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Le préambule à toute étude des critiques d’un système est sa compréhension. Après avoir dressé un panorama – certes exempt de représentativité mais qui expose les « traits essen- tiels » – du contexte académique du système qu’est la Management Education, il convient de comprendre comment la logique de son jeu, en termes bourdieusiens son « illusio », s’est développée. Il donne dans ce cas à voir la tension vécue par une Management Edu- cation, entre faculté au service de la pratique et faculté purement « scientifique ». Ceci nous aidera dans la tentative d’explication de cette présence para-doxale de l’art dans cet univers de théorie et de raison pure : j’avancerai que cet univers arrive à un autre stade d’académisation, une « académisation esthétique ».

Bourdieu (2003a: 25, emphase d’origine) propose, pour la raison pure scolas-

tique11 dans l’environnement scolastique que peut être l’académie, l’explication suivante :

« […] L’implicite en ce cas, c’est ce qui est impliqué dans le fait d’être pris au jeu, c’est-à-dire dans l’illusio comme croyance fondamentale dans l’intérêt du jeu et la valeur des enjeux qui est inhérente à cette appartenance. L’entrée dans un univers scolastique suppose une mise en suspens des présupposés du sens commun et une adhésion para-doxale à un ensemble plus ou moins radicalement nouveau de pré-

11 Notons que je n’ai pas retenu le terme de « scolastique » pour décrire l’orientation prise par la

Management Education. Ce terme permet de comprendre le mécanisme en présence par une analyse plus large et empirique des dynamiques du monde universitaire. Mais il s’agit plutôt, selon moi, pour la Mana- gement Education, « d’académisation », terme plus neutre. J’emprunte « académisation » à d’autres cher- cheurs (Shipman & Shipman, 2006).

supposés, et, corrélativement, la découverte d’enjeux et d’urgences inconnus et in- compris de l’expérience ordinaire. Chaque champ se caractérise en effet par la poursuite d’une fin spécifique, propre à favoriser des investissements aussi absolus chez tous ceux (et ceux-là seulement) qui possèdent les dispositions requises (par exemple, la libido sciendi). Participer de l’illusio scientifique, littéraire, philoso- phique ou autre, c’est prendre au sérieux (parfois au point d’en faire, là aussi, des questions de vie et de mort) des enjeux qui, nés de la logique du jeu lui-même, en fondent le sérieux, même s’ils peuvent échapper ou paraître « désintéressés » et « gratuits » à ceux que l’on appelle parfois les « profanes » ou à ceux qui sont en- gagés dans d’autres champs (l’indépendance des différents champs n’allant pas sans une forme d’incommunicabilité entre eux). »

L’« académisation scientifique » pourrait être décrite comme la tendance, dans un système académique, à l’intégration progressive des éléments valorisés par ce sys- tème (i.e. déconnectés des urgences, des nécessités et des contingences) ici « scienti-

fiques », souvent au détriment des autres types d’éléments. En somme, il s’agit du mé- canisme par lequel le système tend progressivement à ne plus reconnaître que ce que Bourdieu (2003a) qualifie de « raison pure scolastique », i.e. les éléments théoriques, intellectuels et académiques légitimes, en accord avec la légitimité académique que le système a lui-même définie. D’autres chercheurs ont avancé que le monde universitaire avait réussi à se constituer publiquement comme seul capable de produire une connais- sance légitime, car scientifique ou philosophique (Shipman & Shipman, 2006). Pas néces-

sairement problématique dans certains champs12, cette tendance a été questionnée dans la

Management Education, créée par et pour des praticiens (Bennis & O’Toole, 2005; Eckhardt & Wetherbe, 2014).

Une analyse critique et sélective de l’histoire de la Management Education permet de cerner les phases contributives à sa pourtant a priori surprenante académisation scien- tifique. Elle conduit à comprendre comment les parties prenantes scientifiques ont pro- gressivement pris le dessus sur les parties prenantes pourtant originelles, et donc a priori essentielles, sauf à reconsidérer complètement le jeu.

