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Territoire Environnement

32. Pratiques et techniques,

Le projet des éleveurs, leurs objectifs (ou fonctions attribuées à leur élevage), leurs façons de prendre leurs décisions ne sont pas facile à saisir pour des intervenants extérieurs. L’une des clés de lecture passe par l’étude des pratiques qui sont directement observables (Gibon, 1981 ; Landais et Deffontaines, 1990). L’éleveur, acteur et décideur, a des actions qui se traduisent par la mise en œuvre de pratiques. L’observation de ces pratiques fournit des informations sur les modalités de décisions des éleveurs et leurs visées en matière d’objectifs (Hubert, 1993).

Les pratiques individuelles et collectives se révèlent comme des facteurs importants de notre étude. Ils ont une incidence potentielle élevée sur notre objet de recherche (Caron, 1998). Les pratiques agricoles et leurs changements éclairent sur les stratégies des producteurs (Landais et Deffontaines, 1990). L’approche par les pratiques propose plusieurs points de vue. Pour analyser ce que fait l’éleveur, où, quand, comment et pourquoi60, l’étude des modalités des pratiques consiste à les décrire. L’analyse de leur efficacité s’attache aux résultats de l’action. Celle de leur opportunité s’appuie sur la mise en perspective de ces résultats et des objectifs de productions. En cela nous reprenons la distinction claire entre technique et pratique déclinée par de nombreux auteurs (Caron, 1998 ; Landais et Balent, 1993 ; Landais et Deffontaines, 1988 ; Teissier, 1978…) : La technique relève du conceptuel transmissible, la pratique provient d’un contexte particulier. Elles sont liées dans notre démarche comme un continuum fonctionnelle. La lecture s’inscrit au cœur de notre démarche d’échanges entre les études de recherche et actes des éleveurs, comme une forme de traduction des perceptions. Si de nombreux travaux avaient été réalisés sur les conditions techniques de maîtrise biophysique de la productivité des élevages en Guyane. En revanche, l’étude sur la manière dont les éleveurs concevaient et organisaient leur exploitation a été pris en compte beaucoup plus tardivement (Gachet et. al. 1989).

« Distinction des pratiques et techniques »

Pour Teissier (1978), une technique est un ensemble ordonné d’opérations ayant une finalité de production (ou d’accomplissement de fonctions) pouvant être fondé soit sur des connaissances scientifiques, soit sur des connaissances empiriques, ou encore le plus souvent sur un mélange des deux. C’est ainsi que Leroi-Gourhan (1945) explique l’apparition des techniques, par l’influence conjuguée du « milieu extérieur » et du « milieu intérieur). Teissier (1978) écrivait sur la caractéristique des pratiques : « Si les techniques peuvent être décrites

indépendamment de l’agriculteur qui les met en œuvre, il n’en est pas de même des pratiques, qui sont liées à l’opérateur et aux conditions dans lesquelles il exerce son métier ». Au plan

de la connaissance, il est existe un cortège d’origines variées, entre les connaissances selon qu’elles soient directement issues ou non d’un savoir scientifique.

Une technique, processus ordonnée conceptuelle, peut se décrire in abstracto, sans référence à une situation concrète (ce qui n’empêche pas de préciser le champs d’application), sous forme d’enseignement « d’énoncés enseignables ».

 Dans le cas d’une technique issue de la connaissance scientifique, il est possible de justifier le choix de la nature des principales opérations qui la caractérisent en répondant en une cascade de questions. La connaissance scientifique se conçoit par de nombreux épistémologues à commencer par Bachelard (1934), comme une construction qui peut démontrer le mécanisme de toute technique (même si quelques « boîtes noires » peuvent subsister).

 Dans le cas d’une technique issue de la connaissance empirique, les relations de causes à effets sont connues, sans en connaître les mécanismes (Teissier, 1978).

En Guyane, les techniques efficientes ont émergées de sources croisées par des modalités de (co)construction multiples. La situation n’était pas bipolaire compte tenu de la circulation des informations et des offres de partenariats divers.

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L’étude des pratiques porte sur les argumentations que l’éleveur fournit sur les raisons de ses choix et les contraintes qui les imposent sur les causes de la mise en œuvre, ou au contraire du rejet ou de l’abandon de certaines pratiques.

La présentation de Teissier (1978) a le mérite de poser le cadre d’appréciation des techniques et leur distinction des pratiques. Nous concernant nous avons aussi voulu tenir compte des savoirs locaux (Dupré, 1991) et des travaux sur l’ « empowerment » (Iram, 2003, Lavigne Delville, 2004). Les techniques sont à présent prises dans certains projets comme un processus de co-construction, il n’est plus alors question de conduire séparément de l’évolution des techniques (de façon scientifique ou empirique. La reconnaissance des savoirs des praticiens est dans ces situations reconnue à part entière (Darré et al., 2004). C’est par cette interaction, conjugaison, qu’il peut s’avérer pertinent de construire des techniques applicables, diffusables, transmissibles.

