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Prix de l’énergie, prix du fossile et prix du CO2 ; trop de fossile disponible

1. Éléments de méthode

1.3. Les approches économiques globales

1.3.6. Prix de l’énergie, prix du fossile et prix du CO2 ; trop de fossile disponible

Deux membres de la mission ont rencontré Henri Prévot, ingénieur général des mines honoraire, actuellement consultant en politique de l’énergie, auteur de plusieurs ouvrages, notamment « Trop de pétrole ! », Seuil 2007, et « Avec le nucléaire – un choix réfléchi et responsable », Seuil, juin 201251.

50 Par exemple :

Olivier Sassi (L’impact du changement technique endogène sur les politiques climatique – 2008),

Renaud Crassous (Modéliser le long-terme dans un monde de second rang : application aux politiques climatiques – 2008),

Céline Guivarch (Évaluer le coût des politiques climatiques – de l’importance des mécanismes de second rang – 2010),

Henri Prévot fait observer d’entrée de jeu que la contrainte liée à l’épuisement annoncé de nos ressources en énergie fossile (pétrole, gaz, charbon) et la menace d’un réchauffement climatique important résultant en particulier des émissions anthropiques de gaz carbonique sont deux choses contradictoires. Pour gagner la lutte contre l’effet de serre, il faut laisser in situ plus de la moitié des ressources en énergies fossiles accessibles au prix que nous serions prêts à payer pour les extraire, sans doute plus de 100 $ par baril.

L’énergie fossile étant ainsi trop abondante, il ne faut pas attendre d’action de régulation du fonctionnement du marché : les mesures à mettre en place doivent être imposées de manière politique, pour corriger la logique marchande. Cela ne veut pas dire, bien au contraire, que l’analyse économique ne serait pas pertinente pour préparer les décisions, mais il s’agit de faire de l’économie publique, économie politique comme on disait autrefois, là où le libre jeu des marchés conduit avec certitude à la catastrophe.

Henri Prévot fait également connaître ses idées sur un site Internet qui propose notamment des tableaux de modélisation des coûts des politiques publiques de choix énergétiques pour la France, dont les hypothèses sont modifiables par les visiteurs du site (www.hprevot.fr/). Ces tableaux interactifs reposent sur des hypothèses économiques simples et explicites et leur logique est essentiellement comptable. Elle est lisible au travers des équations que le tableur permet d’éditer. On est loin de la sophistication des modèles économiques évoqués plus haut dans ce chapitre, qui tentent de représenter le mieux possible des interactions complexes dans un univers dynamique.

Ces tableaux permettent de se faire une idée des quantités de GES en jeu : pour diviser nos émissions par quatre, il faudrait diminuer nos émissions de carbone de plus de 370 Mt CO2 éq. par rapport à ce qui serait émis si l’on ne se préoccupait pas de l’effet de serre. La contribution des énergies renouvelables (éoliennes, solaire photovoltaïque, géothermie, etc.) ne devrait pas dépasser le dixième de cette quantité.

Il faut donc faire une économie de plus de 330 Mt CO2 éq., à répartir entre les économies d’énergie, la biomasse… Les tableaux croisés d’Henri Prévot permettent de situer les différentes techniques envisageables : éolienne, biocarburants, voitures hybrides et électriques, piles à combustible, mesures d’isolation des bâtiments, etc.

dans un ensemble complet et cohérent en « emplois-ressources » d’énergie. Cette démarche très simple remet bien les idées en place.

Les réflexions d’Henri Prévot ne se limitent pas à clarifier les idées sur les quantités en jeu, mais portent aussi sur les prix et les coûts afin de classer les différentes mesures d’abattement possible. Armé d’un solide bon sens économique, nourri par une vie professionnelle largement consacrée à l’économie de l’énergie, Henri Prévot conteste vigoureusement, lui aussi, l’idée d’un prix unique du carbone (ou du CO2). Il ne le fait pas en adoptant une posture de théoricien et n’évoque pas explicitement l’opposition

« premier rang » vs « second rang », mais son discours s’y ramène facilement, dès lors qu’il critique, non sans raison, les hypothèses irréalistes d’un marché parfaitement concurrentiel pour le CO2. Ces hypothèses sont en effet nécessaires pour justifier que l’on s’attache à rechercher un optimum de premier rang.

Henri Prévot explique en effet que puisque les émissions de GES résultent majoritairement de la combustion de ressources carbonées fossiles, pratiquement

51 Si la mission s'associe aux réflexions décrites ici, elle n'épouse pas ipso facto toutes les convictions d'Henri Prévot, notamment sur l'avenir des énergies renouvelables décarbonées.

