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Problématiques de conservation des archives numériques

PARTIE 3 : INITIATIVES ET POSSIBILITÉS

3. Du côté du jeu vidéo : des initiatives pré-existantes

3.3 Une participation communautaire et amatrice forte

1.1.1 Problématiques de conservation des archives numériques

Si le numérique a permis d'aborder la conservation de certains biens d'une nouvelle façon, en séparant par exemple l'original de son support, il est aussi à l'origine de nouveaux moyens d'envisager l'objet en lui-même. Les documents

98BECHARD, Lorène. Les archives électroniques. p.7

numériques utilisent en effet des modes de fixation et de représentation qui tranchent, par leur forme, avec les supports traditionnels et certaines de leurs limites. Le numérique permet, par exemple, la duplication d'un objet par sa copie octet par octet. Une connexion internet rend possible un accès distant aux données ou le téléchargement de contenus en réalité stockés à l'autre bout du monde, le tout dans des délais très courts. Le numérique, en tant qu'outil de travail, permet aussi d'avoir un regard très détaillé sur une production, d'en découper les étapes par le biais de multiples sauvegardes. Mais ces étapes sont aussi à l'origine de très nombreuses données qu'il peut être difficile de classer et conserver efficacement, tant à cause de leur abondance que de leur format.

Par ailleurs, il induit un biais dans les objets manipulés : le code informatique qui constitue les documents passe souvent par plusieurs couches de langage qui viennent complexifier son appréhension concrète : « Le document numérique ne peut se ramener à la seule ressource binaire, ni à la seule vue qu'on en tire, mais au complexe composé de la ressource, la vue calculée, et l'outil pour la construire. »99.

Ces outils, de lecture ou de fabrication, nécessitent plusieurs types de langages qui dépassent, effectivement, la vision binaire du code qui compose l'objet numérique. Les multiples formats et leurs mises à jour régulières sont à l'origine de nombreux problèmes liés à leur obsolescence : comment, en effet, conserver et lire des données nécessitant des logiciels disparus ou ayant vu évoluer certaines de leurs fonctionnalités ? Par ailleurs, le contexte numérique a également influencé, comme nous le verrons sur l'aspect musical, les façons de travailler. Au-delà des problématiques purement logicielles ou liées à des formats propriétaires, que des normes essayent de résoudre en fixant un cadre précis (comme la norme ISO 32000-1 pour le format PDF ou encore l'ISO/IEC 23003-1 pour les formats de compression sonore MPEG) se présente aussi la problématique de la compréhension et de la documentation des nouvelles techniques. Cette documentation doit se détacher de façon bien plus nette, car « (…) si l'objet matériel peut posséder un sens pour le scientifique qui l'étudie ou le technicien qui le construit ou l'utilise, il ne véhicule pas pour autant une signification (...) »100.

Cette séparation entre le sens technique et le sens culturel nécessite une vision particulière de l'archive numérique, souvent par l'ajout de métadonnées de plusieurs types. Mais les problèmes de sécurité propres au numérique et à la duplication ou la modification parfois facile des documents ont mené à l'élaboration de plusieurs normes (ISO 15489, ISO 30300...) visant à établir des conditions d'enregistrement garantissant l'authenticité, l'intégrité, la fiabilité et l'exhaustivité des documents à archiver. Ces normes ont été grandement reprises dans le système conceptuel OAIS (Open Archival Information System), destiné à concevoir des systèmes de dépôt, de gestion et de consultation d'archives électroniques.

Ce mémoire portant sur la musique et les jeux vidéo, la dimension temporelle va avoir une importance particulière. En effet, Bruno Bachimont déclare au sujet des apports techniques du numérique, :

Enregistrant les contenus habituels (textes, audio-vidéos, etc.), il permet éga­ lement d'enregistrer ce qui appartenait pour nous au domaine de l'éphémère (…). Il donne une ampleur insoupçonnée et inédite aux possibilités d'enregis ­ 99BACHIMONT, Bruno. Patrimoine et numérique : technique et politique de la mémoire. p.8

100Ibid. p. 16

trement qui se traduit d'ailleurs par la constitution de bases importantes d'informa ­ tions.101

S'il semble considérer comme à part le jeu vidéo en le mettant au rang des contenus interactifs et dynamiques, la notion d'éphémère va être particulièrement fondamentale dans les pages qui vont suivre. En effet, toute la problématique de conservation des jeux vidéo et de leur musique se trouve dans la fragilité de leurs représentations interactives. Au-delà du code, finalement, peu de choses subsistent après la partie. La multitude de petites actions effectuées dans un ordre précis par le joueur, qui auraient pu être différentes, sont en apparence perdues comme autant de dialogues avec la machine qui ne peuvent être consultés ou recréés à l'identique. Cette problématique, longtemps restée ignorée, s'est particulièrement développée ces dernières années, avec l'émergence des possibilités de partage en direct des parties, par exemple. Il fallait auparavant posséder du matériel d’acquisition vidéo (se présentant sous la forme de boîtiers particulièrement coûteux) à brancher entre la console et l'ordinateur, lequel devait posséder un logiciel de capture du flux entrant pour enregistrer des vidéos des parties. Mais les fabricants de consoles ont aujourd'hui implémenté des fonctionnalités liées à des touches directement sur les manettes (c'est le cas sur PlayStation 4 et Switch) qui permettent d'effectuer des captures photos ou vidéos, voire de partager en direct l'expérience de jeu, commentée ou non.

Qu'il s'agisse de l'environnement technique, du code source ou d'enregistrements fixes, nous nous retrouvons face à plusieurs représentations très différentes du jeu vidéo. En tant qu'objet numérique, ses problématiques de conservation vont donc se retrouver dans les différentes solutions déjà proposées vis-à-vis du numérique en général.