Lintroduction des dispositifs antiterroristes dans les lois migratoires et dasile : une analyse de cohérence
Bien que laction déterritorialisée des groupes terroristes présents aux États‐Unis et en Espagne explique lintroduction de dispositifs antiterroristes dans les lois migratoires et dasile, elle napporte guère dinformation sur le contenu de ces dispositifs.
De fait, comme le droit migratoire est un bastion de la souveraineté étatique, il semble plus probable que le contenu des dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans les politiques migratoires et dasile des pays étudiés dépend plus des décisions du gouvernement en place et de la tradition normative du pays concerné que du droit international ou la politique des institutions internationales associées à la lutte contre le terrorisme.
Dans cette partie, on se demandera précisément limpact de lordre international et interne sur la création et la modification des dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans les lois migratoires et dasile des États‐Unis et de lEspagne.
Lestimation de cet impact se traduit, lors de lanalyse juridique, par un examen de la cohérence des règles migratoires et dasile créées pour lutter contre la terreur avec lordre international et la tradition normative interne des États‐Unis et de lEspagne.
Ainsi, lexamen de cohérence externe remet en question la correspondance des dispositifs antiterroristes introduits dans le droit migratoire et dasile avec le droit international et la politique internationale (chapitre 1).
Lobservation de la cohérence interne, de son côté, vise à déterminer si lintroduction et la modification de ces dispositifs de lutte antiterroriste garde une certaine continuité historique par rapport à la tradition normative des pays étudiés ou si, au contraire, leur introduction
implique une rupture par rapport à ce qui existait avant lavènement du terrorisme international contemporain (chapitre 2).
Enfin, on analysera la construction doctrinale dun discours au sujet de la cohérence de ces dispositifs de lutte antiterroriste avec le système juridique tout entier. La construction doctrinale de la cohérence est faite a posteriori, justifiant ou critiquant rétrospectivement des mesures de lutte antiterroriste, y compris les dispositifs migratoires et dasile, grâce à la reprise opportuniste des anciennes théories (chapitre 3).
Or, cette analyse de cohérence produira des résultats différents dans chaque cas.
Cest ainsi que les dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans les lois américaines sur la migration et lasile sont relativement cohérents avec lordre international, même si les raisons qui expliquent cette cohérence se trouvent souvent dans lordre juridique interne ou dans le fait que les États‐Unis soient parmi les principaux dirigeants de la politique internationale de lutte contre le terrorisme. Lanalyse de la cohérence interne confirme cette affirmation, considérant que les États‐Unis ont introduit depuis longtemps le lien entre la migration et les menaces de sécurité dans leur système juridique national.
Le cas de lEspagne est bien différent. Les dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans ses lois migratoires et dasile ne sont pas cohérents avec les normes du droit international, au moins pas de manière directe. Ceci sexplique notamment par le fait que lEspagne soit membre de lUE. De fait, toutes les règles internationales liées à la migration ou au terrorisme sont introduites dans le droit espagnol dans linterprétation que lUE fait de celles‐ci. Les dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans les lois espagnoles sur la migration et lasile sont cohérents avec la politique migratoire et dasile commun de lUnion, même lorsque cette cohérence avec le droit européen implique une rupture avec la tradition normative espagnole
Finalement, même si les États‐Unis et lEspagne ont invoqué certains discours doctrinaux pour justifier la cohérence des dispositifs de lutte antiterroriste visant la population étrangère, il sagit dune utilisation opportuniste qui est faite a posteriori et nexplique ni la création ni la modification de ces règles. Pourtant, certaines de ces constructions doctrinales seront dutilité pour lanalyse de performance des dispositifs de lutte antiterroriste quon fera dans la deuxième partie.
CHAPITRE 1. La Cohérence Externe
Lanalyse de la cohérence des règles de lutte antiterroriste insérées dans le droit migratoire et dasile des États‐Unis et de lEspagne avec lordre international implique de se demander la réception que ces pays font des normes internationales et la correspondance de ces règles avec la politique internationale de lutte contre la terreur.
Comme on le verra, le droit international en matière de terrorisme et sur le traitement des personnes étrangères na pas été très développé, laissant une large marge de manuvre aux États, qui conservent leurs prérogatives de contrôle migratoire. Le droit international des réfugiés est la seule exception à cet égard car, à la différence du droit international en matière migratoire, il établit des règles plus précises. Le droit international des réfugiés crée certains dispositifs de lutte antiterroriste liés au refuge tandis que le droit des droits de lhomme limite laction de lÉtat lorsque ces dispositifs compromettent lexercice des droits de lhomme des personnes étrangères (section I).
Au contraire, la politique internationale pour la lutte contre le terrorisme a été très développée après les attentats du 11 septembre 2001. Cette politique a été impactée par laction militaire menée par les États‐Unis et leurs alliés, y compris lEspagne. La réalisation de la champagne militaire en Afghanistan a changé la conception de certaines règles internationales sur lexercice de la légitime défense ne permettant pas seulement la continuation de laction armée, mais soutenant aussi la création des règles exceptionnelles pour le traitement des ressortissants étrangers suspects de sengager dans des activités terroristes.
Enfin, la stratégie antiterroriste mondiale de lONU vise à rendre cohérente la création de dispositifs de lutte antiterroriste dans les lois migratoires et dasile avec la politique de cette institution internationale, parce quelle construit très clairement un lien entre la lutte antiterroriste et le mouvement transfrontalier de personnes (section II).