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La revue des critiques de la Management Education est l’étape initiale incontournable qui conduit vers l’identification de l’émergence d’une réponse particulière : l’intégration de l’art – dont le caractère peut notamment être expliqué par le processus d’académisation. Il existe des critiques adressées à la fonction – pourtant plus historique qu’actuelle – de formation de managers par la Management Education ; ces premières critiques provien- nent surtout des parties prenantes, plus ou moins directement impliquées. Elles sont com- plétées par des critiques adressées au fonctionnement – désormais plutôt académiste qu’au service de la fonction initiale – de la Management Education ; ces secondes critiques sont émises, en grande partie, par les acteurs clefs que sont les enseignants-chercheurs en Sciences de Gestion.

2.1.1. Critiques de la fonction de la Management Education

Les critiques de la Management Education débutent avec la critique des activités qu’elle enseigne, i.e. le management, la gestion, l’économie. À ce stade, ce ne sont pas les Sciences de Gestion, ou leur enseignement, qui sont visées, mais l’activité managériale elle-même, ou, en fait, la « logique » capitaliste et bourgeoise de la société qu’elle est supposée servir, logique dominante depuis 1830 (e.g. Chiapello, 1998).

2.1.1.1. La difficile critique indirecte

La Management Education n’a pas inventé la gestion ou le management, pas plus qu’elle n’a inventé le capitalisme. Mais elle a joué un rôle dans la structuration et la propagation des Sciences de Gestion, telles que l’histoire les a produites, avec une orientation dont il est difficile de nier le fondement « managérial » (e.g. Ghoshal, 2005). C’est cette orienta- tion managériale que visent indirectement certaines critiques de la Management Educa- tion – la « fonction » de la Management Education qui est de former aux affaires. Ce sont plus ou moins les mêmes que celles qui ont conduit à un rejet de la part de l’Académie.

Car la Management Education a pour fonction centrale, au travers des Sciences de Gestion, d’enseigner (notamment après avoir « cherché ») afin de former des profils dont l’adhésion aux « valeurs managériales » est assez forte. Ce que ces critiques visent, c’est l’agrégat d’éléments (pourtant assez différents) tels que le capitalisme, la gestion optimi- satrice, le management. Pour Boltanski et Chiapello (2011: 35–36, emphase d’origine), le « capitalisme » représente « […] une exigence d’accumulation illimitée du capital par des

moyens formellement pacifiques. C’est la remise en jeu perpétuelle du capital dans le circuit économique dans le but d’en tirer un profit, c’est-à-dire d’accroître le capital qui sera à son tour réinvesti […] ». Chacun comprend aisément en quoi la logique des Sciences de Gestion est, globalement, à vocation assez capitaliste. Le capitalisme est as- socié à la valorisation perpétuelle d’une propriété de capital (Boltanski & Chiapello, 2011; Chiapello, 1998) et, par extension, à la « bourgeoisie » dont la caractéristique prin- cipale reste la propriété de richesses – avec une volonté socioculturelle d’accumulation croissante –, notamment économiques, mais aussi sociales (e.g. le réseau) (e.g. Mension- Rigau, 2007), et, dans une certaine mesure au moins, culturelles (Bourdieu, 1979). Or, selon Chiapello (1998: 19) qui s’appuie sur Chandler (1977), le « management » (en) – groupe social apparu en 1840 afin de coordonner le travail, face à la croissance de la taille des organisations, qui dispose de compétences et carrières propres, mais aussi d’une for- mation souvent « similaire » et « reçue dans les mêmes écoles » (Chandler, 1977: 1–13 notamment) – est au service des propriétaires du capital qu’il gère en son nom :

« Le management comme discipline, sujet d’étude et de profession, se constitue au début de ce siècle avec l’accroissement de la taille et de la complexité des entre- prises. Un nouveau corps social, celui des cadres ou managers salariés, apparaît : il lui est transféré la gestion opérationnelle des entreprises, les propriétaires se re- tranchant dans le rôle d’actionnaires sauf à devenir également des cadres diri- geants salariés. Quoique plus récent que l’entreprise capitaliste elle-même, le ma- nagement a été inventé pour elle et tous ceux qui devaient y planifier, organiser, di- riger, coordonner et contrôler le travail […]. »

