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La prise en charge du jeune enfant au regard des études de développement

Chapitre 1 - Inscription de la recherche dans un cadre théorique

1.3. La prise en charge du jeune enfant au regard des études de développement

L’éducation est aujourd’hui considérée comme un élément primordial du développement des personnes, on parle de droit à l’éducation et un système d’enseignement43 performant est jugé essentiel pour un pays44. Le rapport UNESCO 2007 sur la petite enfance souligne l’importance des travaux sur l’impact positif de la participation aux programmes d’EPPE sur l’éducation future et constitue la trame des paragraphes suivants. L’EPPE favoriserait également le bien-être physique et le développement moteur, le développement social et affectif, le développement du langage et les compétences cognitives de base. Les programmes d’EPPE peuvent améliorer l’état de préparation à l’entrée à l’école, augmenter la probabilité de l’inscription en première année de l’école primaire, réduire les scolarisations tardives, les redoublements et les abandons scolaires et accroître l’achèvement du cycle et de la réussite scolaire. Ils constituent également un mode de garde sécurisé. Dans les pays les plus développés, l’afflux des femmes sur le marché du travail est d’ailleurs étroitement associé à une participation plus élevée des enfants aux programmes préscolaires. Pourtant, la relation entre structures de l’emploi et éducation préprimaire est plus faible dans les pays en développement où le mode de prise en charge des jeunes enfants est informel, souvent organisé avec le soutien des parents ou de proches de sexe féminin. Les mères, employées dans le secteur agricole ou dans le secteur informel, les confient aux autres femmes de la communauté ou les prennent avec elles pendant les heures de travail. Les mères employées dans le secteur formel ont en revanche un meilleur accès à l’information et ont aussi plus de chances de recourir à des services structurés d’éducation de la petite enfance.

Synthétisées par la suite à travers les Objectifs du Millénaire pour le Développement (2000), les formes d’interdépendance entre éducation de la petite enfance et développement ont depuis été largement diffusées et la préscolarisation est présentée comme un puissant accélérateur du développement : « Outre qu’elle est un objectif important en soi, l’Education et la Protection de la Petite Enfance (EPPE) peut contribuer à la réalisation des autres objectifs de l’Education Pour Tous et des Objectifs Du Millénaire. Les enfants qui participent à l’EPPE et acquièrent des expériences positives précoces de l’apprentissage s’adaptent plus facilement que les autres à l’école

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L’éducation correspond à la formation globale d'un individu, à divers niveaux. L'enseignement est une pratique d'éducation visant à développer les connaissances d'un élève par le biais de communication verbale et écrite.

44 L’Indice de Développement Humain (IDH) y fait référence en s’appuyant sur trois données : le pouvoir d’achat réel, l’espérance de vie et le niveau d’éducation par habitant.

60 primaire et ont plus de chances de commencer et d’achever le cycle primaire (objectif 2 de l’EPT). En réduisant l’abandon scolaire, le redoublement et les inscriptions dans des établissements d’éducation spéciale, l’EPPE peut améliorer l’efficacité interne de l’enseignement primaire et en diminuer le coût tant pour les pouvoirs publics que pour les ménages » (UNESCO, 2007 :18).

Dans les pays des Suds, les services d’accueil de la petite enfance sont apparus plus récemment qu’en Europe mais sont en plein développement, les expériences des uns et des autres étant relayées par des articles et des rapports. Face à une immense population de jeunes enfants laissés pour compte, l’accent a été mis sur la santé du nourrisson et de l’enfant, la lutte contre la pauvreté, la création d’environnements sains et peu coûteux pour la garde des enfants en bas âge et la transition vers la scolarisation primaire avec des résultats inégaux (UNESCO, 2016 : 131). En Asie du Sud et de l’Ouest, le préprimaire, c’est-à-dire lorsque l’offre préscolaire vise clairement la transition vers la scolarisation primaire, concerne entre le tiers et la moitié des jeunes enfants. Si le lieu de résidence est un facteur plus important que le sexe dans la mesure des disparités entre taux de participation, les enfants des ménages les plus pauvres sont eux nettement moins scolarisés que ceux des ménages les plus riches. La pauvreté, comme le lieu de résidence, est donc un facteur important d’accès aux programmes d’éducation de la petite enfance. Cette disparité est défavorable aux filles et aux zones rurales. La taille du ménage peut aussi influer sur la fréquentation des programmes car plus un ménage compte d’enfants, moins la famille est susceptible de les confier à des programmes d’EPPE. Cependant, l’exemple à grande échelle de l’Inde a montré que la disponibilité des centres d’EPPE à travers les ICDS a une incidence positive sur la participation et le Tamil Nadu présente une très bonne situation (Drèze & Sen, 2015 ; UNESCO, 2007 ; chapitre 5).

