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2. LES CONCEPTIONS ACTUELLES DE LA GRAMMAIRE

2.2 La grammaire rénovée

2.2.3 Les pratiques d’enseignement de la grammaire rénovée

Le concept de pratiques d’enseignement s’inscrit dans la théorie de la transposition didactique selon laquelle l’enseignante ou l’enseignant est le médiateur entre les savoirs comme objets à enseigner et l’élève qui doit les apprendre. Ces savoirs subissent en effet une adaptation afin d’être enseignés et appris.

Les savoirs, reconnus comme tels socialement et culturellement, sont ceux qui se voient accorder une légitimité pour l’enseignement. Mais ils ne peuvent être enseignés tels quels : afin d’être enseignables, ils doivent être transformés. (Boivin et Gauvin, 2012, p.13)

L’enseignante ou l’enseignant transforme ces objets à enseigner en objets enseignés, et c’est cette transposition didactique qui est étudiée dans la recherche de Lord sur les pratiques d’enseignement grammatical.

Ce concept de transposition didactique est fondamental dans le cadre de notre recherche qui vise, entre autres, à décrire des pratiques effectives d'enseignement de la grammaire. Nous en avons tenu compte lors de l'analyse et de l'interprétation des données provenant des séquences de cours, puisque le troisième niveau de la transposition didactique, soit celui où l'enseignant met en œuvre les objets à enseigner prescrits dans les programmes d'études, fait partie intégrante de l'étude des pratiques d'enseignement. (2012, p. 33)

Tel que l’ont mentionné Vinatier et Pastré (2007), les pratiques d’enseignement sont un agir professionnel complexe et englobant. Dans l’étude des pratiques d’enseignement, il faut prendre en compte la double dimension de ce concept :

C’est la double dimension de la notion de pratique qui la rend précieuse. D’un côté, les gestes, les conduites, les langages ; de l’autre, à travers les règles, ce sont les objectifs, les stratégies et les idéologies qui sont invoqués. (Beillerot, 1998, dans Vinatier et Pastré, 2007, p. 96)

Les pratiques d’enseignement représentent non seulement les gestes professionnels que posent les enseignantes et les enseignants dans les procédés de mise en œuvre des savoirs à enseigner, mais également tout le processus réflexif et d’autorégulation qui sous-tend leurs choix didactiques et organisationnels, en plus de leur propre conception de leur pratique d’enseignement. Dans le cadre de la présente recherche, les pratiques d’enseignement de la grammaire comprennent les choix

didactiques du métalangage, des méthodes didactiques et des activités d’apprentissage de la grammaire, en plus des modalités de réalisation de ces activités, ainsi que les objectifs d’apprentissage visés par l’enseignante ou l’enseignant, sa conception de la grammaire et de ses pratiques d’enseignement. La grammaire rénovée se distingue surtout de la grammaire traditionnelle par les méthodes d’enseignement préconisées.

Les manipulations syntaxiques. L’utilisation d’outils d’analyse comme les manipulations syntaxiques induit une nouvelle façon de penser l’enseignement de la grammaire (Lord, 2012).

Il s'agit plutôt d'amener les élèves à comprendre les grands mécanismes du fonctionnement de la langue, ce qui implique un regard distancié, où la langue est prise comme un objet de savoir, et où se développe une attitude analytique, « un esprit scientifique » (Ibid., p. 63).

Ce changement entraine « une transformation de certaines pratiques d'enseignement de la grammaire traditionnelle » (Ibid., p. 57). L’apprentissage de nouvelles notions se fait à partir des représentations des apprenantes et des apprenants, selon une démarche souvent inductive. De plus, la grammaire est enseignée de manière intégrée aux autres composantes de la discipline français et en tenant compte de l’importance des interactions sociales. Selon Chartrand, Lord et Lépine (2016), les manipulations syntaxiques sont « de puissants outils d’analyse, ce qui exige de les utiliser selon une procédure rigoureuse » (p. 37). Elles comprennent :

l’ajout (nommé aussi addition, adjonction, insertion), [le] dédoublement, [le] déplacement (dont la permutation est un cas particulier), [le] l’effacement (ou suppression), l’encadrement et [le] remplacement (ou substitution, la pronominalisation étant un cas particulier de remplacement. (Ibid.)

