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PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE

1- LES MARCHÉS PUBLICS COMME OBJET D'ÉTUDE

L'expression la plus courante utilisée au Québec pour désigner les marchés traditionnels est marché public. Il arrive toutefois que l'on utilise les expressions suivantes : marché aux denrées, marché de fermier, marché d'habitant, ou marché traditionnel. L'expression marché public, bien qu'elle constitue une anglicisme de «Public Market»1 décrit bien, croyons-nous, ce qu'étaient les marchés traditionnels au Québec. Nous utiliserons donc cette expression tout au long de cette étude parce qu'elle est en usage courant au Québec bien qu'il soit plus juste de parler de marché agricole, de marché physique ou de marché périodique d'approvisionnement..

1 Le sensexact de l'expression «marché public» désigne un «contrat par lequel une personne physique ou morale s'engage envers une administration à exécuter un ouvrage pour le compte de celle-ci ou à lui fournirdes biens ou des services, moyennant un prix déterminé par le contrat.» Marie-Éva de Villers, Vocabulaire des marchés publics, Québec, éditeur officiel du

Québec, 1985, p. 24.

La définition de marché public pose certaines interrogations dépendant du point de vue où l'on se place. En fait, le sens du terme marché public a changé au cours des siècles et principalement depuis deux décennies. À l'origine, le marché était par définition même une institution d'utilité publique qui relevait

essentiellement des autorités municipales. Ce sont donc les municipalités qui réglementèrent le commerce des produits sur les places de marché et qui édifièrent les premières halles. L'objectif visé par les autorités municipales était donc d'établir des lieux d'échanges économiques entre le monde rural et le monde urbain. On permettait ainsi un approvisionnement régulier des villes et on établissait du même coup des contacts directs entre les producteurs et les consommateurs.

Il importe d'établir une distinction entre les marché et les foires. Bien qu'ils aient des traits communs, ces deux types de rassemblements commerciaux n'en sont pas moins différents. Voici la définition la plus complète que donne Isac Chiva des marchés et des foires :

Les marchés et les foires désignent ces rassemblements familiers, voués au commerces et échanges de toute sorte, qui se tiennent selon des calendriers variables, mais en général périodiques, en des lieux connus de tous et souvent adaptés ou construits à cette fin. Ces rassemblements sont observables dans une très grande partie des sociétés qui peuplent les cinq continents. On les désigne dans les sciences de l'homme, sous le terme de places

marchandes ou encore de marchés physiques, ou localisés, pour les distinguer de l'autre emploi du terme marché, celui surtout qu'en font les économistes. Ceux-ci désignent par ce mot - qu'ils emploient dans le sens de marché abstrait - les phénomènes d'échange plus amples, virtuels, qu'illustrent des expressions telles que «marché des matières premières», /marché du café», etc. (P. Claval, 1969). Il s'agit dans ce cas d'un phénomène plus particulièrement économique, dans son principe comme dans son fonctionnement (échange de biens contre de l'argent, ou du moins en référence à une évaluation monétaire), alors que le propre de la place marchande est de mêler fonctions économiques et non économiques, au point qu'il est difficile de distinguer les premières des secondes : on y vient pour acheter et vendre, certes, mais tout autant pour rencontrer des gens, recueillir ou diffuser des nouvelles, se montrer, s'amuser, participer à un pèlerinage, car souvent les foires sont liées à des célébrations religieuses.

Marché, foire, halle, rue marchande dans une ville moderne, bazar oriental : au travers de l'omniprésence de la place marchande à travers le monde, il est souvent difficile de distinguer ces formes entre elles, comme il est malaisé de distinguer les marchés du commerce en boutique. On peut considérer que la non-sédentarité des vendeurs est le critère qui permet de

distinguer les places marchandes du commerce ordinaire (C. Nordin, 1983). Une observation plus approfondie montre que c'est précisément dans l'ambiance, les multiples échanges qui débordent les seuls actes d'achat et de vente, l'imbrication de fonctions économiques et non-économiques, que réside l'originalité des foires et des marchés (...)

