Paragraphe 1. Brève histoire du terrorisme
C. La naissance dun nouveau terrorisme ?
Certains auteurs caractérisent le terrorisme islamique comme un phénomène neuf qui présente une nature particulière qui léloigne du terrorisme traditionnel. Quoiquon soit partiellement daccord avec cette affirmation, considérant que le terrorisme islamiste présente ses traits dune manière nouvelle, certains de ces traits sont aussi présents dans dautres groupes terroristes contemporains. Autrement dit, les nouvelles caractéristiques du terrorisme ne répondent pas au fait que ce terrorisme soit inspiré par le fondamentalisme musulman.
Bien que William Gutteridge ait parlé du « nouveau terrorisme » à la fin des années 198039, dautres auteurs affirment lémergence dune nouvelle forme de terrorisme plus récemment40.
Laffirmation de la naissance dun nouveau terrorisme implique une rupture fondamentale avec le passé qui sassocie avec laccès aux armes de destruction massive, à ses motivations religieuses radicales41 et à dautres processus dordre politique, social et économique, comme la mondialisation et le développement technologique.
Les avances technologiques affectent les instruments de la violence, qui incluent les armes de destruction massive et les moyens de communication, permettant des effets plus dévastateurs, un fonctionnement décentralisé et la réception du message terroriste par une audience globale. Pourtant, la nouvelle technologie ne constitue pas la cause de ce « nouveau » terrorisme, mais une condition structurelle qui facilite son action42. 39 GUTTERIDGE, W. (sous la dir.) (1986): The New Terrorism, London: Mansell Publishing, 1986, 228 p. 40 BURNETT, J. et WHYTE D. (2005): « Embedded Expertise and the New Terrorism », Journal for Crime, Conflict and the Media, Vol. 1, Nº 4, 2005, pp. 2 et 3. 41 SIMON, S. et BENJAMIN D. (2000): « America and the New Terrorism », Survival, Vol. 42, Nº 1, 2000, pp. 59 à 75.
42 JENKINS, B. (2006): « The New Age of Terrorism », 2006, disponible sur
<http://www.prgs.edu/content/dam/rand/pubs/reprints/2006/RAND_RP1215.pdf>, [Consulté le 12 juin 2013], p. 125.
Or, de la même manière quil nexiste pas daccord au sujet de la définition du terrorisme, il ny a pas de consensus sur les caractéristiques essentielles du nouveau terrorisme. On verra que le débat sur lavènement dun nouveau terrorisme na pas encore été tranché et alors, laffirmation de lexistence dun nouveau terrorisme ne permet pas la création dune définition théorique de ce phénomène. Comme on le verra par la suite, les raisons invoquées en faveur de lémergence dun nouveau terrorisme sont immédiatement contestées.
Dabord, la création dun réseau du djihad global est un élément considéré crucial pour affirmer lémergence dun nouveau terrorisme dune dimension mondiale43. Cependant, certains affirment que la notion même dun réseau terroriste global existe plus dans les aspirations de ces groupes que dans la réalité. Cela, parce quil est difficile détablir un véritable lien entre les différents incidents terroristes et le djihad global islamiste, aujourdhui géré par Al Qaeda et lÉtat Islamique.
Bien que ladoption dun nom, dune cause et dun lexique commun par les groupes islamistes radicaux après le 11 septembre 2001 soit un fait qui nest pas contesté, lexistence dun but commun est très difficile à démontrer. Faisal Devji souligne à cet égard que le djihad global agglomère différents pays et populations dont les liens nont pas de fondement ni dans lhistoire récente ni dans le partage de buts communs44.
En effet, il y a plusieurs mouvements qui revendiquent le djihad global, mais leurs objectifs sont plus délimités et de nature largement politique. Les exemples incluent les Frères musulmans de lAsie Centrale, la Jemaah Islamiyah aux Philippines et Boko Haram au Nigeria45.
43 HOFFMAN, B. (1998) : cité note 38 et LAQUEUR, W. (2000), cité note 13.
44 DEVJI, F. (2005): Landscapes of the Global Djihad: Militancy, Morality, Modernity, Ithaca: Cornell
University Press, 2005, p. 9.
Dans le cas du terrorisme tchéchène par exemple, bien quil utilise le zèle et le symbolisme islamiste, ses buts se lient à la libération nationale. Il en est de même pour le Hamas qui cherche notamment la reconnaissance de lÉtat Palestinien. Même Oussama ben Laden tenait un discours mixte où le but dexpulser les troupes américaines du Golfe Persique se combinait avec une rhétorique plus transcendante liée à la lutte des croisés globaux46.
