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La fonction sociale des droits de propriété intellectuelle et du sport

CHAPITRE 3 LE RECENTRAGE AUTOUR DE LA FONCTION SOCIALE DES

B. La fonction sociale des droits de propriété intellectuelle et du sport

Il nous serait difficilement concevable de militer pour reconnaissance plus importante de la fonction sociale sans la rapprocher du concept de droit finalisé ce dernier ayant particulièrement impacté l’appréhension de la propriété intellectuelle par Bruxelles (1). Ce dernier ne fera qu’office de porte bien vite enfoncée pour nous mener d’abord vers la renaissance de la notion de fonction sociale à l’aune des droits de propriété intellectuelle (2) avant d’observer l’impact qu’elle produit également sur la discipline sportive (3).

1. Propriété intellectuelle et droits finalisés : jurisprudence CJUE

A priori et selon l’OMPI, les droits de propriété intellectuelle ont pour principale fonction le fait de :

Permett[re] aux créateurs de tirer une reconnaissance ou un avantage financier de leurs inventions ou créations. En conciliant de manière appropriée les intérêts des innovateurs et ceux du grand public, le système de la propriété intellectuelle vise à favoriser un environnement propice à l’épanouissement de la créativité et de l’innovation.446

En plaçant le microscope sur les droits de propriété industrielle, Passa nous précise qu’ils « exercent chacun leur propre fonction et reposent donc sur des fondements distincts [rappelant ensuite que la CJUE] détermine le contenu de l’objet spécifique des différents droits par référence à leur fonction essentielle ».447 Nous nous sommes déjà étendus sur les fonctions de la marque dans le chapitre premier.

Au regard sa relation historique avec la protection juridique des évènements sportifs au cœur desquels trônent les Jeux olympiques nous déduisons448, une

transmission de ce caractère finalisé aux droits de seconde génération. Monopoles d’exploitations, lois ad hoc, ces derniers protégeant désormais les évènements sportifs. Cette finalité selon nous c’est la fonction sociale ; le fait d’obtenir de se voir accordé un privilège par le droit, en raison des bienfaits que l’on apporte à la société ces derniers pouvant prendre plusieurs formes, telles que le divertissement sportif. Par ailleurs, une

446 OMPI, « Qu’est-ce que la propriété intellectuelle? », en ligne : </about-ip/fr/index.html>. 447 Passa, supra note 64 au para 6.

448 À l’image du procédé de succession d’un État à son prédécesseur en tant que partie à un traité en droit international, tel la Russie à l’U.R.S.S.

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telle affirmation nous amène évidemment à la pensée originelle des droits de propriété intellectuelle, comme va s’attacher à le démontrer la seconde sous-section.

2. Fonction sociale des droits de propriété intellectuelle

Citant « l’exemple de Pétrarque drapé de pourpre et couronné sur le Capitole en 1341 [Buydens et Verkade précisent que] cette œuvre créatrice peut faire l’objet d’un

Privilegium, c'est-à-dire d’une reconnaissance de la collectivité, preuve et conséquence

de sa légitimité. »449

Ils poursuivent en rappelant que dès les XIIIe et XIVe siècles en Italie apparaît l’idée « que le créateur ‘mérite’, en raison même de sa création, de recevoir un titre particulier sur l’‘objet’ ainsi mis à jour. »450 Si cette qualité de découvreur ne nous

intéresse pas particulièrement en raison de son intérêt moindre en droit des marques ou droits voisins451, nous nous intéressons davantage à la notion de privilège, vu selon

Buydens et Verkade comme une sorte de quasi-contrat « liant ‘contractuellement’ l’autorité qui les émettait et les bénéficiaires. »452

Appliquée aux évènements sportifs, cette réflexion permet d’opérer quelques rapprochements. En premier, on soulignera le fait que les ONG légiférant en la matière ne se sont pas vues déléguer ces prérogatives par un quelconque État ; elles se le sont arrogé453. Pour autant, en raison de leur manière initiale d’en disposer, il semble que les États sur les sols desquels elles organisent leurs évènements phares ont légitimé leurs actions, de sorte que l’on peut déduire la passation d’une sorte de contrat social entre ces dernières et le public représenté par ses élus. Dès lors, on peut tout à fait déduire l’existence d’une fonction sociale dans l’exercice que le CIO ou la FIFA firent dans un premier temps du droit de marques, et aujourd’hui dans l’usage de ces droits nouveaux.

