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La construction neuve, son impact et ses enseignements

6. Le secteur du bâtiment

6.2. Problématiques du secteur du bâtiment

6.2.2. La construction neuve, son impact et ses enseignements

On a vu dans la première partie que l’impact des objectifs ambitieux impartis à la construction neuve par les résolutions du « Grenelle » était loin d’être négligeable. Il représente environ le tiers des consommations et émissions actuelles du secteur. Mais il reste clair que le principal enjeu reste l’existant, dès lors qu’environ 25 des 36 millions de logements qui existeront en 2050 sont déjà construits.

115 Laboratoire techniques territoires et société de l’École nationale des Ponts et Chaussées.

116 Électricité de France Recherche et développement.

117 Sans oublier l’amélioration de l’exploitation et celle du comportement des usagers, dont on parle trop peu !

Le principal enseignement que l’on peut voir dans la mise au point, mais aussi dans l’acceptation de cette réglementation ambitieuse par les acteurs de la filière Construction comme par les acquéreurs de logements, c’est la vérification que les copieux gisements d’amélioration pressentis sont techniquement exploitables. On a cité en première partie l’étude « Habitat facteur 4 » proposant des scénarios de réduction d’un facteur 16 des émissions du secteur résidentiel. Plus récemment, la

« Contribution de l’ADEME à l’élaboration de visions énergétiques 2030-2050 » avance les évolutions suivantes pour les émissions de gaz à effet de serre :

Mt Co2 éq 1990 2030 2050 % 2050/1990

résidentiel 66 26 9 -86,36 %

tertiaire 30 13 2 -93,33 %

La contribution du bâtiment s’établit au niveau du facteur 10, un peu supérieur au scénario proposé par le rapport Perthuis.

Certes, il s’agit là de scénarios volontaristes, intégrant l’objectif du facteur 4 en 2050 : globalement, les émissions de la France sont ramenées de 563 Mt d’équivalent CO2

en 1990 à 150 en 2050. La contribution du bâtiment s’établit au niveau du facteur 10, un peu supérieur au scénario proposé par le rapport Perthuis, où la baisse des émissions de l’ensemble résidentiel tertiaire était de 85 %.

Un autre enseignement important des récents progrès énergétiques de la construction neuve, et qui semble démentir l’optimisme de telles projections, est que les consommations réelles sont en fait difficiles à calculer a priori . Presque tous les bâtiments de bureaux « basse consommation » construits ces dernières années et ayant fait l’objet d’une vérification soigneuse des performances ont donné lieu à des déconvenues, les consommations réelles s’établissant à un niveau nettement supérieur aux calculs de conception. Cela tient pour une part aux consommations d’électricité « spécifiques » exclues des réglementations et souvent des prévisions, telles que les consommations des systèmes informatiques. Cela tient aussi à des changements de programme, à des erreurs de mise en œuvre des matériaux, à des lacunes de la programmation des équipements, mais plus encore à des changements dans l’exploitation des bâtiments ou dans le comportement des occupants.

Il apparaît que ces imperfections sont souvent réparables. Lors d’une récente matinée de l’IFPEB (Institut Français de la Performance Énergétique des Bâtiments, regroupant le CSTB118 et divers grands maîtres d’ouvrages ou entreprises), l’exemple du récent siège social de Schneider Electric a donné lieu à une présentation détaillée : l’ancien siège avait une consommation, en énergie finale, de 320 kWh par m2 et par an. L’année d’installation de l’entreprise dans son nouveau siège, la consommation réelle s’est établie au niveau décevant de 150 kWh/m2/an. Mais l’année suivante, elle avait baissé à 110, et un an plus tard, après il est vrai quelques investissements supplémentaires, elle s’établissait à 78 kWh/m2/an.

118 Centre scientifique et technique du bâtiment.

Rapport n°008378-01 Le facteur 4 en France : la division par 4 des émissions de gaz à effet de serre

à l'horizon 2050

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21. Dans le domaine du bâtiment, poser clairement le plus tôt possible les problématiques d’écart entre les économies théoriques et les économies constatées de façon à engager la recherche de solutions. Développer la recherche et les études permettant de comprendre les causes de ces écarts, pour s’efforcer d’y remédier.