Ainsi, à partir d’une tentative de développement d’un champ d’activités basé sur des connaissances rationnelles, scientifiques et académiques, la Management Education est devenue un champ quasiment autonome du champ du pouvoir, en particulier écono- mique (qu’elle a pourtant vocation à servir a priori), ce qui conduit sans doute à la créa- tion d’un illusio académique (au départ scientifique), dont deux des caractéristiques sont la prégnance d’une théorie non nécessairement couplée à la pratique et le goût pour des

12 Pour les éléments de débat sur cette question, voir notamment certains travaux spécialisés de la

activités désintéressées (telles que l’art). Cette analyse nous permettra de comprendre les nombreuses critiques adressées à la Management Education, mais aussi la volonté finale- ment pas si paradoxale d’intégrer des alternatives, telles que l’usage de l’art dans la for- mation au management, car ces dernières se trouvent en fait être para-doxales, i.e. déca- lées par rapport à ce qui domine (e.g. Bourdieu, 2003a).

Dans cette histoire, je tente de donner à voir comment se sont développés, pro- gressivement, ce qui semble être les trois piliers de la Management Education actuelle, et qui correspondent d’ailleurs pour les deux premiers aux deux mots qui forment l’expression : 1) par nature fonctionnelle, la pédagogie souvent assez classique (e.g. l’amphithéâtre, l’étude de cas en Travaux Dirigés) (e.g. Colby et al., 2011) ; 2) la « cul- ture managériale » avec des valeurs économiques généralement assez libérales (e.g. Ghoshal, 2005) et globalement orientées vers la maximisation des outputs par une mini- misation des inputs (e.g. Fournier & Grey, 2000) ; 3) la valorisation principale du savoir « rationnel » et académique d’inspiration scientifique (e.g. Chia & Holt, 2008).

Plutôt que de réinventer l’histoire, cette analyse est basée sur les très nombreux travaux, d’une qualité globalement remarquable, notamment de réflexivité, qui existent déjà sur cette problématique. Quelques éléments empiriques sont toutefois mobilisés, lorsqu’ils sont en mesure d’apporter une illustration bienvenue, ou un soutien à un aspect particulier qui n’a pas été localisé dans la littérature.

1.4.1. Une brève histoire critique de la Management Education

L’histoire de la Management Education est une drôle d’histoire. De facto, des acteurs chargés d’assurer de telles fonctions d’enseignement et de préparation ont toujours exis- té : il est tout bonnement inconcevable qu’aucune préparation des futurs « responsables » n’ait été organisée, même à une courte époque de l’histoire. La forme était sans doute très différente, basée notamment sur l’éducation de la future élite, à l’image du « lycée » in- venté dans l’Antiquité ou des sophistes qui n’enseignaient que l’art oratoire, mais l’art oratoire tout de même. Dans une époque plus proche, de vagues notions des matières « pratiques » représentées par la comptabilité, la finance ou la gestion de production étaient associées à une éducation « humaniste » qui était alors le point central de la prépa- ration élitaire, comme l’a montré l’histoire sur l’origine d’HEC Paris.

1.4.1.1. Origines de l’échec d’une tentative de professionnalisation

La base antique qui sert de fondations historiques est relativement éloignée de nos préoc- cupations. Celle qui nous intéresse débute avec la création d’établissements de formation, et de légitimation, pour les futurs occupants de positions organisationnelles destinées à ceux qui devaient assurer la direction des « affaires ». Ils sont la source de l’orientation actuelle du management, et de son enseignement, vers une « management science » (en).

C’est au XIXème siècle qu’apparaissent les prémices d’une éducation au « busi-

ness » (en). À partir d’une revue de littérature liée à l’histoire de la Management Educa- tion, Grey (1997: 717) note même l’abondance d’acteurs spécialisés – qui proposent une

formation « technique » et « managériale » – dès le milieu du XVIIIème siècle, notamment

en Angleterre et en Ecosse. En France, l’ESCP Europe (sous sa dénomination actuelle) indique avoir été la première « Business School » au monde : « Fondée en 1819, ESCP Europe est la plus ancienne école de commerce au monde et a formé plusieurs généra- tions de dirigeants et d'entrepreneurs. »13 Cette organisation alors innovante fut l’œuvre d’un groupe d’économistes « érudits », dont l’illustre Jean-Baptiste Say, et d’hommes d’affaires. Ainsi, dès l’origine, est notable le fondement ambivalent de cette organisation : entre science et affaires. Par la suite seulement, elle est rattachée à la Chambre de Com- merce et d’Industrie de Paris en 1869.

