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D’Olymprix’ aux ‘Jeux Olympiques du Sexe’ Évolution de l’appréciation de

CHAPITRE 1 STRUCTURATION DE LA PROTECTION JURIDIQUE AUTOUR

C. Des juridictions nationales complaisantes

2. D’Olymprix’ aux ‘Jeux Olympiques du Sexe’ Évolution de l’appréciation de

– 2009)

Si dans la première espèce un tâtonnement certain des juridictions sollicitées s’avère palpable (a), la seconde apporte un raisonnement aussi clair que discutable (b).

174 Ibid à la p 740.

175 United States Olympic Committee v Toy Truck Lines Inc, 2001 Federal Circuit Cour of Appeals; US

Olympic Committee v American Media, Inc, 2001 US District Court for the District of Colorado.

176 Pendras, supra note 152 à la p 741 à 743. 177 Ibid à la p 753 à 762.

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a. Olymprix : La construction jurisprudentielle progressive du régime de protection des marques notoires en France

En France, la protection du symbole olympique intéresse le législateur depuis 1984. Il en a alors attribué la titularité au CNOSF dans le cadre de la loi Avice178.

Dans la mesure où l’article 19 troisièmement179 attribue l’usage à titre de marque au

comité national olympique, on légitimement se demander comment, depuis 1993, la société Galec a pu régulièrement devenir titulaire des marques françaises Olymprix. Marques qu’elle utilise lors de campagnes promotionnelles bénéficiant à sa chaîne de grande distribution E. Leclerc.

Cet emploi consiste essentiellement consiste « dans l’apposition d’affiches et la diffusion de catalogues à la gloire des « Olymprix » et autres réductions avantageuses, ainsi qu’en l’utilisation de l’expression « Transporteur officiel des "Olymprix" » sur les chariots en libre-service »180. Nous imputons cet enregistrement irrégulier à la difficile

insertion du droit communautaire dans le droit des marques français par la loi de 1991, renforçant la protection des marques notoires et renommées catégories au sein desquelles trône la marque olympique.

De fait, investi de la titularité des droits sur les symboles olympiques et estimant que cette exploitation à titre de marque d’une dénomination voisine nuit à son bien, le comité français assigne ladite société en responsabilité sur le fondement principal de l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle181 (ci-après « CPI ») relatif aux

atteintes portées à la marque renommée et, à titre subsidiaire sur celui de l’ancien article 1382182, pilier de la responsabilité civile délictuelle. Il demande alors l’allocation de

dommages et intérêts en plus de la radiation des marques doublée d’une demande d’interdiction d’usage. Cette saga judiciaire s’étalant sur plus de dix ans permit de

178 Voir article 19 de la Loi n°84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des

activités physiques et sportives (loi Avice), (1984) JORF 2288.

179 Ledit article dispose expressément que : « quiconque dépose à titre de marque, reproduit, imite, appose,

supprime ou modifie les emblèmes, devise, hymne, symboles et termes mentionnés à l’alinéa précédent sans l’autorisation du Comité national olympique et sportif français encourt les peines prévues aux articles L. 716-9 et suivants du code de la propriété intellectuelle. », Ibid au para 3.

180 Fabienne Fajgenbaum, « Fin de partie et médaille d’or pour le Comité olympique et sportif français dans l’affaire Olymprix » [2007] 22 PI 10‑18 à la p 10.

181 Code de la propriété intellectuelle - Article L 713-5., qui dans sa version de 1992 disposait que : « L'emploi d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur s'il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière. »

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corriger partiellement les largesses prises le législateur français lors de l’incorporation de l’article 5§2 de la directive de 1988183 dans le droit de la propriété intellectuelle.

