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1. LE RETOUR SUR LES RÉSULTATS

1.1 Les difficultés de l’enseignement de la grammaire

1.1.2 Les difficultés liées à l’enseignement de la grammaire

Les résultats obtenus ont permis de relever plusieurs difficultés dans l’enseignement de la grammaire. Nous discutons les six difficultés nommées par le plus grand nombre d’enseignantes et d’enseignants : le trop grand nombre d’élèves

par classe et l'hétérogénéité des groupes d’élèves; le peu d’engagement des élèves dans l’apprentissage de la grammaire; la récurrence des erreurs des élèves; le manque de temps; le manque de transfert des apprentissages; la difficulté d’enseigner la syntaxe.

Le trop grand nombre d’élèves par classe et l'hétérogénéité des groupes d’élèves. Sept enseignantes et enseignants sur les neuf interviewés affirment que la taille de leurs groupes d’élèves et leur hétérogénéité représentent une grande difficulté lorsqu’ils enseignent la grammaire. Quatre d’entre eux identifient ce problème comme étant la plus grande difficulté de leur enseignement de la grammaire. Tous considèrent qu’il s’agit d’une contrainte majeure à la réalisation de leur enseignement idéal de la grammaire. De plus, comme de nombreux élèves ont des compétences grammaticales très variables au sein d’un même groupe, l’enseignement de la grammaire est compliqué : « Je n’ai aucun problème à enseigner à des élèves en difficulté, comme je n’ai aucun problème à enseigner à des élèves forts ou moyens. Le défi, c’est vraiment que tout ce monde-là soit dans la même classe. » (Sophie)

Une enseignante considère que le fait d’avoir trop d’élèves dans un groupe peut nuire à la réalisation des apprentissages, puisqu’elle ne sera pas en mesure de tout corriger, d’offrir une rétroaction à chaque élève et de faire un suivi avec chacun :

Cet apprentissage [de la langue] ne se fait pas en un cours, il faut revenir et faire un suivi. À ce moment-là, c’est sûr que le nombre d’élèves entre en jeu, car il faut faire un suivi. Je ne peux pas en demander plus aux élèves que ce que je peux contrôler. Même si je leur demande d’écrire une justification, si je ne prends pas le temps de les lire, ils ne le feront pas. (Léa)

Le trop grand nombre d’élèves dans les classes a aussi été décrié par les enseignantes et les enseignants qui ont répondu à l’enquête ÉLEF. Dans une entrevue à ce propos, Chartrand (2009) mentionne que le grand nombre d’élèves par groupe posait problème pour la très forte majorité des 801 enseignantes et enseignants sondés :

Une des raisons expliquant le peu d'engouement pour la rédaction de textes pourrait être le trop grand nombre d'élèves par classe, ce qui fait augmenter le travail de correction. Quand on demande aux profs ce qui permettrait d'améliorer l'enseignement du français, 99 % répondent qu'il faudrait diminuer la taille des groupes. « Le nombre d'élèves, c'est le nerf de la guerre, juge Mme Chartrand. Enseigner à 32 ou 35 élèves au secondaire, c'est beaucoup trop. Ça n'a pas de bon sens. » (s.p.)

Comme elle le souligne, des choix pédagogiques comme le nombre de textes à écrire par année pourraient être influencés par le nombre d’élèves par classe en raison du temps de correction que cela requiert.

Le peu d’engagement des élèves dans l’apprentissage de la grammaire. Six enseignantes et enseignants ont nommé le peu d’engagement des élèves dans l’apprentissage de la grammaire comme étant l’une des grandes difficultés de leur enseignement de la grammaire. Constatant que les élèves ne semblent pas voir l’utilité d’apprendre et de maitriser la grammaire, ces enseignantes et ces enseignants disent que cela entraine un manque de motivation et un manque d’engagement dans l’apprentissage de la grammaire. Pour Léa, il s’agit d’ailleurs de la principale difficulté qu’elle rencontre :

Je crois que le principal obstacle est d’avoir des jeunes qui sont démotivés par le français […] Les élèves sont dans l’ici et maintenant, et apprendre une langue demande de l’engagement. Il faut donc d’abord que l’élève soit motivé à s’améliorer et qu’il mette des efforts.