Que conclure de telles péripéties ? D’abord, certes, que la garantie de performance reste un sérieux enjeu : si des déconvenues sont fréquentes en construction neuve, alors elles risquent d’être pires en rénovation, et de dissuader les propriétaires et plus encore les investisseurs de se lancer dans de telles aventures. Mais aussi que si une construction neuve présente de tels gisements d’amélioration, fût-ce pour « rattraper » une déception initiale, alors il est possible et même probable que bien des constructions existantes, surtout dans le secteur tertiaire, présentent des opportunités analogues.

6.2.3. Les coûts d’abattement

6.2.3.1. Quelques ordres de grandeur

Les études précitées, proposant des scénarios de contraction des émissions, notamment dans le secteur du bâtiment, se sont soigneusement écartées de toute estimation financière, qu’il s’agisse du budget de l’État ou de celui des ménages. On peut toutefois tenter d’approcher des ordres de grandeur.

On a vu que le secteur résidentiel émet en 2011 environ 68 Mt de CO2. Pour un peu plus de 30 millions de logements cela représente environ deux tonnes par logement et par an.

Les estimations des coûts de rénovation thermique « ambitieuse » – de type « facteur 4 » – s’établissent le plus souvent entre 30 000 et 60 000 € par logement. Le prix de la tonne annuelle économisée est alors de 20 à 40 000 €, conduisant avec l’hypothèse optimiste d’une durée de vie de l’investissement de 40 ans, et sans actualisation des économies d’émissions, à un coût à la tonne de l’ordre de 500 à 1 000 €, ce qui est bien sûr considérable.

En considérant qu’il convient de rénover 25 millions de logements, le coût total à consentir est compris entre 750 et 1 500 Md €. Étalé sur les quelque quarante ans qui nous séparent de 2050, l’investissement se monte alors, en chiffres ronds, de 20 à 40 Md€ par an, pour le seul secteur du résidentiel.

6.2.3.2. La nécessaire, mais difficile, hiérarchisation

L’ampleur de ces investissements pose bien sûr le problème de leur soutenabilité. Une récente étude (octobre 2012) de l’UFE (Union Française de l’Électricité)119, consacrée au seul objectif intermédiaire du « Grenelle », celui d’une baisse de 38 % en 2020 des consommations d’énergie du parc existant de bâtiments, annonce avec une franchise honorable, mais un peu abrupte, que :

119 Analysée par ailleurs au 1.3.4.4.

• « dans l’état actuel des politiques publiques, les objectifs de Grenelle ne sont pas atteignables », ce qui de fait est à peu près avéré au regard de l’état des lieux présenté en partie 1, et confirmé par une étude commandée en 2011 par le CGDD (Études et documents n° 58, Évaluation des mesures du Grenelle de l’Environnement sur le parc de logements) ;

• « le niveau actuel des prix des énergies ne permet pas de rentabiliser la plupart des actions d’efficacité énergétique ». Il s’agit là des actions qui s’ajouteraient à celles qui découlent des politiques publiques, et qui seraient donc spontanément engagées par les divers maîtres d’ouvrage (propriétaires occupants, bailleurs sociaux, gestionnaires d’immeubles tertiaires...).

De fait, l’étude précitée mettant assez haut la barre de la rentabilité, avec notamment une actualisation à 10 % des économies d’énergie ou d’émissions, elle ne considère comme rentables que peu d’actions, notamment pour les logements chauffés au gaz ou à l’électricité : l’isolation des combles en logement collectif, par exemple. La mise en place de pompes à chaleur air/air en remplacement de convecteurs, dans les logements chauffés à l’électricité, qui joue un grand rôle dans les scénarios de faisabilité technique, n’est qualifiée que de « proche du seuil de rentabilité » ; elle deviendrait rentable avec un taux d’actualisation de 5 % au lieu de 10 %. Fort heureusement, un tel taux est sans doute considéré comme acceptable par bien des propriétaires, comme a semblé le démonter le comportement des acquéreurs de logements neufs à l’égard des bâtiments « BBC » préfigurant la RT 2012. Les propriétaires de logements chauffés au fuel sont par ailleurs mieux lotis, si l’on peut dire. Le remplacement des chaudières fuel par des chaudières à condensation gaz dans les maisons individuelles présenterait un taux de rentabilité interne de 30 %.

Mais le gisement serait mince en quantité totale d’énergie économisée.

Le grand mérite de cette étude, réalisée par une analyse très complète des certificats d’économie d’énergie délivrés ces dernières années, est, en fait, de classer les diverses actions par rentabilité décroissante. Cela peut certes orienter les politiques publiques, mais n’est pas d’un très grand secours pour le propriétaire d’un logement, qui aura bien sûr besoin d’une étude particulière.