Or, Chiapello (1998) identifie deux groupes d’individus qui seraient principale- ment à l’origine de la critique du capitalisme et du management : des « penseurs » (aca- démiques notamment, pour la « critique sociale ») et des « artistes » (pour la « critique artiste »)30. Dans les deux cas, ces individus scrutent la société « capitaliste » pour en dé-

noncer travers ou limites, ou pour proposer des alternatives. Car la liste des valeurs aux- quelles les individus de ces deux groupes adhèrent serait une presque parfaite liste d’antonymes des valeurs « bourgeoises » qui prônent l’intérêt, l’argent, la valorisation, la

rationalisation, l’optimisation, si possible à court terme31. Ces dernières valeurs sont gé-

30 Notons qu’il s’agit d’individus parmi ces types d’acteurs de la société : tous les artistes ne sont

pas « critiques », de même que la posture « critique » n’est pas présente chez tous les penseurs. Si tous les scientifiques cherchent a priori par nature un minimum de détachement, les chercheurs même « critiques » n’entrent pas tous dans la catégorie que serait celle de la « critique sociale » (e.g. Adler et al., 2007).

31 Chiapello (1998: 16) note que « […] le paradoxe ultime réside dans le fait que la critique de ce

qu’incarne le bourgeois émane le plus souvent de membres issus de la bourgeoisie. » En pratique, les aca-

néralement celles prônées dans la Management Education, alors critiquée pour sa fonc- tion.

Nous pouvons d’ailleurs noter que le phénomène d’académisation de la Manage- ment Education, qui favorise le recrutement de profils académiques, peut conduire à inté- grer aux personnels de ses établissements d’enseignement-recherche a priori « pro mana- gement » des profils proches de ceux de ces deux groupes, et en tout cas proches d’une posture « scientifique » qui appelle à la mise à distance. Ce qui conduit à questionner des tenus pour acquis des praticiens, mais augmente aussi la distance entre les préoccupations des praticiens et celles des chercheurs.

Différents travaux (e.g. Boltanski & Chiapello, 2011; Chiapello, 1998) indiquent, de manière générale, la tendance du management et du capitalisme à « réintégrer la cri- tique », ou, dit autrement, à la rendre moins forte ; le monde du management (Manage- ment Education comprise, sans doute) évoluerait pour s’adapter aux critiques reçues. Ef- fet, il y a certainement, puisqu’il faut réintégrer et donc s’adapter (ce qui est une dé- marche constructive), mais le management et la Management Education n’évolueraient, sous l’influence de cette critique, tout de même qu’à la marge. Mais un effet est potentiel- lement bien plus sensible, celui des acteurs « accrédités » car titulaires d’une légitimité aux yeux du système : à la fois les membres de la Management Education (e.g. facultaires scientifiques) et certains plus « externes ». Commençons avec ces derniers.

2.1.1.2. La critique plus proximale de la fonction

Nous l’avons vu dans le premier chapitre, l’environnement de la Management Education repose sur la relation à un nombre conséquent de « parties prenantes ». Assez similaires à celles de la critique interne, les critiques des parties prenantes proches de pouvoirs tempo- rels restent toutefois externes au sens où leurs auteurs ne peuvent qu’utiliser leur poids pour inciter à changer. Les « institutions » tendent souvent à critiquer la Management Education. Plusieurs éléments, certains tout à fait légitimes, sont régulièrement repro- chés : coût des formations pour les « clients », inadéquation avec les besoins des « entre- prises », certaines recherches inutiles etc. Généralement, l’on reproche à la Management Education de ne pas être assez « efficace », rationaliste, managérialiste.

Certaines organisations, en France, établissent aujourd’hui des rapports, proches de ceux des années 1950. L’un des derniers en date est l’œuvre d’un think tank fondé en

sement, le gratuit etc. ; et de manière générale, ces acteurs disposent d’une capacité à évoluer hors des con- tingences, des urgences et des nécessités (e.g. Bourdieu, 2003a).

2000, dénommé l’Institut Montaigne32 ; largement repris dans la presse, ce rapport riche

et conséquent33 pointe différentes limites de la Management Education : manque de di-

versité sociale (voir aussi, Lambert, 2010), difficultés à conserver une position dominante à l’international, finances problématiques etc. Les propositions de solutions sont plutôt managériales, à l’image des suivantes : miser sur l’innovation, sécuriser les financements, rendre le doctorat en Gestion potentiellement professionnel, modifier la gouvernance. Elles sont loin d’être inintéressantes et inutiles, mais force est de constater que les auteurs recourent plutôt à une analyse « mainstream » de la situation : la solution doit être trouvée dans le cadre existant, sans qu’une remise en cause fondamentale soit envisagée.

