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À partir de ces démarches, je cherchais à confronter mes observations et analyses empi- riques, progressivement et par itérations successives avec la théorie, pour aboutir à une problématique par problématisation de la littérature, à laquelle proposer une réponse ori- ginale. La Figure 3 (page 107) propose la représentation graphique de cette démarche progressive de problématisation, située dans le cadre général du processus de recherche. Évidemment, la représentation graphique archétype une linéarité qui est en réalité bien moins forte (en dehors du constat initial, première case, en l’espèce antérieur au début du cas unique central).

3.2.1. Travail de définition sur la question de recherche

Progressivement, la question de recherche s’est affinée, notamment la définition retenue de la « critique », terme hautement polysémique (e.g. Parker & Thomas, 2011) ; il com- porte plusieurs écoles, plusieurs approches, plusieurs démarches. Cherchons à déterminer son essence la plus forte, celle qui intrinsèquement la constitue. La « sociologie » serait assez naturellement critique : elle cherche, par nature, à soumettre la société (et donc les organisations et les pratiques managériales) à l’analyse scientifique, soit pour constater des difficultés, soit pour constater des atouts (e.g., très généralement, Becker, 2002; Bourdieu & Wacquant, 2014). La « critique du management » (e.g. Adler et al., 2007; Alvesson et al., 2011; Alvesson & Deetz, 2006; Zald, 2002) s’intéresse, de façon plus spécialisée, au management (au sens large ici), ce afin de questionner ses tenus pour ac- quis, ses dérives parfois, souligner ses qualités, ses possibilités rarement pleinement réali-

sées. Enfin, notons que les approches de ceux qui interrogent largement les postulats (e.g. Alvesson & Sandberg, 2011, 2014) ou qui questionnent les situations dominantes peuvent aussi entrer dans cette définition (e.g. Mintzberg, 2004; Pitcher, 1997). Leurs démarches sont critiques au sens où elles proposent des alternatives à l’idée dominante à un moment donné.

Le point d’appui commun à la « critique » réside dans la volonté de « questionner ce qui domine », ou comme savoir, ou comme pratique, ou comme approche etc. Donc, serait critique « ce qui n’est pas localement dominant ». C’est la définition que je propose de retenir pour le manuscrit. Elle opérationnalise et offre un point d’appui concret pour déterminer si l’art représente une alternative pédagogique critique dans la Management Education. Cette opérationnalisation facilite la problématisation de la littérature. Et nous cherchons alors à savoir si, et le cas échéant en quoi, la pratique de l’art en tant que pé- dagogie éloigne de ce qui domine dans la Management Education43.

3.2.2. État des lieux de la connaissance disponible et problématisation

Pour problématiser la littérature, cherchons à extraire son « essence » commune (le « pos- tulat » que sa partie structurale pourrait partager) afin de la soumettre à l’épreuve de l’analyse empiriquement fondée, pour tenter de proposer une contribution innovante et judicieuse – selon les recommandations spécialisées de la littérature, ceci requiert plu- sieurs étapes : identifier et consulter intensément un domaine de littérature, puis identifier et faire ressortir les postulats sous-jacents au domaine, pour les évaluer ; avant de déve- lopper une nouvelle proposition, la considérer par rapport à son auditoire, et évaluer cette nouvelle proposition (voir, notamment : Alvesson & Sandberg, 2011: 256–260, 2014 aussi). Ici aussi, la présentation « linéaire » proposée ne traduit pas vraiment son caractère itératif issu du processus de recherche : la démarche fut réalisée par le travail empirique. Mais cette présentation est plus aisée à suivre et a donc été adoptée.

Pour ce faire, nous sommes partis de la question de recherche, dans ses différentes formulations, et allons la mettre en discussion avec la littérature44. Puis, nous formulerons

43 Notons d’ailleurs que, dans le cadre de la réflexion critique sur la Management Education, cer-

tains chercheurs (Reynolds & Vince, 2004: 444, emphase d’origine) ont proposé un raisonnement simi- laire : « Quelle que soit la perspective particulière sur laquelle est basée une approche critique, elle mettra

l’accent sur la valeur liée au questionnement et à la mise au défi des structures et pratiques existantes. »

Ces mêmes auteurs identifient aussi le fait de soumettre une pratique au questionnement comme particulièrement essentiel pour la pensée critique, ce qui rejoint alors le sens de ma thèse.