Peut-être est-ce parfois oublié, mais la Management Education, en tout cas les or- ganisations qui se réclament aujourd’hui des « membres fondateurs » de celle-ci, fut insti- tuée sous la Seconde Restauration, et contemporaine de Balzac, Delacroix et Beethoven. Son existence s’étale désormais sur trois siècles. Elle fut créée avant l’année 1840, date retenue par certains comme première Révolution Industrielle, mais sous un régime favo- rable au développement des « valeurs bourgeoises » (souvent décrites ainsi : individua- lisme, intérêt, propriété, matérialisme, prudence, utilitarisme, rationalisation, scientifi- sation, optimisation etc.) (e.g. Bourdieu, 1979; Chiapello, 1998: 24–27 notamment). Le capitalisme et le management ne sont pas les produits de cette révolution, ils lui préexis- taient. Il convient de pointer la différence identifiée par Chandler (1977) entre les « ma- nagers », groupe social créé, et souvent formé, pour gérer le travail des autres, face à la complexification de l’activité organisationnelle, et les propriétaires du capital, les « sha- reholders » (en), qui recrutent, emploient et nomment les premiers afin qu’ils gèrent

« l’entreprise moderne », i.e. plus exclusivement familiale et « single-unit » (en), et pour que ces managers assurent le bon développement et la rentabilité de leur organisation.

Chiapello (1998: 21) offre une description de l’environnement qui domine, en France, lors de la fondation, puis lors de la structuration, de la Management Education :

« 1830, date du renversement de la Restauration, marque l’avènement politique de la bourgeoisie et son installation constitutionnelle au pouvoir. Sur le plan écono- mique, cette classe était puissante avant. Mais, malgré sa richesse, la bourgeoisie avait dû jusque-là passer sous les fourches caudines des règles et des valeurs aris- tocratiques pour gagner l’élite. Il fallait devenir propriétaire foncier, abandonner les activités commerciales, se faire anoblir et adopter les mœurs et valeurs de la « classe oisive ». Après la révolution de juillet, la bourgeoisie peut enfin imposer ses vertus et son mode de vie. Les dix-huit années du règne de Louis-Philippe re- présentent, dans l’histoire de la France, une période extrêmement favorable à la grande bourgeoisie, totalement maîtresse de l’Etat et du jeu politique, ayant réussi à poursuivre la révolution puis à l’arrêter au point exact où rien ne vient la contra- rier dans l’établissement d’un régime favorable à ses intérêts. »

L’origine bourgeoise en France, à vocation économique et globalement capitaliste, de la Management Education ne laisse donc que peu de doute. L’arrivée au pouvoir de la bourgeoisie permet l’installation durable de ses valeurs et la capacité à agir pour les déve- lopper et les pérenniser, notamment à l’aide de la formation : cette Management Educa- tion originelle vise, si l’on s’appuie sur ces travaux, à former un manager plutôt rationnel, compétent, orienté vers le développement économique prudent mais optimal de richesses qu’il gère au nom des « propriétaires » du capital.

Si les premières écoles furent fondées vers 1820, la création des différentes for- mations et leur structuration se feront tout au long des deux siècles qui suivront, siècles des valeurs économiques, bourgeoises, du capitalisme moderne, finalement retenues à l’échelle sociétale : HEC Paris est fondée en 1881, 1908 voit la création de la Harvard Business School (HBS)14, les Instituts d’Administration des Entreprises (IAE) sont créés

en 1955 en France, à l’initiative de Gaston Berger qui souhaite imiter le modèle des Busi- ness Schools étatsuniennes et doter la France d’une alternative publique aux acteurs pri-

vés, devant l’augmentation de la demande de formation en gestion15, etc.