Les organisations d’accréditations (e.g. Lussier, 2014), mais aussi les accréditeurs publics (HCERES etc.), sont aussi une source de critiques constructives. Parties prenantes mais tout de même extérieurs, ces acteurs fixent des normes ou des directions qui incitent à évoluer. Ces tentatives de génération de changements tendent, par contre, à produire le phénomène d’académisation scientifique critiqué par d’autres acteurs, parce que les pre- miers exigent des « garanties et productions scientifiques », e.g. un certain nombre de Docteurs dans les effectifs ou des enseignements basés sur la recherche.

Bref, les critiques externes de la Management Education sont nombreuses, finale- ment relativement peu surprenantes. Les solutions qu’elles proposent sont, assez logi- quement, assez peu critiques, i.e. hors du cadre actuel et dominant. Il existe aussi des cri- tiques du fonctionnement de la Management Education. Quelles sont-elles ?

2.1.2. Critiques du fonctionnement académique de la Management Education

Les critiques du fonctionnement proviennent davantage des acteurs eux-mêmes. Deux grands types de critiques peuvent être considérés séparément, car ils sont différemment connotés : d’une part, les critiques de la tendance académiste du champ académique « Management Education » [c], et, d’autre part, celles des méthodes et techniques d’enseignement des Sciences de Gestion.

2.1.2.1. La critique de l’académisation du champ par le champ

Les chercheurs en Sciences de Gestion n’ont pas tant tardé à proposer une réflexion sur la Management Education. L’analyse historique l’indiquait : les débats sur la place légitime,

32http://www.institutmontaigne.org/fr/institut

33 Source : site de l’Institut Montaigne ; consulté le 27 juillet 2015 ; voir notamment la rubrique

« Résumé » (http://www.institutmontaigne.org/fr/publications/business-schools-rester-des-champions-dans- la-competition-internationale)

en tant que profession ou non, du « business » dans les universités anglo-saxonnes, datent finalement presque de la fondation de la Management Education (e.g. Colby et al., 2011). Un champ académique – relativement peu académiste, d’ailleurs – intitulé « Management Education » [c], propose une analyse de celle-ci.

Les ouvrages tels que celui de Khurana (2007) ou Colby et al. (2011) ne sont que deux exemples sélectionnés dans la (très) riche littérature qui se développe sur les ques- tions liées à l’enseignement-recherche des Sciences de Gestion et du Business. Les ou- vrages qui invitent à « repenser la Management Education » sont légions et pas particu- lièrement récents (e.g. French & Grey, 1996). En parallèle, plusieurs revues, plus ou moins académiques, offrent des contributions, plus ou moins pratiques, dont l’objectif est largement exemplifié par la description de l’une d’entre elles.

« [La revue] The Academy of Management Learning and Education (AMLE) est classée dans le top cinq des revues de management et [sciences de l’éducation] les plus influentes et fréquemment citées.

AMLE s’intéresse à des questions d’actualité dans les champs de l’apprentissage du management [en: management learning and education] par la présentation de théories, modèles, recherche, cri- tiques, dialogues et rétrospectives qui abordent le processus d’apprentissage et la pratique de la formation au management [en: management education]. Le lectorat inclut des académiques, des

formateurs, des directeurs de programmes et des doyens d’institutions académiques, mais aussi des praticiens de la forma- tion et du développement et de la formation en entreprise [en: cor- porate education]. » (source : site de la revue AMLE, page d’accueil ; consulté le 28 juillet 2015 ; mon emphase)

De nombreuses revues généralistes accueillent également, avec une fréquence no- table, des réflexions sur la Management Education. David Courpasson, alors proche du terme de son mandat d’Éditeur en chef d’Organization Studies, une prestigieuse revue européenne en théorie des organisations, s’interrogeait réflexivement sur son action ré- cente à ce poste. Il déplorait la disparition de « l’enseignement-recherche passionné » (en: passionate scholarship) dans le champ et notait la tendance à ce que j’ai qualifié d’académisation du champ des Sciences de Gestion : selon lui (2013), abandonner cette recherche passionnée fait sens pour tous les chercheurs du champ car la performance en termes de nombre de papiers produits semble avoir pris le dessus sur l’importance de l’impact social de la recherche. Ce débat est essentiel car il revient à s’interroger sur la pertinence du savoir qui a vocation à être diffusé aux étudiants par l’enseignement.

