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La Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, un outil

PARTIE II : L’intégration de l’adaptation aux changements climatiques au droit

CHAPITRE 6 : La Loi sur la qualité de l’environnement et l’adaptation au

6.2 La Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, un outil

L’élaboration et la mise en œuvre de la Politique de protection des rives sont des obligations imposées au ministre de l’Environnement par la LQE349. Élaborée pour la première fois en 1987 et modifiée à quelques reprises depuis, la version actuellement en vigueur date de 2005. Elle intègre les prescriptions de la Convention entre le gouvernement

du Canada et le gouvernement du Québec relativement à la cartographie et à la protection des plaines d’inondation, et au développement durable des ressources en eau, dont nous

avons déjà discuté, et qui a été résiliée en 2001350.

La Politique de protection des rives ne comporte aucune mention de l’ACC ou des changements climatiques. Elle reste néanmoins pertinente à notre étude vu son impact sur l’installation des personnes et des biens dans certaines zones à risque d’inondation. Nous nous intéressons à ses effets dans ce domaine, afin de déterminer si, même sans mention de l’ACC, elle met en œuvre des normes ou des mécanismes qui peuvent favoriser l’ACC. Nous regarderons en premier lieu le statut de la Politique de protection des rives afin de déterminer quels effets juridiques elle produit (6.2.1). Ensuite, nous examinerons de quelle façon ses dispositions participent à la sécurité des personnes et des biens (6.2.2). Nous n’aborderons ses dispositions qui ont trait au territoire forestier puisque nous nous intéressons à la protection des personnes et des biens.

6.2.1 Le statut juridique de la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables

Beaucoup d’encre a coulé au fil des ans afin de débattre du statut juridique de la Politique

de protection des rives351. Bien qu’elle découle d’une obligation que la LQE impose au ministre et qu’elle ait été publiée à la Gazette officielle, elle se nomme « politique » et non pas « règlement ». Son caractère juridique a néanmoins a été reconnu par la Cour d’appel

349 LQE, supra note 72, art 2.1.

350 Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements

climatiques, supra note 79 à la p 61.

351 Jean Piette, « L’usage des politiques, des directives et des guides en droit de l’environnement » dans

Développements récents en droit de l’environnement 2007, Barreau du Québec - Service de la formation

dans Municipalité Régionale de comté d’Abitibi c Ibitiba ltée352. Malgré cette reconnaissance, la Cour d’appel souligne du même fait que la Politique de protection des

rives n’est ni une loi ni un règlement. On constate à sa lecture qu’elle ne contient aucune

disposition prévoyant des sanctions administratives, administratives pécuniaires ou pénales et qu’elle ne lie pas les justiciables353. Même si la politique n’a pas de caractère contraignant pour les particuliers, les règlements adoptés par les autorités chargées de sa mise en œuvre et qui intègrent ses exigences le sont354. Aussi, dans Marina l’Escale c

Québec, la Cour d’appel a commenté la légalité, pour le ministre, de refuser un certificat

d’autorisation en se fondant entre autres sur la Politique de protection des rives. La Cour ne répond pas directement à la question, qu’elle ne juge pas nécessaire à la résolution du litige, mais le juge Forget, qui rédige les motifs, écrit :

Je me permets néanmoins de souligner qu'il me paraît difficile de prétendre que celui-ci ne pouvait tenir compte dans l'exercice de sa discrétion, d'une politique adoptée par décret, conformément à une loi d'intérêt public, et ayant pour but d'empêcher que des dommages ne soient causés à des tiers par des inondations, entraînant ainsi des dépenses publiques dans le cadre de programmes d'indemnisation.355

La Politique de protection des rives a donc des impacts importants dans les aménagements que les citoyens peuvent réaliser et influence les décisions du ministre, même sans le statut d’un règlement contraignant.