44 Ma revue de littérature, en accord avec les recommandations pour une démarche qui vise plus la

problématisation que le « gap-spotting », s’il fallait la qualifier, serait plutôt intensive-large qu’extensive- focalisée (voire « exhaustive »), même si elle considère bien entendu le champ dans son ensemble

le « postulat » partagé par la littérature, afin de problématiser dans un cadre théorique. Ceci amènera à formuler une problématique pertinente pour les Sciences de Gestion. Commençons avec la littérature Art & Management, sans nous focaliser sur la formation.

3.2.2.1. Art & Management : les apports de l’art pour les organisations

La littérature s’intéresse, nous l’avons évoqué, depuis longtemps au rôle de l’art dans nos organisations, ce avec des appellations et approches différentes. Les effets identifiés de l’art sur le monde organisationnel portent sur différents domaines, et en particulier les organisations, ses individus, le management, le leadership (e.g. Schiuma, 2009). Les études qui portent sur le lien avec le leadership sont particulièrement nombreuses, de même que celles sur la formation des individus : ce sont sans doute les deux pôles qui dominent les travaux existants (voir, notamment : Adler, 2006; Ladkin, 2008; Ladkin & Taylor, 2010; Schiuma, 2009; Taylor & Ladkin, 2009; Zeitner, Rowe, & Jackson, 2016).

Dès le milieu des années 2000, Taylor et Hansen (2005) notaient l’importance de la « forme » pour l’étude et pour la pratique des organisations. Pour ces deux auteurs, « [l]’esthétique offre un nouveau regard sur les organisations [en: new look into organi- zations], et un regard vers les moyens alternatifs d’exprimer et de construire des signifi- cations [en: expressing and making meanings] qui influencent profondément les interac- tions, comportements et compréhensions organisationnels. » (2005: 1227). Dans le do- maine du leadership, certains (Hansen et al., 2007: 545, emphase d’origine) – qui rappel- lent que l’art n’est qu’une partie de l’expérience esthétique – proposaient d’enrichir le champ par l’étude du « leadership esthétique » : « Par esthétique, nous faisons référence au savoir sensoriel et à la signification ressentie [en: sensory knoweldge and felt mea- ning] des objets et expériences. La raison et la logique sont souvent mis en opposition [en: contrasted with] avec les émotions et les sentiments, mais ce qu’ils ont tous deux en commun est qu’ils sont des sources de connaissances et génèrent des significations [en: meanings] sur lesquelles nous nous appuyons et agissons. » D’autres auteurs (Seifter & Buswick, 2005) notaient « […] une croissance remarquable dans l’utilisation des pro- grammes artistiques par les entreprises [en: businesses] afin de répondre à un large

(Alvesson & Sandberg, 2011: 256). Il existe d’autres références que celles citées ici, mais elles offrent un propos à ma connaissance aligné avec l’analyse menée dans cette revue.

J’ai plutôt tenté de proposer une vision des différents points de vue, y compris non alignés, afin d’identifier une sorte d’essence partagée transversalement. J’ai combiné les trois possibilités classiques en la matière (Alvesson & Sandberg, 2011: 256) : j’ai mobilisé les recherches « séminales » qui ont « défini la trajectoire de la recherche » et donc influencé la production scientifique, j’ai convoqué les synthèses dispo- nibles et les articles qui font autorité (à partir des citations etc.), et je les ai mis en regard avec les contribu- tions ultérieures et récentes qui intègrent alors une « variation ».

éventail de leurs apprentissage organisationnel et besoins de formation des employés », avant de rappeler que « [Des] études récentes identifient avec constance l’imagination, l’inspiration, l’inventivité, la capacité d’improvisation, les compétences collaboratives et interculturelles, la spontanéité, l’adaptabilité, et la présentation comme appartenant aux attributs les plus recherchés par les dirigeants des entreprises [en: business leadership]. Ces qualités sont fréquemment résumées en un mot unique – créativité. Clairement, les artistes ont des connaissances [en: insights] profondes sur la créativité, obtenues par des années d’expérience pratique [en: hands-on experience], supportées par un entraînement spécialisé et favorisées [en: fostered] par des compétences affutées avec soin. Leur savoir représente une formidable ressource, qui attend d’être exploitée par les entreprises à la recherche de solutions créatives et par les managers qui cherchent à [en: striving] per- mettre, responsabiliser, et engager les pouvoirs imaginatifs et inventifs de leurs em- ployés. »

Devant l’expansion des liens entre l’art et la « gestion » (au sens large), deux autres chercheurs avaient tenté d’offrir un état des lieux, dans les années 2000. Deux « rapports » scientifiques doivent désormais être considérés, car ils offraient une tentative d’état des lieux dans une approche plus opérationnelle que celle de Taylor et Hansen. Ils regroupaient les démarches considérées sous le terme « intervention ».

