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Les dispositifs de lutte contre le terrorisme international
insérés dans les politiques migratoires et d’asile aux
Etats-Unis et en Espagne : une analyse de cohérence et
de performance
Cecilia Dominguez Valverde
To cite this version:
Cecilia Dominguez Valverde. Les dispositifs de lutte contre le terrorisme international insérés dans les politiques migratoires et d’asile aux Etats-Unis et en Espagne : une analyse de cohérence et de performance. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2015. Français. �NNT : 2015PA010262�. �tel-01911245�
École
de Droit de la Sorbonne
Université
Paris I Panthéon‐Sorbonne
École
Doctorale de Droit de la Sorbonne
Département
de droit international et européen
Les
dispositifs de lutte contre le terrorisme international
insérés
dans les politiques migratoires et dasile aux
États
‐Unis et en Espagne. Une analyse de cohérence et
de
performance.
Thèse
pour lobtention du titre de Docteur en droit
Présentée
et soutenue publiquement le 25 juin 2015 par
Cecilia
Domínguez Valverde
sous
la direction de
Madame
la Professeure Hélène Ruiz Fabri
JURY
MME MYRIAM BENLOLO‐CARABOT, Professeure à lUniversité Paris Ouest Nanterre‐ La Défense, (rapporteure)
MME WANDA MASTOR, Professeur de droit public à l'Université Toulouse Capitole, (rapporteure)
MME HÉLÈNE RUIZ FABRI, Directrice de lInstitut Max Planck Luxembourg pour le droit procédural (directeure de recherche)
M. DANIEL SARMIENTO, Professeur à lUniversité Complutense, Madrid M. JEAN‐MARC SOREL, Professeur à lUniversité Paris 1 Panthéon‐Sorbonne
Remerciements
Je remercie en premier lieu ma directrice de thèse, dont le suivi et les conseils ont contribué à mettre en valeur les éléments les plus importants de ce travail. Je voudrais remercier aussi les membres du jury davoir accepté danalyser ma thèse. Mes remerciements vont aussi à lInstitut des Droits Humains de lUniversité de Valence et, en particulier, à la Professeure Mme Consuelo Ramon Chornet. Ses conseils ont été déterminants pour maider à comprendre le phénomène migratoire en Espagne et orienter mes recherches. De même, je voudrais remercier le Centre d'Assistance Sociale des Immigrants de la Croix Rouge de Guipúzcoa. Le travail quotidien réalisé ces dernières années avec la population immigrante de Donostia ma aidée à comprendre la mise en uvre du droit migratoire espagnol ainsi que limpact de ce droit sur les vies des personnes étrangères séjournant en Espagne. Mes remerciements vont, en particulier, à Mónica, Nuria, Kattalin et Ruth.
Merci à mes amis et amies : Juji, Peter, Soledad, Beatriz, Bruce et Francisca. Votre soutien, vos conseils et votre « appui technique » mont permis de réaliser les recherches nécessaires pour la rédaction de cette thèse.
Un remerciement particulier à ma famille qui, en dépit de la distance, est toujours présente. Je remercie mes surs Macarena, Constanza et Daniela dêtre là, même lorsque les décalages horaires rendent très difficile la communication. Un remerciement va aussi à ma mère qui ma aidée dans chaque étape nécessaire à la continuation de mes études. Je remercie mon père, nos conversations mont aidée à éclaircir mes idées et avis.
Enfin, je voudrais remercier spécialement Alejandro pour être toujours à mes côtés, en me soutenant à tout moment et notamment dans la phase de rédaction finale de ma thèse.
SIGLES
ET ABREVIATIONS
ALF Front pour la LibérationAnimale
BIA Board of immigration Appeals
BOE Boletín Oficial del Estado
CAA Consolidated
Appropiations Act 2008
CADH Convention Américaine relative aux Droits de lHomme de 1969. CAT Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants de 1984
CBP Customs and Border
Protection
CCD Base consulaire consolidée de données
CEAR Comisión Española de
Ayuda al Refugiado
CDH Comité des Droits de
lHomme
CEDH Convention Européenne des Droits de lHomme de 1950
CEtDH Cour Européenne de Droits de lHomme
CETIs Centres de séjour
temporaire dimmigrants
CIDH Commission
Interaméricaine des Droits de lHomme
CIEs Centres dInternement dÉtrangers
CItDH Cour Interaméricaine des Droits de lHomme
CFS Code de Frontières
Schengen
CFR Code of Federal
Regulations
CJUE Cour de Justice de lUE CPE Code Pénal espagnol
CV Code de Visas
DADH Déclaration Américaine des Droits et Devoirs de lHomme de 1948
DTA Detention Treatment Act de 2005
DUDH Déclaration Universel des Droits de lHomme de 1948
EI État Islamique
ELF Front pour la Libération de la Terre
EOIR Executive Office for Immigration Review
FOTs Équipes dopération contre les fugitifs
Frontex Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures GAO Government Accountability
HCR Haut‐Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés
IBIS Interagency Border
Inspection System
IIRIRA Illegal Immigration Reform
and Immigrant
Responsability Act de 1996
INA Immigration and
Nationality Act 1960 ICE Immigration and Customs
Enforcement
JO Journal Officiel de lUE
LO Loi Organique
LOEX LO 4/2000, de 11 janvier 2000, sobre derechos de los extranjeros en España y su integración social
LAPS Ley 12/2009, de 30 octobre 2009 reguladora del derecho de asilo y de la protección subsidiaria MCA 2009 Military Commissions Act
de 2009
NOIT Notice of intent to terminate asylum status NSEERS National Security Entry and
Exit Registry System
OIM Organisation Internationale pour les Migrations
OIT Organisation Internationale du Travail
ONU Organisation des Nations Unies
PIDCP Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques de 1966
PIDESC Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels de 1966
SIS Système dInformation
Schengen
SIS II Système dInformation Schengen II
TCE Tribunal Constitutionnel Espagnol
TFUE Traité de Lisbonne sur le Fonctionnement de lUnion Européenne de 2008 UE Union Européenne US United States US Code Code des États‐Unis
USCIS Service Citoyenneté et Immigration
REX Real Decreto 557/2011, de 20 avril 2011, por el que se aprueba el Reglamento de la LOEX.