En effet, la transposition française de 1991 a en réalité restreint plutôt que renforcé le régime des marques notoires. À cet effet, le professeur Passa précise que :

« Si le législateur français a fait le choix de transposer l'article 5, § 2, c'est pour renforcer la protection des marques renommées au-delà du cercle des produits ou services identiques ou similaires, qui était déjà assurée sur le fondement de l'article 1382 c. civ. [Il ajoute alors que] le risque de rattachement de produits ou services différents à l'entreprise du titulaire se manifeste tant lorsque la marque est reproduite à l'identique que lorsqu'elle est seulement imitée. On ne peut dès lors concevoir que le législateur, à l'occasion de la réforme de 1991, ait entendu restreindre, plutôt que renforcer, la protection spéciale des marques renommées. [Il conclut alors qu’] il faut interdire aussi l'usage d'un signe similaire, car il peut parfaitement produire, lui aussi, de telles conséquences184. »

Pour autant, si le jugement de 1996185, confirmé en appel en 1997 186 dénote d’une volonté des cours inférieures de protéger la marque notoire contre les atteintes émanant d’un signe identique ou non, la cassation partielle de 1999187 prend le contrepied de cette réflexion en s’attachant à suivre la lettre du législateur. La juridiction affirma que « l’action spécifique en responsabilité instituée par l’article L. 713-5 du CPI permet de faire interdire et sanctionner l’emploi, opéré dans certaines conditions d’une marque renommée, mais non l’utilisation d’un signe voisin par sa forme ou les évocations qu’il suscite. »188.

Ultérieurement, la dispute se déplaça principalement sur le maintien ou non de la faculté de recours à l’article 1382 en plus du régime spécial prévu par le code de la propriété intellectuelle. L’espèce généra encore quelques vagues189 avant qu’un ultime

arrêt de la Cour Cassation statuant en formation régulière en 2006 ne vienne dissiper l’écume. Attestant de la réception par le juge français des éclairages apportés par l’arrêt

183 Directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres

sur les marques, supra note 17.

184 Jérôme Passa, « Marque renommée : la Cour de justice sonne le glas de la jurisprudence Olymprix » [2004] Recueil Dalloz 341 au para 6.

185 TGI Nanterre 11 juill 1996. 186 CA Versailles 15 janv 1997.

187 Cour de Cassation Chambre commerciale, 29 juin 1999.

188 Fajgenbaum, supra note 177 à la p 11.

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« Adidas190 », ayant pratiquement la valeur d’une question préjudicielle191 pour les cours françaises, permit de clore la saga en faisant droit aux prétentions du CNOSF.

Désormais, il était acquis qu’en France la protection de la marque renommée repose sur trois piliers : la responsabilité civile spéciale (L. 713-5 CPI), le fondement de la contrefaçon (L. 713-2 et L. 713-3 CPI) à laquelle s’ajoute une protection hors spécialité sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile qui s’intéresse aux actes d’imitation et de reproduction à l’identique.

La conclusion de cette espèce à laquelle la doctrine aime se référer en tant que marathon judiciaire aurait pu survenir bien plus tôt si le titulaire des droits avait pu recourir aux extravagantes dispositions de l’article L. 141-5 du Code du Sport. Issu d'une loi du 6 juillet 2000192 et adopté par ordonnance en 2006193, il ne pouvait s’appliquer aux

faits de cette espèce. L’apparition de ce dernier dans le paysage législatif français a conduit à la consécration d’un droit voisin des droits de propriété intellectuelle « en dehors du Code et bien plus puissant que [ceux] qui existent au sein du Code de la propriété intellectuelle !194 » C’est ce que s’attachera à démontrer la jurisprudence suivante.

b. « Société C.N.O.S.F. contre Société C.P.P.D. » ou l’affaire des « Jeux olympiques du Sexe »

En l'espèce, le magazine Têtu se présentant comme le « premier média sur

l'information LGBT195 » propriété de la société C.P.P.D., avait consacré des articles aux

« Jeux Olympiques du sexe » en utilisant les signes dont le Comité national olympique et sportif français est propriétaire ou dépositaire, suscitant une action en contrefaçon et en concurrence déloyale de ce dernier196, sur le fondement du seul article L. 141-5 du Code du Sport. Se posait la question de savoir si « l'article L. 141-5 du Code du sport [est] un

190 CJCE, sixième chambre, 23 octobre 2003, Adidas-Salomon AG et Adidas Benelux BV contre

Fitnessworld Trading Ltd.