D’une part, Berthoin Antal proposait un « rapport de recherche » intitulé « Trans- forming Organizations with the Arts » (en), dont l’un des objectifs était d’orienter la re- cherche spécialisée pour les années à venir. Le titre à lui seul illustre l’intention qui tra- verse la littérature : puiser dans les arts, supposément différents des affaires, pour trans- former le monde organisationnel. Et a fortiori la société. L’auteure indique (2009: 4) :

« Ces décennies qui viennent de s’écouler [en: past decades] ont été le témoin de l’émergence d’une multitude de façons pour stimuler l’innovation et l’apprentissage organisationnel en réponse aux changements de la société […]. Parmi celles-ci sont les « interventions artistiques »[note de bas de page non re- produite] – lorsque une certaine forme d’art est apportée dans une organisation pour déclencher ou supporter un processus d’apprentissage. Un tel développement peut paraître surprenant, car le monde des arts est généralement vu comme assez distinct des mondes des affaires et de l’administration. Malgré la révélation, par Luc Boltanski & Eve Chiapello (1999) [tel que cité par Berthoin Antal, qui corres- pond à (2011) dans la bibliographie de cette thèse] d’une certaine absorption des prémisses [en: premises] de l’art dans le monde des affaires, c’est en fait l’espérance [ou l’attente ; en: expectation] de différences entre ces deux mondes qui donne naissance à l’espérance [idem] du potentiel pour l’apprentissage. Le postulat sous-jacent des praticiens est qu’amener les personnes, les processus et les

produits du « monde étrange » des arts dans le monde du travail aide à stimuler de nouvelles façons de penser et d’agir […]. »

Berthoin Antal rappelait alors le besoin de démarches scientifiques d’étude, en particulier afin de déterminer s’il s’agit simplement d’une « nouvelle mode », voire d’une pratique potentiellement dommageable (2009: 5). Elle se focalisait sur les démarches qui consistaient, de façon générale, à intégrer l’art ou les artistes dans des démarches organi- sationnelles45. Elle notait (2009: 8–9) encore : « Il est commun de définir les arts et

l’économie comme deux mondes différents. L’art est vu comme le champ de l’inspiration, de l’imagination, et de la créativité, l’économie comme le domaine de la rationalité, de l’efficacité et efficience [en: efficiency], et du profit. […] » avant de constater un « rap- prochement » des deux domaines, d’ailleurs pointé par d’autres (e.g. Chiapello, 1998; notons que Parush & Koivunen, 2014 ont récemment indiqué à quel point le manager se devait en théorie d’être créatif, artiste, innovant etc.). Elle mentionnait encore que le ma- nagement s’intéresse à ces démarches pour étudier les processus créatifs et artistiques de travail, l’art comme métaphore, les artistes et les arts comme nouveaux modèles pour le leadership et le management, le potentiel de l’art pour la formation et le développement, l’art comme source d’idées et de direction (en: guidance) pour gérer les problématiques des organisations telles que la communication, le changement, l’intrapreneuriat, et les aspects esthétiques des organisations ; enfin, elle concluait que les publications en mana- gement « varient du factuel au normatif, mais incluent très peu de travaux critiques à l’heure actuelle […] » (2009: 9), et ces travaux qui seraient « critiques » représentaient même alors le type le plus rare (2009: 10). Les travaux empiriques étaient assez peu nom- breux à l’époque (2009: 70). Nous allons voir que ce « manque » reste d’actualité, que la littérature tend, dans l’ensemble, à garder la trajectoire que Berthoin Antal questionnait déjà en 2009.

