Section IV. La présentation des cas détude
Paragraphe 2. Le phénomène terroriste aux États‐Unis et en Espagne
B. Le terrorisme international
1º Le réseau dAl Qaeda
Les groupes terroristes internationaux qui ont perpétré des attentats aux États‐Unis et en Espagne font partie du réseau Al Qaeda. Al Qaeda est difficile à décrire, parce quil sagit plutôt dune idéologie que dun groupe. Les individus ou cellules dispersées dAl Qaeda sinspirent de son idéologie sans que ni Oussama ben Laden ni al‐Zawahiri les aient dirigés en réalité136. Le contexte de ces cellules ou individus se caractérise par la présence de luttes économiques et sociales qui produisent de larges inégalités structurelles auxquelles les musulmans doivent faire face, telles que la pauvreté, le manque dopportunités ou le chômage137. Le message dAl Qaeda peut être synthétisé de la manière suivante : lislam est attaqué par les infidèles et tous les musulmans ont le devoir de rejoindre le djihad pour éviter la destruction du monde musulman138. Le père intellectuel de lislamisme moderne, qui donne lieu à Al Qaeda, est Syyid Abu Ala Maududi, le fondateur du Jamaat‐i‐Islami139. Cet auteur promut la
création dune théo‐démocratie, un état idéologique dont la population ne se trouve que sous le pouvoir de Dieu et dont les citoyens ne votent que pour réaffirmer lapplication permanente des lois de Dieu. 136 GUNARATNA, R. (2004): « The Post‐Madrid Face of Al Qaeda », The Washington Quarterly, Vol. 27, Nº 3, Summer 2004, pp. 91 à 100; BURKE, J. (2004): « Al Qaeda, Foreign Policy », Issue 142, mai/juin 2004, pp. 18 à 26.
137 GUPTA, D. (2008): « Accounting for the Waves of International Terrorism », Perspectives on
Terrorism, Vol. 11, 2008, p. 6.
138 GUPTA, D. (2008) : cité note 137.
La fondation du mouvement politico‐religieux des Frères Musulmans en 1928 contribue aussi à lémergence du radicalisme islamiste, car il promeut cette idéologie dans le cadre de la Guerre de Palestine de 1948 et des autres évènements révolutionnaires de libération des pays arabes.
La publication de linterprétation que Sayyid Qutb fait des écrits de Maududi dans les années 1950 promeut la dissémination du djihad au niveau global et a inspiré les attaques du 11 septembre 2001140. Dans ce contexte, le groupe djihadiste MUKUB Office des Services des
guerriers arabes de Dieu est fondé par Abdallah Azzam en 1984. Il est le responsable de la création dAl Qaeda après la Guerre de lAfghanistan, afin de surmonter les différences ethniques des moudjahidines et permettre ainsi la formation dune armée internationale141.
Après lassassinat dAzzam, Oussama ben Laden prend la direction du mouvement sorientant vers limplication politique directe. Il décide ainsi de prêter son aide aux Frères musulmans et doffrir sa protection à lArabie Saoudite lorsque Saddam Hussein envahit le Koweït en 1990. Cette même année, il déménage au Soudan où il améliore les infrastructures du pays en échange de la tolérance des activités djihadistes du groupe. Après la capture du terroriste Ramirez Sanchez, le groupe déménage en Afghanistan où les talibans tolèrent les camps dentrainement des moudjahidines en échange de ressources économiques.
En 1993, à la suite de léchec des attaques contre le World Trade Center, Al Qaeda se réorganise pour attaquer les États‐Unis. En août 1998 deux attaques suicides sont exécutées à Nairobi et Dar es Salam causant 224 morts.
140 RUTHVEN, M., (2004): The Fury of God: The Islamist Attack on America, Granta UK, 2004, p. 72;
MIGAUX, P. (2006) : Les racines de l'islamisme radical dans CHALIAND G. et BLIN A. (sous la dir.) Histoire
du terrorisme ‐ de l'Antiquité à Al Qaida, Paris: Bayard, 2006, p. 305 et suivantes. 141 MIGAUX, P. (2006) : cité note 139, pp. 315 et suivantes.
Le 11 septembre 2001 a lieu lattaque terroriste la plus dévastatrice jamais vécue en occident tuant plus de 2700 personnes. La réaction de la communauté internationale vis‐à‐vis des attentats névite pas lavènement de nouveaux attentats, autant en orient142 quen occident.