449 Mireille Buydens et D W F Verkade, La propriété intellectuelle: évolution historique et philosophique, 2012 à la p 123.

450 Ibid.

451 Encore qu’il nous serait possible de discuter de cette qualité de découvreur à propos de Pierre de Coubertin lorsqu’il décide de « ressusciter » les Jeux Olympiques à l’Ère moderne après plus de mille ans d’endormissement.

452 Buydens et Verkade, supra note 445 à la p 123.

453 Voir notamment : Franck Latty, La lex sportiva : recherche sur le droit transnational, 3, coll International Law E-Books Online, Collection 2007, Brill, 2007, DOI :10.1163/ej.9789004156975.i-850; Latty, supra note 40; Robert C R Siekmann et Janwillem Soek, dir, Lex sportiva: what is sports law?, coll Asser international sports law series, The Hague, The Netherlands : Berlin, TMC Asser Press ; Springer, 2012.

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C’est peut-être dans cette optique qu’en 2010 à l’occasion d’un colloque s’intéressant aux défis du droit des marques au XXIe, le professeur Vivant s’interrogea sur l’apparition d’une fonction sociale de la marque.454 La même année, le concept semble

également trouver grâce aux yeux de Geiger. L’inquiétude avérée de ce dernier face à la privatisation de l’information455 par la propriété intellectuelle semblait trouver une once d’apaisement par l’exploration d’un concept qu’il voit comme « une ‘[mise] en perspective’ [d]es droits individuels par rapport à d'autres droits concurrents. »456 C’est

ainsi qu’il définit la fonction sociale.

Ultérieurement, il poursuit en ajoutant que cette fonction ferait office de « [rappel du fait] que ces droits, s'inscrivant dans un ordre juridique [ils] doivent toujours être confrontés à d'autres droits d'égale valeur ainsi qu'aux intérêts de la collectivité. »457. Il

s’empresse d’ériger le droit des organisateurs de manifestations sportives comme exemple de ces droits qu’il estime logiquement assujettis à ce concept.458 Il convie évidemment Josserand dans la discussion ainsi que la doctrine d’outre-Rhin dite de « l’Ancrage social du droit privé » apparue à la fin du XIXe siècle, et attachée à une conception de droits privés limités par les contraintes sociales.459 De manière générale, il apparaît que Geiger et Vivant460 semblent prêts à « faire sortir Josserand du purgatoire »461.

De surcroit, à l’occasion de deux articles certes plutôt tournés vers la propriété littéraire et artistique, le professeur Moyse sonde également les théories du juriste damné. Son cheminement le mène à la conclusion que l’usage de la théorie de l’abus de droit peut constituer une « solution novatrice face à l’emploi douteux des voies légales »462. Il prend alors les « strategic lawsuits against public participation » comme exemple d’usage discutable des voies légales463. Cette stratégie dissuasive n’est pas sans rappeler les

454 Michel Vivant, « Marque et fonction sociale de la marque. Ou quand la réalité passe par le rêve? » dans

Les défis du droit des marques au XXIe siècle : actes du colloque en l’honneur du professeur Yves Reboul = Challenges for the trademark law in the 21st century, coll Collections du CEIPI, n°56, Paris, Litec

LexisNexis, 2010, 145‑161.

455 Christophe Geiger, « La privatisation de l’information par la propriété intellectuelle. » (2006) t. XX, 4:4 Revue internationale de droit économique 389‑432.

456 Christophe Geiger, « La fonction sociale des droits de propriété intellectuelle » [2010] D 510. 457 Ibid.

458 Ibid à la p 1. 459 Ibid à la p 3.

460 Voir également : Michel Vivant, « De la finalité sociale des droits de propriété intellectuelle » dans Les

grands arrêts de la propriété intellectuelle, 2e édition, Paris, Dalloz, 2015, 3 à 15, en ligne : Ariane

<http://ariane.ulaval.ca/cgi-bin/recherche.cgi?qu=a2455118>. 461 Basire, supra note 20 au para 21, note 5.