Les objectifs poursuivis par ces pratiques d’enseignement sont de construire et d’organiser les connaissances des élèves et de s’assurer de leur transfert. L’enseignement de la grammaire rénovée « vise malgré tout la maitrise d’un

ensemble de notions et de règles : la transmission d’un bagage de connaissances sur la langue n’est pas étrangère à ses objectifs » (Béguelin, 2000, p. 72). L’élève doit toujours mémoriser du vocabulaire, des définitions et des règles, et les exercices d’automatisation n’ont pas disparu, mais ces démarches viennent après un processus réflexif (hypothèses, manipulations, vérifications) (Lord, 2012). La grammaire rénovée permet : « d’élaborer un enseignement systématique et explicite des phénomènes grammaticaux doublé d'un réinvestissement conscient et contrôlé des connaissances acquises dans les pratiques langagières (Ibid., p. 64). »

La démarche inductive. Un autre changement dans les pratiques d’enseignement apporté par l’implantation de la grammaire rénovée est d’ordre méthodologique. La démarche déductive traditionnelle où l’élève apprend d’abord la règle et s’exerce à l’appliquer ensuite est remplacée par une démarche inductive pour l’appropriation des nouveaux contenus (J.-P. Bronckart et Sznicer, 1990; E. B. Bronckart et Élalouf, 2016; Chartrand, 1995; Nadeau et Fisher, 2006). L’emploi de cette méthode d’enseignement représente le résultat d’un assez large consensus chez les spécialistes de la didactique (Bilodeau, 2005; Nadeau et Fisher, 2006), en accord avec les connaissances actuelles sur la nature de l’apprentissage. « Les démarches inductives ou dites de découverte ont pris le pas, dans la plupart des propositions didactiques faites au cours des dernières années, sur les démarches purement déductives » (Ibid., p. 66). Dans une démarche inductive, l’élève est confronté à un corpus présentant plusieurs occurrences d’un phénomène qu’il est amené à observer, dans le but d’en découvrir le fonctionnement (Béguelin, 2000; J.-P. Bronckart et Sznicer, 1990; E. Bulea Bronckart et Élalouf, 2016; Chartrand, 1995; Nadeau et Fisher, 2006).

Il s’agit en fait d’amener progressivement l’élève à observer les caractéristiques de sa langue, à en induire les régularités, puis à codifier les connaissances acquises en termes grammaticaux (Béguelin, 2000, p. 72).

Dans l’enseignement grammatical au Québec, cette démarche est fréquemment nommée « démarche active de découverte » (E.B. Bronckart et Élalouf, 2016; Chartrand, 1996; Nadeau et Fisher, 2006).

L’avantage principal de la démarche inductive est qu’elle amène les élèves à être actifs dans leur construction des savoirs grammaticaux et qu’elle fait appel à leurs capacités d’observation et de raisonnement (J.-P. Bronckart et Sznicer, 1990; Chartrand, 1996; Nadeau et Fisher, 2009).

Cette approche, préconisée par de nombreux didacticiens depuis plus de vingt ans […], fait en sorte que les élèves construisent leurs connaissances en utilisant une démarche de type expérimental grâce à l’observation des phénomènes langagiers et à l’induction pour tenter de les expliquer […] Cette démarche active de découverte permet aux élèves de construire progressivement leurs connaissances grammaticales (déclaratives, procédurales ou conditionnelles) à travers un processus qui suit plusieurs étapes (Chartrand, 2009, p. 14).

La réalisation de la démarche inductive initie l’élève à une démarche de recherche de type scientifique, car « ce type de démarche mènera l’élève à observer des énoncés, à en manipuler les constituants et, finalement, à codifier ses observations » (Bilodeau, 2005, p. 66). Les connaissances qu’il aura acquises dans ce processus seront ensuite appliquées par un transfert dans les productions écrites (Ibid.). Ce type de démarche est motivant pour l’élève, car il le confronte à un défi, à la manière d’une situation de résolution de problèmes (Nadeau et Fisher, 2006). Il lui permet aussi de développer ses capacités métalinguistiques, sa coopération (Ibid., 2009) et un esprit de rigueur (Chartrand, 2009). Toutefois, la preuve de l’efficacité de la démarche inductive par rapport à la démarche déductive reste à faire (Vincent, 2014). En effet, selon les conclusions de Vincent, aucune de ces deux approches n’est significativement meilleure que l’autre. Les conditions du succès de l’une ou l’autre dépendent de plusieurs variables dont la plus importante est l’enseignante ou l’enseignant.