Les enseignantes et les enseignants s’interrogent aussi sur la motivation des élèves à l’égard de l’apprentissage de la grammaire quand ils observent leur manque de rigueur dans les productions écrites :

Il ne faut pas se cacher que les élèves qui sont rendus en cinquième secondaire font les mêmes erreurs que les élèves de première secondaire dans l’accord du groupe du verbe, du groupe du nom. […] Ce n’est pas un manque de connaissances, c’est plutôt un manque de rigueur dans leur correction. (Sophie)

Les résultats de l’enquête ÉLEF relèvent aussi que les enseignantes et les enseignants considèrent que le manque de motivation des élèves constitue l’un des aspects qui posent problème dans l’enseignement de la grammaire.

[Les enseignantes et les enseignants] jugent négativement les conditions pédagogiques relatives à leur tâche de travail – particulièrement pour les enseignants les plus expérimentés – et à leur groupe classe : la motivation des élèves, l’hétérogénéité du groupe classe, la préparation antérieure des élèves et le nombre d’élèves nuisent à l’enseignement selon les enseignants sondés. (Chartrand et Lord, 2009, p.23)

Selon nos résultats, le manque de motivation par rapport à la maitrise de la grammaire expliquerait en partie la difficulté suivante qui a été identifiée : la récurrence des erreurs de base dans les productions écrites des élèves.

La récurrence des erreurs des élèves. Le problème de la récurrence des erreurs est présent tout au long du secondaire. Cinq enseignantes et enseignants ont souligné qu’ils ont l’impression de devoir enseigner les mêmes règles d’année en année, car leurs élèves ne les maitrisent pas. Maryse fait le lien entre la récurrence des erreurs des élèves et un manque d’attention :

Par contre, par rapport à la grammaire, ça reste très problématique. [Les élèves] ne sont pas compétents. Ce qui est problématique, c’est surtout de l’inattention. J’attribue leurs erreurs à l’inattention, car la majorité des erreurs que je corrige sont encore des erreurs de niveau primaire ou de niveau début secondaire.

Ces résultats qui rapportent la récurrence des erreurs des élèves en grammaire sont cohérents avec ceux d’autres études sur ce sujet. Depuis plus de 25 ans, au Québec, de nombreux écrits ont documenté les lacunes persistantes des élèves en grammaire (Bureau, 1985; Gouvernement du Québec, 1986; CSÉ, 1987; Larose et al., 2001; Gouvernement du Québec, 2007). De la même manière, l’enquête ÉLEF a permis de relever que les enseignantes et les enseignants trouvent que l’acquisition des règles grammaticales est lacunaire chez les élèves tout au long du secondaire : « Près de la moitié des enseignants jugent insuffisantes les compétences en écriture des élèves à la fin du secondaire. » (Chartrand et Lord, 2010b, p. 23) Comme nous

l’avons souligné précédemment, les enseignantes et les enseignants disent répéter l’enseignement des mêmes notions en grammaire d’année en année afin de pallier les lacunes des élèves, mais s’étonnent et se désolent que la progression des apprentissages en grammaire ne soit pas suivie. En voulant aider leurs élèves, ils choisissent parfois de ne pas suivre le programme de français et contribueraient alors par le fait même au problème qu’ils constatent. Cela nous amène à nous questionner, à la manière de Chartrand (2011) et de Lord (2012), sur le problème de l’efficacité de l’enseignement de la grammaire offert dans les classes.

Le manque de temps. Cinq enseignantes et enseignants sur les neuf interviewés ont identifié le manque de temps comme une autre des difficultés principales dans leur enseignement de la grammaire. Ce manque de temps se manifeste de deux manières. D’une part, les enseignantes et les enseignants ont l’impression de manquer de temps d’enseignement pour couvrir tous les contenus de manière suffisante. Selon les résultats obtenus, le manque de temps d’enseignement provient du grand nombre de contenus à enseigner dans le programme de français. Les enseignantes et les enseignants disent avoir l’impression de devoir enseigner trop rapidement les notions afin d’avoir le temps de tout voir avec les élèves au détriment de leur compréhension. Le manque de temps entraine un sentiment d’urgence chez les enseignantes et les enseignants : « [La plus grande difficulté est] le temps […]. Je trouve que je manque constamment de temps pour tout dans mon enseignement. » (Mélanie) Le manque de temps oblige les enseignantes et les enseignants à faire des choix entre certains contenus grammaticaux, ce qu’ils déplorent :

