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PARTIE I : L’adaptation aux changements climatiques et le droit : barrières et

CHAPITRE 3 : Les solutions avancées pour une meilleure cohabitation de

3.2 Établir des principes juridiques flexibles

Une autre solution est celle d’introduire dans le droit des principes qui permettent d’en accroître la flexibilité. Bien que plusieurs auteurs aient écrit sur le sujet, la réflexion semble généralement découler d’un texte publié en 2010 intitulé « “Stationarity is dead” - long live transformation: five principles for climate change adaptation law » et écrit par la professeure américaine Robin K. Craig129. Elle appuie sa réflexion sur un texte publié dans

Nature peu de temps avant et qui avait en quelque sorte jeté un pavé dans la marre en

affirmant que la gestion de l’eau devait être revue, les changements climatiques bouleversant les méthodes actuelles et les rendant inadéquates130. En se basant sur ce postulat et sur la dissonance droit-stabilité et changements climatiques-incertitude, elle conclut que

[…] the new paradigm for environmental and natural resources law in an era of climate change adaptation must be to increase the continuing capacity of the natural world, human society, socio-ecological systems, and legal institutions to adjust to continual transformation. In other words, the overall goal of climate change adaptation law should be to increase humans’, the other species’, society’s, and ecosystems’ adaptive capacity131. [référence omise, italiques dans le texte]

Elle suggère à cet effet cinq principes pour guider le droit de l’adaptation aux changements climatiques. Bien que sa réflexion soit principalement basée sur le domaine du droit de l’environnement et de la conservation des ressources naturelles, les changements qu’elle propose vont plus loin que ces seuls sujets132, d’où leur intérêt pour nous. Avant de passer à leur examen, il importe de souligner que l’auteure dont il est question ici utilise non pas la nécessité d’accroître la résilience comme prémisse de départ, mais bien d’améliorer la

128 Ibid.

129 Craig, supra note 30. 130 Milly et al, supra note 75. 131 Craig, supra note 30 à la p 39. 132 Ibid à la p 18.

capacité d’adaptation. Comme nous le verrons, cela ne signifie pas pour autant que la résilience n’est pas pertinente.

Le premier principe est qu'il est nécessaire d’avoir des informations justes et contemporaines sur les impacts attendus des changements climatiques, mais aussi sur le système même que l’on cherche à gouverner, que ce soit un écosystème à l’état naturel ou un milieu anthropisé comme une ville133. Les connaissances et leur développement sont considérés comme essentiels pour l’élaboration de stratégies d’ACC par des acteurs importants comme le GIEC et Ouranos, ainsi que par beaucoup d’auteurs134. Cette importance semble d’ailleurs faire l’unanimité puisqu’en l’absence d’informations sur la nature et l’étendue des impacts des changements climatiques, il est plus difficile pour les décideurs, mais aussi pour les citoyens, de décider comment s’adapter135. Ce développement des connaissances doit donc être fait quant aux impacts des changements climatiques à tous les niveaux de gouvernance et de façon transversale136. Par exemple, dans un contexte d’inondation, cela signifie d’étudier les caractéristiques des inondations actuelles, y compris les caractéristiques des milieux affectés (processus écologiques, caractéristiques socio-économiques, etc.), mais aussi les effets à venir en raison des changements climatiques. Le développement des connaissances doit s’accompagner d’une surveillance. Ultimement, ces actions permettraient de vaincre les résistances initiales à l’encontre d’initiatives d’ACC, celles-ci étant alimentées par l’incertitude, quant aux impacts des changements climatiques137.

Le deuxième principe est l’élimination ou la réduction des facteurs de stress non liés aux changements climatiques et la promotion de la résilience. Pour Craig, ce principe vise les changements législatifs et réglementaires dits « sans regret ». Cette appellation provient des effets positifs que ces mesures vont avoir, peu importe quels sont les effets réels des changements climatiques. La logique derrière une telle suggestion est que l’accumulation

133 Ibid à la p 40.

134 Voir par exemple IPCC, supra note 21 à la p 840; Ouranos, supra note 9 à la p 4; Katherine M Baldwin,

« NEPA and CEQA: Effective Legal Frameworks for Compelling Consideration of Adaptation to Climate Change » (2009) 82:4 S Cal L Rev 769 aux pp 778‑780; Gerrard et Kuh, supra note 73 aux pp 24‑26; McDonald, supra note 71 à la p 289; Ruhl, supra note 7 à la p 420.

