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6. Le secteur du bâtiment

6.1. État des lieux et prévisions sur le bâtiment

6.1.2. État des lieux

À noter tout d’abord que le « groupement de l’ensemble des acteurs » prévu par l’article 5 de la loi « Grenelle 1 » a effectivement été constitué, sous l’intitulé de « Plan Bâtiment Grenelle », récemment reconduit en « Plan Bâtiment Durable ». Cette structure originale, placée sous la responsabilité d’un membre de la société civile, ancien président du comité opérationnel Grenelle n° 3, a réalisé un excellent travail de

108 Le seul objectif chiffré les concernant est celui des bâtiments de l’Etat (réduction de 50 % d’ici à 2020).

Il y a toutefois lieu de noter que, s’agissant des bâtiments neufs, la loi prévoit des modulations, en fonction de la qualité de l’énergie consommée, de l’objectif quantitatif de réduction de la consommation d’énergie primaire.

création d’une solidarité entre les multiples filières du bâtiment, facteur de concertation et d’innovation.

Par rapport aux objectifs fixés, la situation en 2012 est la suivante :

En matière de constructions neuves, les objectifs de la loi « Grenelle 1 » ont été mieux que respectés : la réglementation thermique RT 2012, intégralement en vigueur au 1er janvier 2013, respecte les ambitions de la loi, et semble admise par l’ensemble des professionnels. Mieux, son application a été largement anticipée par de nombreux constructeurs de logements, qui ont souhaité conférer à leurs programmes le label volontaire « BBC » (Bâtiment Basse Consommation) attestant un niveau de performance énergétique identique à celui visé par RT 2012109.

Cela semble indiquer que des opérateurs souvent privés (tels que la filiale de promotion immobilière de Bouygues) étaient d’ores et déjà convaincus de la

« rentabilité » des exigences de la RT 2012, rentabilité qui n’est toutefois pas évidente à l’aune des critères du secteur privé (cf. annexe 9.).

L’étape suivante, celle des « BEPOS » (Bâtiments à Énergie Positive), prévue pour 2020, donne lieu d’ores et déjà, sous l’égide du Plan Bâtiment Grenelle, à des réflexions paraissant très fécondes, recoupant très largement les descriptions de la

« troisième révolution industrielle » de Jeremy Rifkin 110: décentralisation de la gestion de l’énergie, approche globale recoupant urbanisme, mobilité111 et conception des bâtiments, prise en compte de l’énergie grise, c’est-à-dire de l’énergie et des émissions de gaz à effet de serre requises par la construction des bâtiments. Il semble donc exclu que cette future réglementation impose abruptement que tout bâtiment neuf doit obligatoirement produire plus d’énergie qu’il n’en consomme. On voit d’ailleurs mal comment cela pourrait s’appliquer, par exemple, à une tour de bureaux.

En matière de bâtiments existants, la situation est plus mitigée :

S’agissant du secteur résidentiel, la Cour des Comptes, dans son rapport relatif à l’impact budgétaire et fiscal du Grenelle Environnement (novembre 2011) crédite les deux mesures phares du dispositif d’incitation – le prêt à taux zéro (éco-PTZ) et le Crédit d’Impôt Développement Durable (CIDD) – d’un impact significatif sur les émissions de gaz à effet de serre « théoriques » : une réduction de 7,5 % en deux ans112. Mais elle ajoute aussitôt qu’ils sont insuffisants – « tels qu’ils sont aujourd’hui calibrés et malgré leur coût élevé de 1,78 Md € » – pour atteindre l’objectif de réduction de 38 % de la consommation d’énergie.

En matière de logements privés, plus précisément, les inquiétudes s’aggravent en 2012, avec un quasi tarissement de la distribution des Eco-PTZ et un retard préoccupant du démarrage du programme « habiter mieux » de lutte contre la

109 À la fin de 2011, ce sont 274 000 logements et 4,5 millions de m2 de surface tertiaire qui ont fait l’objet d’une demande de certification BBC (source : rapport d’activité 2011, Plan Bâtiment Grenelle.

110 cf. 8.3. ci-dessous : « L’énergie « 2.0 ».

111 Selon un calcul d’Olivier Sidler, du bureau d’études ENERTECH, l’impact annuel des trajets quotidiens domicile/travail (5 km aller/retour) des usagers d’un immeuble de bureaux de type « BEPOS », ramené au mètre carré de bureau (10 m2 par personne) est de l’ordre de 15 kWh/m2 en tramway, et 200 kWh/m2 en voiture particulière, pour une consommation totale d’énergie du bâtiment de 25 kWh/m2.

112 Source un peu mystérieuse. Le rapport précité du SOeS (juillet 2012) donne les chiffres suivants pour les émissions de CO2 du secteur résidentiel 2009 : 70 Mt, 2010 : 66, 2011 : 68.