Par exemple, le texte argumentatif est un contenu tellement lourd à enseigner que finalement, on passe plus de temps à enseigner la structure du texte argumentatif qu’à faire de la grammaire, alors que ce dont l’élève a besoin dans la vie, s’il est mécanicien ou avocat, c’est de savoir écrire. (Maryse)

D’autre part, ils disent aussi avoir l’impression de manquer de temps pour tout faire : corriger les travaux des élèves, développer de nouvelles pratiques ou de nouvelles activités d’apprentissage et s’engager dans une démarche de formation

continue. Ils mentionnent qu’ils doivent parfois réduire la quantité de productions écrites demandées aux élèves, car ils n’ont pas le temps de tout revoir et de tout corriger.

Personnellement, j’ai mes limites et, dans un monde idéal, j’aurais eu le temps de tout planifier et plusieurs plans B, ce qui n’est pas toujours le cas […]. On veut porter un regard plus objectif sur notre pratique, on veut essayer des choses. Il y a beaucoup d’enseignants qui sont très traditionnels, mais tout le monde a envie parfois d’essayer de nouvelles choses. Nous n’avons pas le temps, donc il faut choisir où nous allons mettre notre énergie avec la correction, les réunions… (Céline)

Ces résultats sont semblables à ceux obtenus par Chartrand et Lord (2009) dans l’enquête ÉLEF : « Insatisfaits de leur tâche, les enseignants souhaiteraient la réorganiser afin de pouvoir donner et corriger plus de travaux (88 %). » (p. 24) Selon nos enseignantes et nos enseignants, s’ils pouvaient régler la difficulté du manque de temps, leur enseignement de la grammaire serait grandement amélioré.

Le manque de transfert des apprentissages. Cinq enseignantes et enseignants ont aussi mentionné qu’ils observaient un problème de transfert des apprentissages en grammaire chez leurs élèves. Cela signifie que les apprentissages grammaticaux faits ne sont pas réinvestis dans les productions écrites des élèves :

Il est tout de même particulier de voir qu’un bon nombre [d’élèves] connaissent plutôt bien les notions grammaticales de base, mais qu’ils ne parviennent pas à les utiliser efficacement en situation d’écriture. (Léa)

Ces enseignantes et ces enseignants mentionnent se sentir démunis devant le manque de transfert des apprentissages. Malgré diverses tentatives, ils constatent toujours ce problème chez leurs élèves si bien qu’ils ont d’ailleurs l’impression que leur enseignement de la grammaire ne donne pas de résultat. Selon Maryse, ce problème de transfert pourrait provenir des différences entre le contexte d’acquisition de la notion grammaticale (des exercices) et le contexte d’application (la situation d’écriture) :

C’est aussi une des difficultés de la grammaire, les élèves voient des notions closes et n’arrivent pas à faire des liens. Par exemple, lorsqu’ils font des participes passés dans un exercice de grammaire, ils sont très bons. Ensuite, ils doivent écrire un texte, mais ne voient plus le participe passé parce qu’il est séparé par des mots écrans.

Il n’est pas surprenant que les enseignantes et les enseignants interviewés aient identifié le transfert des apprentissages comme l’une des difficultés de la grammaire. Il s’agit en fait d’un constat posé depuis longtemps :

Même si nous initions nos élèves aux règles de grammaire, nous constatons souvent qu'elles ne sont pas réinvesties dans des situations d'écriture. Le transfert des connaissances s'avère difficile. (Michaud- Vaillancourt et Nadeau, 1997, p. 51)

Plus récemment, Fisher et Nadeau (2006) ont souligné qu’il s’agit d’un problème majeur de l’enseignement de la grammaire :

Les enseignants sont nombreux à se préoccuper du transfert des apprentissages, ou plus exactement à s’alarmer du peu de transfert qu’ils constatent chez leurs élèves, surtout en grammaire. (p. 120)

Le renouveau grammatical vise d’ailleurs à favoriser le transfert des apprentissages chez les élèves par l’enseignement contextualisé de la grammaire, où les contextes d’apprentissage et d’application se ressemblent :