Dailleurs, la structure de réseau dAl Qaeda et plus récemment de lÉtat Islamique, nest pas unique, mais révèle une forme de fonctionnement plus généralisée parmi les groupes terroristes contemporains47. La plupart de ces groupes nont pas une structure de fonctionnement hiérarchique claire avec un leader idéologique, stratégique et tactique48.
Linternet favorise le développement de ces réseaux, en tant que source dinformation tactique et plateforme pour léchange dinformations opérationnelles entre des individus qui partagent une pensée similaire, sous la protection de lanonymat.
De plus, comme la plupart des terroristes sont des amateurs qui opèrent à temps partiel, ils nont pas besoin de ladhésion structurelle au groupe pour se financer49. Ce nest que
ponctuellement que ses membres obtiennent du financement grâce à des activités criminelles50.
46 PAPE, R. (2005): Dying to Win: The Strategic Logic of Suicide Terrorism, New York: Random House,
2005, 368 p.
47 Comme on le verra ci‐après, les groupes éco terroristes, des citoyens souverains et les groupes
anarchistes présents aux États‐Unis fonctionnent aussi en réseau, utilisant Internet comme moyen de communication et revendiquant un but commun.
48 SIMON, S. et BENJAMIN D. (2000) : cité note 42. 49 DUYVESTEYN, I. (2003) : cité note 3.
50 Cette affirmation nest que partiellement vraie au sujet de la structure centrale du groupe terroriste.
De fait, lÉtat Islamique exploite illégalement les ressources naturelles des territoires occupés pour financer la campagne militaire en Syrie et en Irak, tandis que des groupes comme Al Qaeda sengagent dans dautres activités criminelles pour se financer. Des études démontrent lexistence de liens entre la criminalité transnationale liée à la falsification et le trafic de drogues et le terrorisme transnational. Voir KLEIMAN, M. A. R. (2004): Illicit Drugs ant the Terrorist Threat: Causal Links and Implications for
En deuxième lieu, laugmentation du caractère suicide des attentats a été aussi souligné comme une caractéristique du nouveau terrorisme. Bien que David Rapoport lie laugmentation des attaques suicides à lémergence de lislam radical, dautres auteurs soutiennent le point de vue opposé51. Les données disponibles démontrent peu de connexion entre le terrorisme suicide et le fondamentalisme islamiste52. Ainsi, au Liban, en Israël, au Sri
Lanka, au Cachemire et en Tchétchénie, les groupes terroristes tentent détablir ou maintenir leur autodétermination politique à travers des attentats suicides.
Troisièmement, linspiration religieuse du nouveau terrorisme a été indiquée comme un facteur qui change la nature du phénomène, parce quà la différence des groupes séculaires, ces groupes ne cherchent pas la légitimation dans lacceptation de laudience, mais dans les croyances religieuses53. Le terrorisme dinspiration religieuse tente de détruire la société ou
déliminer des larges parties de la population et, dans sa forme la plus extrême, tente de liquider les forces sataniques, comme une pré‐condition pour la croissance dune autre, meilleure, partie de lhumanité54.
Néanmoins, quelques auteurs considèrent que linspiration religieuse est présente depuis longtemps dans les mouvements séparatistes et nationalistes qui ont toujours eu une origine religieuse55, même si la religion nétait pas leur cible principale56. De fait, des groupes
Domestic Drug Control Policy, Congressional Research Service, 20 avril 2004, disponible sur <http://www.fas.org/irp/crs/RL32334.pdf>, [Consulté le 1er septembre 2014].
51 Voir CRONIN A. K. (2003): Terrorist and Suicide Attacks, Congressional Research Center, 28 août 2003,
disponible sur <http://www.fas.org/irp/crs/RL32058.pdf>, [Consulté le 1er septembre 2014].
52 RAPOPORT, D.C. (2001): « The Fourth Wave: September 11 in the History of Terrorism », Current
History, décembre, 2001, p. 4. 53 CRONIN, A. K. (2002): « Behind the Curve, Globalization and International Terrorism », International Security, Vol. 27, Nº 3, 2002, pp. 41 à 42. 54 LAQUEUR, W. (2000): cité note 13, p. 81. 55 DUYVESTEYN, I. (2004): cité note 3, p. 445. 56 HOFFMAN, B. (1999): Terrorism Trends and Prospects, dans LESSER, I.O. et al. (sous la dir.) Countering the New Terrorism, Santa Monica: RAND, 1999, pp. 87 à 129.
terroristes plus anciens, comme les assassins du XIe siècle et la Ligue parisienne ultra catholique qui a fait régner la terreur à Paris de 1585 à 1594, ont eu une forte connotation religieuse. Ce nest quau XIXe siècle que les ressorts du terrorisme ne sont plus religieux57.