Rapport n°008378-01 Le facteur 4 en France : la division par 4 des émissions de gaz à effet de serre

à l'horizon 2050

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précarité énergétique, pourtant bien doté. Certes de nombreuses mesures techniques sont proposées pour pallier les difficultés rencontrées. Reste que l’aggravation de la crise économique et les craintes sur le pouvoir d’achat des ménages altèrent l’efficacité de toute politique d’incitation.

La situation est meilleure du côté du logement social, où certes l’exercice de la maîtrise d’ouvrage est plus facile qu’en copropriété. Il semble en effet que la mise en place de prêts bonifiés ait permis le respect de l’objectif de lancement en deux ans de la rénovation de 100 000 premiers logements.

L’objectif « État exemplaire », spécifique au parc immobilier de l’État, a pu bénéficier d’une excellente impulsion de départ avec la mise en place, au titre du plan de relance de la fin 2008, d’un crédit de 50 M€ destiné aux audits. Le lancement simultané de la « nouvelle politique immobilière de l’État » intégrait en principe les objectifs «Grenelle», mais le dispositif mis en place pour financer l’entretien et l’amélioration du parc, démarqué de la gestion immobilière classique, n’a pas été calibré pour faire face aux dépenses de rénovation thermique, ni d’ailleurs aux dépenses de mise en accessibilité. Les documents budgétaires continuent d’affirmer sereinement que les dotations budgétaires du programme LOLF113 309 « Entretien du patrimoine immobilier de l’État », géré par France-Domaine, qui se montent à 200 M€/an environ pour l’ensemble des dépenses, vont permettre d’engager le programme de rénovation énergétique, pourtant estimé par le comité « Grenelle » n° 4 à 1 Md €/an pendant dix ans. Il est dans ces conditions bien douteux que des travaux significatifs puissent être engagés. Les ministères disposent pourtant encore de crédits budgétaires consacrés à l’immobilier, puisqu’ils lancent parfois d’ambitieux programmes de travaux neufs. Il est vrai que les ministères ne sont plus affectataires de leurs immeubles, mais simples occupants. Ils estiment alors que le gros entretien incombe au propriétaire, représenté par France-Domaine.

Enfin, de nombreuses réflexions ont été engagées sur les modalités concrètes de l’obligation de travaux dans le parc tertiaire, posée par la loi Grenelle 2. Des recommandations ont été formulées, dont certaines paraissent remettre en cause sinon l’objectif de 38 % d’économie de la loi Grenelle 1, du moins son articulation avec les obligations définies par le décret à paraître, qui seraient par exemple tempérées par la limitation à quinze ans du temps de retour sur investissement des travaux exigibles. Or, aux prix actuels de l’énergie, et sans prise en compte de l’accroissement de valeur patrimoniale, les temps de retour des opérations de rénovation pour un objectif tel que la division par deux des émissions de GES sont plutôt de l’ordre de trente à quarante ans.

Cela n’empêche pourtant pas certains investisseurs privés de financer des travaux parfois très importants, sans aucune mesure d’obligation ni même d’incitation.

Tel est le cas par exemple :

• de la tour « FIRST » à La Défense, où près de 300 M€ ont été investis dans la rénovation très spectaculaire d’une tour amiantée et obsolète. Certes, l’amélioration de la performance énergétique était loin d’être le seul objectif : il y avait aussi le désamiantage, et un accroissement notable des surfaces habitables (par surélévation partielle) et de l’agrément des lieux. Reste que l’économie d’énergie est de l’ordre de 75 % ;

113 Loi organique relative aux lois de finance.

• du programme de rénovation du siège du groupe Bouygues, qui vise notamment à diviser par 10 la consommation d’énergie, pour un montant d’investissement de 150 M€. Certes, il s’agit d’un investissement largement commercial, mais qui témoigne quand même d’un certaine confiance du groupe Bouygues dans la faisabilité technique, et le caractère généralisable au plan techno-économique d’une telle ambition sur le bâti existant.

Il convient de noter que la récente révision des directives européennes relatives à l’efficacité énergétique (directive 2012/27/UE du 25 octobre 2012) rappelle dès son article 5 l’importance du « rôle exemplaire des bâtiments appartenant à des organismes publics » mais ne fixe guère d’objectifs contraignants : seuls l’État est astreint – et pour une part seulement de son patrimoine immobilier – à une obligation assez modeste de « rénovation » annuelle de 3 % des surfaces. Ce n’est donc pas cette directive, que les États membres doivent transposer au plus tard le 5 juin 2014, qui va restaurer en France l’ambition initiale « État exemplaire » issue du Grenelle. Un peu paradoxalement, certaines collectivités locales, notamment les régions, vont sans doute augmenter leur avance sur l’État, alors que la directive européenne ne leur impose aucune contrainte.