Pour qu'il y ait transfert des apprentissages de grammaire en production de texte, l'élève doit pouvoir reconnaître des ressemblances entre la situation d'apprentissage et la situation d'écriture dans laquelle il se trouve. Il faut donc s'efforcer de diminuer l'écart entre les activités d'observation, les exercices et les textes de l'élève en plaçant ce dernier devant des tâches plus complexes dès la phase d'apprentissage. Par exemple, l'observation des notions grammaticales peut se faire dans des phrases complètes, assez longues, de structures variées, et même, le plus souvent possible, dans des textes. (Fisher et Nadeau, 2009, p.12)

Pourtant, selon les résultats de notre étude, plusieurs enseignantes et enseignants disent enseigner de manière contextualisée. En théorie, cette pratique permet de faciliter le transfert des apprentissages. Nous nous

questionnons alors à savoir si les enseignantes et les enseignants ont pu nommer cette pratique, mais se tromper sur sa signification20.

La difficulté d’enseigner la syntaxe. Quatre enseignantes ont enfin souligné la difficulté d’enseigner la syntaxe dans leur enseignement de la grammaire. Deux d’entre elles relèvent qu’il s’agit d’une difficulté de nature plus personnelle : elles ont de la difficulté à bien expliquer les règles de la syntaxe et ne se sentent pas suffisamment compétentes. Par exemple, Céline avoue que certaines règles de la syntaxe lui posent problème :

Je trouve que, dans la syntaxe, il y a beaucoup de choses [difficiles à expliquer]. Un autre exemple serait la position des adjectifs dans la phrase. Je sais qu’il y a une règle pour ça, mais je ne la retiens pas. Pourquoi certains adjectifs sont avant le nom et d’autres après?

Pour sa part, Léa explique qu’elle n’arrive pas à expliquer aux élèves la raison de leurs erreurs de syntaxe :

[Le plus difficile à enseigner] pour moi, ce serait la syntaxe. Cela fait 15 ans que c’est mon défi. J’ai beau avoir enseigné la phrase, avoir fait des observations sur des phrases, avoir fait échanger les élèves, avoir fait des débats, lorsque je reviens sur la syntaxe avec un élève, je ne me sens pas compétente ni convaincante pour lui dire pourquoi sa phrase est incorrecte.

L’autre argument avancé est la complexité de l’enseignement de la syntaxe. Il s’agit d’un apprentissage qui, selon les enseignantes, pose problème pour bon nombre d’élèves :

Souvent, ce que je trouve le plus dur à travailler avec eux, c’est la syntaxe. C’est difficile de travailler la structure de phrases, de leur faire comprendre pourquoi une phrase n’est pas correcte. Donc, lorsqu’ils ont des problèmes de syntaxe, je trouve cela plus difficile, car je me sens moins outillée et moins formée. (Léa)

Maryse souligne que la complexité de la syntaxe fait que les élèves se sentent dépassés et perdent leur intérêt lors de son enseignement : « La syntaxe est très

difficile à enseigner en grand groupe […] Je n’ai pas encore trouvé comment enseigner cette matière en grand groupe, car on perd l’intérêt des élèves parce que c’est trop complexe. »

En somme, les principales difficultés que nous avons dégagées chez les enseignantes et les enseignants interviewés dans notre étude sont semblables à celles de l’enquête ÉLEF, c’est-à-dire l’enquête la plus récente qui a dressé un portrait des perceptions des enseignantes et des enseignants de français au Québec sur leurs pratiques d’enseignement de la grammaire. Cinq des six difficultés les plus importantes qui ressortent de nos résultats se retrouvent dans la documentation scientifique sur le sujet : le manque de motivation des élèves; le nombre élevé d’élèves et les groupes hétérogènes; la récurrence des erreurs en grammaire; le manque de temps; le manque de transfert des apprentissages. Seule la difficulté d’enseigner la syntaxe n’a pu être reliée aux résultats d’autres recherches faites au Québec ou en Europe. En Europe, les recherches disponibles documentent surtout les pratiques d’enseignement de la grammaire mises en place par les enseignantes et les enseignants. Au Québec, les études disponibles portent surtout sur les difficultés de l’enseignement de la grammaire, car elles visent à documenter et à résoudre le problème des lacunes grammaticales des élèves. En conséquence, les aspects de l’enseignement de la grammaire qui ne posent pas de difficultés aux enseignantes et aux enseignants sont peu documentés.