En quatrième lieu, des auteurs contemporains affirment que le nouveau terrorisme est plus létal58, considérant la probabilité dattaques catastrophiques de par lutilisation darmes
biologiques, chimiques, nucléaires59 ou la réalisation dactes de cyber terrorisme60. Le
terrorisme traditionnel et le nouveau terrorisme se distingueraient alors, parce que le premier na pas accès à ce type darmes ni est prêt à les utiliser, tandis que le second peut avoir accès à ces armes et justifie leur utilisation.
Le terrorisme traditionnel nest pas prêt à utiliser ce type darmes, parce que dans le monde actuel les différents groupes coexistent sur un même territoire et alors lutilisation dune arme de destruction massive menace aussi des groupes que les terroristes visent à protéger. À linverse, certains groupes terroristes contemporains sont prêts à utiliser des armes de destruction massive, même si cela cause leur propre destruction. Néanmoins, comme le monde na pas encore vécu lavènement dun attentat de terrorisme catastrophiste, on ne peut pas affirmer lexistence de groupes terroristes prêts à utiliser des armes de destruction massive. 57 SOREL J‐M., (2002): cité note 15, p. 37. 58 HOFFMAN, B. (1999) cité note 57. 59 CARTER, A. et al. (1998): « Catastrophic Terrorism, Tackling the New Danger », Foreign Affairs, Vol. 77,
Nº 6, 1998, disponible sur <http://www.foreignaffairs.com/articles/54602/ashton‐b‐carter‐john‐deutch‐ and‐philip‐zelikow/catastrophic‐terrorism‐tackling‐the‐new‐danger>, [Consulté le 6 mai 2014], pp. 80 à 94. 60 Bien que les attentats perpétrés contre le World Trade Center, lattaque perpétrée dans le métro de Tokyo et les attentats dOklahoma City présentent certaines de ces nouvelles caractéristiques, ce nest quaprès les bombardements simultanés des ambassades américaines en Nairobi et Dar‐es‐Salaam que le concept de nouveau terrorisme fait plus dadeptes. En outre, le cyber‐terrorisme est aussi considéré comme un type de terrorisme catastrophiste parce que ses manifestations peuvent menacer la stabilité du système financier. Voir STERN, J. (2000): Terrorist Motivations and Unconventional Weapons dans LAVOY P.R., SAGAN Scott D. et WIRTZ J. (sous la dir.) Planning the Unthinkable: How New Powers Will Use Nuclear, Biological, and Chemical Weapons, Ithaca: Cornell University Press, 2000, 224 p.
En conclusion, bien que les groupes terroristes actuels présentent certaines caractéristiques spéciales, il semble que nait pas encore émergé une forme de terrorisme toute nouvelle. Ceci en considérant quil ny a pas de consensus ni sur les caractéristiques essentielles du nouveau terrorisme ni sur la nouveauté de certaines de ces caractéristiques vis‐à‐vis du terrorisme traditionnel.
Il paraît plutôt que les groupes terroristes actuels ont une nouvelle manière dopérer, qui répond au développement de la technologie des transports, communications et armes, ainsi quà la mondialisation. Paragraphe 3. Le phénomène terroriste actuel Faute dune définition générale du terrorisme, on peut le caractériser dans sa manifestation contemporaine afin de saisir sa portée actuelle. Le terrorisme est une tactique politiquement motivée qui implique lutilisation de la violence causant une atmosphère de terreur, notamment à cause du choix aléatoire des victimes. Comme le groupe terroriste se trouve dans une relation dinfériorité vis‐à‐vis du gouvernement ou du cadre global contre lequel il agit, la terreur se présente comme un moyen efficace pour introduire ses demandes dans le débat public. Pourtant, le dommage causé nest pas proportionnel au but recherché61.
Ainsi, lacte terroriste envoie deux messages en même temps. Il envoie une menace de terreur à laudience et il demande au gouvernement la réalisation dun changement de nature politique. Quelques auteurs relativisent le caractère politique de cette deuxième demande, soulignant que laction terroriste actuelle peut se fonder sur des raisons religieuses, criminelles ou idiosyncratiques.
61 LAQUEUR, W. (2000): cité note 13, p. 6.
Cependant, le changement visé par un groupe terroriste, y compris des groupes dinspiration religieuse, présente une certaine nature politique62. Par exemple, laspiration de lAl Qaeda et
de lÉtat islamique visant à instaurer un califat mondial implique un changement de régime et des règles du jeu politique, même si le nouveau régime est gouverné par un droit naturel islamique.
Les moyens disponibles pour terroriser la population sont plus divers quavant. Ces moyens nincluent pas seulement les dispositifs incendiaires, la prise dotages ou le détournement daéronefs, mais aussi les armes de destruction massive et le cyber terrorisme.
