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CHAPITRE 2 APPARITION L’AMBUSH MARKETING, RECHERCHE DE

B. Un essoufflement d’origine externe : vers une réduction de l’étendue des droits

2. Principaux apports des jurisprudences

Ces deux sagas judiciaires ont permis de mettre en évidence deux faits saillants. D’une part, les juges semblent se refuser à étirer davantage la manche d’un bienveillant droit des marques (a), mais vraisemblablement inapte à lutter contre les formes modernes d’ambush (b).

a. Le rejet de la marque évènementielle275

i. Origine, définition et structure

Concept proposé en 2003 par le juriste allemand Karl-Heinz Fezer, celui-ci estime qu’il serait opportun de reconnaître une nouvelle forme de marque de commerce dédiée à la protection d’un évènement culturel de masse276. L’acceptation d’une telle protection

mettrait selon lui un terme aux requêtes des instances organisatrices, toujours plus désireuses de se voir attribuer une législation particulière, sui generis.

La marque évènementielle peut alors se définir comme « tout signal employé pour identifier un évènement, une représentation ou une performance dans laquelle l’organisateur de l’évènement jouit d’un intérêt à employer et protéger une marque de commerce liée à un large panel de produits et services. » (Traduction libre)277

A priori, rien ne distingue cette dernière des marques de commerce traditionnelles, si ce n’est ses fonctions. Ainsi, quand il est généralement reconnu à la marque les quatre principales fonctions suivantes : identifier l’origine de produits ou des services, distinguer lesdits biens de ceux de la concurrence, garantir la qualité de ces derniers tout en permettant leur publicité.278 Fezer ajoute une fonction de diffusion d’informations à l’attention du consommateur afin que celui-ci puisse prendre connaissance de l’identité des entités qui organisent et financent l’évènement.

275 Lundgren et Felipe, supra note 254 à la p 40 à 53; Louw, supra note 1 à la p 302 à 311; Achtari, supra note 218 à la p 78 à 83.

276 “Signal used to identify an event, a presentation and/or a performance, in which the event organizer has the interest to use (and protect) the trademark in connection with a large number of products and services.”, Lundgren et Felipe, supra note 254 à la p 41.

277 Ibid à la p 42.

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En outre, cette marque confirmerait l’authenticité des produits émis par un fournisseur donné279. Il semble donc s’agir d’un décalage du curseur vers la fonction de garantie de qualité plutôt que sur celle de précision de l’origine du produit280.

Par ailleurs, on soulignera que cette marque connait deux subdivisions ; la

Veranstaltungswarenmarken ou merchandising mark, la marque identifiant les produits

liés à l’évènement et la Veranstaltungsdienstleistungsmarken ou sponsoring mark, distinguant les services liés à l’organisation, la performance, l’exécution, le développement et le financement partiel de l’évènement.281 Tournons-nous à présent face

aux raisons du rejet de cette théorie.

ii. Les critiques de la théorie

Nous avons brièvement évoqué le rejet par les juges de Karlsruhe de la théorie de la marque évènementielle, sans pour autant le justifier. Cette réticence des juges à laquelle nous joignons la voix de la plus fervente opposante à ce concept, Annette Kur peut être expliquée par un retour vers trois caractéristiques essentielles de la marque.

En premier lieu, une telle marque ne passerait pas le traditionnel écueil de la distinctivité282. Cette exigence se comprend en raison de deux objectifs qu’est d'une part le refus de réserver « l’usage de signes […] indispensables ou utiles aux concurrents dans l’exercice de leur activité pour désigner ou décrire leurs produits ou services ou leurs caractéristiques »283, et ce dans l’optique de préserver la concurrence. De plus, « un signe

ne peut être employé à titre de marque […] que s’il est perçu par le public pertinent […] comme arbitraire » à l’égard des produits et services en cause284. Il faut également que le propriétaire de la marque puisse être tenu responsable de la qualité des produits distribués. Qu’ainsi si l’on considère les marques “FUSSBALL WM 2006" et “WM 2006”, c’est probablement l’évocation de l’évènement qui vient en premier à l’esprit plutôt que l’identité du fournisseur285.

279 Lundgren et Felipe, supra note 254 aux pp 45‑46; Louw, supra note 1 à la p 304. 280 Louw, supra note 1 à la p 305.

281 Ibid à la p 302; Lundgren et Felipe, supra note 254 à la p 42. 282 Code de la propriété intellectuelle - Article L711-1.

