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3. LE PROBLÈME SPÉCIFIQUE DE RECHERCHE

3.1 Le problème spécifique de recherche et l’objectif de recherche

Les élèves présentent de nombreuses lacunes en français écrit en ce qui concerne l’application des règles grammaticales (Bureau, 1985; Chartrand et Lord, 2010; CSÉ, 1987; Gouvernement du Québec, 1986, 2007; Larose, Corbeil, Bouchard, Cajolet- Laganière, Éthier, Lemay, Lopez-Therrien, Péan, Richards, Sarrazin, Travis, 2001; Lord, 2012). Ces lacunes perdurent malgré l’implantation de programmes axés sur l’apprentissage de la grammaire rénovée. Les résultats aux examens obligatoires à la fin du primaire et des deux cycles du secondaire montrent encore année après année que les élèves sont faibles en français écrit. Pour mieux comprendre la faiblesse des élèves en français écrit, il faut tenir compte de la manière dont la grammaire est enseignée dans les classes du secondaire, car les choix didactiques faits par

l’enseignante ou l’enseignant influent sur l’apprentissage des élèves (Bucheton et Dezutter, 2008; Chiss et David, 2011). Rappelons que les pratiques d’enseignement de la grammaire représentent ce qui est fait par le personnel enseignant pour transformer les objets à enseigner, c’est-à-dire les savoirs grammaticaux, en objets enseignés, selon la théorie de la transposition didactique de Chevallard (1985).

Un contenu de savoir ayant été désigné comme savoir à enseigner subit dès lors un ensemble de transformations adaptatives qui vont le rendre apte à prendre sa place parmi les objets d’enseignement. Le « travail » qui d’un objet de savoir à enseigner fait un objet d’enseignement est appelé la transposition didactique. (p. 3)

Cette transposition est un passage qui transforme les savoirs savants en savoirs à enseigner et à apprendre pour ainsi avoir une légitimité pour l’enseignement (Boivin et Gauvin, 2012).

Pour que l’enseignement de tel élément de savoir soit seulement possible18, cet élément devra avoir subi certaines déformations, qui le rendront apte à être enseigné. (Chevallard, 1985, p. 14)

Le savoir enseigné est donc différent du savoir à enseigner et le processus pour passer de l’un à l’autre représente une construction complexe élaborée par la société, l’institution scolaire et, au final, par l’enseignante ou l’enseignant :

Loin de constituer la simple vulgarisation d’un savoir de départ, loin aussi d’être le produit appauvri d’un savoir savant ou utile toujours inatteignable, le savoir enseigné doit être considéré comme une création hautement originale, collective, souvent séculaire de l’institution scolaire en fonction de sa mission première qui est celle d’enseigner, de transmettre des savoirs et des savoir-faire pour préparer des sujets adaptés à la société. (Schneuwly, 2008, p. 49)

La transposition didactique des savoirs à enseigner par le personnel enseignant est un phénomène à prendre en compte dans l’étude des pratiques d’enseignement. Certes, il existe un savoir savant de la grammaire tel qu’il a été discuté par les chercheuses et chercheurs en grammaire. Mais à l’école secondaire, ce n’est pas le

18 En italique dans le texte d’origine.

savoir savant qui est enseigné. C’est un savoir adapté au contexte d’apprentissage des élèves à qui on enseigne.

Il est important de rappeler que les pratiques d’enseignement sont multidimensionnelles (Vinatier et Pastré, 2007), car elles comprennent ce processus de transposition didactique des contenus avant, pendant et après leur enseignement. En d’autres mots, les pratiques d’enseignement correspondent à la fois à ce qui est fait et dit par l’enseignante ou l’enseignant en contexte d’enseignement de la grammaire, aux objectifs pédagogiques poursuivis ainsi qu’au processus réflexif et décisionnel qui permet à l’enseignante ou l’enseignant de réguler sa pratique.

Bref, l’étude des pratiques d’enseignement est celle d’un agir professionnel complexe, multidimensionnel sur lequel il importe de se pencher, car il influe sur les savoirs à enseigner et sur l’apprentissage de l’élève. Plusieurs chercheurs en didactique du français insistent d’ailleurs depuis plusieurs années sur l’importance de documenter les actions de l’enseignante ou l’enseignant comme médiateur des savoirs (Simard, Dufays, Dolz et Garcia-Debanc, 2010; Wirthner, 2011).

Bien que le problème des lacunes des élèves en grammaire en français écrit ne soit pas relié au manque d’enseignement (on consacre beaucoup de temps à l’enseignement de la grammaire) (Chartrand et Lord, 2010a; Lord, 2012), les pratiques mises en œuvre en classe par les enseignantes et les enseignants pour cette composante de la discipline français gagneraient à être davantage documentées. Le régime pédagogique balise le temps d’enseignement dédié au français ainsi que le pourcentage de la note finale représenté par l’évaluation de chacune des trois compétences en français (lecture, écriture, communication orale), mais le temps et les modalités d’enseignement de la grammaire, qui fait partie de la compétence scripturale, relèvent du jugement professionnel du personnel enseignant (Gouvernement du Québec, 2011, 2015). Un petit nombre de recherches sur les pratiques d’enseignement de la grammaire en contexte québécois sont disponibles, mais les résultats ne sont, sauf dans le cas de l’enquête ÉLEF, pas généralisables.

Afin de comprendre le problème des lacunes des élèves en grammaire, il faut aussi le situer dans son contexte sociohistorique et éducatif où on a opéré une transition de la grammaire traditionnelle à la grammaire rénovée en 1995. Les pratiques d’enseignement actuelles, selon les résultats des recherches disponibles, semblent s’inscrire dans un continuum entre ces deux conceptions de la grammaire, selon le degré d’intégration des prescriptions ministérielles dans l’enseignement (Dolz et Simard, 2009; Lord, 2012), ce dont témoigneraient des pratiques d’enseignement syncrétiques. Il est important de considérer la complexité de l’agir enseignant lorsqu’on se penche sur les pratiques d’enseignement, car celles-ci sont multidimensionnelles : plusieurs variables sont constamment en interaction lorsque l’enseignante ou l’enseignant doit faire des choix didactiques et les mettre en œuvre.

Compte tenu du problème spécifique de recherche, l’objectif de recherche est de décrire le sens que donnent les enseignantes et les enseignants du secondaire à leurs pratiques d’enseignement de la grammaire. Il a fallu tenir compte des variables qui peuvent intervenir dans les choix didactiques des enseignantes et des enseignants, comme le matériel didactique disponible, la formation à l’enseignement, le temps accordé à l’enseignement de la grammaire, les pratiques d’enseignement mises en place. Cela a permis de mettre en relief le regard que portent les enseignantes et les enseignants sur leur matière, sur leurs pratiques et sur eux-mêmes.