VIS Système dinformation sur les Visas para. paragraphe paras. paragraphes p. page pp. pages
SOMMAIRE
CHAPITRE
PRELIMINAIRE. Terrorisme, Migration et la réponse antiterroriste : la
présentation
des cas détude.
PREMIÈRE
PARTIE
L
introduction des dispositifs antiterroristes dans les lois migratoires et
d
asile : une analyse de cohérence.
CHAPITRE
1. La cohérence externe.
CHAPITRE
2. La cohérence interne.
CHAPITRE
3. La construction doctrinale de la cohérence.
DEUXIÈME
PARTIE
Quels
dispositifs et avec quelle efficacité : une analyse de performance.
CHAPITRE
1. Les types de dispositifs de lutte antiterroriste.
CHAPITRE
2. Le rôle des dispositifs de lutte antiterroriste.
INTRODUCTION
Aussi bien les États‐Unis que lEspagne ont subi des attentats perpétrés par des groupes terroristes internationaux sur leur sol dans un passé récent1 et constituent des pays daccueil
de la migration internationale2. Ces attentats font partie du phénomène terroriste
caractérisé par quelques auteurs comme un phénomène nouveau3 ‐ qui paraît être impacté par la mondialisation et lavancement du capitalisme, laccélération des communications à distance et les mouvements transfrontaliers des personnes.
Ce dernier trait, désigné comme limpératif de mouvement libre et rapide par Bigo4, implique,
de lavis de plusieurs auteurs, le début de lâge de la migration5. Selon cette vision, lâge de la
migration aiderait la prolifération du terrorisme international qui est maintenant en mesure dagir de manière transfrontalière et décentralisée grâce à linterconnexion de moyens de transport peu onéreux et aux nouvelles technologies de linformation.
1 Parmi les attentats récemment perpétrés par des groupes terroristes internationaux dans des pays
occidentaux, on retrouve : les attentats du 7 août 1998 contre les ambassades des États‐Unis en Tanzanie et au Kenya ; les attentats du 11 septembre 2001 à New York ; les attentats du 11 mars 2004 à Madrid ; les attentats du 7 juillet 2005 à Londres et lattaque terroriste contre le journal satirique Charlie Hebdo et un Hyper Casher à Paris les 7 et 9 janvier 2015. 2 En 2013, près de la moitié de la population immigrante du monde habite dans neuf pays. Par ordre décroissant : les États‐Unis, la Russie, lAllemagne, lArabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Royaume Uni, la France, le Canada et lEspagne. ONU (2014): « Trends in international migrant stock: the 2013 revision‐migrants by destination and origin », 2014, disponible sur <http://esa.un.org/unmigration/TIMSO2013/documents/MIgrantStocks_Documentation.pdf>, [Consulté le 10 octobre 2014].
3 DUYVESTEYN, I. (2003): « How New Is the New Terrorism? », Studies in Conflict and Terrorism, Vol. 27,
Nº 5, 2003, pp. 447 à 448.
4 BIGO, D. et TSOUKALA, A. (sous la dir.) (2008): Terror, Insecurity and Liberty. Illiberal practices of illiberal regimes after 9/11, Routledge Studies in Liberty and Security, 2008, p. 36. On analysera la
théorie de Bigo dans la troisième section du chapitre 3 de la première partie de cette thèse.
5 CASTLES, S. et MILLER, M.J. (2009): The Age of Migration: International Population Movements in the Modern World, Basingstoke: Palgrave Macmillan, 4e Ed., 2009, 392 p.
Selon Louise Shelley, les criminels transnationaux sont les principaux bénéficiaires de la mondialisation, parce quils profitent de frontières plus ouvertes, dune grande mobilité internationale et de communications plus sûres6. Ce nouveau contexte illustre les limites de la politique pénale traditionnelle concernant la lutte contre le terrorisme, donnant lieu à lutilisation de nouvelles branches de droit.
Dans ce cadre, les pays occidentaux ont introduit des dispositifs antiterroristes dans le droit migratoire et dasile aux fins de lidentification et de la sanction des terroristes, ainsi que pour anticiper le comportement des ressortissants étrangers.
Néanmoins, la complexité de ces déroulements récents par rapport aux phénomènes du terrorisme et de la migration exige la réalisation dune analyse plus approfondie. Cest à cet effet quun chapitre préliminaire servira dintroduction élargie afin dexpliquer les circonstances qui ont favorisé lintroduction des dispositifs antiterroristes dans les lois migratoires et dasile en général, et de bien encadrer la portée de ces phénomènes dans le cas des États‐Unis et de lEspagne, ainsi que la pertinence de lanalyse comparative.
Cette thèse a pour objet dexplorer, dans le cas particulier des États‐Unis et de lEspagne, les dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans les lois migratoires et dasile, afin de réaliser une analyse de cohérence et une estimation de la performance de ces dispositifs par rapport à la lutte contre la terreur. À cet effet, on examinera, dans la première partie, la cohérence de lintroduction de lélément sécuritaire dans les lois migratoires et dasile avec lordre international et la tradition juridique des pays étudiés, ainsi que la construction rétrospective de cette relation de cohérence faite par des auteurs contemporains. 6 SHELLEY, I.L. (2003) : Organized Crime, Terrorism and Cybercrime dans A. BRYDEN et P. FLURI (sous la
dir.) Security Sector Reform: Institutions, Society and Good Governance, Baden‐Baden: Nomos Verlagsgesellshaft, 2003, p. 311.
Lanalyse de cohérence externe estime alors leffet du droit international sur les dispositifs antiterroristes des États‐Unis et de lEspagne, afin détablir si lintroduction de ces dispositifs a été influencée par les normes internationales.
De même, on constatera les répercussions de la politique internationale sur la création des dispositifs de lutte antiterroriste. En particulier, on analysera les conséquences de la campagne militaire engagée par les États‐Unis en Afghanistan et de la politique des Nations Unies relative à la lutte antiterroriste sur les normes internes des États‐Unis et lEspagne et la construction du lien entre le phénomène terroriste et la circulation de personnes (chapitre 1).
