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Les problèmes posés à la gouvernance par l’adaptation aux changements

PARTIE I : L’adaptation aux changements climatiques et le droit : barrières et

CHAPITRE 2 : Les barrières de l’adaptation aux changements climatiques

2.2 Les problèmes posés à la gouvernance par l’adaptation aux changements

L’action en ACC a des ramifications dans de nombreux domaines, tous affectés différemment. En même temps, ses objectifs, ses moyens et ses processus sont peu définis83. Selon le GIEC, la gouvernance, plus que l’état des connaissances, serait responsable de la lenteur de la mise en œuvre de l’adaptation84. Même si de nombreux auteurs mettent en exergue les difficultés existantes ou présumées de l’intégration de l’ACC au droit, ce dernier est reconnu comme facilitateur de l’ACC. Il permet de clarifier les obligations des acteurs, les devoirs des institutions ainsi que les droits existants et, en ce sens, en facilite la gouvernance. Néanmoins, trois facteurs sont particulièrement notés comme des barrières en matière de gouvernance : la complexité de l’adaptation, la vision à long terme que sa mise en œuvre nécessite ainsi que la fragmentation de l’action à travers de nombreux acteurs.

2.2.1 La fragmentation et la complexité de l’action en adaptation aux changements climatiques

L’ACC touche divers sujets, allant de l’environnement à la santé en passant par le tourisme et l’agriculture. De plus, plusieurs ordres de gouvernement peuvent être compétents pour encadrer la préparation aux impacts prévus. Ce faisant, il s’agit d’un enjeu pour lequel il y a fragmentation administrative85 et qui rend difficile la coordination des différents

83 Catrien Termeer et al, « The Regional Governance of Climate Adaptation: A Framework for Developing

Legitimate, Effective, and Resilient Governance Arrangements » (2011) 2:2 Climate L 159. Voir aussi le Chapitre 1, dans lequel nous soulignons l’absence de définition universelle pour plusieurs concepts aux cœur de l’ACC.

84 Caroline J Uittenbroek, Leonie B Janssen-Jansen et Hens A C Runhaar, « Mainstreaming Climate

Adaptation into Urban Planning: Overcoming Barriers, Seizing Opportunities and Evaluating the Results in Two Dutch Case Studies » (2012) 13:2 Regional Environmental Change 399 à la p 400.

85 Gerrard et Kuh, supra note 73 à la p 22; Daniel Henstra, « Climate Adaptation in Canada: Governing a

acteurs86. Des chevauchements entre des actions les diverses entités administratives et des acteurs privés se créent et dédoublent le travail accompli87.

Dans certains cas, il peut même se créer un certain relâchement quant au désir de poser des actions concrètes. C’est à cette possibilité que le professeur William W. Buzbee s’est attardé il y a quelques années. Dans un texte publié en 2003, il défend l’idée que, contrairement à la croyance populaire, un contexte sociopolitique multiscalaire avec des ramifications politiques complexes ne crée pas automatiquement de surréglementation, mais peut plutôt mener à une absence de réglementation88. Selon lui, une multitude d’acteurs ou de régulateurs compétents ne crée pas de surréglementation généralisée89 puisque chacun n’est pas encouragé à agir afin de s’attaquer à la problématique. L’absence de blâme et les coûts importants lorsqu’on est le premier à agir sont identifiés pour expliquer l’inaction90. Il utilise entre autres les exemples de l’urbanisation et de la lutte contre les changements climatiques afin d’illustrer son point de vue91.

Si nous abordons cette théorie ici, c’est parce qu’elle apparaît comme tout à fait applicable aux problèmes de gouvernance de l’ACC92. En effet, il s’agit d’un sujet comprenant de vastes chevauchements en matière de compétences et de pouvoirs d’action, ce qui favorise l’inaction. Les pouvoirs en matière d’adaptation et de prévention des inondations aux niveaux fédéral, provincial et municipal seront discutés au Chapitre 4, mais c’est sans surprise que nous y constaterons que leurs pouvoirs se chevauchent. Le risque d’inaction est donc présent.

