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LA TRADITION DES MARCHÉS PUBLICS AU QUÉBEC

2 Le Constitutionnel, 17 août 1874.

3Jocelyne Murray, Les marchésde Trois-Rivières :étudede sociabilité urbaine, 1850-1900,

Université du Québec à Trois-Rivières, 1987, pp. 127-128.

En 1848, la ville de Trois-Rivières accueille des forains sur le marché à foin.2 Partisane, compétitive, la foule rassemblée sur les places de marché devient soudain détendue, charmée. Des spectacles de tous genres captivent son intérêt. Tous se réjouissent du passage d'amuseurs publics en ces lieux. Une kyrielle d'artistes itinérants et de saltimbanques s'arrêtent en cours de tournée à Trois-Rivières : des musiciens ambulants arpentent les rues et les places publiques, des forains y installent leurs manèges et autres distractions, des cirques y montent leur chapiteau tout au long de la belle saison.

(...)

Ces cirques avec leurs acrobates, leurs clowns et leurs animaux exotiques s'installent à différents endroits au cœur de la ville mais certains de plus grande dimension exigeront un autre emplacement. «Le Grand Cirque de la République» ou celui de Sam Cole, «seul propriétaire d'un cirque qui n'apporte pas un centin en dehors du Canada», se retrouvent volontiers au marché à foin. Parfois, un simple carroussel y fonctionnera pendant quelque temps attirant les enfants de la ville.3

L'utilisation de matériaux plus résistants comme la pierre et la brique au cours de la seconde moitié du XIXe siècle permet d'édifier des édifices présentant deux étages. Ce qui amène les architectes à réserver un espace assez important pour y aménager des salles publiques. Ces salles polyvalentes qui servaient aussi bien à réunir l'assemblée du Conseil municipal qu'à accueillir des troupes de théâtre furent fort populaires. Plusieurs marchés disposaient de telles salles. Mentionnons simplement le marché Bonsecours de Montréal, le marché Jacques-Cartier de Québec, le marché public de Trois-Rivières et le marché de Saint-Hyacinthe. On y tenait parfois des bazars, des fêtes populaires et des spectacles. Certaines salles publiques furent réaménagées au début du siècle en salle de cinéma. Ce fut le cas notamment de la halle de Saint-Jérôme qui fut transformée pour devenir le «Théâtre Diana». «Il y eut

aussi à cet endroit des assemblées politiques, des parties de cartes, des soirées de danses canadiennes, la râfle de dindes des Chevaliers de Colomb. Bref, le marché et sa place publique constituaient d'importants pôles d'attraction dans la ville.»1

1 Claude Bourguignon, Les marchés de Saint-Jérôme, Université du Québec à Trois-Rivières 1985, p. 68.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les municipalités voient donc dans les marchés publics une vocation culturelle. C'est ainsi que l'on aménage des salles publiques destinées aux spectacles et au divertissement. Ainsi, par exemple, la ville de Québec consacre pour la première fois en 1857 le second plancher du marché Jacques-Cartier dans le quartier Saint-Roch à une vocation culturelle.

«Par ailleurs, l'étage supérieur de la halle est éclairé par une série de trente-deux fenêtres cintrées de 4 pieds de largeur sur 12 pieds de hauteur. Les colonnes de la grande salle publique sont alignées avec le centre des trumeaux. Un troisième niveau est aménagé au- dessus de la petite salle de l'étage supérieur de la halle. Cette partie des combles devait être divisée en deux afin d'y aménager des chambres.

La halle est coiffée d'un toit en fer blanc à quatre versants avec un débord de 3 pieds tout autour de la halle. La hauteur totale de la halle atteint à la ligne faîtière près de 48 pieds. Quatre cheminées couvertes de fer blanc dépassent d'au moins 9 pieds le dessus de la couverture. De plus, deux petites lucarnes à chacune des extrémités du toit éclairent les combles. L'ornementation du volume extérieur et de l'espace intérieur, notamment celle de la salle d'assemblée publique, est particulièrement soignée. (...) Mais c'est surtout l'espace intérieur de la grande salle d'assemblée qui possède une riche ornementation:

Le deuxième étage sera voûté en plâtre avec corniche et centre enrichi. Les galeries seront supportées sur des colonnes de fonte flûtée posées au centre des trumeaux et pareilles à celles de la halle musicale. Les colonnes qui supporteront la voûte seront en bois et d'ordre toscane. Le devant des galeries sera en fer coulé, représentant des scrolles ou fleurons semblables à la halle musicale avec toutes les moulures nécessaires... Il sera posé trois rosettes

de 5 pieds avec crochets au centre de la voûte pour suspendre les lustres et ornés.»1

' RogerChouinard, «Analyse de l'évolution architecturale des halles de marché delaville de Québec au cours du XIXe siècle», Québec, Université Laval, mémoire de maîtrise en architecture 1981, pp. 128-137.