À l’international, le rôle des États-Unis d’Amérique est considérable dans le déve- loppement de la forme actuelle de la Management Education ; l’inspiration est alors éco- nomique, entrepreneuriale, « des affaires » ; en effet, « business is business » (en), et les

14 Source : site officiel de la Harvard Business School, rubrique « History » ; consulté le 27 juillet

2015 (http://www.hbs.edu/about/facts-and-figures/Pages/history.aspx)

15 Source : site officiel du « Réseau IAE France », page « Notre réseau » ; consulté le 27 juillet

affaires acquièrent progressivement une place importante dans le monde occidental

(Colby et al., 2011: 1). Ainsi, aux États-Unis d’Amérique, Colby et al.16 (2011: 15) identi-

fient 1881, soit 62 ans après la fondation de l’ESCP Europe – ce qui indique une poten- tielle influence française et bourgeoise, sur la Management Education mondialisée – comme date de fondation de la Management Education mondiale. Ainsi trouve-t-on en 1881, à l’Université de Pennsylvanie, l’étape qui initie l’ancrage scientifique, assez lié à l’approche anglo-saxonne, ou plus précisément « étatsunienne » :

« L’éducation au Business dans les universités étatsuniennes a un point d’origine identifiable, une localisation institutionnelle, et un objectif clairement exprimé. »

Colby et al. identifient ainsi Wharton comme première établissement officielle- ment voué à enseigner « les affaires » (en: Business) dans un cadre universitaire, aux États-Unis d’Amérique. Ces auteurs (2011: 15) relatent donc comment Wharton – un en- trepreneur – réussit, en échange d’un « cadeau », à convaincre l’Université de Pennsylva-

16 Pour comprendre l’histoire, je m’appuie très largement sur le chapitre dédié à l’histoire de la

Management Education d’un ouvrage récent publié par Colby et al. (2011) et « The Carnegie Foundation

for The Advancement of Teaching », ainsi que sur le travail doctoral récent de Sacha Lussier (2014).

L’ouvrage de Colby et al. a été choisi parmi les nombreuses sources qui intègrent une histoire de la Mana- gement Education car il n’appartient pas aux ouvrages dont cette histoire est l’objectif principal. L’ouvrage s’interroge sur une problématique proche de la mienne, à savoir l’intégration des « humanités » (en: liberal

arts) dans la Management Education ; par conséquent, l’histoire que les auteurs racontent s’appuie sur des

éléments eux aussi utiles à notre réflexion.

La transparence du processus scientifique commande d’indiquer que l’ouvrage de Colby et al. (2011) est publié par une organisation originellement fondée par des ressources de la Carnegie Corporation

of New York. Cette dernière fut à l’origine du célèbre « Carnegie Report » auquel je ferai référence. Bien

entendu, il est raisonnable d’estimer qu’une bienveillance à l’égard de la « maison mère » existe ; toutefois, la structure source de la publication de Colby et al. se contente de porter le nom « Carnegie » et déclare posséder une complète indépendance statutaire, comme l’indique cet extrait du site de la Carnegie Corpo-

ration of New York (page « Other Carnegie Organizations », consultée le 25 juillet 2015) : « Aujourd’hui, plus d’un siècle plus tard, 26 organisations dans le monde portent le nom Carnegie. Elles effectuent [en: carry on work] des travaux dans des champs aussi divers que l’art, l’éducation, les affaires internationales, la paix, et la recherche scientifique. Même si elles sont considérées comme des membres d’une « famille », ces organisations demeurent des entités indépendantes et sont liées seulement par leur nom. »

Malgré les limites possibles d’une source unique, potentiellement biaisée sur l’aspect « Carnegie

Report » (mais largement contrôlée par la cohérence, en termes de propos, des passages concernés dans la

thèse de Sacha Lussier qui ne s’appuie pas sur la première source), le simple caractère « d’histoire » de l’histoire rend raisonnable l’utilisation d’une source unique, tant que celle-ci n’a pas été remise en cause. En effet, la construction d’une histoire, quel que soit l’objet, nécessite de « raconter une histoire », donc de faire des choix, afin de disposer d’une « ligne ». Par mesure de sérieux scientifique, quelques sources an- nexes essentielles ont été consultées et intégrées au fur et à mesure ; elles soutiennent l’histoire racontée par Colby et al.