352 Municipalité Régionale de comté d’Abitibi c Ibitiba ltée, [1993] RJQ 1061 (CA).

353 Il n’est d’ailleurs pas recommandé d’attacher une sanction au non-respect d’une politique : Morin et

Tremblay, supra note 267 à la p 114. Les auteurs rappellent qu’une telle sanction sanction doit plutôt être liée aux dispositions législatives ou réglementaires et que dans le cas d’une sanction pénale, c’est une obligation de la rattacher à de telles dispositions. Avant l’adoption de la Politique de protection des rives, du

littoral et des plaines inondables, les municipalités devaient suivre les prescriptions de la Convention entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec relativement à la cartographie et à la protection des plaines d’inondation, et au développement durable des ressources en eau : Daigneault, Paquet et

Gosselin, supra note 228 au para ¶21 000; 4,182.

354 Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, supra note 227, art 6.1; Farazli c

Neuville (Ville de), 2010 QCCA 1118 aux paras 24‑29; Perron c Chartierville (Municipalité de), supra note

228 au para 13; Piette, supra note 351 à la p 484.

6.2.2 La Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables et l’adaptation aux changements climatiques

La Politique de protection des rives a plusieurs objectifs, dont celui de « [p]révenir la dégradation et l’érosion des rives, du littoral et des plaines inondables en favorisant la conservation de leur caractère naturel » et « [d]ans la plaine inondable, assurer la sécurité des personnes et des biens »356. Elle définit la ligne des hautes eaux, la rive, le littoral et la plaine inondable357. Au sein de la plaine inondable, la Politique de protection des rives distingue la zone de grand courant et la zone de faible courant. La première « correspond à la partie d’une plaine inondable qui peut être inondée lors d’une crue de récurrence de 20 ans »358 alors que la deuxième « correspond à la partie de la plaine inondable, au-delà de la limite de la zone de grand courant, qui peut-être inondée lors d’une crue de récurrence de 100 ans »359. Au dire même de son préambule, les dispositions de la politique présentent un cadre normatif minimal. Une municipalité peut donc adopter des dispositions plus strictes360. Ce plancher normatif est applicable à tous les cours d’eau de la province361. Aussi, lorsqu’il y a superposition de la plaine inondable et d’une rive, les normes applicables s’additionnent362.

La politique comprend des dispositions qui permettent la protection des personnes et des biens de façon indirecte et directe. Premièrement, plusieurs dispositions de la politique visent à préserver les rives, le littoral et les plaines inondables. Ce faisant, elle permet de préserver les systèmes naturels de protection et ainsi d’éviter le déplacement de zones naturelles de crue des plaines inondables vers des milieux habités363. En matière d’ACC,

356 Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, supra note 227, art 1.1.

357 Ibid, art 2.1, 2.2, 2.3 et 2.4 respectivement. La ligne naturelle des hautes eaux n’est pas un concept qui

souffre d’imprécision, voir Plamondon c Saint-Raymond (Ville), 2003 CanLII 74913 (CA). Il importe de noter que la ligne des hautes eaux de la Politique de protection des rives n’est pas la même que celle de l’article 919 du CcQ : Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, supra note 79 à la p 30.

358 Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, supra note 227, art 2.5. 359 Ibid, art 2.6.

360 Perron c Chartierville (Municipalité de), supra note 228 aux paras 12‑13.

361 Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, supra note 227, art 2.8. Daigneault,

Paquet et Gosselin, supra note 228 au para ¶21 000.

362 Ministère de la sécurité publique, supra note 217 à la p 61. 363 Ibid à la p 12.

le maintien des services écologiques par la protection de l’environnement naturel doit être encouragé364.

Deuxièmement, la politique interdit en principe les constructions, ouvrages et travaux dans la rive, le littoral et la plaine inondable. Malgré cette interdiction de principe, plusieurs exceptions viennent la tempérer. De façon générale, l’entretien des constructions ou des ouvrages existants est permise365. Aussi, dans la zone de faible courant d’une plaine inondable, les ouvrages non immunisés sont interdits366. Dans la zone de grand courant, ainsi que lorsque les zones de grand et de faible courant ne sont pas distinguées, il est possible de reconstruire un bâtiment ou un ouvrage détruit par une catastrophe, à condition qu’il ne s’agisse pas d’une inondation367.

