éducative de manière