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Les entretiens : une méthode qualitative de recueil de données

Carte 4 - Lieux d'enquêtes à Pondichéry

2.2. Les entretiens : une méthode qualitative de recueil de données

La méthode d’échantillonnage était basée sur des critères probabilistes. Chacun avait a priori une chance égale d’être choisi quand je poussais les portes des écoles voisines de mon lieu de résidence ou quand nous interrogions les parents sur le trottoir des écoles ou aux abords des parcs. Au départ, les questions étaient plutôt fermées car je cherchais à dégager des réponses standardisées, cela me semblait le plus simple pour corroborer ou réfuter mes premières hypothèses. Ensuite, les entretiens se sont enchaînés selon une méthode dite « boule de neige », les questions étaient plus ouvertes et les entretiens se déroulaient plus facilement dans des lieux propices aux entretiens longs (notamment dans les écoles en dehors des horaires scolaires ou à leur domicile). Parfois, j’étais confrontée à une saturation d’informations et j’éprouvais le besoin de saisir le contexte par le biais de l’image pour mieux l’analyser a posteriori. Lorsque je restais plus longtemps dans une école, les personnes pouvaient librement venir discuter : c’était plus facilement des conversations guidées et très souvent le souhait de la « mobilité sociale » et de la « bonne éducation » étaient abordés. Or, cela était très subjectif car je ne disposais pas de statistiques ou de critères à leur proposer pour relancer efficacement la conversation. Par le biais de trente-huit questionnaires (en annexe) aux questions plus ou moins fermées, j’ai pu recueillir des renseignements sur les membres de la famille, le lieu de résidence, l’éducation, le revenu ou des indicateurs de richesse (possessions matérielles et biens immobiliers notamment), les critères de choix de l’école, leurs références éducatives, leurs impressions, leurs souhaits pour le futur de leurs enfants, leurs loisirs…

Comme je recherchais une certaine proximité avec les enseignantes, j’essayais dans un premier temps d’être en position d’observation participante. L’intérêt était de faire émerger le point de vue des personnes enquêtées et à comprendre la complexité de la situation qu’ils vivent au quotidien. Des entretiens semi-directifs en face-à-face précédaient parfois pour acquérir des données et d’autres entretiens suivaient pour discuter des pratiques observées et éviter la simple description et les contre-sens. Je posais des questions sur leur parcours personnel et professionnel, sur la manière dont elles interagissaient avec les familles et les instances au-dessus d’elles, comment construisaient-elles leurs pratiques, quels étaient les ressorts de leur engagement dans l’école ou dans l’association ? Comme je posais des questions assez personnelles à mes interlocuteurs pour mieux les situer, il m’a semblé normal que je me prête au jeu des questions-réponses de leur part : âge, famille, revenus, maison… Cette compréhension des contraintes et des choix effectués permettait parfois une co-émergence et une co-construction des informations. Par exemple, alors que je demandais à un père de famille comment c’était fait le choix de l’école, il se rendit compte que lui-même ne le savait pas et il a téléphoné à sa femme devant nous pour le lui demander. D’autres fois, si je demandais comment fonctionne l’ONG voisine ou l’anganwadi à quelques pas de là, la personne nous accompagnait pour en savoir un peu

86 plus. Quelques fois, des enquêtes complémentaires m’amenaient à interroger plus longuement certaines personnes qui délivraient leur parcours de vie, complexe et riche en détails. J’appréciais aussi de faire le point avec l’interprète, « jeune homme célibataire dont l’emploi est irrégulier », sur ce qu’il pensait de l’offre préscolaire autour de chez lui59. Les entretiens ont été nombreux et riches durant notre terrain. Beaucoup de temps a été nécessaire par la suite pour mettre en valeur la parole recueillie et la porter au sein d’une cohorte d’autres témoignages. Ils pouvaient aussi être directement utilisés sur le terrain en les portant à la connaissance d’autres personnes interviewées en espérant que le dialogue puisse s’installer ou, comme le terrain s’est étalé sur trois années, en les relisant aux mêmes personnes quelques temps après.

De manière générale, lors des entretiens, il m’est apparu essentiel d’établir des rapports clairs où mon double positionnement d’enseignante et de chercheuse était identifié par mes interlocuteurs, en leur reconnaissant la liberté de répondre ou non, et en me trouvant moi-même en « position d’engagement critique qui garantit notre propre autonomie de chercheur et de citoyen » (Agier, 1997 : 875-76). J’ai pu apprécier la disponibilité de mes interlocuteurs autant lors des entretiens impromptus que ceux en dehors du temps scolaire. C’est aussi un rapport de dette souligné par les chercheurs notamment Fabienne Brugère (2006) alors que l’on prend du temps et de la disponibilité aux personnes qui exercent auprès des enfants, d’autant plus que la restitution des rencontres était rarement faite aux familles.