De fait, quatre jours avant les élections présidentielles espagnoles, le 11 mars 2004, des attentats terroristes sont perpétrés à la Gare dAtocha à Madrid, causant la mort de 192 personnes et en blessant des centaines dautres. Bien que ces attentats aient été attribués à ETA au début, la responsabilité dAl Qaeda est suggérée par les indices et confirmée par lAudience Nationale143.
La justification que lislamisme fournit à propos de ces attentats, remonte au Moyen Âge. Pour le djihad contemporain, lÉtat espagnol est la continuation d« Al Andalus », un ancien territoire musulman quil faut récupérer. Le soutien militaire prêté par lEspagne aux États‐Unis en Iraq, a aussi été invoqué comme une justification des attentats.
En juin 2005, Al Qaeda commet les attentats de Londres, causant le décès de 270 personnes et plusieurs blessés.
Le 1er mai 2011, le gouvernement des États‐Unis annonce la mort dOussama ben Laden
permettant lascension dAyman‐Al‐Zawahiri, actuel leader du groupe144.
142 Des attentats terroristes ont été commis au nom dAl Qaeda après le 11 septembre 2001. Par
exemple, le 11 avril 2002 une voiture piégée tue 21 personnes à Djerba, Tunisie ; le 12 mai 2003 des explosions dans trois centres détrangers tuent 34 personnes en Arabie Saoudite ; le 16 mai 2003, 42 personnes sont tuées à Casablanca, Maroc ; le 19 août 2003, un camion piégé tue 23 personnes à Bagdad, en Irak et le 15 et le 20 novembre 2003, des attentats terroristes tuent 53 personnes à Istanbul, Turquie.
143 COT Institute for Safety, Security and Crisis Management (sous la dir.) (2008b): « Case Study: Spain.
The Ethical Justness of Counter‐Terrorism Measures », WP 6, Deliverable 12b Final, octobre 2008,
disponible en
<http://www.transnationalterrorism.eu/tekst/publications/Spain%20case%20study%20%28WP%206%2 0Del%2012b%29.pdf>, [Consulté le 10 juillet 2012] p. 3.
144 El Mundo, El sucesor Aymán‐Al‐Zawahiri: un asesino aún más radical que Bin Laden, le 2 mai 2011,
<http://www.elmundo.es/elmundo/2011/05/02/internacional/1304326110.html>, [Consulté le 10 juillet 2012].
Récemment, le 7 janvier 2015, les frères Kouachi, des Français dorigine algérienne, attaquent au nom dAl Qaeda les bureaux de lhebdomadaire Charlie Hebdo à Paris, causant la mort de 12 personnes145.
Le mode opératoire dAl Qaeda coïncide avec la description quon a donnée préalablement au sujet du terrorisme contemporain. Les individus ou les cellules terroristes agissent au nom du groupe sans avoir nécessairement de contact avec les leaders. Ces cellules, qui sont autant composées dimmigrants que de nationaux, sinstallent autour de mosquées improvisées ou clandestines qui promeuvent les interprétations plus radicales de lislam. La prison sert aussi au recrutement des terroristes dinspiration islamiste146.
Bien quaprès les attentats du 11 septembre 2001 et du 11 mars 2004, aucun attentat terroriste au nom dAl Qaeda nait été perpétré avec succès ni aux États‐Unis ni en Espagne, ces deux pays ont développé une stratégie antiterroriste qui ninclut pas seulement des mesures pénales et policières, mais aussi des mesures migratoires et en matière dasile. 2º Le terrorisme militarisé de lÉtat Islamique LÉtat Islamique (ci‐après « EI »)147 na pas eu dactivité aux États‐Unis ou en Espagne, mais les attaques du 8 et 9 janvier de 2015 à Paris perpétrés par Amedy Coulibaly en son nom, rendent nécessaire le traitement de ce groupe islamiste. LEI était une ancienne branche dAl Qaeda jusquà 2014, où les désaccords au sujet de laction en Syrie et la radicalisation des moyens utilisés par lEI pour soumettre la population locale en Irak, conduisent Al Qaeda à le détacher de son réseau148. 145 Le Monde, Comment sest déroulée lattaque contre « Charlie Hebdo », 7 janvier 2015, disponible sur <http://www.lemonde.fr/attaque‐contre‐charlie‐hebdo/article/2015/01/07/comment‐s‐est‐deroulee‐l‐ attaque‐contre‐charlie‐hebdo_4550930_4550668.html>, [Consulté le 11 janvier 2015].
146 Le Figaro, La prison, creuset de lislamisme radical, 9 octobre 2012, disponible sur
<http://www.lefigaro.fr/actualite‐france/2012/10/08/01016‐20121008ARTFIG00689‐la‐prison‐creuset‐ de‐l‐islamisme‐radical.php>, [Consulté le 30 septembre 2013].
