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L’espace interpsychique de l’interprétation : une approche sémio-linguistique.

3) Prise en charge modale

L’interprétation passe par un investissement subjectif fort que nous observons dans l’utilisation de périphrases verbales et de pronoms personnels.

Les verbes ou périphrases verbales les plus couramment utilisés sont : /sembler/, « il semble indifférent à ce qu’il a autour de lui »,

/paraître/ « le patient paraît survolté » « il paraît de nouveau abattu »,

/trouver/ « je trouve un peu étonnant qu’il n’y a pas grand chose de fait pour retenir

cette personne ».

Ces verbes sont la trace d’une participation active des énonciateurs dans la restitution. L’analyse de ces marqueurs permet de montrer les différents niveaux qui se construisent dans les corpus. D’une part l’utilisation /sembler/ et de /paraître/ indique que le sujet adopte une distance vis à vis de son texte, et se dissocie de la prise en charge de l’assertion. D’autre part, l’utilisation de /trouver/ indique plutôt une prise en charge forte ou active. On voit donc la constitution de cet espace interpsychique par le jeu qui existe entre le sujet et son interprétation. Pour ce qui est de l’utilisation des pronoms, on voit à l’œuvre trois niveaux qui

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Le terme « choix d’objet » est emprunté à la psychanalyse selon laquelle il désigne depuis FREUD « l’acte d’élire une personne ou un type de personne comme objet d’amour » ; cette expression « évoque ce qu’il peut y avoir d’irréversible et de déterminant dans l’élection par le sujet, à un moment décisif de son histoire, de son type d’objet d’amour ». LAPLANCHE Jean, PONTALIS Jean-Bertrand, 1967, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris : PUF, p.64. Cette définition montre que nous utilisons le terme de façon impropre et dérivée. Etant une scène à deux protagonistes, l’interaction rend possible l’adoption de l’un ou l’autre point de vue. Dans ce choix d’objet, il ne s’agit pas seulement de voir à travers un point de vue, mais de ressentir des émotions qui nous permettent d’être à la place de l’autre. Il s’agit donc de « l’empathie », définie par Cosnier. COSNIER Jacques, 1993, ouvrage cité ; COSNIER Jacques, 1994,Psychologie des émotions et des sentiments, Paris : Retz.

consistent en différentes stratégies, selon que l’énonciateur tient pour vrai l’objet de son discours, et l’érige en vérité informationnelle non susceptible d’être remise en cause. C’est dans ce cas le pronom impersonnel qui est utilisé. Mais l’énonciateur peut prendre en charge directement le contenu de son discours, et l’énonce grâce à l’utilisation du pronom JE. Enfin, il est possible de voir l’emploi du pronom ON comme un point de vue général que l’énonciateur veut étendre et qu’il inclut au co-énonciateur. Ces trois stratégies manifestent ici aussi le jeu qui existe aussi dans l’espace énonciatif construit par les pronoms. Le recours au pronom impersonnel fixe une distance maximale entre l’énonciateur et l’objet de discours, tandis que le pronom ON introduit un espace commun d’interprétation entre l’énonciateur et le co-énonciateur ; et c’est avec le pronom JE que le S.I. assoit son point de vue tout en créant différentes formes de distances et de dédoublement.

En premier lieu, les formes impersonnelles.

Le S.I. affirme son point de vue subjectif par l’intermédiaire de IL pronom impersonnel, construisant tout autant une prédication d’existence qu’une propriété informationnelle : 1) « J’ai été mal à l’aise par la façon dont le médecin s’adresse au patient, d’une manière

autoritaire, voire agressive, mais là encore, il existe certainement de bonnes raisons. »

2) « Il est difficile de déterminer le patient au tout début »

3) « Au début on se sent un peu désorienté (…/…) il nous faut d’ailleurs un petit temps pour

nous situer dans le contexte qui est qui ? »

Dans l’exemple n°1 l’énonciateur se situe par rapport à ce qu’il énonce, « J’ai été mal à

l’aise », puis construit une valeur assertive « il existe certainement de bonnes raisons » dont

la validation est subjective « certainement » puisque l’énonciateur s’en porte garant ; mais l’énonciateur construit également le fait qu’il énonce comme un fait attestable et vérifiable par tout un chacun.

Dans l’exemple 2, le pronom impersonnel il est utilisé pour construire une assertion dont la validation est soumise à un point de vue extérieur auquel l’énonciateur se rallie. Elle est fondée sur un jugement n’ouvre pas la voie à la contestation : « il est difficile de

déterminer le patient ».