Une difficulté qui s’ajoute à l’ACC si on compare à l’atténuation est celle de la conception de suivi des programmes. L’atténuation est marquée par un objectif assez simple : diminuer les émissions de GES. Afin d’atteindre cet objectif, on calcule nos émissions et on trouve

86 IPCC, supra note 21 à la p 916. 87 Gerrard et Kuh, supra note 73 à la p 22.

88 William W Buzbee, « Recognizing the Regulatory Commons: A Theory of Regulatory Gaps » (2003) 89:1

Iowa L Rev 1.

89 L’auteur ne nie toutefois pas qu’il peut y avoir surrèglementation. Il croit toutefois que celle-ci est ciblée

et non pas étendue : Ibid aux pp 47‑48.

90 Ibid aux pp 31‑33. 91 Ibid aux pp 10‑14.

92 Cette opinion est partagée par Alejandro Camacho, « Adapting Governance to Climate Change » (2009)

des initiatives afin de les réduire. L’évaluation du succès des initiatives se fait ensuite en s’assurant que les émissions ont bel et bien diminué. Malgré la relative simplicité de l’objectif à atteindre, la mise en place d’outils ou de lois en matière d’atténuation des émissions de GES s’est révélée plus difficile qu’il n’y paraissait à première vue93. En matière d’ACC, l’objectif lui-même n’est pas simple. Que veut-on adapter ? Que veut-on protéger ? L’adaptation « renvoie à de nouveaux enjeux et concepts difficilement mesurables et ne faisant pas toujours consensus »94. Or, afin de s’assurer qu’il y a adaptation, mais aussi absence de maladaptation, ce suivi est crucial. Pour l’instant, les décideurs publics prennent des décisions non seulement en devant composer avec l’incertitude, mais aussi sans savoir comment ils pourront effectuer un suivi adéquat.

2.2.2 Le choix de l’adaptation aux changements climatiques

Un autre thème souvent mentionné en ce qui concerne l’ACC est celui des questions éthiques qui y sont liées. Un exemple bien connu en cette matière est celui des pays ayant peu contribué aux émissions de GES qui subissent une partie trop grande des impacts. Cet exemple qui illustre la division entre les pays dits développés et ceux dits en voie de développement n’est toutefois pas le seul. Au sein d’un même État, des questions éthiques surgissent, puisqu’une certaine partie de la population est moins bien équipée pour mettre en branle une démarche d’adaptation. En fait, les impacts des changements climatiques mettent en relief les inégalités déjà existantes. Ces inégalités accroissent aussi la vulnérabilité de certains groupes aux effets des changements climatiques95.

Autre problème de gouvernance souvent noté par les auteurs, les conflits et intérêts divergents entre les diverses parties prenantes touchées par les impacts des changements climatiques96. L’ACC ayant des ramifications étendues à plusieurs domaines, chaque décision peut avoir des conséquences à l’extérieur de la problématique envisagée et

93 Craig, supra note 30 à la p 28.

94 Lamari, Jacob et Sawadogo, supra note 40 à la p 27.

95 Dewald van Niekerk, « Climate Change Adaptation and Disaster Law » dans Jonathan Verschuuren, dir,

Research Handbook on Climate Change Adaptation Law, Cheltenham, Edward Elgar Pub, Inc, 2013, 142 à

la p 142.

96 Voir par exemple Lauren Hartzell-Nichols, « Responsibility for Meeting the Costs of Adaptation » (2011)

avantager ou désavantager certains groupes. Ces conflits existent même sans les changements climatiques, mais sont exacerbés par le contexte actuel97.

De plus, on ne doit pas oublier que, en plus de la perception du risque, les objectifs en matière d’ACC sont fortement influencés par les valeurs des décideurs98. Des ressources consacrées à diminuer les risques d’inondation, ou à augmenter la résilience des personnes pouvant être touchées sont des ressources qui ne peuvent pas être mises ailleurs, par exemple afin de lutter contre les îlots de chaleur ou de protéger un écosystème. La perception des risques qu’ont les décideurs publics et leurs valeurs fondamentales deviennent alors extrêmement importantes. Cela inclut le droit puisqu’il est le produit des valeurs sociales dans lequel il nait99.