Rapport n°008378-01 Le facteur 4 en France : la division par 4 des émissions de gaz à effet de serre

à l'horizon 2050

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toutes importées, fixer une limite des émissions de CO2 (par exemple en application du facteur 4) revient à fixer une limite de consommation de ces ressources. Cette limite de consommation des ressources carbonées fossiles induit un coût pour la société qui est la différence entre ce que l’on dépense pour respecter cette limite et ce qui serait dépensé sans cette limite : on retrouve ici la notion de coût d’abattement, qui est un coût d’opportunité.

Toute décision prise pour réduire les émissions de CO2 a un « coût du CO2 évité » que l’on calcule en rapportant aux émissions de CO2 évitées les dépenses supplémentaires, le calcul étant fait en utilisant un même taux d’actualisation pour les dépenses et pour les quantités de CO2 évitées.

Pour respecter une limite globale d’émissions au niveau national, il est possible de classer les décisions à prendre par « coût du CO2 évité » croissant. Le coût du carbone évité par la décision dont le coût du carbone évité est le plus élevé est le coût du CO2 « marginal » du programme de diminution des émissions.

Le coût du CO2 d’un programme de réduction des émissions dépend de la limite d’émission, des dépenses à engager pour limiter les émissions et aussi du prix de l’énergie fossile. Si le prix de l’énergie fossile est suffisamment élevé, la consommation sera suffisamment diminuée pour que la limite d’émission de CO2 soit respectée sans qu’il ait été nécessaire de prendre des décisions justifiées par la volonté de diminuer ces émissions. Le « coût du CO2 évité » est alors nul.

Henri Prévot en conclut que dès lors que l’on se donne comme but de respecter une limite d’émission de CO2, fixer une valeur « tutélaire » du CO2 indépendante du prix de l’énergie fossile est une erreur.

Pour toute décision qui permet de diminuer la consommation d‘énergie fossile, il existe un niveau de prix de l’énergie fossile (fioul, gaz, carburant pétrolier) qui rend cette décision économiquement intéressante. Ce niveau de prix ne dépend pas (ou guère) du prix réel de l’énergie fossile. Henri Prévot propose de l’appeler « prix de l’énergie fossile équivalent à la décision ». Les décisions dont le coût du CO2 évité est inférieur au coût marginal du programme de réduction des émissions ont toutes un prix de l’énergie fossile équivalent inférieur à une certaine valeur, que l’on pourra appeler

« valeur de référence » - exprimée en € par MWh de gaz ou par mètre cube de fioul ou par litre de carburant. Cette valeur est indépendante du prix de l’énergie fossile. Elle peut donc servir de critère de coût commode pour distinguer une décision utile d’une décision inutilement coûteuse : une décision utile est une décision qui serait économiquement intéressante si les prix à la consommation finale du fioul, du gaz et du carburant étaient respectivement égaux aux valeurs de référence.

Si le prix à la consommation finale était égal à la valeur de référence, il suffirait, pour respecter la limite d’émission de CO2, que soient prises toutes les décisions répondant au critère de coût.

2. Piloter le prix à la consommation finale des énergies fossiles carbonées (en l’ajustant au bon niveau grâce à une taxe notamment) en référence à un trend d’augmentation des prix à moyen terme cohérent avec les diminutions d'émissions souhaitées.

3. Éviter une baisse des prix à la consommation dans le cas où l’arrivée des hydrocarbures non conventionnels réduiraient temporairement la pression sur les coûts d’approvisionnement, par exemple grâce à une modulation dans le temps de la taxation.

Il faut noter que le pilotage à l’aide d’un prix tutélaire du CO2 censé refléter le coût des dommages n’est pas équivalent au pilotage du prix des hydrocarbures (outre le fait qu’il induit des coûts administratifs beaucoup plus lourds) pour deux raisons. D'une part, on ne sait pas chiffrer le coût des dommages des émissions de CO2 D’autre part, il est judicieux d’ajouter au prix de marché un coût reflétant le coût des dommages à condition que le marché concurrentiel fonctionne correctement, c’est-à-dire qu’il soit exempt de rentes de rareté ou de monopole. Si on connaissait bien le coût des dommages causés par les GES, on pourrait intégrer la déséconomie par un prix tutélaire de l’émission, ce qui n’est pas le cas.

Payer un dommage ne conduit pas à la même logique que respecter une limite. Ce qui détermine la consommation fossile, donc les émissions, c’est le prix final de l’énergie, pas le « prix du CO2 ». Si le prix des énergies fossiles carbonées est suffisamment élevé à l’importation, nul besoin de prix du CO2, autrement dit, le prix du CO2 peut être nul pour atteindre l’objectif d’émission. Les décisions qui seront prises sur la base du prix de l’énergie élevé suffiront à atteindre l’objectif CO2. En revanche, si les prix des énergies fossiles sont inférieurs aux « valeurs de référence » définies ci-dessus, correspondant aux quantités qu’on veut économiser pour parvenir au facteur 4, il faut mettre en place une « taxe carbone ».

Rapport n°008378-01 Le facteur 4 en France : la division par 4 des émissions de gaz à effet de serre

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