Les raisons en faveur de l’investissement dans l’EPPE reprennent couramment les arguments des droits humains, des valeurs morales et sociales, d’efficacité des programmes et d’équité sociale mais aussi de la productivité économique, de l’économie des coûts (Myers, 2000 :4). Dans les années 2000, le repositionnement de la Banque Mondiale en faveur de l’amélioration de la qualité de vie des enfants, à travers la promotion des politiques de santé et d’éducation est pour cela assez représentatif. Elle a ainsi accordé une aide bilatérale pour le développement de programmes de l’EPPE (dont a bénéficié l’Inde) d’environ 1 000 millions de dollars. Son intervention, dans un modèle économique néolibéral où l’Etat n’a pas les capacités optimales de fournir les services nécessaires, pourrait sembler contradictoire avec les valeurs jusque là dispensées dans les pays des Suds. La Banque Mondiale présente ce projet comme une mesure d’économie à long terme. Pour d’autres, elle encouragerait des standards faibles qui ne peuvent qu’exacerber les inégalités existantes en matière d’offre de préscolarisation et les investissements se font souvent au détriment de ceux nécessaires pour les écoles primaires (Rosetti-Ferreira ; Ramon & Barriero, 2000 ; Rosemberg, 2000). La situation dans chaque pays est très différente, à commencer par la part occupée par le secteur privé. Si pour environ la moitié des 154 pays pour lesquels les données sont disponibles,

61 il représente moins du tiers du total, dans un tiers des pays, il représente plus de 66 % (UNESCO, 2016 : 127).

Le ressentiment de standards faibles est semblable à celui discuté sur les écoles primaires publiques des pays des Suds. Des compétences de bases seraient plus ou moins ciblées comme la connaissance de l’alphabet et de la comptine numérique (la lecture pour la langue et le calcul pour les mathématiques à partir de l’entrée en primaire). Les contextes d’apprentissage resteraient peu exigeants concentrés sur les entraînements aux futurs examens écrits au détriment des manipulations et des découvertes. La fourchette horaire est très large, de 5 à 60 heures par semaine avec une moyenne de 27h dans les différents pays (UNESCO, 2016 : 139), de 15 à 36h par semaine sur notre terrain45. Beaucoup d’enseignants focalisés sur l’objectif de porter l’ensemble de la classe d’âge ne seraient pas en mesure d’encourager la soif de dépassement et la quête d’excellence de certains et peuvent même avoir un niveau d’attente assez faible en raison de l’origine sociale de leur public. Leurs qualifications sont généralement plus faibles que celles des autres enseignants. En outre, les qualifications minimales requises dans chaque pays ne seraient possédées que par 82% des enseignants du préprimaire en 2014, voire moins de la moitié pour ceux d’Afrique subsaharienne (UNESCO, 2016 : 57).