2 A. Drolet, (1967), Lavillede Québec- Histoire municipale III, 1833-1867, Québec: S.H.Q., p. 82 tiré de RogerChouinard, «Analyse de l'évolution architecturale des halles de marché de la ville de Québec au cours du XIXe siècle», Québec, Université Laval, mémoire de maîtrise en

architecture 1981, pp. 128-137.

3 RogerChouinard, «Analyse de l'évolution architecturale des halles de marché de lavillede Québec au cours duXIXe siècle», Québec, Université Laval, mémoire de maîtriseen architecture 1981, pp. 128-137.

Une superficie plus qu'enviable ainsi qu'une structure multifonctionnelle confèrent à la halle Jacques-Cartier de nombreuses possibilités. Ainsi, pour la première fois, une halle de marché alliera fonction socio-économique à fonction socio-culturelle et récréative. En effet, la halle Jacques-Cartier mettra à la disposition des citoyens du faubourg Saint-Roch une salle spacieuse où seront présentés des divertissements.

«Elle (la halle) contenait une salle qui servait pour des réunions et des fêtes et où eut lieu le grand bal donné en 1860 à l'occasion de la visite à Québec du Prince de Galles.»* 2

Grâce à sa grande salle, véritable innovation architecturale, «la halle Jacques- Cartier devient le centre de la vie socio-économique et culturelle du faubourg Saint Roch et des quartiers environnants.»3

Ces nouvelles salles publiques logées au second étage des marchés répondaient à un besoin certain. Les demandes pour utiliser ces salles étaient de tout ordre. Elles servaient principalement de salle de réunion pour les conseils municipaux et de salle de spectacle. Il semble d'ailleurs qu'elles servaient de lieu de rassemblement pour les assemblées politiques et religieuses. Il arrivait aussi que les conseillers ne s'entendaient pas sur la vocation de ces salles publiques. Ainsi à Saint-Jean-sur-le-Richelieu, le conseil était divisé en 1859 sur l'utilisation des locaux de la Place du Marché :

(...) la question de l'utilisation des locaux de la Place du Marché fut l'objet de nombreuses discussions. Les conseillers ne s'entendaient pas sur les activités que les autorités municipales pouvaient admettre ou refuser. Par exemple, certains ne voulaient

pas voir se tenir d'assemblées politiques ou religieuses. Ceux-ci estimaient que l'édifice devait être réservé uniquement aux bouchers.

Les autres étaient d'avis contraire, et ce, probablement par soucis de rentabilité. Cette dernière alternative fut appuyée par la majorité du conseil à la suite d'un amendement survenu le 8 février 1859. C'est ainsi qu'on établit différentes catégories de prix, dépendant du genre d'activités qui devaient avoir lieu (Bazar, 4 piastres; concert 5 piastres etc...) Cette fois encore, un comité était désigné pour s'occuper de la bonne marche des transactions.

11 est à noter enfin, qu'à cette époque, le 8 avril 1859, le hall d'entrée de la Place du Marché était utilisé pour les séances du conseil de la ville.1

1 Michel Lanciault, coord., Découvrons Saint-Jean ville historique,

dossier34, Gouvernement du Québec, M.A.C., Dir. gén. du Patrimoine, avril 1978, pp. 185-186.

2 Denise Rodrigue, Le cycle de Pâques au Québec et dans l'Ouest de la France,

Québec, P.U.L., 1983, pp. 237-238.