On verra que les pays étudiés accueillent différemment les incitations externes, de sorte que les États‐Unis ne paraissent pas respecter les exigences du droit international pour le traitement des ressortissants étrangers alors que, dans le même temps, ce pays dirige plutôt quil « suit » la politique internationale relative à la lutte antiterroriste.
LEspagne, de son côté, nintroduit pas les règles internationales sur le traitement des personnes étrangères, mais elle les reconnait dans linterprétation que lUnion Européenne (ci‐ après « UE ») a fait de ces obligations internationales. De cette manière, le droit international ne parait pas impacter directement les normes espagnoles sur le traitement des ressortissants étrangers.
Dans lanalyse de cohérence interne on vise à déterminer si les dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans le droit migratoire et dasile des pays étudiés maintiennent une continuité historique par rapport au droit migratoire et dasile existant aux États‐Unis et à lEspagne avant lavènement du terrorisme international (chapitre 2).
Lintroduction des dispositifs de lutte antiterroriste au sein du droit migratoire et dasile des États‐Unis répond à une tradition juridique interne qui a toujours fait le lien entre les menaces de sécurité et la présence des ressortissants étrangers.
Au contraire, la création et la modification des normes sur le traitement des ressortissants étrangers en Espagne a été très influencée par le droit de lUnion Européenne, y compris en ce qui concerne lintroduction des dispositifs de lutte antiterroriste dans le droit migratoire et dasile. De fait, la transposition des règles de lUnion en matière de migration et dasile a impliqué souvent la rupture de sa tradition juridique interne.
Pour finir lanalyse de cohérence, on considèrera la construction doctrinale de la cohérence des dispositifs de lutte antiterroriste avec le système juridique tout entier. Cette construction se traduit par la reprise opportuniste de cadres théoriques anciens afin de justifier ou critiquer rétrospectivement les mesures antiterroristes qui ont été prises, notamment après les attentats du 11 septembre 2001 (chapitre 3).
Trois cadres théoriques sont invoqués à cet effet : la théorie de léquilibre constituant entre la liberté et la sécurité, les théories explicatives de lexception et de lexceptionnalisme souverain du courant de Schmitt et les théories du comportement exceptionnel de lÉtat inspirées par Foucault.
Les pays étudiés ont invoqué certains de ces discours afin de justifier a posteriori des dispositifs antiterroristes introduits dans leur droit migratoire et dasile, bien que ces considérations théoriques naient pas vraiment motivé ni la création ni la modification de ces règles.
Lanalyse théorique de la cohérence sera prise en compte dans la deuxième partie pour déterminer la portée et évaluer la performance des dispositifs antiterroristes véritablement introduits dans les politiques migratoires et dasile des États‐Unis et de lEspagne.
La catégorisation des types de dispositifs antiterroristes et la détermination de leur portée révèle une grande ressemblance entre les règles des États‐Unis et de lEspagne, en dépit des
différences constatées au sujet des incitations ou des cadres théoriques invoqués par ces États pour justifier ces règles antiterroristes (chapitre 1).
En effet, en matière migratoire, il existe une grande proximité des hypothèses dinadmissibilité et de prohibition à lentrée liées au terrorisme ; des causes dexpulsion relatives à la commission réelle ou potentielle des dommages à la sécurité des pays étudiés ; des procédures dexception prévues à cet effet, ainsi quau sujet des mesures de détention et dautres techniques de surveillance appliquées aux ressortissants étrangers.
Les dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans le droit dasile américain et espagnol présentent aussi des similitudes. Les ressortissants étrangers qui font lobjet dune persécution peuvent être exclus de la protection internationale sur la base de considérations liées à la protection de la sécurité intérieure ou à la participation à des activités liées au terrorisme et une protection déjà octroyée peut être révoquée sur cette même base. De plus, les deux pays prévoient des procédures rapides pour la reconnaissance du droit dasile et la détention des demandeurs pendant le cours de ces procédures.
Au contraire, les dispositifs de lutte antiterroriste à long terme, cest‐à‐dire les politiques visant à lintégration de la population étrangère, ne présentent pas de ressemblances.
Néanmoins, de la même manière que les justifications invoquées par les autorités pour introduire des mesures exceptionnelles antiterroristes nexpliquent pas leur vraie nature, les dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans les politiques migratoires et dasile ne paraissent pas servir les fins de la lutte contre le terrorisme, au moins pas de façon exclusive.
De fait, lexamen de performance évaluera surtout lutilité et lusage réel des dispositifs antiterroristes insérés dans le droit migratoire et dasile, tout en tenant compte que lomniprésence de ces dispositifs à tout instant de la relation entre les ressortissants étrangers et les autorités de contrôle migratoire produit une quantité excessive dinformations qui
dépasse les réelles capacités de gestion des pays étudiés. Lintroduction de cette myriade de dispositifs nest pas efficace dans la lutte contre le terrorisme et dénote une dispersion des efforts de lÉtat. Il existe un décalage entre les discours qui justifient lintroduction des normes de lutte antiterroriste dans les lois migratoire et dasile et les buts véritablement atteints grâce à lintroduction desdites normes. Ainsi, ces dispositifs sarticulent avec les autres dispositions du droit migratoire et dasile pour lutter contre limmigration non autorisée. Pourtant, les intérêts économiques, généralement invoqués pour justifier la lutte contre limmigration illégale, ne sont considérés que de forme marginale par les politiques migratoires américaine et espagnole. De fait, aucun de ces pays nintègre assez de mécanismes dadmission qui considèrent les besoins réels du marché du travail local.
En outre, les dispositifs de lutte antiterroriste, en tant que dispositions visant la population étrangère, suivent une certaine logique ethnique et culturelle, notamment afin de construire la ligne qui divise les personnes qui font partie de la communauté nationale et les autres, qui sont exclues de cette communauté. Ce contenu ethnique et culturel devient plus évident dans lapplication des dispositifs de contrôle de la population étrangère qui sont guidés par lutilisation du profil racial.
Larticulation des mécanismes de lutte contre la terreur avec le reste des mécanismes de contrôle des personnes étrangères afin déviter dautres sources de danger, paraît indiquer la création dun système de surveillance plus généralisé par rapport à la population étrangère, confirmant la théorie du ban‐optisme de Didier Bigo7.