283 Passa, supra note 64 au para 88. 284 Ibid.

285 Annette Kur, « Does trademark law provide for sufficient self help and self healing forces? » dans Inge Govaere et Hanns Ullrich, dir, Intellectual property, market power and the public interest, coll College of Europe studies, n°no 8, Brussels ; New York, PIE Peter Lang, 2008 au para 202.

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Il faudrait ensuite que cette marque franchisse le barrage de la descriptivité. Celui- ci s’opposant à l’enregistrement de signes ou dénominations qui se contenteraient de désigner une caractéristique du produit ou du service, tels qu'en l’espèce, la quantité, la qualité ou la destination.286 Cette barrière prohibition s’explique par la volonté de laisser les signes descriptifs à l’usage du public. En considérant les signes de l’espèce Ferrero

c. FIFA, nul doute que ces derniers s’avèrent passablement descriptifs.

Enfin, admettre l’existence d’une telle marque engendrerait des effets néfastes pour la concurrence si chère à l’Union européenne. Par ailleurs, nul doute que les provisions existantes dans la plupart des législations comme la concurrence déloyale ou tout simplement les moyens de défense du droit des marques suffiraient amplement. Ainsi, Kur affirme :

“Granting an exclusive right in a term referring to an immensely popular event implies a huge competitive advantage to the person or entity owning that right, and thus it raises misgivings under the aspect of the public interest in keeping such signs free for general use (“need to keep free”).”287.

Il convient tout de même de préciser que si cette doctrine n’a pas trouvé sur le Vieux Continent d’oreille attentive, en Océanie, la Nouvelle-Zélande, l’intitulé de sa législation propre aux évènements d’envergure, le Major Events Management Act288 pourrait dénoter d’une certaine réceptivité à l’égard de ladite doctrine. Cette question sera tranchée à l’occasion du III de ce chapitre 2. Pour l’heure, observons brièvement l’autre apport de cette jurisprudence, l’inadéquation du droit de marques face aux cas d’ambush

marketing.

286 Code de la propriété intellectuelle - Article L711-2. 287 Kur, supra note 282 au para 201.

288 Major Events Management Act 2007 No 35 (as at 03 June 2017), Public Act – New Zealand Legislation,

2007 No 35, en ligne : 2007 No 35

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b. Inadéquation du droit de marque en dehors des cas

d’ambush primaire

En premier lieu, on remarque que les deux différends opposant la FIFA à Ferrero ont donné lieu à des contentieux s’étirant en moyenne sur un quinquennat289 alors que la

compétition a débuté le 9 juin et s'est conclue 9 juillet. D’autre part, les renversements de décisions observés avant le prononcé final attestent du caractère incertain de ces longues procédures. Cette incertitude se renforce, comme le souligne Johnson en raison de standards variables concernant l’appréciation de la distinctivité en Europe.

De fait, si l’Allemagne semble placer son curseur sur l’Everest, que la Cour Européenne de Justice (ci-après « CJUE ») se satisfait de la vue du haut du Mont Blanc, le Royaume-Uni peut-être en raison de relief quasi inexistant se contente du panorama du Mont Ben Nevis. Ce dernier n’ayant aucunement sillé face aux enregistrements des marques « London 2012 » et « Glasgow 2014 », ne présentant de visage réprobateur qu’en face d’une tentative de protection du nombre « 2012 ».290 Le principe de

territorialité, caractéristique fondamentale du droit des marques, semble donc également constituer une épine dans le pied d’organisateurs avides de régimes de protection uniforme.

Ainsi si le monopole du langage, présentée comme conséquence néfaste de la consécration d’une marque évènementielle nous rappelle étroitement la suprématie dont dispose l’USOC à propos du terme olympic et le CNOSF en France respectivement en vertu des Lanham Act et de l’article L.141-5 du Code du Sport. Par ailleurs, il apparaît que les organisateurs d’évènements ont vu leur lobbying porter ses fruits, en donnant naissance à deux modes de protections : les lois ad hoc et les monopoles d’exploitation, objets de seconde section de ce chapitre 2.

289 De 2005 à 2011 devant l’OHMI et de 2002 à 2006 devant les juridictions germaniques. 290 Louw, supra note 1, rapportant les propos de Johnson à la p 318, note 92.

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II.

Lois ad hoc et monopoles d’exploitation : les nouveaux modes