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PARTIE II : L’intégration de l’adaptation aux changements climatiques au droit

CHAPITRE 6 : La Loi sur la qualité de l’environnement et l’adaptation au

6.1 La Loi sur la qualité de l’environnement : un exemple d’intégration récente de

6.1.2 Le régime d’autorisation environnementale actuel et à compter du

6.1.2.1 L’octroi du certificat d’autorisation

L’interdiction de polluer de l’article 20 est la « clé de voute » de la LQE304. Cette disposition comporte trois prohibitions distinctes : l’interdiction de polluer sauf en conformité avec la quantité ou la concentration fixée par règlement, la prohibition du rejet de contaminants déterminés par règlement et, en l’absence de règlement ou de prohibition, la prohibition de rejeter un contaminant qui est notamment « susceptible de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l’être humain ». Il a clairement

300 Pierre-André Côté, Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd, Montréal, Thémis,

2009 à la p 74.

301 Roach, supra note 298 à la p 153. Voir par exemple Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville),

[2015] 2 RCS 3, 2015 CSC 16 aux paras 144‑149.

302 Côté, Beaulac et Devinat, supra note 300 à la p 74; Roach, supra note 298 à la p 153. 303 Côté, Beaulac et Devinat, supra note 300 aux pp 72‑75.

été établi par la Cour d’appel du Québec que lorsqu’un contaminant est réglementé et rejeté conformément aux limites en vigueur, le deuxième alinéa in fine ne peut pas être utilisé afin de court-circuiter cette autorisation en invoquant par exemple le « confort de l’être humain »305. Dans la nouvelle version de l’article, les énumérations « émettre, déposer, dégager ou rejeter » et « à l’émission, au dépôt, au dégagement ou au rejet », autrefois présentes, ont été éliminées et remplacées tout simplement par « rejeter »306.

L’article 20 ne mentionne pas l’ACC, tant dans son ancienne que dans sa nouvelle version. Comme cette disposition a pour but de prohiber de manière générale la pollution, il ne s’agit pas de l’endroit approprié pour y insérer cette préoccupation307. L’article qui articule ce contrôle et qui est considéré comme son pendant nécessaire308 est à notre avis un endroit plus susceptible de présenter la préoccupation de l’ACC. Dans la LQE, le régime d’autorisation est énoncé à l’article 22309, dont nous reproduisons les deux premiers paragraphes :

22. Nul ne peut ériger ou modifier une construction, entreprendre l’exploitation

d’une industrie quelconque, l’exercice d’une activité ou l’utilisation d’un procédé industriel ni augmenter la production d’un bien ou d’un service s’il est susceptible d’en résulter une émission, un dépôt, un dégagement ou un rejet de contaminants dans l’environnement ou une modification de la qualité de l’environnement, à moins d’obtenir préalablement du ministre un certificat d’autorisation.

Cependant, quiconque érige ou modifie une construction, exécute des travaux ou des ouvrages, entreprend l’exploitation d’une industrie quelconque, l’exercice d’une activité ou l’utilisation d’un procédé industriel ou augmente la production d’un bien ou d’un service dans un cours d’eau à débit régulier

ou intermittent, dans un lac, un étang, un marais, un marécage ou une

305 Alex Couture inc c Piette, [1990] RJQ 1262 (CA). Il était question dans cette affaire d’odeurs émises par

une usine d’équarrissage qui importunaient les résidents du secteur.

306 Loi modifiant la LQE (2017), supra note 290, art 16.

307 L’article 20 in fine comporte selon la professeure Hélène Trudeau certains aspects du principe de

précaution : Hélène Trudeau, « La précaution en cas d’incertitude scientifique : une des interprétations possibles de l’article 20 in fine de la Loi sur la qualité de l’environnement ? » (2002) 43:1 C de D 103.

308 Daigneault, Paquet et Gosselin, supra note 228 au para ¶45-120, 9,057.

tourbière doit préalablement obtenir du ministre un certificat d’autorisation.

[nos italiques]310

Lorsque les projets sont réalisés dans des milieux hydriques, il est donc nécessaire d’obtenir préalablement un certificat d’autorisation311, à moins de bénéficier d’une des exceptions prévues par règlement312. Lorsque les projets ont lieu dans la rive ou la plaine inondable, il ne s’agit pas d’un milieu hydrique et le besoin d’obtenir un certificat d’autorisation n’existe que si un rejet d’un contaminant ou une modification de la qualité de l’environnement sont susceptibles d’en résulter. D’autres restrictions peuvent néanmoins s’appliquer, notamment les exigences de la Politique de protection des rives313. L’article 22, tant dans son ancienne que sa nouvelle version ne mentionne pas l’ACC mais, en offrant une protection aux milieux hydriques dont font partie les milieux humides, il protège des écosystèmes reconnus comme assurant une protection contre les inondations, sans compter les autres services écologiques qu’ils rendent314. L’article 22 est donc une solution « sans regret », même si elle n’est pas le résultat d’une planification en matière d’ACC. Il reste à voir si la nouvelle version de l’article mettra en place une protection réelle de ces milieux. En effet, un article paru en 2016 fait état de la perte ou de la perturbation de nombreux milieux, et ce, malgré le processus d’autorisation environnementale315. La

Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques introduit par ailleurs, à

compter du 23 mars 2018, une section dédiée aux milieux humides et hydriques à la LQE. Les nouvelles dispositions mentionnent notamment l’importance de la gestion intégrée dans de tels milieux et l’objectif d’éviter les pertes de milieux humides et hydriques316.