Malgré cela, lestimation des conséquences réelles de lapplication des dispositifs de lutte antiterroriste oblige à sinterroger sur la nature du droit migratoire et dasile qui résulte de leur introduction. En particulier, on doit se demander si la logique antiterroriste qui est
transposée à cause de lincorporation des mécanismes de lutte antiterroriste affecte la conception du destinataire de la norme migratoire et dasile, cest‐à‐dire du ressortissant étranger. Pour ce faire, on fera une analyse à double sens. Dabord, on se demandera si la logique de la lutte contre le crime a été introduite dans la politique migratoire et dasile des États‐Unis et de lEspagne. En particulier, on estimera si ce processus de crimmigration8 implique lintroduction de certains aspects du droit pénal de lennemi dans le droit migratoire et dasile, considérant que les règles pénales de lutte antiterroriste des pays étudiés présentent des traits du droit pénal de lennemi, tel que défini par Gunther Jakobs. Ensuite et face à une réponse a priori affirmative, on se demandera si linclusion de la logique de lennemi dans le droit migratoire et dasile américain et espagnol a envahi la logique tout entière de ces branches du droit, créant une présomption de dangerosité à lencontre du ressortissant étranger qui se traduit par sa conception comme un véritable ennemi de la communauté daccueil (chapitre 2).
Cette nouvelle nature du droit migratoire et dasile change aussi ses buts, réalisant maintenant une série de tâches symboliques liées à la gestion de la population étrangère, telles que la lutte symbolique contre le danger, y compris le terrorisme, la lutte symbolique contre les dégâts économiques causés par limmigration non contrôlée et la préservation symbolique de la cohésion sociale.
Lanalyse préalable démontrera ainsi quen dépit de différences qui présentent les pays étudiés, autant par rapport au point de départ quà propos du chemin parcouru pour introduire et justifier des dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans leurs lois migratoires et 8 Le concept de crimmigration, qui sera traité dans le chapitre 3 de la première partie de cette thèse, dénote un processus de confusion des buts et des moyens de la politique de lutte contre la criminalité et la politique migratoire, au sens que la première sert les fins et utilise les moyens de la deuxième et vice‐ versa.
dasile, ces dispositifs restent très ressemblants, jouent des rôles tout à fait comparables et sont dune nature juridique largement semblable.
CHAPITRE
PRÉLIMINAIRE. Terrorisme, Migration et la réponse antiterroriste :
la
présentation des cas détude
Lintroduction de dispositifs de lutte antiterroriste dans les lois migratoires et dasile est le résultat du chevauchement de deux phénomènes divers : le terrorisme et la migration.
En effet, la croissante porosité des frontières des États ne sert pas seulement à laccélération et à la diversification de flux migratoires, mais aussi à la déterritorialisation de laction de groupes terroristes et à la réponse étatique de lutte contre ce type de criminalité.
Dans ce chapitre préliminaire on traitera le phénomène terroriste et migratoire dans sa manifestation actuelle, soulignant le fait que les changements vécus au sein des groupes terroristes et des flux migratoires ont déclenché une réponse antiterroriste qui intègre ces deux phénomènes.
On verra que les changements constatés par rapport au terrorisme, à la migration et au déroulement des stratégies antiterroristes au niveau global se reflètent aussi aux États‐Unis et en Espagne, servant de base à lintroduction de dispositifs de lutte antiterroristes dans leur droit migratoire et dasile.
À cette fin on caractérisera, dabord, le phénomène terroriste actuel, tenant compte de limpact que la mondialisation et la révolution des technologies de linformation ont eu sur le fonctionnement interne des groupes terroristes contemporains (section I).
Subséquemment, on étudiera le phénomène du mouvement transfrontalier de personnes. Dans le cadre de cet examen, on fera une analyse historique de la migration pour nuancer laffirmation de lémergence dun véritable Âge de la Migration, au moins en termes quantitatifs (section II).
À la lumière des analyses précédentes, on examinera les changements subis par les stratégies antiterroristes contemporaines qui incluent à présent lapplication dautres branches du droit, notamment afin de prévenir la commission dactes terroristes sur la base dune analyse de risques de sécurité. Cest dans ce contexte que se situe lintroduction de mesures antiterroristes dans les politiques migratoires et dasile (section III).
Finalement, on justifiera le choix des États‐Unis et de lEspagne comme des pays appropriés pour la réalisation dune analyse comparative de lintroduction de dispositifs de lutte antiterroriste dans les lois migratoires et dasile.
On verra que malgré les différences qui existent par rapport à la structure de leur système juridique, leur tradition juridique et le contexte régional, les changements intervenus dans le phénomène terroriste et migratoire global décrits dans les sections préalables ont impacté lactivité des groupes terroristes qui opèrent sur leur sol, favorisant une stratégie qui lutte contre le terrorisme à travers les dispositions du droit migratoire et dasile. (section IV).
Section I. Le phénomène terroriste
Bien que le terrorisme ne soit pas un phénomène nouveau, la confusion prédomine sur la question de la définition de sa nature9.
De fait, il nexiste pas encore de définition universelle du terrorisme, même si plusieurs auteurs ont souligné limportance dune définition objective du terrorisme afin de créer des stratégies internationales efficaces pour lutter contre ce phénomène10. Pire, le défaut dune définition du terrorisme favorise labus de lÉtat, qui peut utiliser le « label » terroriste pour délégitimer et criminaliser des formes dopposition politique11.
La difficulté de saccorder sur une définition unique de ce phénomène sexplique par la diversité de ses manifestations12. En effet, il nexiste pas un terrorisme, mais plusieurs13.
Le fait de se résigner à ne pas définir le concept de terrorisme sexplique dans les différents paragraphes de cette section. De fait, une brève analyse de son évolution historique récente sert à démontrer quil nexiste pas un fil conducteur du terrorisme ni à propos de ses buts ni de ses moyens daction violente. Ces manifestations présentent des traits si discordants que parfois il semble que laction violente examinée soit une expression dun phénomène différent (paragraphe 1). 9 Lancienne juge de la Cour Internationale de Justice Rosalyn Higgins a affirmé que le terrorisme na pas de signification juridique, mais est une manière convenable de désigner des activités réalisées par les États ou les individus qui sont largement désapprouvées, qui utilisent des moyens illégitimes, visent des objectifs protégés, ou les deux. HIGGINS, R. (2003): The General International Law of Terrorism, dans HIGGINS R. et FLORY, M. (sous la dir.), Terrorism and International Law, Taylor and Francis Group, 2003, p. 28 10 GANOR, B. (1998): « Defining Terrorism: Is One Mans Terrorist Another Mans Freedom Fighter? »,
International Institute for Counterterrorism, 1998, disponible sur <http://www.ict.org.il/var/119/17070‐ Def%20Terrorism%20by%20Dr.%20Boaz%20Ganor.pdf>, [Consulté le 3 mai 2010].