462 Moyse, supra note 429 à la p 130. 463 Ibid.

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pratiques intimidantes de la FIFA ou du CIO notamment usées à l’encontre de PME pratiquant la guérilla marketing et qui n’auraient pas les moyens de supporter le coût d’une action judiciaire. Enfin, dans un article de 2012, M. Moyse affuble l’abus de droit du sobriquet « d’anténorme » eu égard au fait qu’il permet de nier le caractère obligatoire d’une protection fondée sur un droit.464

En définitive, il apparaît qu’un certain attroupement doctrinal semble se former autour des concepts d’abus de droit et de fonction sociale. Ce regroupement d’observateurs semble assez soucieux de l’usage des droits de propriété intellectuelle dans les activités de divertissement et le sport, de sorte qu’il semble s’en remettre, comme nous à une anténorme pour défaire un édifice juridico-sportif construit sur des abus.

Un édifice dont l’existence nous frappe davantage eu égard au fait que le sport, socle sur lequel il s’est bâti, est pétri de sédiments sociaux comme va s’attacher à le démontrer la sous-section suivante.

3. Fonction sociale du sport

En 1963, le sociologue Michel Clouscard s’attache à définir les fonctions du sport. Il descelle tout d’abord une fonction agonale au sport ; le « fait de définir un jeu, d’organiser une compétition, de veiller au bon fonctionnement de cette compétition [qui] apparaît avec les fédérations »465. Établissant sa réflexion à partir du modèle français, il précise que la matière sportive s’est développée hors de toute planification de l’État.

Dès lors, on constate que ces caractéristiques s’appliquent également au CIO, qui s’est hissé jusqu’au rang d’ONG de droit international par son seul bon vouloir dans la sphère du droit international, tout en organisation une compétition à épreuves variées, s’appuyant sur la participation des athlètes de différentes fédérations internationales. En raison du rattachement du sport dans plusieurs pays dont la France au ministère de l’Éducation, une certaine visée éducative de ce dernier semble se dégager.

Ultérieurement, le sociologue ajoute aux caractéristiques du sport des fonctions professionnelles et de distraction, eut égard aux athlètes qui y prennent part et à l’allégresse que ce dernier suscite chez les spectateurs.466 Allégresse qui selon James et

464 Pierre-Emmanuel Moyse, « L’Abus de droit : l’anténorme — Partie II » (2012) 58:1 mlj 1‑60 à la p 60,

DOI :10.7202/1013385ar.

465 Michel Clouscard, « Les fonctions sociales du sport » (1963) 34 Cahiers Internationaux de Sociologie 125 à 136 à la p 127.

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Osborn, masque aujourd’hui la dérive que connait le Mouvement olympique. Ces derniers s’exprimant d’ailleurs sur la trajectoire actuelle du Mouvement olympique en ces termes :

However, perhaps because of the general view that they are beneficial to the host city, region and state, the overprotection of many of the rights afforded to the IOC and the organising committees has gone unquestioned, or at least remained under the radar. Whilst the first appearance may be of a benign network of rights and protective measures, its impacts are potentially austere, both in terms of the possible side effects on unintended targets outside of the original purview of the legislation, and more importantly, distances even further the Games from the cultural and ethical underpinnings of the Olympic Movement and its traditional values.467

Ainsi, au-delà du lieu commun selon lequel le sport dispose de vertus éducatives et sociales, nous nous attacherons à souligner au cours la prochaine et ultime partie de cet exposé que les Jeux Olympiques, bien plus encore que les autres évènements sportifs, se doivent de garder cette mission au cœur de leurs préoccupations.

II.

La mission sociale des évènements sportifs

La première partie de ce chapitre s’est attachée à démontrer l’existence de fibres sociales au sein des droits sur lesquels repose la protection des évènements sportifs. Cette dernière s’évertuera à mettre en lumière l’acceptation d’une mission de développement social au sein des pays qui accueillent les évènements des ONG du milieu du sport (A) avant d’exposer quelques solutions curatives envisageables (B).