L’implication des grands bailleurs de fonds internationaux et la signature d’accords entre les pays du Nord et des Suds pour le financement des programmes interrogent le regard qui est porté sur le jeune enfant et l’influence exercée sur sa famille. Il y a toujours un risque que la promotion des droits de l’homme et des enfants soit le prétexte pour mettre à l’agenda des mesures inappropriées et inefficaces (Tobin, 2011). Et, si le monde peut paraître dur à réformer, l’enfant est vu comme innocent et malléable. L’influence qu’on exerce sur lui par des programmes de « stimulation » adéquats pourrait convertir certains comportements des parents (Myers, 2000). La convention en faveur des droits de l’enfant (Convention of the Rights of the Child ou CRC) a été ratifiée par cent quatre-vingt-quinze pays mais le texte est parfois critiqué car issu de constructions occidentales formulées par les Nations Unies et qui paraissent imposées aux pays en développement par de puissantes institutions. Les valeurs promulguées ne sont pas en inadéquation avec les souhaits des familles mais si le respect des traditions et des valeurs culturelles est invoqué, cela prend la forme d’une « rhétorique sentimentale » abstraite, difficile à mettre en place dans des contextes si différents les uns des autres. Les mots « jouer, explorer, créer, imaginer, expérimenter » qui font sens dans les discours sur le droit des enfants sont parfois détournés par des professionnels du marketing lors de leurs campagnes publicitaires (Morrow & Pells, 2012 : 4 ). De plus, un certain nombre de programmes et de recommandations émanant d’agences ou d’ONG internationales (UNICEF, Childwatch International Research Network, Save the Children…) appellent les Etats du Sud à atteindre des standards de bien-être à travers la notion « d’intérêt supérieur de l’enfant » et ces enjeux sont à replacer dans une « perspective historique, soulign(ant) comment les élites se sont

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En Inde, cela représente environ 700 heures d’enseignement par an dans le préprimaire contre un peu plus de 1000 heures dans le primaire (UNESCO, 2016 : 159).

62 octroyés le droit, à travers l’histoire, de prendre les enfants de ceux considérés comme inférieurs ou pauvres » (Gordon Linda, 2008, cité par Delpeu 2011 : 30-33). Cette rhétorique a été « reprise par les missionnaires en Inde à l’égard de l’enfant pauvre indigène, l’enfant pauvre, malade, exploité ou par l’Etat qui transmet des valeurs d’identité nationale et de citoyenneté à travers le système scolaire et le projet éducatif, d’autre part, au cœur des enjeux familiaux de reproduction, qui mettent en jeu la parenté, la religion, la caste et le genre » (Delpeu, 2011 : 33).

Ainsi pouvons-nous nous demander comment ces modèles décodés et encodés voyagent-ils dans des formats culturels locaux et comment s’articulent-ils avec les conflits culturels locaux ? Est-il possible de discuter de l’école sans adopter une posture moralisatrice car nous sommes tous des acteurs fortement impliqués (en tant qu’étudiant ou parent) ? Reconnaître l’école primaire comme un droit a contribué à sa rapide expansion dans les années 1990 puisque la Cour Suprême indienne a forcé le gouvernement à prendre des mesures en ce sens. Dans la constitution, l’article 39 précise que: « children are given opportunities and facilities to develop in a healthy manner and in condition of freedom and dignity », on « positive freedoms ». De la même manière que la perception du public a évolué en faveur du droit à l’école primaire, l’EPPE pourrait être reconnue comme un droit et en cela ne plus être gérée au cas par cas ou selon un calcul coût bénéfices. L’argument économique de retour sur l’investissement est parlant mais difficilement chiffrable et suppose de rendre la fréquentation d’établissements préscolaires la plus large possible. Pour Mirai Chaterjee (2006), la fréquentation obligatoire des ICDS réduirait les barrières sociales qui existent dans les villages entre les familles les plus modestes et les classes moyennes basses en faisant tomber un certain nombre de tabous. Si beaucoup de personnes y voient une largesse du gouvernement, il faudrait y voir des droits et ne plus chercher à légaliser de manière négociée (Drèze, 2006). Universaliser ce type de politique peut-il contribuer à créer un sentiment d’équité sociale à travers un espace où les enfants joueraient, mangeraient, apprendraient ensemble alors que les divisions sociales en Inde sont si intenses (classe, caste, genre…) ? Ce pourrait être le lieu de réunion des familles autour de discussion liées aux enfants, permettant d’élaborer positivement son futur parcours scolaire et pourrait renforcer ces liens.

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