11 JENKINS, B. (1980): « The Study of Terrorism: Definitional Problems », 1980, disponible sur
<http://www.rand.org/content/dam/rand/pubs/papers/2006/P6563.pdf>, [Consulté le 13 septembre
2012].
12 SCHMID, A. (2004): « Terrorism The Definitional Problem », Case Western Reserve Journal of
International Law, Vol. 36, pp. 103 à 147, 2004.
De la même manière, la confusion autour de sa définition conceptuelle, autant pour le différencier du phénomène de la violence politique non terroriste que pour déterminer les acteurs capables de le perpétrer, indiquent aussi un manque de consensus sur la portée de ce phénomène qui rend plus difficile sa caractérisation théorique. De fait, même ceux qui invoquent larrivée dun nouveau terrorisme ne se mettent pas daccord sur ses caractéristiques essentielles, rendant impossible la création dune définition théorique du terrorisme contemporain (paragraphe 2).
Cest ainsi quaux fins de cette thèse, on ne créera pas une définition du terrorisme. Au contraire, on tentera didentifier les aspects qui caractérisent le phénomène terroriste dans sa manifestation actuelle. Le manque dune définition unique du terrorisme nimplique pas de difficulté pour lanalyse des dispositifs de lutte antiterroriste insérés dans les lois migratoires et dasile, car ces dispositifs sarticulent avec les définitions nationales qui incluent précisément les caractéristiques plus visibles des groupes terroristes, lesquels agissent sur le territoire des pays étudiés (paragraphe 3).
De plus, ce sont les caractéristiques du terrorisme actuel dont le champ daction dépasse les limites dun État pour agir de manière internationale ou transnationale, celles qui ont favorisé la convergence des règles antiterroristes et migratoires donnant lieu à lintroduction de dispositifs de lutte antiterroriste dans les lois migratoires et dasile quon va analyser. Les formes de terrorisme interne dont laction violente et le mode de fonctionnement se circonscrit aux limites de lÉtat ne revêtent pas dintérêt dans le cadre de lanalyse réalisée dans cette thèse.
Paragraphe 1. Brève histoire du terrorisme
Bien avant la Révolution française, cest‐à‐dire avant la construction du concept de terrorisme14, le mot « terreur » et des groupes catalogués comme terroristes existaient déjà15.
Dans ce paragraphe, on fera un bref passage par les expressions prédominantes du terrorisme à partir du XIXe siècle, afin de souligner la diversité de ces manifestations et motivations. De fait, les manifestations du terrorisme ne présentent aucune uniformité, rendant très difficile une définition unique du phénomène.
Selon la théorie historique de David Rapoport, il y a quatre « vagues » terroristes où une idéologie prédomine, même si dautres idéologies peuvent coexister16.
Dans la première vague (1879‐1914), connue comme lÂge dor des assassinats, prédomine laction de groupes anarchistes comme le Narodnaïa Volia17. Le contexte de cette vague est la
révolution industrielle qui crée des différences sociales plus marquées entre les deux nouvelles classes sociales : le prolétariat et la bourgeoisie. Certains groupes parmi les travailleurs répondent à la transition économique vers le capitalisme embrassant des idées politiques
14 LAcadémie française accueille le mot « terrorisme » en 1798 en le définissant comme la règle ou le
système de la terreur.
15 Cest le cas des sicarii ou sicaires, un groupe dextrémistes juifs du premier siècle qui cherchait la
libération de la Palestine du contrôle des Grecs et Romains. De la même manière, la secte des assassins issue du chiisme, opère au XIe siècle. La conspiration de Podres a aussi été qualifiée comme un acte terroriste. OEHMICHEN, A. (2009): Terrorism and Anti‐terror Legislation ‐ the Terrorised Legislator? A
comparison of Counter‐Terrorism Legislation and its implications on Human Rights in the Legal Systems of the United Kingdom, Spain, Germany and France, Thèse Doctorale, Université de Leiden, p. 43. 16 RAPOPORT, D.C. (2003): « Generations and Waves: The Keys to Understanding Rebel Terror
Movements », article présenté le 7 novembre 2003, au Seminar on Global Affairs dans la réunion du Ronald W. Burke Center for International Studies.
17 Ces groupes assassinent, entre autres, le Président de la France Marie François Sadi Carnot, le
Président des États‐Unis William McKinley, le Premier Ministre de lEspagne Antonio Cánovas del Castillo et plus tard, le Premier Ministre José Canalejas, limpératrice de lAutriche Elisabeth de Bavière et le roi de lItalie Umberto I. RAPOPORT, D. C. (2004): The Four Waves of Modern Terrorism dans CRONIN, A. K., LUDES, J. (sous la dir.) Attacking Terrorism: Elements of a Grand Strategy, Washington, DC: Georgetown University Press, 2004, pp. 46 à 73.
anarchistes et engageant une action terroriste qui se traduit notamment par la commission des assassinats politiques18.
La deuxième vague ou la vague anticolonialiste (1920‐1969) commence par la signature du Traité de Versailles en 1919, où les puissances coloniales décident que leurs territoires doutre‐ mer ne sont pas prêts pour lindépendance19. Comme réponse, une activité terroriste
indépendantiste émerge. De fait, lactivité terroriste a été déterminante pour létablissement de nouveaux États comme lIrlande, Israël, Chypre et lAlgérie20.
Les tactiques violentes utilisées par les groupes terroristes de cette vague changent par rapport à la vague précédente. Les groupes remplacent les assassinats de dirigeants politiques par les attentats contre les unités militaires et les corps de police. La dissolution des empires coloniaux à partir de 1950 marque la fin de cette vague21.