Or la tendance à l’académisation est ainsi réellement connue du champ. La ten- dance au « gap-filling », i.e. à la focalisation sur des micro-contributions basées sur un « vide » (en: gap) identifié dans la littérature, souvent induite par la « pression à la publi- cation », est très largement questionnée, notamment par d’autres acteurs très influents du champ des Sciences de Gestion (Alvesson & Sandberg, 2013, 2014), à tel point que cer- tains articles en viennent à se focaliser sur les techniques de « problématisation » et d’interrogation des postulats d’un champ (Alvesson & Sandberg, 2011). Nombreux sont ceux qui s’inquiètent de l’absence de « home-runs académiques », c’est-à-dire de contri- butions d’envergure, et non « publiées dès que possible » (Ashford, 2013). Il existe, dans le champ, des travaux académiques qui indiquent « ce qui rend les articles beaucoup ci- tés» (e.g. Antonakis, Bastardoz, Liu, & Schriesheim, 2014). À l’image d’autres champs, il devient difficile de publier « seul » (Wuchty, Jones, & Uzzi, 2007), i.e. sans association entre des co-auteurs tous spécialistes d’une partie du désormais fameux « processus de publication ». Les ressources entre les « publiants » et les « non-publiants », comme dans tout environnement « créatif », sont très inégalement partagées en faveur des premiers (e.g. Menger, 2014), ce qui incite les acteurs à se focaliser sur la publication et sur leurs indices de publication (e.g. le h-index) ; finalement, la Management Education, supportée par les phénomènes liés à l’accréditation (e.g. Lussier, 2014) et la recherche de légitimité scientifique décrite précédemment, produit des théories, pourtant performatives, mais souvent, selon certains, pour la théorie (e.g. Cabantous & Gond, 2011; Ferraro et al., 2005; Ghoshal, 2005).

De nombreuses recherches pointent alors la déconnexion de ces théories avec la pratique pourtant fondatrice de la Management Education. Pour certains, « de mauvaises théories managériales détruisent de bonnes pratiques managériales » (e.g. Ghoshal, 2005). C’est la « nature de la connaissance dans les Business Schools », presque trop proche de celle des « sciences dures » qui est pointée par d’autres (e.g. Chia & Holt, 2008). D’autres, encore, considèrent que les organisations de la Management Education sont « trop focalisées sur la recherche « scientifique » » et questionnent leur tendance à « engager des professeurs avec une expérience limitée du monde réel » (Bennis & O’Toole, 2005: 96). D’autres, enfin, demandent une recherche plus « pertinente » (en: relevant) et inspirée de la préparation aux professions médicales ou cliniques (e.g. Eckhardt & Wetherbe, 2014). La boucle est bouclée avec les préoccupations qui taraudent la Management Education depuis sa fondation.

En somme, le champ désormais académiquement scientifique de la Management Education est concerné par les problématiques des champs de ce type déjà pointées dans différents ouvrages (e.g. Bourdieu, 1984, 2001b). L’académisation conduirait à produire une connaissance non seulement d’un type assez exclusif, mais aussi de moins en moins tournée vers la pratique. L’autre thème de prédilection, par nature lié, de la critique in- terne du fonctionnement du champ porte sur les méthodes d’enseignement.

2.1.2.2. La critique de l’enseignement du champ par le champ

En complément de leurs interrogations sur la pertinence du savoir enseigné, les acteurs s’inquiètent du « vecteur » (en: medium) de transmission et des méthodes utilisés pour enseigner le déjà débattu savoir managérial.

