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L'apport des Significant properties

PARTIE 3 : INITIATIVES ET POSSIBILITÉS

3. Du côté du jeu vidéo : des initiatives pré-existantes

3.3 Une participation communautaire et amatrice forte

1.2.2 L'apport des Significant properties

Face à ces multitudes de sources d'information et de préservation, la question de ce qui doit être conservé est inévitable. La conservation numérique a notamment élaboré le concept de Significant Properties ou de Significant Characteristics, qui vise à exprimer, selon les situations, les besoins de descriptions physiques mais également contextuelles des documents archivés. Comme le soulèvent Angela Dappert et Adam Farquhart : « (…) l'importance [significance] n'est pas intrinsèquement liée à ou déterminé par les formats de fichier des objets numériques – mais par les besoins et les exigences des acteurs prenant part à la conservation. »127 128. D'après leurs observations, les

informations, tant sur les formats que la qualité, ou encore sur les propriétés physiques d'une animation, voire la complétude d'un document (ne contenant par exemple que le son ou que l'image), vont grandement varier selon les personnes et organismes qui vont avoir besoin des archives. On ne garde ainsi pas les mêmes choses suivant qu'on destine l'archive à un public de professionnels ou d'amateurs, tout comme on n'utilisera pas les mêmes modes de classification des documents.

Cette notion se révèle particulièrement importante pour l'approche de l'archivage des jeux vidéo ou de la musique. En effet, il s'agit de deux arts complexes qui, dans chaque cas, ne se conserveront pas de la même manière selon les publics et les usages visés. Il est intéressant de voir que, dans les quelques études qui ont été réalisées sur la

125KOHLER, Chris. Saving Japan's Games. Kotaku : <https://kotaku.com/saving-japans-games-1819339226>

126Pop Fiction: Season 1: Episode 9: The Fire Temple [Update 2]. GameTrailers : <https://www.youtube.com/watch?

v=U34MFcJdGCo>

127« (…) significance is not inherent in or determined by the file formats of digital objects – but by the needs and require ­

ments of stakeholders in the preservation activities. »

128DAPPERT, Angela, FARQUHAR, Adam. Signifiance is in the Eye of the Stakeholder. In AGOSTINI, Maristella et al.

(éd.). Research and Advanced Technology for Digital Librairies. p. 9.

conservation des jeux vidéo, leurs Significant Properties se scindent entre le visuel, l'audible, et l'interactif. Du côté sonore, Mark Guttenbrunner et al. lorsqu'ils évaluent la qualité de l'archivage des jeux, particulièrement par le biais d'émulateurs, d'après des critères minimaux, font la distinction suivante : « Les aspects sonore sont répartis entre la musique et les effets sonores [Sound Effects] en prenant en compte à la fois leur qualité [sonore] et la qualité de leur synchronisation. »129 130 Ces critères sont ici particulièrement représentatifs de la

conservation de la musique au sein de l'ensemble d'un jeu, qui vise alors la qualité de sa représentation. Pour que le jeu soit correctement émulé, donc représentatif de l'original, il doit évidemment contenir et jouer les sons d'origine (musiques et bruitages), lesquels doivent être de qualité acceptable (la moins compressée possible par rapport à l'original) et répondre aux éléments interactifs qui leurs ont été assignés.

Mais l'approche serait très différente s'il s'agissait, par exemple, de la récupération des musiques d'un jeu dans le cadre de l'organisation d'un concert ou pour la réalisation d'un album arrangé : le format du son serait alors pris en considération de façon prioritaire, les fichiers MIDI étant parfois le meilleur moyen d'avoir des semblants de partition (et permettant de séparer les différentes voies instrumentales) ou une base stable pour retravailler certaines compositions. Par ailleurs, la documentation sur les filtres de traitement des sons, leurs rôles et leur fonctionnement peut également se révéler importante dans le cadre de portages. Vincent Dortel, programmeur audio chez Rocksteady, nous a expliqué à ce sujet comment la connaissance des paramètres appliqués directement en jeu pour simuler la distance avec la source d'un son pouvait se révéler salvatrice. Il a déjà été confronté, au cours de son travail, au cas du portage d'un jeu sur une autre console, et au fait que l'ancien système se révélait différent du nouveau, nécessitant alors une reprogrammation totale des effets sonores de spatialisation131.

Par ailleurs, les Significant Properties proposées pour l'archivage général des jeux se concentrent uniquement sur la jouabilité et ne permettent pas de documenter l'histoire de la composition. Pour compenser ce manque d'attention souvent relevé, une musicologue canadienne, Karen Collins, a entrepris il y a quelques années de récolter, sous forme d'interviews filmées et retranscrites, les témoignages de tous les corps de métier œuvrant autour du son dans les jeux. On découvre dans cet ouvrage de plus de 600 pages nommé Beep : A History Documentary on Game

Sound, toutes les facettes de la création sonore d'un jeu, dont beaucoup étaient très

peu mises en avant avant ce jour.

1.3 Les problèmes fondamentaux de l’archivage de la musique

La question de l'archivage de la musique et des sources orales a toujours été problématique, tant sur le plan technique que culturel. En effet, un enregistrement sonore ne peut s'appréhender dans toute sa complexité et sa réalité lorsqu'il est écouté seul. Au sujet du traitement intellectuel des archives orales, Antonio Gonzales Quintana recommande d'ailleurs les actions suivantes :

129« Sound aspects are divided into music and sound effects and taking account of both their quality as well as

synchronicity. »

130GUTTENBRUNNER, Mark, BECKER, Christoph, RAUBER, Andreas. Keeping the Game Alive: Evaluating

Strategies for the Preservation of Console Video Game. p.79131Voir Annexe 2, p. 144

S'il souhaite intégrer un ensemble de sources orales en tant que corps documentaire supplémentaire, l'archiviste doit savoir comment ces sources ont été créées, le trai ­ tement fonctionnel qu'elles ont subi ainsi que leur sort final. Pour de tels docu ­ ments, il est également nécessaire d'appliquer le principe de provenance.132133

Plus loin, concernant la documentation qui accompagne les enregistrements des chercheurs, dans les cas où cette dernière est inexistante, il ajoute qu' :« au niveau méthodologique, le projet peut être considéré comme « nul » ou lacunaire »134 135. Ces

considérations, si elles portent ici sur les enregistrements de témoignages oraux réalisés par les chercheurs, sont tout aussi valides lorsqu'on en vient à l'étude de la musique, tant du point de vue musicologique qu'ethnomusicologique. En effet, comme nous allons le voir, la musique « écrite », que ce soit sur une portée, une bande de cassette ou une séquence .mp3 (c'est-à-dire enregistrée), n'est jamais une représentation complète du son. Par ailleurs, son expression, sa retranscription, vont poser des problèmes qu'il est impossible de résoudre sans une documentation particulièrement développée sur le sujet.