La troisième vague, connue comme la « nouvelle gauche » (1970‐1989), émerge suite au mécontentement produit par lavènement de la Guerre du Vietnam et la Guerre froide22. Les groupes terroristes de cette tendance agissent en Europe23, en Amérique Latine et aux États‐
18 Les idées de Karl Heizen sont invoquées comme une justification de ces assassinats. Selon cet auteur
le tyrannicide se justifie parce quil contribue au progrès historique, considérant que la mort du dirigeant politique implique la mort de ses adeptes. HEIZEN, K., Deer Moor, 1848 et Mord und Freiheit, 1853, cité par OEHMICHEN, A. (2009): cité note 16, p. 51.
19 RAPOPORT, D. C. (2004): cité note 18, p. 52.
20 En Palestine, des mouvements de libération considérés plus tard comme des groupes terroristes, tels
que le Hamas et lOLP, ont été créés en réponse à la création de lÉtat dIsraël et du groupe terroriste Irgun en 1948. Le Hamas fait aujourdhui partie de lintifada en coordination avec le Hezbollah et Al Qaeda. LOrganisation Nationale des lutteurs chypriotes, de son côté, vise à réunifier Chypre avec la Grèce. 21 SHUGHART, W. (2006): « An analytical history of terrorism, 19452000 », Public Choice, 128, 2006, pp. 15 à 20. 22 SHUGHART, W. (2006): cité note 23, p. 21. 23 Les Brigades Rouges en Italie, la Fraction Armée Rouge en Allemagne, lAction Directe en France et les Cellules Communistes Combattantes en Belgique font partie de la branche européenne de la troisième vague.
Unis, recevant souvent laide de groupes palestiniens et dÉtats parrains, tels que la Libye, lIran et lUnion Soviétique.
Les attentats contre les objectifs militaires et policiers sont remplacés par une action violente plus « dramatique ». Ainsi, le détournement daéronefs et la prise dotages caractérisent laction violente de ces groupes. Lassassinat de dirigeants politiques est repris comme forme daction terroriste24. La fin de la Guerre froide détermine le déclin de cette vague.
Finalement, la quatrième vague commence avec la Révolution en Iran et linvasion de lAfghanistan par lUnion Soviétique en 1979. Quoique la religion ait toujours joué un rôle dimportance pour certains groupes terroristes, la religion devient la justification idéologique de la perpétration des attaques terroristes de cette vague25.
Dailleurs, malgré lexistence de la violence terroriste liée à lhindouisme et au judaïsme dans le cadre de la quatrième vague, cette vague sassocie à présent au fondamentalisme islamique26. Le terrorisme dinspiration islamiste considère le modèle dÉtat séculaire du centre de lEurope et des États‐Unis comme une institution illégitime et oppressive quil faut détruire27. 24 Par exemple, des groupes liés à lIRA assassinent lambassadeur de lIrlande (1976), Lord Mountbatten (1979) et tentent de tuer les premiers ministres Thatcher (1984) et Major (1991). Le groupe palestinien Septembre Noir assassine le premier ministre de la Jordanie (1979) et tente de tuer le Roi de la Jordanie Hussein (1974). 25 RAPOPORT, D. C. (2004): cité note 18, p. 52. 26 RAPOPORT, D. C. (2004): cité note 18, pp. 62 à 65. 27 LIZARDO, O., BERGESEN, A. (2003): « Types of terrorism by world‐system location », Humboldt Journal of Social Relations, Vol. 27, 2003, p. 177.
La stratégie primaire daction des groupes terroristes de cette vague est lattaque des symboles occidentaux à travers une action qui se caractérise par lescalade des morts et des pertes28. Autant Al Qaeda que lÉtat islamique font partie de cette vague.
Les quatre vagues du terrorisme se caractérisent par la prédominance des idéologies diverses et des tactiques hétérogènes daction violente qui ne permettent pas lidentification dun fil conducteur de laction terroriste. Lanalyse historique confirme la complexité de construire une définition théorique unique, au moins si lon prend en considération ces deux éléments : la motivation et les moyens de laction terroriste.
De fait, si lon prend en considération le type daction violente, on constate que des groupes de la première et deuxième vague visaient un groupe très spécifique de victimes : les leaders politiques et les objectifs militaires et policiers, respectivement. Au contraire, cest le choix aléatoire des victimes parmi la population civile qui est lun des éléments qui crée la terreur caractérisant le terrorisme actuel. En effet, ce nest que dans la troisième et quatrième vague que laction terroriste devient plus « dramatique » et dévastatrice. Paragraphe 2. Des problèmes de définition Définir le terrorisme est une tâche ardue, notamment à cause de la difficulté à marquer les limites entre le terrorisme et dautres phénomènes proches. On verra dans ce paragraphe que les auteurs ne se mettent pas daccord sur les différences entre le terrorisme et la violence politique (A) ou la possibilité de la commission dactes terroristes par un État (B). De fait, même les auteurs qui affirment lexistence dun nouveau terrorisme, qui implique une rupture fondamentale avec le terrorisme traditionnel, narrivent pas à un niveau raisonnable de consensus sur les caractéristiques essentielles de ce nouveau phénomène (C). 28 Voir THOMPSON, W. (2006) : Emergent Violence, Global Wars and Terrorism, dans DEVEZAS, T. (sous la dir.) Kondratieff Waves, Warfare and World Security, IOS Press, 2006, p. 194.
A. Le terrorisme et la violence politique
Les phénomènes de violence politique et de violence terroriste sont très difficiles à distinguer29. Lorsque les individus ou groupes se résolvent à utiliser la violence pour obtenir un changement politique, on est devant la violence politique. La violence ne devient politique que si elle est utilisée comme un outil pour influencer ou contrôler le pouvoir ou laction future du peuple30. Cependant, quoique les actes de terrorisme soient violents et politiques par nature, la violence politique ne constitue pas toujours du terrorisme. Malgré lavis de Frank Buijs, qui considère quil est possible de distinguer la violence politique terroriste si lon fait attention à ses instruments, buts et effets, la considération de ces éléments laisse une zone grise où faire la distinction nest pas si simple31. De fait, lanalyse conjointe de ces trois éléments par rapport à
un acte de violence politique peut éclaircir la limite entre la violence politique et le terrorisme, mais il reste encore des cas où les deux catégories peuvent être appliquées de manière plausible.