191 En droit européen, il s’agit d’un « point litigieux dont la solution doit précéder celle de la question principale qu’elle commande. Elle porte sur l’interprétation d’une règle communautaire ou la validité des actes des institutions communautaires qui doit être renvoyées à la Cour de justice lorsqu’elle se pose devant une juridiction statuant en dernier ressort. » Cornu, supra note 36 à la p 832.

192 Loi n° 2000-627 du 6 juillet 2000 modifiant la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation

et à la promotion des activités physiques et sportives.

193 Ordonnance n° 2006-596 du 23 mai 2006 relative à la partie législative du code du sport.

194 Christophe Caron, « À propos d’une propriété intellectuelle « olympique » autonome » (2009) 99:11 CCE à la p 3.

195 « TÊTU | Autrement Masculin », en ligne : TÊTU <http://tetu.com/>. 196 Caron, supra note 191 à la p 2.

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texte autonome par rapport au Code de la propriété intellectuelle ou [si l’on] doit-on le considérer comme renvoyant aux dispositions de ce code ? »197

Pour la cour d’appel de Paris198 si ledit article « permettait au comité d'agir, il

renvoyait aux dispositions du Code de la propriété intellectuelle pour caractériser les délits »199. Au terme d’un rigoureux raisonnement200, elle débouta le comité de sa demande, ce qui le poussa à se pourvoir en Cassation. Pourvoi qui s’avéra formé à bon escient.

Effectivement, les juges du quai de l’Horloge cassèrent l’arrêt de la juridiction de second degré en estimant que l’article litigieux introduit un régime indépendant de celui du CPI. Régime dont certaines conséquences sont exposées par le professeur Caron lorsqu’il rappelle que « les règles relatives à la contrefaçon par imitation (CPI, art. L. 713- 3), à l'épuisement des droits (CPI, art. L. 713-4), aux usages licites (CPI, art. L. 713-6), à la dégénérescence (CPI, art. L. 714-6) ne concernent pas les signes visés à l'article L. 141- 5 du Code du Sport » 201. Il rappelle ensuite que :

« Les conditions de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle (emploi d'une marque notoire « de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque » ou « exploitation injustifiée de cette dernière ») ne sont pas indispensables pour interdire l'utilisation des termes renommés que sont « Jeux Olympiques » et « Olympiades ». Même si ces dernières expressions ne sont pas utilisées en tant que marque, au sens du droit communautaire202, il est loisible au Comité d'en sanctionner néanmoins l'usage. »203

Ainsi cette interprétation extensive de l’article L. 141-5 a conduit à l’intronisation, au sommet de la pyramide des marques d’un nouveau régime supplantant celui des marques

197 Ibid.

198 CA Paris 7 mars 2008 06/01935,. 199 Caron, supra note 191 à la p 2.

200 De fait la cour précise que « rien ne montre que la société (CPPD) se soit présentée comme un partenaire officiel, un prestataire officiel ou un fournisseur officiel de l’organisation des Jeux olympiques en vue de bénéficier des retombées financières d’engagements de cette sorte ». [Qu’en outre] « [i]l n’y a ni préjudice, en raison de l’absence de lien fait par le public entre les deux signes litigieux ni exploitation injustifiée du signe « Olympiades » ". Avant de conclure que "que l’emploi des signes litigieux par la CPPD se situe dans un ton « non dénigrant », « humoristique » ou « délibérément décalé ». " Chloé Pham Van Hoa, « Têtu et « Les jeux olympiques du sexe » » (2010) 22:2 Les Cahiers de propriété intellectuelle à la p 468, en ligne : Les Cahiers de propriété intellectuelle <http://www.lescpi.ca/articles/v22/volume-22-numero-2/tetu-et-les- jeux-olympiques-du-sexe/>.

201 Caron, supra note 191 à la p 3.

202 Selon Passa « un signe n’exerce la fonction d’une marque, et n’est susceptible de porter atteinte à une marque enregistrée, qu’à la condition supplémentaire qu’il désigne des produits ou services et les rattachent à une origine commerciale déterminée ou qu’il soit exploité à titre de marque ou en tant que marque. » Passa, supra note 64 au para 240.