310 LQE, supra note 72, art 22. La demande doit satisfaire aux dispositions du Règlement relatif à

l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ Q-2, r 3.

311 La Cour d’appel écrit qu’il s’agit d’une formalité « automatique » : Marcoux c Directeur des poursuites

criminelles et pénales, 2015 QCCA 1119 au para 87; Filion c Vallée-du-Richelieu (Municipalité régionale de comté de la), 2005 QCCA 385 au para 27.

312 Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, supra note 310. Voir par

exemple les article 1(2) et 3(3) qui concernent les travaux miniers ou relatifs au pétrole et au gaz. Les forages ou les sondages stratigraphiques sont interdits dans les zones de grand courant ou si les zones de grand et faible courant ne sont pas distinguées : Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection, RLRQ c Q-2, r 35.2, art 32.

313 Voir la section 6.2 de ce chapitre. 314 Poulin et al, supra note 261 à la p 652.

315 Poulin et al, supra note 261. L’analyse sur laquelle se basent les auteurs a été réalisée uniquement avec

les permis délivrés sous l’article 22. Elle exclut les autorisations de l’article 31.5 LQE.

En ce qui concerne l’article 24, il vient préciser les devoirs du ministre dans l’évaluation des demandes de certificat d’autorisation qui lui sont présentées. La version en vigueur avant le 23 mars 2018 prévoit que le ministre doit « s’assurer que l’émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet de contaminants dans l’environnement sera conforme à la loi et aux règlements » avant la délivrance du certificat d’autorisation de l’article 22. Le nouvel article 24 diffère et son deuxième alinéa prévoit que, dans l’analyse des impacts sur la qualité de l’environnement d’un projet, « [l]e ministre peut également prendre en considération les risques et les impacts anticipés des changements climatiques sur le projet

et sur le milieu où il sera réalisé, les mesures d’adaptation que le projet peut nécessiter

ainsi que les engagements du Québec en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre »317 [nos italiques]. Le ministre est conséquemment libre de considérer les impacts des changements climatiques ou non318.

L’introduction explicite de la préoccupation des impacts des changements climatiques et des engagements de la province en ce qui concerne l’atténuation des émissions de GES est une nouveauté qui démontre que ces problématiques sont pertinentes dans le cadre du régime d’autorisation environnementale. De plus, la présence au nouvel article 24 de la préoccupation de l’impact de l’environnement sur le projet et non plus seulement de l’impact du projet sur l’environnement est conforme aux solutions avancées dans la littérature319. Néanmoins, comme plusieurs intervenants, dont le Barreau du Québec, l’ont souligné lors des consultations parlementaires ayant mené à l’adoption de la Loi modifiant

la LQE (2017), l’article 24 comprenait auparavant l’obligation pour le ministre de prendre

certains éléments en considération et sera remplacé par une nouvelle version qui en élimine l’aspect obligatoire. Ce faisant, les sujets mentionnés au deuxième alinéa ne sont que des suggestions

317 Loi modifiant la LQE (2017), supra note 290, art 16.

318 Sur le pouvoir discrétionnaire, voir Patrice Garant, Philippe Garant et Jérôme Garant, Droit administratif,

7e édition, Montréal, Québec, Canada, Éditions Yvon Blais, 2017 aux pp 198‑199; Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale : précis de droit des institutions administratives, 3e éd, Cowansville, Québec, Éditions Yvon Blais, 2009.

Malgré l’avancée que représente la mention de l’ACC à l’article 24, celle-ci est contrecarrée par l’absence d’obligation du ministre d’en tenir compte. Tel que l’a souligné le Barreau du Québec dans son mémoire qui porte sur la Loi modifiant la LQE (2017), le retrait de l’obligation « a pour conséquence de déresponsabiliser le ministre sur le plan juridique »320. La raison invoquée pour justifier la suppression de l’obligation du ministre est celle d’octroyer plus de flexibilité au processus d’autorisation321. Bien que la flexibilité soit souvent mentionnée dans la littérature juridique, si nous prenons l’exemple des recommandations de Robin K. Craig en ce qui concerne la protection des ressources naturelles, elle affirme que même si les moyens doivent être flexibles, ils doivent s’inscrire dans un objectif très clair de protection322. Il ne serait donc pas, à notre avis, contradictoire de baliser le pouvoir discrétionnaire du ministre en gardant l’obligation dans la loi de s’assurer de la conformité du projet avec la loi et les règlements en vigueur et d’y ajouter certains éléments à considérer, dont l’ACC. Une telle obligation renforcerait de surcroît la

Loi sur le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, qui

prévoit que le « ministre est chargé d’assurer la protection de l’environnement et de veiller à la conservation du patrimoine naturel »323.