LEI promeut des idées encore plus radicales quAl Qaeda, revendiquant la domination mondiale comme la vraie mission de lIslam149. À cette fin, le groupe compte sur la réaction des
États‐Unis et de lEspagne à propos du terrorisme international pour laider « à déclencher une
spirale de guerres civiles et transnationales débouchant sur le grand Armageddon, le retour à un Âge dOr imaginaire de domination arabe dans tous les pays musulmans et de domination musulmane à travers lEurasie et lAfrique »150.
De plus, laction de lEI ne sadresse pas quaux infidèles dOccident, mais il vise toute dissidence interne, encourageant la lutte contre les chiites, les kurdes et dautres groupes présents au Moyen Orient151.
En outre, bien que lEI ait incorporé dautres groupes à ses rangs, il ne pratique pas le travail coopératif avec des groupes djihadistes, ni partage le contrôle territorial avec les groupes terroristes locaux. Autrement dit, ce groupe ne promeut pas un « état‐islamisme » au sens de « lAlqaedisme » décrit ci‐dessus, mais il aspire au contrôle unique et absolu des territoires occupés152.
Les moyens dont dispose lEI pour agir divergent aussi de ceux dAl Qaeda. Il ajoute aux attentats incendiaires et aux exécutions des otages occidentaux, laction militaire de
148 Voir NÜNLIST C. (2014) : Le néo‐Califat de « LÉtat islamique », Politique de sécurité : analyses du CSS,
Nº 166, Zurich, décembre 2014, p. 3.
149 ATRAN, S. (2014) : État islamique, lillusion du Sublime, Cerveu & Psyco, Nº 66, novembre‐décembre
2014, p. 51. En effet, la proclamation fondamentale de lÉtat Islamique, cest « perdurer et se répandre » (baqiya wa tatamadad) (LISTER, C. (2014) : Profiling the Islamic State, Brookings Doha Center Analysis Paper, Nº 13, November 2014, p. 6).
150 ATRAN, S. (2014) : cité note 148, p. 52.
151 Dans les mots de son ancien leader, Abou Moussab al Zarkawi: « les chiites sont le plus grand mal de lhumanité, les plus dangereux moralement, et quil faut les détruire en priorité ». Cité par ATRAN, S.
(2014) : cité note 148, p. 51. Al Qaeda défend la position inverse, encourageant lunité chiite‐sunnite. Voir NÜNLIST C. (2014) : cité note 147, p. 2.
« rattrapage » des territoires irakiens et de Syrie, qui lui a permis de contrôler des zones géographiques en tant que gouvernement doccupation153.
Dailleurs, ce groupe utilise les réseaux sociaux154 comme outil de recrutement et propagande dune manière plus performante que dautres groupes djihadistes. Sa stratégie de communication a fait preuve dune remarquable capacité dattirance de laudience, notamment grâce à la qualité de limage, lélaboration dun message unique et le montage professionnel de sa publicité.
Toutefois, loccupation territoriale obtenue par lEI grâce à son action terroriste est un trait nouveau du terrorisme islamiste. À la différence dAl Qaeda, ce groupe na pas besoin dun gouvernement parrain pour opérer, mais il est devenu lui‐même le gouvernement. Ce gouvernement doccupation dispose dune vraie armée pour renfoncer son contrôle territorial actuel155. Ce nouveau contexte na pas seulement servi à sa légitimation vis‐à‐vis dautres groupes djihadistes et ses propres adeptes, mais il lui permet de se financer grâce à lexploitation illégale des ressources naturelles locales156.
Fin 2014, certains spécialistes comme Christian Nünlist considéraient que cette stabilité financière permettrait à lEI de diversifier ses cibles, augmentant le risque dattentats en
153 La désignation dAbu Bakr al‐Baghdadi à la tête de lEI en 2010 marque le virement vers laction
militaire. Récemment la presse et certaines organisations internationales ont alerté sur lavancée de lEI en Libye. Voir Le Monde, LÉtat islamique signe par le sang sa présence en Libye, 16 février 2015, disponible sur <http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/02/16/l‐etat‐islamique‐signe‐par‐le‐sang‐ sa‐presence‐en‐libye_4577306_3212.html>, [Consulté le 19 février 2015]. La nomination dAbu Bakr al‐ Baghdadi à la tête de lEI en 2010 marque le virage vers laction militaire. Voir NÜNLIST C. (2014) : cité note 147, p. 2. 154 LEI a eu une présence sur twitter et le site Vkontakte, mais ses comptes ont fini par être fermés sur la demande des gouvernements américain et russe. Aujourdhui, il opère notamment sur le site diaspora et youtube. LISTER, C. (2014) : cité note 148, p. 24.