La prise en compte des représentations des élèves. L’avancement des connaissances en psychologie de l’apprentissage a permis de mieux connaitre le processus de

construction de connaissances lors de l’apprentissage. C’est pourquoi, en grammaire rénovée, il est recommandé de faire exprimer les connaissances, les compétences et les représentations que les élèves possèdent avant d’aborder de nouveaux apprentissages (Lord, 2012). Il s’agit de « donner aux élèves l’occasion de verbaliser leurs représentations, d’en prendre conscience et de les faire évoluer » (Nadeau et Fisher, 2009, p. 10).

Considérer le bagage de connaissances de l’élève au départ de l’apprentissage est primordial pour lui permettre de réaliser de nouveaux apprentissages, car il construit ceux-ci sur la base des savoirs qu’il possède déjà. Sinon, « les nouvelles connaissances s’empilent sur les anciennes » (Ibid., p. 9), sans qu’elles soient organisées et possiblement en contradiction les unes avec les autres. L’étude des méthodes employées en grammaire traditionnelle a permis de conclure que « l’enseignement magistral de notions et de règles qui ne travaille pas systématiquement sur les conceptions des élèves a peu d'impact sur leurs connaissances grammaticales effectives, celles qui sont opératoires » (Lord, 2012, p. 58). De plus, les représentations des élèves évoluent, elles sont parfois fausses et elles ont tendance à s’organiser en réseaux. Elles deviennent ainsi plus difficiles à modifier, même avec un enseignement spécifique (Nadeau et Fisher, 2006; Lord, 2012). En effet, « une représentation persiste tant que l’apprenant ne se trouve pas dans une situation qui l’oblige à percevoir qu’elle est inadéquate » (Nadeau et Fisher, 2009, p. 10). L’enseignement qui prend en compte les représentations des élèves permet de cibler celles qui sont erronées pour ensuite mettre en place les conditions nécessaires au remodelage par le processus de construction des connaissances (Lord, 2012). Il s’agit d’ailleurs d’une obligation pour le personnel enseignant selon le MELS (2009) : « L’enseignant est tenu de s’assurer que les élèves ont une représentation juste et intégrée des connaissances linguistiques et textuelles prescrites » (p. 1). De cette manière, en considérant le processus d’apprentissage des élèves, les démarches préconisées par la grammaire rénovée visent la construction et la durabilité des apprentissages.

Le décloisonnement de l’enseignement. Avant d’expliquer ce que signifie le décloisonnement des activités dans l’enseignement de la grammaire rénovée, il convient de spécifier que l’enseignement du français comprend quatre composantes : la lecture, l’écriture, l’expression orale et l’étude de la langue. Ces composantes peuvent être subdivisées. Rappelons que la grammaire comprend l’orthographe, le lexique, la conjugaison, la syntaxe et la grammaire du texte (Lord, 2012). L’importance de lier les activités concernant chacune de ces composantes apparait vers les années 1990 (Bilodeau, 2009). L’objectif du décloisonnement de l’enseignement est d’améliorer l’étude de la langue par les élèves et de la rendre signifiante (Gouvernement du Québec, 2009). Il s’agit d’une démarche d’enseignement qui permet l’intégration des activités liées aux différentes composantes du français, c’est-à-dire que la lecture, l’écriture, la grammaire, la communication orale et la littérature peuvent être traitées dans une même séquence d’enseignement. (Chartrand et Boivin, 2005; Bilodeau, 2005; Lord, 2012). Bien que le décloisonnement implique la possibilité d’intégrer plusieurs types d’activités dans la classe de français, le terme sert plus fréquemment à désigner l’intégration des contenus grammaticaux aux activités de lecture et d’écriture, selon les didacticiennes et didacticiens (Bilodeau, 2009). L’objectif est d’intégrer les apprentissages liés au fonctionnement de la langue au développement des compétences langagières et rédactionnelles (Nadeau et Fisher, 2006; Lord, 2012).

En somme, le décloisonnement permet d’inclure l’enseignement de la grammaire aux autres composantes de l’enseignement du français et offre l’occasion aux élèves de réinvestir leurs connaissances dans plusieurs types de situations.