D’autres entrevues ont été programmées avec les personnes les plus difficiles à contacter : cadres de l’administration, directeurs ou fondateurs de certaines grandes écoles. Des lettres de recommandations de supérieurs hiérarchiques ont parfois été nécessaires pour entrer dans les bâtiments, notamment dans les structures publiques où le supérieur est rarement présent dans l’enceinte du bâtiment, retardant les observations et rendant hésitant les enseignants. De la même façon, même si les rendez-vous ont parfois été difficiles à obtenir, rencontrer les autorités administratives m’a semblé indispensable pour comprendre les anciennes politiques et les initiatives publiques, l’importance actuellement accordée à la préscolarisation publique et les projets. J’ai interrogé sur le repositionnement de l’Etat, ses actions et ses omissions. Cela m’a permis de capter les discours proférés par les instances de décisions dans un milieu académique hiérarchisé, de comprendre l’emboîtement de ces décisions et de ne pas sous-estimer les différents niveaux d’actions en articulant les discours et les pratiques. A ce moment-là, aucun intermédiaire n’a été nécessaire.

D’autres fois, les entretiens à l’école étaient différés et j’en profitais pour observer la vie de la classe, pour discuter lors des temps interstitiels, ou bavarder avec d’autres

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Il était très étonné de la variété des écoles et des tarifs pratiqués, néanmoins il avait déjà une idée sur l’école où il enverrait ses jeunes enfants quand il serait père de famille. Comme c’était l’école catholique la plus réputée de Pondichéry, des amis à lui nous ont expliqué les démarches et les donations que cela engendrait.

87 personnes de l’école. Ensuite, je demandais des précisions sur ce que j’avais vu, cela permettait de clarifier et de nuancer. C’est pour cela qu’après les entretiens « formels », j’essayais d’engager la conversation sur les échanges de pratiques, en montrant des photos ou en amenant des manuels d’apprentissages par exemple et elles me montraient les leurs. Je me suis particulièrement intéressée aux différents fichiers, au nouveau matériel distribué par le gouvernement dans les écoles publiques et privées subventionnées pour les enfants préscolaires ou ceux édités par les écoles franchisées. Dans les écoles Montessori, j’ai découvert les différents jeux, les dispositions et les arrangements mis en place par les enseignants, la manière dont cela évolue dans la journée. Les enseignantes de maternelle française se réfèrent à la méthode Montessori pour mettre en place des activités pour « apprendre en jouant » mais le coût du matériel est assez rédhibitoire lorsqu’il s’agit de s’équiper donnant lieu à des bricolages plus ou moins réussis. Il s’est avéré que les jeux des écoles Montessori étaient aussi chers en Inde qu’en France, qu’ils n’étaient pas disponibles à Chennai mais venaient de Bangalore.

A Chennai, l’étendue de l’offre éducative était plus vaste qu’à Pondichéry notamment en ce qui concerne les écoles alternatives influencées par les enseignements de Krishna Murthi et Maria Montessori (6.2) qui se déclinent des familles aisées aux plus modestes. Introduite grâce à l’effet boule de neige parmi des familles de classes moyennes supérieures, j’ai pu appréhender leur mode de vie puisque les lieux de rencontres étaient variés, des salles de jeux climatisées à leur domicile. Ces mères étaient désireuses de rentrer dans un échange sur les pratiques d’éducation, sollicitant à la fois l’enseignante et la mère de famille « occidentale »: comment gérer la première rentrée scolaire, que penser d’un objet transitif à l’école (notre « doudou »), quels sont les aménagements possibles pour concilier famille et emploi, quelles activités je fais avec mon enfant… Ces échanges étaient très intéressants et mes réponses se devaient d’être précises car mes interlocuteurs avaient déjà des avis argumentés par ce qu’ils avaient expérimentés ou lus, ce fut notamment le cas avec Kesang Menezes et ses amis ou clientes (parfois les deux)60.

Comme en témoigne la bibliographie, les sources écrites étaient diverses : les textes fondateurs des programmes en faveur de l’éducation, de l’alphabétisation et les différents courants éducatifs, les rapports gouvernementaux du gouvernement central et des Etats, les documents officiels (programmes, directives…), les sources électroniques notamment les sites du gouvernement du Tamil Nadu, les publications des écoles et du ministère de l’éducation, la presse quotidienne (The hindu notamment) et des magazines pour parents comme Parent Circle. J’ai pu utiliser des sources statistiques notamment les recensements nationaux et les questionnaires auprès des

60 Kesang conseille les parents afin qu’ils puissent améliorer les relations avec leurs enfants grâce à des groupes de parole à son domicile, dans les écoles ou dans les entreprises, elle écrit également des articles pour les revues féminines, spécialisées dans l’éducation et dans des quotidiens sur des questions liées à l’actualité. Son travail peut être suivi sur : http://parentingmatters.in/resources/blog/item/kesang-menezes

88 familles, qui m’ont permis de travailler sur ma propre base de données. Les données du recensement ont également été cartographiées pour circonstancier le sujet.

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