2.2.3 L’échelle temporelle de l’adaptation aux changements climatiques

L’ACC commande, à l’instar de l’atténuation, des solutions à long terme. Certes, certaines décisions peuvent avoir un effet immédiat, comme l’installation de climatiseurs pour réduire les impacts de la chaleur. Toutefois, dans leur globalité, les solutions pour favoriser l’adaptation doivent être élaborées en considérant cet aspect temporel. Or, des décisions susceptibles d’avoir un effet positif à long terme peuvent être coûteuses à court terme et ainsi être impopulaires. Comme le souligne Holly Doremus :

Temporal distance between action and environmental effect plays into reluctance to accept immediate and obvious costs in order to prevent longer- term and probabilistic risks. Uncertainty gives us room for wishful thinking, allowing us "to underestimate the seriousness of problems, to overestimate the effectiveness of efforts to solve them, and to assume that the future will make them easier to solve" 100.

Cela constitue un frein à la mise en œuvre de mesures d’adaptation. À ce sujet, l’ACC se trouve face au même problème auquel est confrontée l’atténuation. Cette dimension de la lutte aux changements climatiques a, même si elle est discutée depuis longtemps, toujours

97 Hartzell-Nichols, supra note 96 à la p 687.

98 Ibid à la p 689; McDonald, supra note 71 à la p 288. 99 IPCC, supra note 21 à la p 926.

été confrontée au fait que les effets négatifs paraissent trop éloignés dans le temps pour que soit perçue la nécessité d’agir maintenant.

Le principe d’équité, dont fait partie l’équité intergénérationnelle, est au cœur de l’ACC101. Même s’il est présent depuis longtemps en matière de gouvernance des changements climatiques, le constat actuel est peu reluisant. Selon Michael Mehling, professeur au Massachussetts Institute of Technology, « current political and economic decision-making cycles are notorious for being myopic and providing little incentive for anticipatory governance or foresight» [référence omise]102. Pourtant, non seulement agir aujourd’hui est indispensable afin d’assurer l’adaptation, mais « it is highly likely that governments will be required to bear the majority of risks under conditions of greater uncertainty and enhanced probability of flooding »103. Les décisions remises à demain parce que jugées trop coûteuses, que ce soit économiquement ou politiquement, n’en deviennent que plus onéreuses au fil du temps104.

S’agissant d’ACC, l’opposition entre l’incertitude liée aux changements climatiques et la stabilité requise par le droit, la complexité et la fragmentation de l’action en la matière, les questions éthiques qui y sont relatives, ainsi que l’échelle temporelle sur laquelle elle s’opérationnalise sont autant de barrières à sa mise en œuvre. Nous n’avons pas la prétention d’avoir recensé toutes les barrières existantes. Il s’agissait plutôt d’identifier les plus communément mentionnées en ce qui concerne l’adaptation par le droit. Le prochain chapitre permettra de constater que les principales solutions proposées dans la littérature portent sur l’incertitude, ainsi que sur la complexité et la fragmentation.

101 Peter P J Driessen et Helena FMW van Rijswick, « Normative Aspects of Climate Adaptation Policies »

(2011) 2 Climate Law 559 à la p 365.

102 Michael Mehling, « Implementing Climate Governance: Instrument Choice and Interaction » dans

Michael Mehling, Herkki J Hollo et Kati Kulovesi, dir, Climate Change and the Law, New York, Springer, 2013, 11 à la p 15.

103 Lee Godden et Anthony Kung, « Water Law and Planning Frameworks Under Climate Change

Variability: Systemic and Adaptive Management of Flood Risk » (2011) 25:15 Water Resources Management 4051 à la p 4056.

104 Ce phénomène d’accroissement des coûts est aussi lié au fait que les solutions les moins coûteuses sont

privilégiées en premier, voir Driessen et van Rijswick, supra note 101 à la p 364; Mehling, supra note 102 à la p 15.

CHAPITRE 3 : Les solutions avancées pour une meilleure cohabitation