155 Selon les estimations de Charles Lister, lEI est à la tête de près de trente‐et‐un mille soldats et
possède de nombreuses armes et véhicules de guerre. LEI a créé aussi un système dentrainement qui permet la professionnalisation des djihadistes. LISTER, C. (2014) : cité note 148, p. 16.
156 LEI est le groupe terroriste le plus riche du monde. Ses actifs sont évalués entre US $1.3 et deux
Occident157. Lattaque à lHyper Cacher à Paris le 7 janvier 2015 semble confirmer son hypothèse. Paragraphe 3. La migration aux États‐Unis et en Espagne Aussi bien les États‐Unis que lEspagne sont des pays daccueil dimmigration à grande échelle, mais leur relation avec le phénomène migratoire est différente. Les États‐Unis ont été formés par des populations migrantes et constituent à présent le pays qui reçoit la plus importante quantité dimmigrants du monde tandis que lEspagne est un pays démigration jusquen 1990.
Les États‐Unis sont le pays daccueil de 19% des immigrants du monde, cest‐à‐dire 45,9 millions158 de personnes, dont 262.023 sont réfugiés ou bénéficiaires dasile159.
Néanmoins, leur profil en tant que terre dimmigration remonte à leur création. De fait, les premiers habitants étrangers des États‐Unis proviennent du Centre et du Nord de lEurope. Plus tard, des flux de force étrangère de travail arrivent aux États‐Unis, incluant des esclaves et des travailleurs japonais et chinois. Au début du XXe siècle, des groupes dimmigrants du Sud et de lEst de lEurope sont aussi arrivés, en partie à cause de létablissement de lois migratoires très tolérantes par rapport aux migrants de cette origine.
À partir de 1965 une modification de la loi migratoire américaine rend possible ladmission dimmigrants dautres nationalités, mais exige des qualifications très difficiles à réunir pour les migrants économiques. Doù, à lépoque et encore aujourdhui, des flux dimmigration non autorisée, provenant notamment du Mexique, qui arrivent massivement aux États‐Unis.
157 NÜNLIST C. (2014) : cité note 147, p. 4. 158 ONU (2014) : cité note 2.
159 Selon les données de la Banque mondiale pour la période 2009‐2013, disponible sur
<http://data.worldbank.org/indicator/SM.POP.REFG>, [Consulté le 11 juillet 2014]. En 2012, 58.179 réfugiés sont arrivés aux États Unis. Ces réfugiés viennent de lAsie (76%), dAfrique (18%) et dAmérique du Nord (3.3%). Voir US DEPARTMENT OF HOMELAND SECURITY, Office of Immigration Statistics (2012): « 2012 Yearbook of immigration Statistics, U.S. Department of Homeland Security », disponible sur <http://www.dhs.gov/sites/default/files/publications/ois_yb_2012.pdf>, [Consulté le 11 juin 2014], pp. 39 à 41 et 43 à 48.
LEspagne, de son côté, a modifié son modèle migratoire à cause dun développement économique accéléré à partir des années 1990, passant dun pays démigration à un pays dimmigration.
À présent, 4.538.503 personnes étrangères habitent en Espagne160, soit environ 10% de la population totale. La population migrante atteint sa quantité maximale en 2011 (5.747.734), mais laggravation de la crise économique marque sa diminution progressive.
En matière dasile, la tendance jusquà lannée 2012 a été marquée par la baisse progressive de la présentation de demandes dasile en Espagne. De fait, après le pic de 9490 en 2001, les demandes dasile ont présenté une diminution du 72,8% jusquà 2012. Bien quen 2013, ces demandes aient augmenté de 74% (4.502 demandes), lEspagne continue à admettre une quantité restreinte des demandes et constitue le pays européen avec le plus faible nombre de demandes dasile161. Par ailleurs, lEspagne reconnait le statut de réfugiés dans un nombre très limité de cas (environ 10% du total). Cest ainsi que des 2.379 demandes dasile connues par la Commission Interministérielle dasile et Refuge en 2013, seulement 206 personnes ont obtenu la reconnaissance de leur statut de réfugié et 357 une protection subsidiaire162.
160 Selon les données de lInstitut espagnol de statistiques disponibles sur< www.ine.es> au 1er juillet
2014 42.5% des ressortissants étrangers en Espagne sont citoyens de lUE tandis que 57.5% vienent de pays tiers.