Dailleurs, les groupes terroristes actuels agissent de manière internationale ou transnationale, soit afin de coopérer avec dautres groupes, soit pour perpétrer des attentats63. Les critères
pour déterminer sous quelle catégorie géographique doit être classifié un incident terroriste incluent : le territoire de lÉtat où lacte a eu lieu ; la citoyenneté des auteurs et lendroit visé par ses buts. Si le deuxième ou le troisième critère ne coïncident pas avec lÉtat où lincident a eu lieu, laction terroriste quitte le domaine domestique pour sélever au domaine international. Il existe toutefois une différence entre le terrorisme international et celui transnational, bien que le second inclue le premier. Le terrorisme transnational franchit les frontières de lÉtat, notamment parce que ses auteurs maintiennent leurs structures dorganisation ou perpètrent 62 COT Institute for Safety, Security and Crisis Management, Netherlands (sous la dir.) (2008a): cité note 31, p. 18. Selon Sorel, « le terrorisme remet fondamentalement en cause lÉtat quelle que soit sa forme. ( ) Il nie ( ) le pacte social et le monopole de la violence légitime attribué à lÉtat ». SOREL J‐M., (2002) : cité note 15, p. 66. 63 SCHMID, A. et JONGMAN, A. (2005): Political Terrorism. A New Guide to Actors, Authors, Concepts, Data Bases, Theories, & Literature, NJ: Transaction Publishers, 2005, 725 p.; WILKINSON, P. (1986): Terrorism and the Liberal State, NYU Press, 1986, 322 p.; HOFFMAN, B. (1998): cité note 38 ; KIRAS J.D.
(2004): Terrorism and Globalization, dans BAYLIS J. et SMITH S. (sous la dir.), The Globalization of World
Politics: An Introduction to International Relations, Oxford and New York: Oxford University Press, 3e
Ed., 2004 pp. 479 à 498 et REINARES, F. (1996): « The Political Conditioning of Collective Violence: Regime Change and Insurgent Terrorism in Spain », Research and Society, Vol. 3, 1996, pp. 297 à 326.
leurs activités dans plus dun pays64 et il vise à changer les structures de pouvoir dans des
régions entières du monde ou au niveau global65.
Le terrorisme transnational semble sadresser à une audience si large, quune attaque peut endommager même la population quon vise à « protéger » dès lors que le message visant le gouvernement ou lordre global est bien reçu et que le « reste » de laudience est conscient de la force du groupe.
La mondialisation et linstallation de moyens de transport massifs et peu onéreux facilitent laction terroriste internationale, permettant beaucoup de déplacements qui visent une série de destinations et points dorigine qui sont très difficiles à tracer par les autorités. Ainsi, le fonctionnement des groupes terroristes contemporains est géographiquement décentralisé. Chaque petite cellule opère en utilisant Internet pour communiquer, sinformer sur des tactiques terroristes ou préparer un attentat. Bien que ce fonctionnement puisse exiger un déplacement, dans la plus grande partie des cas, lattentat est exécuté par une cellule qui est déjà installée dans le pays visé.
Finalement, le facteur dunion du groupe nest plus la cohésion interne ou laction du leader, mais linspiration provenant dune idée globale pour résoudre apparemment la totalité des problèmes actuels. Cest ainsi, par exemple, que le terrorisme islamiste voit dans linstallation du califat global la solution aux problèmes causés par la mondialisation, tels que le relativisme moral et religieux. De la même façon, les éco‐terroristes perçoivent lécologisme comme le seul chemin adéquat pour éviter la destruction de la planète causée par le capitalisme, lépuisement de ressources naturelles et le réchauffement global. 64 REINARES, F. (1996): cité note 64, p. 2.
65 Cette dernière caractéristique nest pas toujours nécessaire. Des groupes territorialement définis
Or, de la même manière que le terrorisme actuel a été caractérisé comme un phénomène nouveau, le phénomène migratoire a été considéré par certains comme un développement nouveau.
Ces affirmations partagent un élément commun : le changement des conditions structurelles de fonctionnement des phénomènes terroriste et migratoire, notamment à cause du développement de moyens de transports peu onéreux, plus rapides et plus divers par rapport à leurs points dorigine et de destination.
De fait, autant les criminels que les migrants profitent de nouveaux moyens de transport et de nouvelles formes dachat et de paiement à distance pour se déplacer dune manière plus difficile à contrôler par les États. Autrement dit, les criminels, y compris les terroristes, sont des migrants qui profitent de la porosité des frontières des États pour réaliser leurs buts à échelle internationale ou transnationale.