Dans l’ensemble, les grandes lignes de la Politique de protection des rives sont conformes aux suggestions faites dans la littérature de diminuer la vulnérabilité en restreignant les nouvelles installations, en les modifiant afin de diminuer le risque et en déplaçant les installations lorsque le risque devient trop grand368. Il apparaît normal que la Politique de

protection des rives respecte cette séquence puisque le risque d’inondation n’est pas apparu

avec les changements climatiques. Quant aux exceptions prévues, il importe de rappeler qu’après tout, bien que la Politique de protection des rives soit utilisée afin de réglementer l’utilisation du sol, elle a surtout été créée afin de protéger certains écosystèmes369.

En matière d'ACC, la plus importante faille de cette politique est toutefois qu’elle ne la prend pas explicitement en considération et, surtout, que les données utilisées afin de

364 Barbara Cosens et al, « Identifying Legal, Ecological and Governance Obstacles, and Opportunities for

Adapting to Climate Change » (2014) 6:4 Sustainability 2338 aux pp 2339 et 2351; Craig, supra note 30 à la p 22.

365 Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, supra note 227, art 3.2c) et d). 366 Ibid, art 4.3. Les exigences en matière d’immunisation se trouvent à l’Annexe I de la Politique de

protection des rives, mais peuvent être remplacées à certaines conditions par des dispositions jugées

équivalentes, art 4.3 al 2.

367 Ibid, art 4.2.1h).

368 McDonald, supra note 71.

369 Ursule Boyer-Villemaire et al, « Analyse institutionnelle de la trajectoire d’adaptation aux changements

climatiques dans le Québec maritime » dans Moktar Lamari et Johann Jacob, dir, Adaptation aux

changements climatiques en zones côtières : politiques publiques et indicateurs de suivi des progrès dans sept pays occidentaux, Québec, Presses de l’université du Québec, 2015 aux pp 94‑95.

déterminer le risque auquel les citoyens sont exposés seraient obsolètes370. Cela est particulièrement problématique en ce qui concerne la délimitation des plaines inondables. Celle-ci est basée sur la cartographie réalisée ou les cotes d’inondation disponibles. Dans les deux cas, l’information peut provenir du gouvernement du Québec ou d’« un schéma d’aménagement et de développement, un règlement de contrôle intérimaire ou un règlement d’urbanisme d’une municipalité »371. Or, si les informations détenues par le gouvernement ou les municipalités ne sont pas suffisamment à jour, vu la vitesse à laquelle les cotes de récurrences sont appelées à changer, il devient évident qu’il y a une discordance entre la plaine inondable légale et la plaine inondable dans les faits. Il est aujourd’hui recommandé de considérer les prévisions climatiques et non pas seulement l’historique des inondations372. Or, à titre d’exemple, « une carte approuvée dans le cadre d’une convention conclue entre le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada relativement à la cartographie et à la protection des plaines d’inondation » est un des outils permettant de délimiter l’étendue des plaines inondables, mais la Convention entre le gouvernement du

Canada et le gouvernement du Québec relativement à la cartographie et à la protection des plaines d’inondation, et au développement durable des ressources en eau a été résiliée

en 2001, soit il y a près de deux décennies.

En conclusion, les dispositions de la LQE incorporent depuis peu la préoccupation de l’ACC. Comme certains éléments de la protection de l’environnement et de l’ACC se recoupent, certaines dispositions peuvent être considérées comme favorisant cette dernière, même si elles ne la mentionnent pas explicitement. De plus, puisque la Politique de

protection des rives visait déjà à assurer la sécurité des personnes et des biens en ce qui

concerne les inondations, elle est construite afin de favoriser un des objectifs de l’ACC en matière d’inondation. Toutefois, l’utilisation d’informations désuètes et qui ne prennent pas en considération les changements climatiques fait en sorte qu’elle ne peut être considérée comme étant de l’adaptation planifiée.

370 Charles D’Amboise, « Des solutions pour mieux prévenir les inondations », Ici Radio-Canada (19 janvier

2018), en ligne : Ici Radio-Canada <http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1079171/inondations-quebec- yamaska-solutions>.

371 Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, supra note 227, art 2.4.

372 Edna Sussman et al, « Climate Change Adaptation: Fostering Progress Through Law and Regulation »

CHAPITRE 7 : La Loi sur la sécurité civile et l’adaptation aux