Les difficultés pour létablissement dune ligne qui sépare ces deux phénomènes sexplique par le manque daccord au sujet de la définition du terrorisme.
29 Voir MAKARENKO, T. (2003): The ties that bind: uncovering the relationship between organised crime
and terrorism, dans SIEGEL D., VAN DE BUNT H. et ZAITCH D. (sous la dir.), Global Organised crime.
Trends and developments, Dordrecht: Kluwer Academic Publishers, 2003, pp. 159 à 192 et WILKINSON,
P. (1974): Political Terrorism, London: MacMillan, 1974, 160 p.
30 COT Institute for Safety, Security and Crisis Management, Netherlands (sous la dir.) (2008a): «
Defining Terrorism », WP 3, Deliverable 4, 1 octobre 2008, disponible sur <http://www.transnationalterrorism.eu/tekst/publications/WP3%20Del%204.pdf>, [Consulté le 5 janvier 2012] p. 54.
31 BUIJS, F.J. (2001): « Political Violence, Threat and Challenge », The Netherlands Journal of Social
Science, Vol. 37, Nº 1, 2001, p. 9. En ce qui concerne les instruments de la violence, tout ce qui se situe entre la désobéissance civile et les attaques incendiaires ne peut pas être facilement exclu du « label » terroriste. Ceci parce que lacte sera différemment qualifié par lauteur, la victime et le gouvernement. Quant aux buts, lauteur suggère que les actes de violence politique non terroriste reflètent clairement leur motivation et leurs buts, les deux étant compris par laudience. Pourtant, la violence nest pas la méthode la plus directe de communication et donc, les messages peuvent ne pas être compris par laudience. Sagissant des effets, il est très difficile de les mesurer, notamment parce quils ne sobtiennent que de manière indirecte. Lacte violent est un moyen datteindre les buts de la violence politique.
Peut‐être le seul facteur qui sert à distinguer la violence politique terroriste est‐il la recherche systématique de la création dune atmosphère de peur comme moyen datteindre un but politique32. Le terrorisme dépasse les seuls actes de violence pour dépendre largement des effets psychologiques générés par ces actes. La disproportion entre les actes terroristes et les buts recherchés vise précisément lintimidation du public, tout en faisant pression sur lÉtat pour quil réponde à laction terroriste. La différence entre la violence terroriste et les autres manifestations de violence politique se fonde alors sur la production dune double victimisation33.
B. Existe‐il un terrorisme dÉtat ?
La distinction entre le terrorisme dÉtat, le terrorisme perpétré par des groupes autres que lÉtat et le terrorisme parrainé par lÉtat souligne la question fondamentale de lauteur du terrorisme, en particulier, si lÉtat peut commettre un acte de terrorisme.
Linclusion de lÉtat comme un auteur dactes de terrorisme a ses racines dans la création même du mot « terrorisme », qui désigne lapplication dune politique officielle de lEtat français visant à créer une ambiance de terreur34. De fait, pendant la révolution jacobine,
Robespierre crée le Comité de Salut Public et plus tard, le Ministère de lInformation et de la Propagande, afin didentifier et déliminer les « contre‐révolutionnaires » qui « menaçaient » la République. Comme résultat, environ 300.000 arrestations arbitraires et 17.000 exécutions furent réalisées. Néanmoins, la manière dont Robespierre utilise la terreur parvient à une telle échelle que ses anciens partisans conspirent pour laccuser de terrorisme.
32 Michel Winock definit le terrorisme comme « des actes de violence exécutés par des groupes politiques généralement clandestins, dans la volonté de créer un climat dinsécurité, daffaiblir un régime, de désorganiser un système doppression ». Citation du SOREL J‐M., (2002) : cité note 15, p. 37, note de bas de page 7. 33 CRENSHAW, M. (1998): The Logic of Terrorism: Terrorist Behavior as a Product of Strategic Choice dans REICH, W. et LAQUEUR W. (sous la dir.) Origins of Terrorism: Psychologies, Ideologies, Theologies, States of Mind, New York: Woodrow Wilson Centre Press, 1998, p. 380. 34 La terreur est regardée comme quelque chose déquitable et sévère qui constitue une émanation de la vertu. SCHMID, A. (2004): cité note 12, p. 399.
En dépit de son origine historique, la question de savoir si lauteur du terrorisme peut être lÉtat est contentieuse à présent. La difficulté de déterminer lÉtat comme un terroriste se lie très probablement aux difficultés pour définir le terrorisme en soi, au moins au sens juridique. Certains auteurs affirment que lÉtat peut parrainer ou exécuter le terrorisme ailleurs, mais ne peut pas perpétrer ces actes dans sa juridiction territoriale, parce que, dans ce cas, il devient un type dÉtat différent, autoritaire ou totalitaire35. Dautres académiciens distinguent le terrorisme subversif du terrorisme répressif, le premier visant à changer lordre politique et le second, à réifier lordre existant. Ce dernier se manifeste par des actes de torture, la création descouades de la mort, la réalisation de disparitions forcées et la création de camps de concentration36. De lavis de ces auteurs, les
États peuvent engager aussi bien des formes de violence répressive (adressées à lintérieur) que subversive (adressées à lextérieur)37.
Il a été suggéré cependant, quil existe une différence qualitative par rapport aux buts, méthodes et conséquences de ces actes, qui peuvent donner lieu à une distinction sémantique entre les deux formes de terrorisme.
Une clarification serait désirable dans le champ du discours académique et politique afin de limiter labus potentiel du « label » terroriste pour légitimer lutilisation de moyens extraordinaires contre les « États voyous ». 35 COT Institute for Safety, Security and Crisis Management, Netherlands (sous la dir.) (2008a): cité note 31, p. 75. 36 THORNTON, T. P. (1964): Terror as a Weapon of Political Agitation dans ECKSTEIN, H. (sous la dir.), Internal War: Problems and Approaches, New York: Free Press of Glencoe, 1964, 339 p. 37 Les actions du terrorisme subversif peuvent être parrainées par lÉtat ou pas, mais dans laffirmative, ce type de terrorisme réalise une action subversive dans dautres États à travers laction des groupes non étatiques. Il sagit alors dun terrorisme non étatique. Selon Bruce Hoffman, le terrorisme parrainé par lÉtat sert délibérément les buts de la politique extérieure de lÉtat parrain. HOFFMAN, B. (1998): Inside Terrorism, New York: Columbia University Press, 1998, p. 186.