C'est enfin, surtout dans les sociétés constituées de villes d'une part, de campagnes de l'autre, et qui insistent sur cette distinction, au marché comme sur le champ de foire, que s'opéraient et s'opère toujours les communications et échanges les plus suivis, les plus apparents et profonds à la fois, entre ces deux mondes culturels et économiques.1

1 Isac Chiva, Fabrizio Sabelli et Pierre Centlivres, «Les marchés». Universalia, Paris, 1985, pp. 136-137.

2Philippe Barret, Étude de l'organisation et du fonctionnement du marché St-Roch, maîtrise, université Laval, 1970, p. 27.

3 Lefoirail désigne le champ de foire. Lafoire est en quelquesorte un grand marché publicoù l'on vendtoutes sortes de marchandises et qui se tient à des dates fixes. Les grandes foires correspondaient jadis à des fêtes religieuses.

On retrouve généralement sur les marchés publics des vendeurs qui proposent leurs marchandises à des acheteurs. « Ces marchandises sont en général des fruits et légumes de la région, des viandes, des oeufs, et même des produits artisanaux (confitures, couvertures ...).»2

Outre le marché traditionnel où on retrouve surtout de la viande, des légumes et des fruits, on retrouvait autrefois des marchés spécialisés. Ainsi, une municipalité comme Trois-Rivières, par exemple, disposa jusque dans les années 1950 de trois marchés publics distincts dont un marché aux denrées, un marché à poissons, et un marché à bois et à foin. Les marchés à bois et à foin étaient forts populaires autrefois puisque c'est là aussi que se vendaient les chevaux. Ce type de marché ressemblait plutôt à des foirails où on retrouvait toutes sortes de produits.3

Bien qu'en principe les marchés soient destinés au commerce des produits alimentaires, il semble que de tout temps on y retrouve une panoplie de produits alimentaires et non-alimentaires. Pensons simplement aux produits tels que le foin, le bois et le charbon. Il n'est pas rare de retrouver sur les marchés des agriculteurs et des commerçants qui offrent des produits de l'artisanat tels que des couvertures, des paniers, des balais, etc. Il n'est pas

rare également de retrouver encore aujourd'hui dans les halles de marché des petits étaux occupés par des commerçants qui y vendent des fleurs et de la quincaillerie. Il s'agit là d'ailleurs d'un des facteurs qui contribue à soulever la colère des commerçants qui œuvrent à l'extérieur du marché.

Quoi qu'il en soit, nous pourrions définir le marché public ou marché agricole comme un circuit de vente directe entre des producteurs (agriculteurs) et des consommateurs (citadins). En principe, les marchés publics mettent en présence agriculteurs et citadins.1 C'est pourquoi l'originalité des marchés publics se caractérise par cette jonction du monde rural et du monde urbain. Comme on pourra le constater au chapitre un ainsi qu'au chapitre 3 en particulier, plusieurs écrivains et romanciers québécois ont dépeint des scènes de marchés où ils mettent en parallèles le monde rural et le monde urbain. Dans un texte savoureux, intitulé «Toute la campagne est entrée dans la ville», Clément Marchand décrit le marché de Trois-Rivières tel qu'il lui apparaissait en novembre 1939 :

1 En réalité, la recherche tendde plus à plus à démontrer cettethèse, les marchés publics au Québec ont surtout favorisé une catégoriede commerçants revendeurs, principalement les bouchers qui possédaient une association politiquement influente.

2 Clément Marchand, «Toute la campagne est entrée dans la ville», Horizon, Trois-Rivières, 1939, p. 10.

i «Elle est âprement savoureuse la poésie des ravitaillements. Elle ramène les esprits aux choses essentielles, aux grandes réalités concrètes qui supportent le fragile échafaudage de l'existence. Les nerfs délicats se trouvent à vif. Les ressources du choix se désemparent. On a devant soi les productions invincibles du sol et de la mer. Éternels recommencements d'un monde qui ne pourra jamais changer dans son fond essentiel.

Jour de marché, toute la campagne est entrée dans la ville.»2

S'offre donc comme toile de fond à l'ethnologue qui observe ces échanges économiques et sociaux sur la place du marché le tableau de la tradition en relation constante avec la modernité. Aussi, il semble que l'observation de cette dynamique (Tradition/Modernité) puisse notamment expliquer le renouveau des marchés publics que l'on observe depuis quelques années.