Il n’a, malheureusement, jamais été réellement prouvé que la participation à une formation au management améliore les performances managériales (e.g. Grey, 2002; Pfeffer & Fong, 2002) ; ce qui postule qu’il serait possible de « mesurer » ladite perfor- mance, un autre problème récurrent de la pratique et de la théorie du management. À l’origine formation d’excellence dont l’objectif était de permettre le développement d’individus générateurs d’avantages concurrentiels majeurs, le MBA est peu à peu devenu hors de propos et de nombreux acteurs peinent à le lier à l’évolution de carrière (Grey, 2004). « Peut-on former les dirigeants ? », va jusqu’à se demander Moingeon (2003), acteur d’HEC Paris, dans le titre d’un ouvrage. Les compétences enseignées seraient gé- néralement celles qui sont les moins indispensables aux managers, selon leur propre expé- rience (e.g. Rubin & Dierdorff, 2009). La littérature mainstream n’est pas la dernière à « s’auto-interroger » sur la pertinence des formations, et des méthodes de formation, qu’elle propose. Mintzberg (2004), dans un ouvrage devenu célèbre, réfléchit sur la for- mation des managers ; il indique que les MBAs forment les « mauvais profils », par les « mauvais moyens », pour les « mauvaises conséquences » ; il écrit34 (2004: 1) :

« Le problème avec une formation au « management » [en: « management » educa- tion] est qu’il s’agit d’une formation aux affaires [en: business education], et qu’elle laisse une impression déformée [en: distorted] sur le management. Le ma- nagement est une pratique qui doit mélanger beaucoup [en: a good deal of]

34 Malgré le caractère influent de cet auteur, je mentionnerais que ces constats sont à mon sens as-

sez sévères, et qu’ils tendent sans doute à occulter les réels apports qui existent aussi dans de telles forma- tions, même si ces contributions sont probablement d’autres types (e.g. renforcement du profil général des individus). Que les formations ne forment pas à ce qui est le plus attendu ou utile dans les organisations (e.g. Mintzberg, 2004; Rubin & Dierdorff, 2009) ne doit pas conduire à conclure qu’elles n’ont pas d’effet ; l’effet est sans doute perfectible, ou pas des plus pertinents pour viser uniquement l’efficacité et l’efficience organisationnelle, mais il n’est sans doute pas non plus totalement nul et inadéquat.

d’habileté [en: craft] (expérience) avec une certaine quantité d’art (vision [en: in- sight]) et un peu de science (analyse). Une formation qui insiste trop sur la science encourage un style de pratique du management que j’appelle « calculateur » ou, si les diplômés se croient eux-mêmes être des artistes, comme un nombre croissant d’entre eux le pensent, un style lié que j’appelle « héroïque ». Assez de ceux-là, as- sez de cela. Nous n’avons pas plus besoin de héros à des postes d’influence que de technocrates. Nous avons besoin de personnes équilibrées, dévouées, qui pratiquent un style de management qui peut être appelé « engageant ». De telles personnes croient que leur raison d’être est de laisser derrière [elles] des organisations plus fortes, pas seulement une valeur d’actions plus élevée. Ils ne montrent pas un or- gueil démesuré [en: hubris] au nom du leadership. Le développement de tels mana- gers demandera une autre approche de la formation au management, tout aussi en- gageante, qui encourage les praticiens managers à apprendre de leurs propres ex- périences. En d’autres termes, nous avons besoin d’encastrer l’artisanat et l’art de manager dans la formation au management [en: management education] et ainsi les ramener dans la pratique du management. »

Dans ces débats, la branche « critique » du champ « Management Education » [c] – souvent intitulée Critical Management Education (CME) – questionne, au-delà de l’efficacité des vecteurs, la pertinence des méthodes dominantes et du savoir managérial dominant. Inspirée des Critical Management Studies (CMS) qui intègrent au management les questions de pouvoir et cherchent à dénaturaliser les tenus pour acquis tels que la fo- calisation exclusive sur la performance (e.g. Adler et al., 2007; Alvesson et al., 2011; Fournier & Grey, 2000), la CME interroge des thématiques telles que les relations de pouvoir dans la formation au management (e.g. Sliwa et al., 2013) ou son potentiel éman- cipateur (Huault & Perret, 2011). Tout comme pour les CMS, il s’agit moins de politiser l’enseignement-recherche en management que de reconnaître la présence de valeurs do- minantes dans celui-ci et dans la formation à celui-ci, et donc la possibilité de les ques- tionner (Grey, 2004). Alors que, contrairement, par exemple, à la médecine, « puisque le management n’est jamais libre de ses buts [dans le sens d’une « fin », en: purpose], il n’est jamais libre de débats », il semble – d’autant plus suite à la crise de 2008 (e.g.