Dans le domaine du droit international, la question de savoir si lÉtat peut commettre des actes de terrorisme a été très débattue et représente un obstacle pour ladoption de la Convention Internationale Compréhensive sur le Terrorisme. En effet, les pays du Sud et du Moyen Orient considèrent que les États peuvent commettre des actes de terrorisme, tandis que les États du Nord soutiennent la position opposée.
Néanmoins, bien que le « terrorisme dÉtat » interne ou répressif ne constitue pas une forme de violence asymétrique, ne cherche pas le changement politique ni vise nécessairement des victimes aléatoires, lÉtat est capable de perpétrer des actes de violence à travers une entreprise collective afin de créer la terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de personnes ou dans le public.
Cette dernière définition, qui correspond à celle donnée par lancien président de lAcadémie de droit international Gilbert Guillaume, est citée par Marcelo Kohen pour soutenir lhypothèse que le terrorisme dÉtat serait possible du point de vue juridique, si une véritable définition du terrorisme faisait lobjet dun accord au niveau international38.
De fait, toute définition juridique qui laisse de côté les motivations des terroristes ainsi que la question de la légitimité des actes terroristes pourrait inclure lÉtat en tant quauteur de ce type dactes. Dans le cas contraire, serait également « terroriste » lÉtat qui allègerait la légitimité des actes violents, en tant quexercice approprié du droit.
Faute dune telle définition, il est seulement possible daffirmer que lexistence dun terrorisme dÉtat serait possible. Toutefois, le terrorisme dÉtat nest pas la manifestation la plus actuelle du phénomène, ni celle à laquelle sadresse la lutte contemporaine contre le terrorisme.
38 KOHEN, M. (2002) : Les controverses sur la question du « Terrorisme dÉtat » dans BANNELIER K. et al.
C. La naissance dun nouveau terrorisme ?
Certains auteurs caractérisent le terrorisme islamique comme un phénomène neuf qui présente une nature particulière qui léloigne du terrorisme traditionnel. Quoiquon soit partiellement daccord avec cette affirmation, considérant que le terrorisme islamiste présente ses traits dune manière nouvelle, certains de ces traits sont aussi présents dans dautres groupes terroristes contemporains. Autrement dit, les nouvelles caractéristiques du terrorisme ne répondent pas au fait que ce terrorisme soit inspiré par le fondamentalisme musulman.
Bien que William Gutteridge ait parlé du « nouveau terrorisme » à la fin des années 198039, dautres auteurs affirment lémergence dune nouvelle forme de terrorisme plus récemment40.
Laffirmation de la naissance dun nouveau terrorisme implique une rupture fondamentale avec le passé qui sassocie avec laccès aux armes de destruction massive, à ses motivations religieuses radicales41 et à dautres processus dordre politique, social et économique, comme la mondialisation et le développement technologique.
Les avances technologiques affectent les instruments de la violence, qui incluent les armes de destruction massive et les moyens de communication, permettant des effets plus dévastateurs, un fonctionnement décentralisé et la réception du message terroriste par une audience globale. Pourtant, la nouvelle technologie ne constitue pas la cause de ce « nouveau » terrorisme, mais une condition structurelle qui facilite son action42. 39 GUTTERIDGE, W. (sous la dir.) (1986): The New Terrorism, London: Mansell Publishing, 1986, 228 p. 40 BURNETT, J. et WHYTE D. (2005): « Embedded Expertise and the New Terrorism », Journal for Crime, Conflict and the Media, Vol. 1, Nº 4, 2005, pp. 2 et 3. 41 SIMON, S. et BENJAMIN D. (2000): « America and the New Terrorism », Survival, Vol. 42, Nº 1, 2000, pp. 59 à 75.
42 JENKINS, B. (2006): « The New Age of Terrorism », 2006, disponible sur
<http://www.prgs.edu/content/dam/rand/pubs/reprints/2006/RAND_RP1215.pdf>, [Consulté le 12 juin 2013], p. 125.
Or, de la même manière quil nexiste pas daccord au sujet de la définition du terrorisme, il ny a pas de consensus sur les caractéristiques essentielles du nouveau terrorisme. On verra que le débat sur lavènement dun nouveau terrorisme na pas encore été tranché et alors, laffirmation de lexistence dun nouveau terrorisme ne permet pas la création dune définition théorique de ce phénomène. Comme on le verra par la suite, les raisons invoquées en faveur de lémergence dun nouveau terrorisme sont immédiatement contestées.
Dabord, la création dun réseau du djihad global est un élément considéré crucial pour affirmer lémergence dun nouveau terrorisme dune dimension mondiale43. Cependant, certains affirment que la notion même dun réseau terroriste global existe plus dans les aspirations de ces groupes que dans la réalité. Cela, parce quil est difficile détablir un véritable lien entre les différents incidents terroristes et le djihad global islamiste, aujourdhui géré par Al Qaeda et lÉtat Islamique.
Bien que ladoption dun nom, dune cause et dun lexique commun par les groupes islamistes radicaux après le 11 septembre 2001 soit un fait qui nest pas contesté, lexistence dun but commun est très difficile à démontrer. Faisal Devji souligne à cet égard que le djihad global agglomère différents pays et populations dont les liens nont pas de fondement ni dans lhistoire récente ni dans le partage de buts communs44.
En effet, il y a plusieurs mouvements qui revendiquent le djihad global, mais leurs objectifs sont plus délimités et de nature largement politique. Les exemples incluent les Frères musulmans de lAsie Centrale, la Jemaah Islamiyah aux Philippines et Boko Haram au Nigeria45.
43 HOFFMAN, B. (1998) : cité note 38 et LAQUEUR, W. (2000), cité note 13.
44 DEVJI, F. (2005): Landscapes of the Global Djihad: Militancy, Morality, Modernity, Ithaca: Cornell
University Press, 2005, p. 9.