161 LEspagne occupe la 26e place sur 27, quant au nombre de demandes de protection internationale à
lintérieur de lUE. Source : Eurostat, News release Asylum in the EU 27, 22 mars 2013, disponible sur <http://europa.eu/rapid/pressrelease_STAT1348_en.html>, [Consulté le 9 juin 2014] et CEAR (2013): « La situación de las personas refugiadas en España », Informe 2013, Catarata, disponible sur <http://cear.es/wp‐content/uploads/2013/06/InformeCEAR_2013.pdf>, [Consulté le 09 juin 2014] p. 47.
162 CEAR (2014): « La situación de las personas refugiadas en España », Informe 2014, Catarata,
disponible sur <http://www.cear.es/wp‐content/uploads/2013/05/Informe‐CEAR‐2014.pdf>, [Consulté le 11 juillet 2014] p. 79 et 80.
Conclusion du chapitre préliminaire
À la lumière de lanalyse faite dans ce chapitre on peut affirmer que les États‐Unis et lEspagne sont des pays suffisamment proches et suffisamment différents pour rendre leur analyse comparative intéressante au sujet de lincorporation de dispositifs antiterroristes dans les lois migratoires et dasile.
Il sagit ainsi de deux pays occidentaux, mais qui font partie de traditions juridiques différentes et qui sont contraints par des normes juridiques internationales distinctes, au moins du point de vue du droit régional.
De plus, ces deux pays ont subi des attentats terroristes du réseau Al Qaeda sur leur sol, connaissant un changement des moyens de fonctionnement du terrorisme, très marqué par la mondialisation et la révolution des technologies de linformation. Cependant, leur expérience préalable par rapport au phénomène terroriste est différente, au moins par rapport au terrorisme interne.
Dailleurs, les deux pays étudiés sont les destinations favorites dune migration internationale, également impactée par la mondialisation et la création de moyens de transports moins chers, devenant plus diverse, accélérée et difficile à gérer.
Ces changements constatés dans les phénomènes terroriste et migratoire impliquent une transformation de la stratégie antiterroriste et des politiques migratoires et dasile. Cette transformation se traduit par lintroduction de dispositifs de lutte antiterroriste dans le droit migratoire et dasile, autant aux États‐Unis quen Espagne, rendant lanalyse de leur règles sur le traitement des personnes étrangères très pertinente.
Il sagit dune analyse pertinente, en particulier si lon considère que ces pays jouissent dune réputation presque opposée par rapport à la protection des droits de lhomme dans la lutte antiterroriste. Daprès cette réputation, il semble que les États‐Unis soient beaucoup plus
enclins à restreindre les droits des suspects de terrorisme tandis que lEspagne, en tant quélève modèle de lUE, nest pas disposée à le faire.
Autant les différences que les ressemblances dans les pays faisant lobjet de cette étude rendent très intéressante lanalyse comparative. Il sagit de déterminer si leurs différences impliquent des réponses distinctes lors de lintroduction des dispositifs de lutte antiterroriste dans le droit migratoire et dasile, et si ces dispositifs sont efficaces pour combattre le terrorisme. On se demandera de surcroît si leur introduction a affecté la nature juridique du droit migratoire et dasile des Etats‐Unis et de lEspagne.
PREMIÈRE PARTIE
Lintroduction des dispositifs antiterroristes dans les lois migratoires et dasile : une analyse de cohérence
Bien que laction déterritorialisée des groupes terroristes présents aux États‐Unis et en Espagne explique lintroduction de dispositifs antiterroristes dans les lois migratoires et dasile, elle napporte guère dinformation sur le contenu de ces dispositifs.
De fait, comme le droit migratoire est un bastion de la souveraineté étatique, il semble plus probable que le contenu des dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans les politiques migratoires et dasile des pays étudiés dépend plus des décisions du gouvernement en place et de la tradition normative du pays concerné que du droit international ou la politique des institutions internationales associées à la lutte contre le terrorisme.
Dans cette partie, on se demandera précisément limpact de lordre international et interne sur la création et la modification des dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans les lois migratoires et dasile des États‐Unis et de lEspagne.
Lestimation de cet impact se traduit, lors de lanalyse juridique, par un examen de la cohérence des règles migratoires et dasile créées pour lutter contre la terreur avec lordre international et la tradition normative interne des États‐Unis et de lEspagne.
Ainsi, lexamen de cohérence externe remet en question la correspondance des dispositifs antiterroristes introduits dans le droit migratoire et dasile avec le droit international et la politique internationale (chapitre 1).
Lobservation de la cohérence interne, de son côté, vise à déterminer si lintroduction et la modification de ces dispositifs de lutte antiterroriste garde une certaine continuité historique