Car la « rentabilité » des actions d’efficacité énergétique ne varie pas seulement en fonction des diverses actions ; elle dépend aussi de la situation initiale du bâtiment considéré. L’étude précitée du CGDD comporte une matrice des « coûts de transition » entre les différentes classes du diagnostic de performance énergétique : passer de G à F coûterait ainsi 50 €/m2, mais de B à A 350 €/m2. On peut alors estimer les temps de retour sur investissement à 4 ans pour passer de G à F, mais à 100 ans pour passer de B à A.

6.2.3.3. Le dilemme de l’enchaînement des tâches

Il a été indiqué plus haut que les récentes réalisations de bâtiments très performants ont fait apparaître les importants gisements d’amélioration – ou de corrections d’erreurs – que comportaient les modalités d’exploitation et d’occupation, et ont suggéré que de tels gisements existent aussi dans l’existant, notamment dans les bâtiments tertiaires.

De fait, lors du lancement des comités opérationnels « Grenelle », les acteurs de l’efficacité énergétique « active » que sont les entreprises telles que Schneider Electric

Rapport n°008378-01 Le facteur 4 en France : la division par 4 des émissions de gaz à effet de serre

à l'horizon 2050

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(alors que l’efficacité énergétique « passive », reposant sur la performance de l’enveloppe a pour entreprise emblématique Saint-Gobain) ont souvent suggéré qu’ils étaient en mesure de garantir des réductions de consommation significatives, de l’ordre de 20 à 25 %, en intervenant sur des bâtiments tertiaires existants avec peu d’investissements, amortis en cinq à dix ans. La formule contractuelle proposée était celle du contrat de performance énergétique, avec obligation de résultat, et avec ou sans préfinancement par l’opérateur.

Il a certes été fait bon accueil à ces propositions, mais l’orientation générale du dispositif « Grenelle » a été nettement plus ambitieuse, et l’a été à juste titre, dès lors qu’il était déjà établi que le respect de l’objectif du « facteur 4 », posé dès 2005, imposait un effort considérable au secteur du bâtiment. Il a été dit et écrit que les principes du contrat de performance énergétique étaient excellents, mais qu’il convenait de les appliquer à des rénovations plus ambitieuses qu’une simple optimisation de l’exploitation à l’aide de quelques horloges ou capteurs. La principale difficulté paraissait alors de susciter l’offre correspondante de travaux : les grands groupes du BTP, alors dans une situation assez euphorique, manifestaient a priori peu d’enthousiasme pour des engagements de très longue durée, avec de plus une obligation de résultats fort difficile à assumer, comme le savent tous les maîtres d’ouvrage, dans les opérations de rénovation.

La situation a aujourd’hui bien changé : la crise a gravement affecté les budgets des autorités publiques, des investisseurs et des ménages et donné un coup de frein au boom de la construction. Les grandes entreprises du BTP, tout comme les petites et les artisans, mettent de grands espoirs dans le marché de la rénovation énergétique, et ont fait, comme on l’a dit, de grands progrès dans la qualité de leurs offres.

Reste que l’ampleur des investissements à consentir limite le zèle. L’État lui-même, qui s’était engagé à être « exemplaire » n’est pas vraiment sur le chemin de son

« facteur 2 en dix ans » pourtant consacré par la loi « Grenelle 1 ».

On voit alors refleurir la tentation de la rénovation « light », telle qu’elle était proposée en 2008, et alors même que la faisabilité technique des rénovations ambitieuses a été démontrée depuis.

C’est de fait une question difficile. Les partisans de l’efficacité énergétique « passive » – cet adjectif n’ayant rien de péjoratif – craignent que la réalisation prioritaire de telles rénovations « faciles » ne « tue le gisement » et ne viennent condamner, quelles que soient les résolutions vertueuses proclamées, toute intervention ultérieure plus ambitieuse. À quoi il est souvent répondu, et pas seulement par les tenants de l’efficacité active, que la minceur actuelle des ressources ne doit pas condamner à l’inaction, et qu’il vaut mieux gagner 20 % que rien du tout.

L’hésitation est permise. L’est bien sûr un peu moins ce qui semble être une persistante indifférence des occupants des bâtiments, résidentiels ou tertiaires, aux gaspillages induits par certains comportements, notamment en matière de respect des températures.