Pour l’exemple 3, le point de vue est envisagé comme largement partagé au sens où l’énonciateur se construit comme représentant ou porte parole de ce consensus « il nous

L’utilisation du pronom ON

Le pronom indéfini ON est très souvent employé dans notre corpus. Il construit un espace interpsychique qui associe tantôt le S.I. au point de vue du médecin (exemple 1), et tantôt le point de vue du patient, (exemple 2) Il a trois référents possibles selon les situations qui sont généralement :

- le patient et le médecin

- des personnes dans la scène décrite

- une classe de personnes ralliées au point de vue de l’énonciateur Nous considérons maintenant certains exemples du corpus : 1) « Quand il sort de la pièce on se sent presque mieux. » C1

2) « Il semble être calme mais on ressent une sorte de culpabilité. » C1

Ces exemples permettent à l’énonciateur de décrire son ressenti émotionnel, et l’utilisation du pronom ON ancre une interprétation dans un moment du récit (Quand il sort de

la pièce) par rapport à un ressenti empathique (sorte de culpabilité) ou dispathique (presque mieux). L’énonciateur construit son ressenti (se sent, ressent) par rapport un pôle énonciatif

non-déictique.

Il élargit cette construction à une sphère énonciative (on) à partir de laquelle il construit une validation (se sent, ressent).

Ainsi, le pronom ON est utilisé ici pour faire appel à un co-énonciateur conduit à être impliqué dans ce ressenti, au même titre que l’énonciateur, ce qui construit donc une altérité dans l’espace interpsychique qui ne se réduit plus à une relation S.I./protagoniste. C’est un espace à trois pôles.

Utilisation de JE

Lorsque dans le corpus le pronom personnel JE est employé, c’est souvent pour marquer un décalage. Paradoxalement, l’utilisation du pronom JE instaure une mise à distance entre le S.I. et son propre discours. Ce décalage peut être temporel comme on le voit avec l’emploi du passé composé et imparfait :

« Lors du 1er visionnement de la cassette, je me suis à un moment demandé si j’avais bien compris la scène. »

« je ne savais pas trop que penser ».

Le décalage peut être construit par une position modale désactualisée, comme en témoigne les deux exemples suivants :

« Je dirais que ce document est extrait d’un reportage sur les urgences psychiatriques,

pour montrer la difficulté d’exercer dans ce milieu. »

Par le conditionnel et l’usage du verbe ‘dire’ l’énonciateur construit une distance par rapport à ses impressions premières comme pour s’en faire le juge a posteriori.

Cette distanciation est également marquée pour indiquer une interprétation plus personnelle : « Peut-être ai-je ressenti une sorte de ‘condescendance’ ».

L’utilisation de l’inversion du sujet et de l’auxiliaire et de peut-être ont deux valeurs principales. L’inversion du sujet et du verbe (ai-je) marque clairement une réticence à prendre en charge la validation de la relation prédicative, ouvrant la possibilité d’un réajustement ultérieur qui viendrait renforcer l’assertion, la compléter pour la rendre moins soumise à la subjectivité et créant ainsi un métadiscours.

Pour renforcer ce jeu de construction, l’énonciateur s’adresse une auto-interrogation « Peut-être ai-je ressenti » par laquelle il envisage deux possibilités (j’ai ressenti / je n’ai pas ressenti) pour en choisir une de façon hypothétique. L’énonciateur pose une question dont il est le seul à pouvoir fournir la réponse. Cette construction propose d’envisager un parcours fictif qui s’oppose à ce qui est asserté (la condescendance). L’utilisation de ‘une sorte de’ donne un contour flou à la notion (la condescendance), constituant une marque supplémentaire de l’observation distante du S.I. à l’égard de son discours. L’espace interpsychique ainsi construit est un espace de jeu de distance, de décalage de l’énonciateur par rapport à son dit, du S.I. par rapport aux protagonistes de l’interaction, et un espace de jeu entre le sujet énonciateur et le sujet co-énonciateur.

II – Le travail interprétatif : rationalisation et re / de qualification

Nous avons montré que l’espace interprétatif est un espace interpsychique complexe. Les textes produits par les S.I. sont des constructions sémiotiques qui se caractérisent par deux aspects : la restauration du sens, et la (de/re)qualification du sujet victime.

1) La situation initiale de l’interprétation de cette séquence : le constat de l’absurde, l’incompréhension, l’étonnement

La plupart des S.I. manifestent « étonnement », « incompréhension », « surprise » devant l’attitude du patient, et devant le caractère « brusque » de son « revirement ». Cette perplexité mentionnée dans beaucoup de textes succède parfois à un premier moment de confiance quand l’alcoolique avoue sa rechute. De ce fait, l’incompréhension qui survient

après est alors pathémisée, non seulement exprimée comme perception d’un défaut de cohérence mais reliée à un contenu affectif, et le S.I. dit sa « déception ».

Ex : « j’ai ensuite fait part (sic) d’une réelle incompréhension lorsque le patient est

passé d’un état serein à une excitation intense afin de récupérer son papier » C4

2) Empathie et requalification : restitution d’un rôle narratif de manipulation et d’un acte de