Enfin, l’ouvrage de Lazuech (1999), en plus de servir cette dernière fonction, permet également d’enrichir le point de vue globalement étatsunien sur la Management Education étatsunienne proposé par Colby et al. d’un point de vue français sur la Management Education, surtout française. J’avance que l’histoire de la Management Education présentée dans cette thèse permet de « comprendre le processus d’académisation décrit ». En l’espèce, elle est plus illustrative et explicative que condition scientifique de validité des éléments essentiels scientifiquement pour la thèse, i.e. l’orientation académique et managériale de la Management Education à l’heure actuelle, logique soutenue par d’autres sources et une illustration empirique.

nie d’ouvrir un nouveau type de programmes, mélange de cours sur les activités des af- faires et d’humanités, « afin de former [en: shape] un nouveau type d’homme d’affaires hautement éduqué ». Ainsi, toujours selon Colby et al. (2011: 15) :

« Wharton persuada l’Université de créer un nouveau type d’école pour étudiants de premier cycle supérieur [en: undergraduates] aux côtés des facultés et disci- plines déjà existantes. Son objectif était de remplacer la nature ad hoc de l’apprentissage des affaires « sur-le-tas » [en: « on-the-job »] par un développe- ment [en: cultivation] systématique d’une perspective qui combinerait des cours sur la connaissance et la maîtrise « de la finance et de l’économie modernes » avec les

effets « élargissants » [en: broadening] des arts libéraux17, dont une focalisation

particulière sur les alors nouvelles sciences sociales qu’étaient l’économie et les sciences politiques. »

Un retour à l’histoire d’HEC Paris permet de noter que la même orientation fut prise lors de sa fondation, la même année 1881.

« Depuis 1881, l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales située au 108 boulevard Malesherbes, vise à donner aux jeunes gens, "les

connaissances nécessaires pour arriver promptement à la direction

des affaires de la banque, du commerce ou de l'industrie et à former des agents consulaires, capables de représenter dignement la France dans les relations du commerce international". A cette fin,

les travaux chimiques et l'histoire naturelle figurent parmi les ma- tières enseignées, aux côtés de la comptabilité générale, des ma- thématiques appliquées au commerce, de l'étude des marchan- dises, du droit commercial industriel et maritime, du code civil ou encore de la calligraphie. » (source : site officiel d’HEC Paris,

page « Histoire d’HEC Paris », pour l’année 1890 ; consulté le 22 juillet 2015 ; mon emphase)

L’extrait exemplifie la destination immédiate des futurs diplômés : des individus « chefs », formés pour diriger, inscrits dans la culture bourgeoise et destinés aux plus hautes sphères organisationnelles dès la sortie d’HEC Paris. En outre, l’extrait indique que, dès l’origine, le « savoir académique managérial » était considéré comme tout à fait insuffisant – selon Colby et al. (2011: 16), « il est significatif […] que l’éducation aux affaires ait débuté au travers d’un effort pour établir une formation universitaire en tant que façon d’inculquer [en: instill], dans l’alors nouvelle activité de manager, une com- préhension de la raison d’être [en: purpose] qui était explicitement orientée vers l’intérêt général [en: that was explicitly public in orientation]. Pour un tel but, une éducation ba-

17 Encore qualifiés de « sciences humaines », ou « humanités ». Sachant que le contenu de ces hu-

sée sur les arts libéraux était considérée comme essentielle. » – pour assurer des fonc- tions de direction : humanités et sciences « non managériales » sont parties intégrantes de toute formation de futurs « managers », d’autant plus que le « savoir managérial » manque nécessairement. Il est raisonnable d’estimer que les premiers travaux publiés et largement diffusés en Sciences de Gestion sont ceux de Fayol et Taylor, datés du début du XXème siècle.

Alors que la demande de managers formés au management explose, la question d’une formation plus « technique » et celle des intérêts managériaux apparaissent, comme le détaille Colby et al. (2011: 17) :

« Bien que quelques manifestations de tutelle à vocation sociale [en: social trus- teeship] puissent être attendues des leaders organisationnels, la plupart des mana- gers cherchaient à être d’efficaces techniciens des affaires, souvent avec une exper- tise spécifique dans des domaines définis tels que la comptabilité, la finance, l’ingénierie, ou le marketing. Leur objectif principal [en: paramount purpose] était de faire fonctionner l’entreprise avec autant d’efficience et d’efficacité [en: effi- ciently] que possible pour améliorer sa position stratégique et rémunérer ses inves- tisseurs. »

Plus ou moins ouvertement, c’est la question cruciale de l’équilibre entre « intérêts du business » et « responsabilité soci(ét)ale » qui est posée, et qui divise déjà. Faut-il con- sidérer l’efficacité comme une fin en soi, ou un simple moyen ? L’orientation « taylo- rienne » répond à la première solution et avance que les améliorations économiques béné- ficieraient largement à la société, alors que ses adversaires craignent une situation inte-