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Les principaux travaux qui se sont appuyés sur l’approche par la capabilité dans le domaine de la

Chapitre 2. De l’approche par la capabilité à la capabilité de santé 41

2.2. La capabilité dans le domaine de la santé 48

2.2.2. Les principaux travaux qui se sont appuyés sur l’approche par la capabilité dans le domaine de la

La partie qui suit montre qu’en introduisant entre autres des notions telles que le mode de vie et la valeur qui lui est accordée, les travaux qui se sont appuyés sur l’approche par la capabilité dans le domaine de la santé ont permis, d’une part, d’élargir le champ des interprétations traditionnelles en économie de la santé et en éthique de la santé publique. D’autre part, étant donné que cette approche a permis d’aller au-delà de certains inconvénients liés aux instruments de mesure habituellement utilisés en sciences sociales, certains travaux ont récemment donné lieu à la création d’instruments de mesure de la capabilité.

2.2.2.1. La capabilité et les droits humains dans le domaine de la santé Certaines réflexions éthiques relevant principalement des droits humains ont été guidées par l’approche par la capabilité. Qu’il s’agisse du droit de mourir (Anand, 2005), du droit à la prévention du virus du VIH/sida (Meier, Brugh, & Halima, 2012), des comportements alimentaires (Mulvaney-Day, Womack, & Oddo, 2012) ou du niveau d’éclairement des utilisateurs de médicaments (Womack, 2013), la liberté des personnes d’adopter des comportements de santé a été étudiée à travers les barrières relevant de leur environnement externe et qui conditionnent leurs choix (normes sociales, mauvaises informations, pression du système de santé, etc.) ainsi qu’au travers de leurs ressources personnelles (capacité à acquérir des informations et à être actrices de leur santé, connaissances en matière de santé, etc.). Ces travaux ont mis en évidence que les conditions dans lesquelles les personnes sont amenées à faire ces choix de santé sont souvent défavorables et ont pointé la nécessité de les améliorer.

L’approche par la capabilité permet également d’attribuer aux personnes, même en situation de vulnérabilité (Guinchard & Petit, 2011), la capacité d’être conscientes qu’elles ont des droits fondamentaux concernant leur santé et leur dignité, de les mettre en œuvre et de les faire valoir. Par exemple dans le milieu hospitalier qui est très structuré et hiérarchisé, l’approche par la capabilité permet d’envisager que le fonctionnement institutionnel puisse être amélioré à partir d’impulsions qui proviennent des individus. Par exemple, si un nombre élevé de personnes présentent la capabilité de faire respecter leurs droits en matière de santé et de dignité, ils ont le pouvoir d’enclencher un mouvement de changement au niveau local qui peut se propager dans l’espace et dans le temps. D’un côté, la société doit protéger les êtres humains mais d’un autre, elle doit aussi leur faire prendre conscience qu’ils peuvent et doivent se protéger eux-mêmes. Enfin, si les conditions précédentes ne sont pas remplies, il reste encore la possibilité que les personnes développent d’elles-mêmes cette capacité. C’est en ce sens que l’interaction entre les niveaux individuel, environnemental et politique de la capabilité peut être illustrée.

2.2.2.2. Une critique des instruments de mesure classiques

L’un des autres domaines où l’approche par la capabilité a permis de faire évoluer le mode de pensée est la manière de mesurer la balance entre les coûts et les bénéfices des interventions de santé complexes. Prenons l’exemple des années de vie ajustées à leur qualité (en anglais : QALY, pour Quality Adjusted Life Years). Cet indicateur largement utilisé en économie de la santé sert à prédire le nombre d’années de vie en « parfaite santé » des personnes ou des populations (Weinstein & Stason, 1977). L’un des questionnaires couramment utilisés pour mesurer la qualité de vie liée à la santé est l’EQ-5D (Brooks, 1996). Ses cinq dimensions sont la mobilité, les soins personnels, les activités quotidiennes, l’anxiété/dépression et la douleur/l’inconfort. Bien que cette mesure fasse encore office de référence en matière d’évaluation des interventions (Wonderling, Sawyer, Fenu, Lovibond, & Laramée, 2011), elle a fait l’objet de plusieurs critiques. En premier lieu, l’EQ-5D ne recouvre pas la dimension sociale de la santé telle que définie par l’OMS (1948). En second lieu, si au terme d’une intervention, le score moyen à l’EQ-5D des personnes qui en ont bénéficié n’a pas évolué depuis le premier temps de mesure, les chercheurs ne peuvent pas conclure qu’elle est efficace pour améliorer la qualité de vie, même si elle a présenté d’autres bénéfices.

Or, les chercheurs en santé publique et les acteurs de la promotion de la santé savent que les bienfaits d’une intervention complexe ne se réduisent pas à l’augmentation de la

qualité de vie liée à la santé. Chez les personnes qui en ont bénéficié, la plupart des interventions apportent des résultats probants en termes de connaissances, de motivation ou de sentiment d’auto-efficacité. Mais ces aspects ne sont pas quantifiables par le biais d’un indicateur tel que l’EQ-5D. Certains chercheurs qui se sont appuyés sur l’approche par la capabilité ont donc cherché à élargir le spectre des analyses plutôt que de se concentrer sur les aspects observables de la santé et de la qualité de vie liée à la santé. Les travaux en question seront présentés ci-dessous.