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notoires et renommées. Les marques classiques se trouvant ainsi pratiquement seules tributaires du méandre des exceptions.

Toutefois, en ouvrant l’usage des symboles olympiques « à des fins […] d'information ou de critique, sans l'autorisation du Comité national olympique et sportif français »204, la Cour semble avoir aménagé deux exceptions au bénéfice de la liberté d’expression. Un arrêt relativement récent rendu par la cour d’appel de Versailles205

démontre l’existence de certaines variations dans l’interprétation de l’article ; cette dernière optant pour une conception restrictive au profit de la liberté d’expression206.

Néanmoins, l’issue de la dispute, tranchée en faveur du CNOSF sur le fondement du parasitisme207, démontre finalement que quand bien même le pouvoir de L. 141-5 s’estompe, le droit commun demeure.

204 Cass com, 15 sept 2009, n° 08-15418, FS-P+B, CNOSF c/ CPPD, .

205 Cour d’appel de Versailles, 10 mars 2016, 14/00536 " Comité national Olympique et Sportif français

(CNOSF) C/ SAS Bushnell Outdoor Products ", .

206 La cour précise : " Que les dispositions susvisées du code du sport, en ce qu’elles consacrent la propriété du CNOSF sur les termes « jeux Olympiques » et « Olympiade » sans devoir satisfaire aux conditions de droit commun du droit des marques, sont d’interprétation restrictive et ne peuvent s’appliquer à l’abréviation J.O., laquelle est susceptible de désigner d’autres produits, services ou institutions, y compris publics, et ce, quand bien même cette abréviation serait combinée avec des éléments de nature à l’associer implicitement aux jeux Olympiques " Ibid.

207 Ultérieurement, elle conclut : « Qu’il en résulte qu’en procédant comme elle l’a fait, la société Bushnell a, de manière fautive, contrevenu aux usages loyaux du commerce en cherchant à tirer un profit indu du travail et des investissements réalisés par le CNOSF en tentant d’y associer, sans autorisation et sans droit sa propre activité commerciale, commettant ainsi un acte de parasitisme ; » Ibid.

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Conclusion du chapitre I

Au cours de ce chapitre, nous nous sommes attachés à exposer les raisons pour les lesquelles le Mouvement olympique à travers son fer de lance, le CIO, a trouvé au sein du droit des marques un refuge accueillant, propice au développement de son ambition ainsi que pourvu de moyens de défense efficaces en cas d’assauts. Monarque absolu, le Comité International Olympique trône a priori sur une ère acquise à sa cause. De fait, quand bien même certains États décident d’ignorer ces productions, ces derniers finissent par accoucher de dispositifs à la portée plus étendue que toutes les protections auxquelles il aurait pu songer. Ainsi, il ne peut que se gargariser dès lors qu’à chaque olympiade résonne la célèbre expression « À vos marques, prêts ? Partez ! ».

À présent, remémorez-vous l’élimination d’Usain Bolt sur la piste coréenne de Daegu en raison de l’instauration de la règle du faux départ208. En vertu des règles

établies, cet éminent favori fut éliminé de la compétition qu’il observa depuis les vestiaires. Imaginez maintenant, dans le cadre d’une hypothèse dystopique, qu’il revienne sur la piste par une porte dérobée et remporte la compétition de manière a priori légitime aux yeux du public. Concevez à présent cette course comme une recherche de parrains organisée par le CIO, l’athlète comme mécène potentiel et les autres coureurs comme les promoteurs retenus. Vous venez alors d’obtenir un aperçu du mode de fonctionnement d’un adepte de l’ambush marketing. Concept que nous nous attacherons à explorer au cours de notre second chapitre.

208 Gilles Gaillard, « Le faux départ de la discorde - Championnats du Monde d’Athlétisme » (29 août 2011), en ligne : <http://sport.francetvinfo.fr/le-faux-depart-de-la-discorde-74141>.

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