D’autre part, cette même année, Schiuma (2009: 5) offrait une étude dénommée « The Value of Art-Based Initiatives » (en). Il s’intéresse donc aux « initiatives basées sur les arts » (IBA en français) dans les organisations : « le rapport a mis en lumière les défis et opportunités qui font face aux initiatives basées sur les arts », et Schiuma insistait sur la capacité de l’art à enrichir les organisations, notamment dans la formation mais pas

45 Notons que la démarche de formation par l’accueil d’un artiste appartient alors à ce mouvement.

Berthoin Antal s’intéresse a priori plutôt à l’accueil de l’art dans des organisations autres que celles de la Management Education, mais évoque aussi le rôle dans la formation et dans la Management Education, donc semble les intégrer à son analyse. Elle mentionne notamment en bibliographie (Berthoin Antal, 2009: 75–79) des références spécialisées (e.g. Taylor & Ladkin, 2009).

uniquement. Pour lui, « la focalisation d’une IBA n’est pas l’œuvre d’art en elle-même, qui peut être une peinture, un poème, un film, une danse, une performance musicale ou théâtrale, mais plutôt l’expérience des arts. » ; il définit ces démarches, dont les ap- proches « actives » qui vont nous intéresser en particulier (2009: 7, emphase d’origine) :

« Une IBA peut être définie comme toute intervention managériale ou organisa- tionnelle qui utilise une, ou davantage, forme d’art pour permettre aux personnes de vivre une expérience artistique dans un contexte organisationnel, ainsi que d’ancrer les arts comme atout pour les affaires. Il s’agit premièrement et fonda-

mentalement d’un processus basé sur l’expérience, qui implique et engage les personnes à la fois rationnellement et émotionnellement au travers de leur parti- cipation soit active soit passive. La participation est active par nature lorsqu’elle

prend place au travers de l’implication directe, pratique, des personnes dans une expérience des arts. Dans ce cas, les personnes sont acteurs de la construction d’œuvres d’art tangibles ou intangibles. »

Progressivement, une vision « idyllique », quasiment « utopiste », des apports de l’art pour le management s’est installée et diffusée dans la littérature spécialisée. Un tour- nant est sans doute la publication d’Adler (2006: 486) qui indiquait, trois ans plus tôt :

« Étant donnés les changements dramatiques qui prennent place dans la société,

l’économie, et la technologie, les organisations du 21ème siècle doivent s’engager

dans des façons de manager nouvelles, plus spontanées et plus innovantes. Je cherche à comprendre [en: investigate] pourquoi un nombre croissant d’entreprises sont en train d’inclure des artistes et des processus artistiques dans leurs approches du management stratégique comme quotidien, et du leadership. »

Adler identifiait (2006: 488–493) cinq « tendances » selon elle explicatives du rapprochement entre art et affaires : 1) une interconnexion globale en croissance rapide, 2) une domination croissante des forces du marché, 3) un environnement de plus en plus turbulent, complexe, et chaotique, 4) des ressources « rares » des organisations devenues leurs (individus) « rêveurs », non plus leurs (individus) « testeurs », face à la baisse des coûts d’expérimentation, et 5) la recherche de sens en plus du succès (désormais). Et d’autres voyaient en l’art un support du « beau » (en: beautiful), en particulier pour le leadership, donc a fortiori l’apport de l’art pour cette pratique (Ladkin, 2008). Certains avançaient que nos leaders, « dans un monde à l’ambiguïté et à la complexité croissantes […] », doivent s’équiper d’« une nouvelle capacité constituée de jugement esthétique, d’un point de vue [en: stance] perceptuel et d’une capacité [en: aptitude] à créer des récits [en: narratives] du monde [en: of the world] », ce qui implique de les « dévelop- per » d’une façon nouvelle moins « behavioriste » et plus « herméneutiste » (Woodward & Funk, 2010: 295). Bien entendu, des voix venaient discuter la potentielle « utilisation »

de l’art pour le « business » (Gilmore & Warren, 2007), mais aussi la capacité d’une ana- lyse esthétique à mettre en lumière des impensés ou des inconnus des organisations : l’analyse des portraits photographiques « esthétisés » des dirigeants d’entreprise, l’ambivalence qu’ils dépeignent mais aussi produisent (Guthey & Jackson, 2005). Mu- gnier (2007) cherchait à dépasser l’antinomie entre la vision « romantique » de l’art (ou de l’artiste) et le management dans sa définition d’hier, mais de nouveau afin de proposer une analyse de l’art comme moyen de transformer le management par l’intégration de ses caractéristiques « romantiques »46 : l’ancrage de l’art dans les organisations s’expliquerait

par sa capacité à être compris par le « management » (en) et sa capacité à apporter créati- vité, innovation, travail vers le bien-être collectif en organisation etc.