Le marché était aussi le théâtre de coutumes et de traditions populaires particulières. Ainsi, la période de Pâques a toujours été particulièrement colorée sur les marchés publics. De manière à souligner la fin de Carême, les bouchers décorent leurs pièces de viande :

Pour exprimer sa joie de Pâques, on s'ingénie à trouver des moyens de l'extérioriser. Les fleurs, en particulier les roses, parent les jambons et la tête des chevaux. Il suffit de consulter les journaux du XIXe siècle pour apprendre que "les marchés" du temps rivalisaient d'imagination afin de se donner un air pascal. En 1897, des reporters du journal la Presse visitèrent les marchés Bonsecours, Saint-Jacques, Saint-Jean-Baptiste, Saint-Antoine, Saint-Laurent et en informèrent leurs lecteurs. Chaque étal est décrit tel qu'il se présentait aux visiteurs. Au marché Bonsecours, aux étaux 18, 20 et 22 «on y voit parmi un fouillis de roses de toutes sortes deux génisses de 850 livres, 12 veaux, 15 agneaux, 12 moutons, etc.» (...)

Au marché Saint-Laurent «toutes les allées sont pavoisées de tentures, drapeaux, fleurs, inscriptions». Au marché Saint- Jacques, à l'étal n° 1, «sur cette murailles de viandes, sont semées à profusion des roses et des pensées dont les couleurs vives produisent un très bel effet».2

Au tournant du siècle, les bouchers avaient également l'habitude de décorer leurs voitures de fleurs pour Pâques.1

1 Denise Rodrigue, Le cycle de Pâques au Québec et dans l'Ouest de la France,

Québec, P.U.L., 1983, p. 238.

2 J.-Alide Pellerin, Yamachiche et son histoire 1672-1978, Trois-Rivières, Éditions du Bien public, 1980, p. 533.

3Certaines personnesde Trois-Rivières surnommaient le frère Léon, le"petit frère aux œufs". Cette coutume était toujours populaire dans les années 1950. Elle est disparue au début des années 1960. À la même époque, disparaissait une coutume tout aussi significative : le Vendredi-Saint à trois heures on cessait toutes les activités sur le marché et on récitait le chapelet :

C'était l'époque où les gens du marché avaient pris la pieuse habitude de réciter le chapelet en commun, le Vendredi-Saint après-midi tout en pourvoyant aux besoins de leur clientèle (pratiques). Mais pour d'autres, aller au marché était une occasion d'ivrognerie et de dissipation désordonnée d'argent gagné péniblement; l'hôtel St-Louis et la Commission des Liqueurs ont réalisé de bonnes affaires avec la clientèle du marché.2

Au marché de Trois-Rivières, c'est le frère Léonce, frère quêteur de la communauté des Franciscains, qui récitait le chapelet le Vendredi-Saint. Les plus anciens commerçants que j'ai rencontré se rappellent avec nostalgie de cette époque et regrettent que cette pratique ait disparue. Elle révèle à tout le moins le caractère traditionnel des marchés.

Jusqu'au début des annes 1960 on retrouvait sur les marchés publics une coutume fort ancienne. La plupart des communautés religieuses délégaient un ou des individus pour quêter de la nourriture sur le marché. Ainsi, à Trois- Rivières, par exemple, le frère quêteur3 de la communauté des Franciscains était posté en permanence à l'entrée de la halle. Il s'installait là avec un grand panier et les gens donnaient ce qu'ils voulaient. Il semble, d'après les enquêtes ethnographiques, que le frère quêteur n'acceptait pas d'argent. Lorsque quelqu'un voulait donner de l'argent, il pouvait acheter ce qui manquait dans le panier.

Lorsque l'on observe attentivement l'évolution des halles de marché au cours du XIXe siècle, on s'aperçoit que cette évolution est due en grande partie à l'organisation spatiale des étaux de bouchers. Les principaux changements ont pour but d'améliorer la qualité et l'efficacité du service d'approvisionnement en viande tout en protégeant les consommateurs contre les rigueurs climatiques.1

1 RogerChouinard, Analyse de l'évolution architecturale des hallesde marché de la ville de Québecau cours duXIXe siècle, université Laval, 1981, p. 233.

Tout au long du XIXe siècle, la place du marché demeure l'un des espaces publics les plus dynamiques et les plus vivants des centres urbains. On s'y rassemble bien sûr pour y acheter des fruits, des légumes, de la viande, du poisson, du foin ou tout simplement du bois de chauffage, mais on s'y retrouve parce que la place du marché, c'est aussi le cœur de la ville.

INVENTAIRE

DES

MARCHÉS PUBLICS