135 Craig, supra note 30 à la p 41. 136 Ibid.

de facteurs de stress rend les écosystèmes plus vulnérables et nuit à leur résilience. En tentant de diminuer les facteurs qui ne sont pas liés aux changements climatiques, ces écosystèmes développent une meilleure capacité d’adaptation. Ces stratégies sans regret incluent notamment la réduction de la pollution, qu’elle soit spécifiquement liée à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre138 ou non139. Craig recommande aussi, notamment, de réévaluer les effets des lois et règlements actuellement en place afin de s’assurer que ceux-ci n’ont pas pour effet d’encourager la maladaptation et qu’ils créent plutôt des incitatifs à l’adaptation140.

Le troisième principe, le besoin de mieux coordonner les actions des différentes parties prenantes et de planifier à long terme, fait écho aux difficultés qui existent dans le développement et la coordination lorsqu’un sujet est vaste et complexe141. Ces impératifs signifient une prise en compte des changements climatiques, tant en matière d’atténuation que d’adaptation à tous les niveaux de gouvernement142. Aussi, les gouvernements doivent s’éloigner de la recherche de solutions jugées économiquement bénéfiques seulement et plutôt mettre en place des stratégies d’adaptation qui considèrent un éventail de scénarios futurs143. Finalement, à l’instar d’autres auteurs, Craig affirme l’importance de l’intégration de la préoccupation de l’adaptation aux changements climatiques à tous les niveaux, en allant de l’international au local144.

Le quatrième principe est l’intégration de flexibilité dans les objectifs réglementaires et en matière de gestion des ressources naturelles. L’auteure reconnaît que certaines lois intègrent déjà ces principes, mais affirme que des modifications au droit peuvent être nécessaires dans les autres cas. Elle met toutefois en garde contre l’octroi d’un pouvoir

138 Voir la section 1.2 du Chapitre 1 pour une discussion plus poussée sur la relation entre l’atténuation et

l’adaptation aux changement climatiques.

139 Craig aborde notamment la pollution agricole et la qualité de l’air. 140 Craig, supra note 30 aux pp 48‑51.

141 Ibid à la p 54. 142 Ibid aux pp 57‑59.

143 Ibid à la p 59. Elle renvoie à Dan Farber, « Rethinking the Role of Cost-Benefit Analysis », (2009) 76 U

of Chi L Rev 1355.

discrétionnaire trop large, qui « ouvre toujours la porte à des abus »145. Cet objectif signifie aussi d’intégrer la gestion adaptative et de privilégier les options « sans regret »146. De plus, elle recommande aux décideurs publics de garder à l’esprit la nécessité de conserver une flexibilité décisionnelle pour le futur, en évitant de privilégier des solutions faciles qui font croire que le problème est réglé, alors que ce n’est pas le cas147. Dans son exposé sur ce principe, elle recommande fortement l’utilisation de la gestion adaptative, qui sera la sujet de la prochaine section (3.3).

Finalement, le dernier principe est d’accepter que l’ACC est souvent une expérience difficile, voire pénible. Craig l’explique comme l’acceptation de certaines pertes, tout en mettant en garde contre une attitude défaitiste qui travestirait cet objectif en acceptation de toutes les pertes. Pour nous, ce principe ancre la vision de Craig dans une adaptation transformationnelle et non pas seulement incrémentale.

En résumé, Craig suggère de continuer à étudier les impacts des changements climatiques et les effets des décisions prises en matière d’adaptation, de poursuivre la protection de l’environnement et de renforcer la coordination entre les acteurs en matière. Tout cela nécessite que les décideurs s’octroient une certaine flexibilité dans les moyens d’atteindre les objectifs d’adaptation, tout en définissant clairement ces derniers. Finalement, elle rappelle que ces démarches seront parfois difficiles et qu’une vision à long terme doit influencer les décisions d’aujourd’hui.