D’autres (Barry & Meisiek, 2010) envisageaient de créer la catégorie des « workarts » (en: « travaux d’art »), par le renversement du mot « artworks » (en), afin de s’interroger sur l’intérêt du rapport aux œuvres d’art en organisation, et identifiaient trois vecteurs : la collection d’art, l’intervention d’artistes et l’expérimentation artistique. Selon ces auteurs, l’art permettrait notamment de développer la « collective mindfulness » (en), la pleine conscience collective, mais ils avançaient le besoin d’études empiriques ; le tra- vail autour de l’observation des œuvres d’art permettrait d’apprendre à « voir différem- ment » : « Avec les travaux d’art, il s’agit de faire ou collecter de l’art pour le lieu de travail dans une tentative de mettre au défi et d’améliorer le travail, plutôt que de mana- ger la production, la distribution et la présentation de l’art. » (2010: 1507 notamment). Adler (2015) voyait aussi dans l’art un atout, une source capable de conduire à la sérendi- pité, à voir l’ignoré, à compléter l’analytique, pour les académiques, les cadres et les lea- ders – et citait de multiples usages de l’art (les siens comme ceux de ses collègues) dans la Management Education. Finissons avec la synthèse d’autres chercheurs influents du champ. Leur formulation résonne, dans une tentative d’analyse du leadership comme art –

46 Notons que cette auteure remarque l’existence de logiques communes entre artistes et managers :

goût pour le risque, logique d’action, seuls acteurs à même de créer avec légitimité, domaine où la créativité et l’innovation sont bienvenus, logique d’organisation du travail par l’action autour du créateur etc. Son propos consiste à avancer que managers et artistes possèdent des caractéristiques communes, ce car elle s’intéresse aux « top managers », aux entrepreneurs visionnaires et adeptes d’innovation créative ; elle considère en quelque sorte les « artistes » de Pitcher (1997), ce qui implique qu’ils sont évidemment proches des valeurs de l’art.

Par ailleurs, elle identifie nommément (2007: 111) « [l]e défi de l’introduction de l’art dans la

formation initiale » au management (et le potentiel pour la formation, en général) : « Écoutons donc le discours innovant qui émerge : il décrit de manière très convaincante la raideur et l’anachronisme des formations en place. Il appelle l’introduction de valeurs autres que rationnelles, les valeurs esthétiques et éthiques en particulier. Si les sciences humaines peuvent porter ce discours, l’art est bien plus opérant. En effet, sa reconnaissance élitiste et valorisante permet plus facilement son acceptation, et présente tous les atouts pour attirer l’attention. La posture de l’art, perçue comme hors du champ économique, même si elle est trompeuse, permet une distanciation efficace. »

plus précisément, il s’agit bien, dans leur publication, de tenter de créer des liens entre leadership et art, plus que d’une simple analyse de la métaphore artistique du leadership (Ladkin & Taylor, 2010: 235 ; 236) :

« En bref, nous vivons dans un monde complexe qui ne peut être intégralement compris uniquement par la référence à des formes scientifiques de logique et de sense-making. Les arts, et les pratiques basées sur les arts, apportent des façons différentes [en: provide different ways] à la fois de décrire, et de se mettre en rela- tion [en: relate to] avec, cette complexité, offrant ainsi de nouvelles façons d’y ré- pondre. [plus loin dans l’article] Dans de tels contextes [de complexité etc.], le leader est bien avisé de se tourner vers l’artiste, dont le but à travers les âges a été de naviguer dans des territoires inconnus [en: unchartered] et de révéler les diffi- cultés comme les gloires qui y sont tapies [en: lurking]. »

Selon ces deux derniers auteurs, les travaux que propose leur numéro spécial, de six articles, s’accordent sur trois grands points : 1) l’art faciliterait la compréhension de la dimension d’incarnation corporelle (en: embodiment) présente dans le leadership et essen- tielle dans l’art (ancré dans une « matérialité », au moins par l’expérience, même lorsqu’il est conceptuel) (2010: 236) ; 2) l’art permettrait de considérer, et travailler avec, les con- tradictions inhérentes aux deux domaines d’évolution respectivement des artistes et des leaders (2010: 237) ; et 3) l’art pourrait apporter au leadership par le transfert de ses pro- priétés « essentielles » aux individus qui y sont exposés. Ce dernier point, dans les termes des auteurs, résume alors un postulat assez général du champ qui nous intéressera particu- lièrement (2010: 238) :

« De façon explicite ou implicite, chacun des articles [du numéro spécial] suppose