Cependant, mesurer la capabilité est une question qui fait débat au sein de la communauté des chercheurs concernés par l’approche par la capabilité. Ceux qui s’y sont essayés se sont vu recevoir des critiques acerbes de leurs confrères (Al-Janabi, Keeley, Mitchell, & Coast, 2013). Selon les opposants, la capabilité ne peut pas être mesurée directement puisqu’elle consiste en une marge, un espace de liberté qui existe entre un mode de fonctionnement effectif et optimal. De plus, l’évaluer uniquement à travers des réponses à des questionnaires auto-rapportés reviendrait à questionner uniquement la part subjective de la capabilité, ce qui n’est pas conforme à l’idée maîtresse de cette approche qui rappelle qu’une évaluation subjective doit être combinée avec une évaluation objective de la capabilité (Cookson, 2005).

Malgré les débats philosophiques concernant la pertinence ou non de chercher à mesurer la capabilité, cette démarche a déjà séduit et continue de séduire un nombre grandissant de chercheurs en économie de la santé, comme en témoigne la présence de publications concernant la construction et la passation de questionnaires auprès de populations spécifiques.

2.2.2.3. Une création d’instruments de mesure récente

A notre connaissance, dans le domaine de la santé, la capabilité a été opérationnalisée à partir des travaux de deux équipes de recherche distinctes, toutes deux basées au Royaume- Uni.

La première équipe, menée par Paul Anand, a procédé à une méthode originale qui a consisté à discerner ce qui relève de la capabilité dans un questionnaire préexistant. Convaincus qu’il existe un lien fort entre l’état de santé et sa capabilité, Anand et son équipe ont montré qu’il est possible, à partir d’une enquête de santé nationale menée auprès d’un panel de foyers britanniques, d’obtenir des informations concernant les dix capabilités de base de la liste de Nussbaum (Anand, Hunter, & Smith, 2005). Les items issus du questionnaire de l’enquête nationale ont été sélectionnés pour aboutir à un questionnaire de capabilité composé

de 98 items qui a été réduit à 18 items (Anand et al., 2009; Lorgelly, Lorimer, Fenwick, & Briggs, 2008). Les auteurs ont ensuite identifié les domaines de capabilité associés à la satisfaction à l’égard de la vie. Avoir la possibilité d’être logé dans un endroit décent semble jouer un rôle positif surtout pour les jeunes femmes. Les capacités d’exprimer ses émotions et de ne pas subir de pression sont associées à la satisfaction à l’égard de la vie surtout chez les hommes. Pouvoir planifier sa vie, se sentir utile et valorisé sont des capabilités associées à une satisfaction à l’égard de la vie élevée chez les femmes et les hommes. Ce questionnaire a été traduit en espagnol dans le cadre d’une recherche sur le développement en Argentine et a été administré auprès de personnes souffrant de problèmes de santé mentale, mais les résultats sont encore en cours d’analyse.

L’objectif principal de la deuxième équipe, menée par Joanna Coast, était d’opérationnaliser l’approche par la capabilité dans le cadre des prises de décision en matière de soins de santé. D’une part, à partir d’une enquête qualitative, les chercheurs ont identifié cinq domaines particulièrement importants pour les personnes âgées : leurs possibilités d’attachement, d’autonomie, de joies, de stabilité et de sécurité. A chaque domaine, un item a été constitué, donnant naissance à l’ICECAP-O (pour Investigating Choice Experiments for the preferences of older people – CAPability measure for Old people) (Coast et al., 2008). Cet instrument mesure ainsi la capabilité des personnes âgées à se comporter et à agir conformément à leurs valeurs. Un second instrument a été conçu pour mesurer la capabilité des personnes adultes en général. Il s’agit de l’ICECAP-A (A pour Adults), qui comprend également cinq domaines de capabilité (et donc aussi cinq items) : la stabilité, l’attachement, l’autonomie, la réussite et les joies (Al-Janabi, Flynn, & Coast, 2012). De manière similaire aux travaux d’Anand et ses collaborateurs, les premières recherches de l’équipe de Coast sont encore en cours de réalisation et il n’existe pas encore de publications sur les résultats obtenus à l’aide de ces questionnaires. D’autre part, suite à l’analyse d’entretiens exploratoires questionnant des personnes présentant des douleurs chroniques sur les aspects de la vie auxquels elles attribuent de la valeur, un travail de recherche a abouti à la création d’un questionnaire préliminaire de capabilité représentant neuf domaines : se sentir respecté, bénéficier d’interactions sociales, remplir le rôle de parent ou de grand-parent, rester actif mentalement et physiquement, avoir une identité positive et individuelle, être indépendant/contrôler, être impliqué dans une relation amoureuse, se sentir bien physiquement et mentalement et retirer du plaisir de la vie (Kinghorn, 2010). Les premières analyses des réponses aux questionnaires interrogeant la capacité des personnes à remplir ces domaines ont révélé que les plus saillants pour leur qualité de vie sont la capacité à se sentir

bien physiquement et mentalement et la possibilité d’être actif mentalement et physiquement, avoir des relations sociales et exercer un contrôle sur sa vie. A notre connaissance, aucune suite n’a été donnée à ces travaux préliminaires.