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Chapitre 9. La valeur accordée au rôle d’aidant et ses déterminants sociaux 143

9.1. Introduction 143

Il convient dans un premier temps de revenir sur la définition de « valeur » qui correspond à notre propos. Dans un deuxième temps, les travaux concernant la valeur accordée à une tâche sera présentée ainsi que, dans un troisième temps, la notion de valeur accordée au rôle d’aidant.

9.1.1. Définition de la notion de valeur

Les valeurs s’organisent autour d’un idéal que la société propose à ses membres, en un système ou une échelle de valeurs qui doit avoir une certaine cohérence, même si certaines contradictions peuvent exister (Mendras, 1975) : Les valeurs ont constitué un thème d’étude central pour les sciences humaines et sociales car elles sont à la base des motivations qui guident les attitudes et les comportements (Mendras, 1975; Schwartz, 2006). Le classement des valeurs – des plus aux moins importantes pour une personne dans sa vie – varie selon les individus, mais aussi selon les normes véhiculées par la société dans laquelle ils évoluent. Dès 1956, Morris avait montré que les variations entre les valeurs de plusieurs personnes d’une même culture étaient plus faibles que celles observées entre des personnes de plusieurs cultures différentes (Morris, 1956). Par exemple, la valeur accordée au travail peut varier d’une société à une autre. Mais à l’intérieur d’une même société, elle peut varier d’une personne à une autre selon ses critères de jugement, reflétant la distance entre ses propres valeurs et celles de sa société d’appartenance. Il existe donc un lien entre le système de valeurs et les facteurs liés au contexte social.

Des auteurs ont montré que les valeurs ont un caractère dynamique (Seligman, Olson, & Zanna, 2013). Dans le cas de notre exemple précédent sur la valeur accordée au travail, une personne peut très bien avoir accordé une valeur très élevée au travail pendant des années puis, suite à un grave accident, reconsidérer ses priorités et accorder, par exemple, plus d’importance à sa santé. Ce changement dans son système de valeurs aura des répercussions sur ses comportements, on peut par exemple s’attendre à ce que ses comportements de santé augmentent parallèlement à l’élévation de l’importance que la santé revêt pour elle (Weiss & Lonnquist, 2006 : p.126).

Etant donné que le rôle des aidants a modifié leur mode de vie, une part de la valeur que les aidants accordent à leur mode de vie peut être assimilée à la valeur qu’ils accordent à leur rôle. Ce dernier consistant en l’accomplissement de diverses tâches, les travaux qui ont porté plus spécifiquement sur la valeur accordée à une tâche ont été étudiés.

9.1.2. De la valeur accordée à une tâche à la valeur accordée au rôle d’aidant

Le concept de valeur accordée à une tâche a été formulé en psychologie du développement par Eccles (1983). Elle résulte de la combinaison entre les quatre dimensions suivantes : la valeur accordée à son résultat, sa valeur intrinsèque, sa valeur d’utilité et sa valeur de coût. La valeur accordée au résultat constitue l’importance qu’une personne accorde

au fait de bien effectuer la tâche en question. La valeur intrinsèque correspond au plaisir pris à réaliser cette tâche. Une tâche a une valeur d’utilité forte si elle s’insère dans les plans pour le futur. Enfin, la valeur du coût correspond à la mesure dans laquelle la décision de s’engager dans une activité limite l’accès à d’autres activités, les efforts demandés pour l’accomplir et ses coûts en termes émotionnels (Wigfield & Eccles, 2000).

Au regard des différents types de valeur accordée à une tâche formulés par Wigfield & Eccles (2000), il a été postulé que le domaine « estime accordée au rôle d’aidant » du Caregiver Reaction Assessment (CRA - Given et al., 1992), administré pour l’enquête AVC, couvrait particulièrement sa valeur intrinsèque. Ses sept items mesurent le plaisir et le bien- être éprouvés à prendre soin de la personne AVC, l’importance que revêt le fait d’aider ainsi que le sentiment d’être redevable à la personne AVC. Ce domaine a donc été sélectionné pour représenter la valeur accordée au mode de vie des aidants.

9.1.3. L’estime accordée au rôle d’aidant et les facteurs sociaux qui l’influencent

L’estime accordée au rôle d’aidant a été étudiée auprès d’autres populations d’aidants familiaux, ce qui permet de comparer les scores obtenus dans l’enquête AVC avec ceux obtenus dans divers autres contextes (Tableau 30). Trois ans après l’AVC de leur proche, les aidants familiaux des Pays-Bas rapportaient un score similaire à celui de notre échantillon (Post, Festen, van de Port, & Visser-Meily, 2007). Les mesures obtenues lors de l’adaptation française du questionnaire auprès d’aidants de malades somatiques avaient révélé un score inférieur de cinq points par rapport à celui de notre échantillon (Antoine et al., 2010). En revanche, après un an de soins délivrés à leur proche atteint de cancer, l’estime accordée au rôle d’aidant aux Pays-Bas était plus élevée de quatre points comparativement à notre étude (Nijboer, Triemstra, Tempelaar, Sanderman, & Van den Bos, 1999b). Le score le plus bas (63,5) a été rapporté par les aidants familiaux de personnes atteintes de cancer en Chine (Ge et al., 2011). Les scores obtenus par les aidants de l’enquête AVC Luxembourg se situeraient donc autour de la moyenne européenne.

Si la revue de la littérature permet de faire une comparaison entre les scores obtenus à l’« estime accordée au rôle d’aidant », en revanche à notre connaissance, aucune étude n’a encore approfondi ce concept en cherchant à comprendre les facteurs qui la renforcent.

Tableau 30. L’estime accordée au rôle d’aidant dans d’autres études (Baumann et al., 2009) (Post et al., 2007) (Antoine et al., 2010) (Grov & al., 2006) (Nijboer et al., 1999) (Ge et al., 2011) Pays Lux. Pays-Bas France Norvège Pays-Bas Chine Population étudiée AVC AVC Soma. Cancer Cancer Cancer Age moyen des aidants 60,1 55,9 nc. 55 63,4 46,6 Temps moyen d’aide 2 ans 3 ans nc. nc. 1 an 8,7 mois Estime accordée au rôle

d’aidant 75,2 72,5 70,2 72,5 79,7 63,5

Nous avons montré que le contexte social pouvait influencer la valeur qu’accorde une personne à un élément constitutif de sa vie. Au Luxembourg, le contexte social des aidants englobe plusieurs aspects. D’une part, les aidants ont la possibilité de recevoir des informations de la part des services éducatifs, sociaux et de santé. D’autre part, ils peuvent recourir à des aides à domicile de plusieurs sortes (aides au ménage, pour prodiguer les soins quotidiens aux malades, services de repas à domicile, etc.). Le contexte social recouvre aussi l’environnement dans lequel ils évoluent, les ressources financières de leur foyer et le soutien reçu de la part de leur famille. Enfin, il a été considéré que la sévérité des séquelles de l’AVC chez les personnes aidées ainsi que leur état émotionnel constituent des éléments de contexte qui peuvent également influencer la valeur accordée au rôle d’aidant.

Quels aspects de ce contexte social influençaient la valeur que les aidants accordent à leur rôle ?

9.1.4. Objectifs

Nos objectifs ont été d’analyser la valeur accordée au rôle d’aidant familial et d’identifier ses déterminants issus du contexte social.