« Les chercheurs sont loin d’avoir le monopole de la production de connaissances

techniques » (Landais & Balent, 1993). Il est d’ailleurs important de se souvenir de cette

remarque avant d’aborder les domaines où les savoir-faire proviennent surtout des praticiens – producteurs. Position reprise par Darré et al. (2004) qui souhaite un développement de la reconnaissance des savoirs locaux, non pas pour « renverser » le savoir issu de la recherche, mais pour limiter les transferts de savoir techniques « top down / descendant » et prendre en compte les mouvements issus des savoir-faire « botton up / ascendant » afin de trouver le niveau pertinent d’alliance entre ces deux sources de savoirs.

« Les pratiques et stratégies des exploitants »

L’activité qui constitue une pratique n’est pas fortuite. Les pratiques « traduisent au contraire

la mis en œuvre, pour faire face à des circonstances déterminées, d’une réponse socialement construite à partir de référence et de règles relativement stables » (Landais et Balent, 1993).

La forme de cette réponse résulte elle-même d’un processus structuré de création ou d’appropriation et d’adaptation d’un énoncé technique exogène. Les éleveurs placés dans en situation d’incertitude adoptent une démarche « d’essais / erreurs » jusqu’à obtenir des solutions techniques qui leur semblent acceptable et maîtrisables sur le plan d’une mise en pratique générale (suivant les contraintes territoriale et d’organisation sociale). Solutions qui semblent donc plus satisfaisantes du point de vue de leur propre projet, plutôt qu’optimale (Bonnet et al., 2003 ; Newell et Simon, 1972).Dans cette logique, les pratiques des éleveurs peuvent être considérés tout à la fois comme le reflet des conceptions qu’ils se font du réel. Ils interviennent, comme la traduction plus ou moins satisfaisante (à leurs yeux) du projet global qu’ils entretiennent avec leur famille sur leur exploitation et plus largement sur leur propre existence, ainsi que le résultat de la mise œuvre des règles qu’ils se donnent pour orienter jour après jour leur propre action.

Les pratiques, en raison de leur matérialité, représente pour nous des indicateurs précieux des conceptions de projets des éleveurs, de leurs règles. Pour Landais et Balent (1993) il suffit de

"remonter" des pratiques aux raisons qui les sous-entendent « on connaît les projets par les pratiques, on comprend les pratiques par les projets ». Les individus ou groupe d’individus agissent en fonction des "représentations" qu’ils se font. Ce sens est aussi réciproque : ces

"représentations" sont elles-mêmes le produit des pratiques (Friedberg, 1992). Les conséquences qui découlent de la mise en œuvre d’une pratique résultent des interrelations qui caractérisent le fonctionnement des systèmes considérés à différentes échelles d’organisation. Elles sont prises en compte par les acteurs, dans la mesure où ils sont en mesure de les apprécier61. D’où la nécessité de croiser des enquêtes auprès d’acteurs à plusieurs niveaux avec des observations relevées notamment lors de suivis (Gibon, 1981 ; Hubert et al. ; 1993).

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Cela dépend du niveau d’appréciation, par exemple à celui de l’exploitation l’éleveur peut juger de l’organisation de son travail, en revanche pas forcément sur les effets néfastes sur l’environnement d’une pratique particulière.

« L’élevage et ses pratiques »

Par pratique, notamment en matière d’élevage, Landais et Deffontaines (1988) désignent l’ensemble des activités matérielles intentionnelles et régulières que les éleveurs développement dans le cadre de leurs conduites des processus de production agricole.

Les effets d’une pratique se mesurent sur les objets directement et matériellement concernés (Landais et Balent et 1993), effets qui sont pour exemple en élevage les :



pratiques de gardiennage (et de guidage par l’enclosement) sur l’ingestion (Meuret, 1993),



pratiques fourragères sur la gestion de leur stock (Theau et Gibon, 1993),



modes de gestion agroécologique des prairies (Balent, 1995).

Pour devenir efficaces en terme de régulation et de développement, les connaissances acquises sur les actes biotechniques des systèmes d’élevage doivent être complétées par la compréhension des "raisons" qui expliquent leur adoption. Cela amène à s’intéresser aux stratégies des éleveurs (Caron, 1998). Pour caractériser les stratégies des éleveurs, Girard et

al., (1994) proposent d’expliciter le cheminement décisionnel dont les pratiques découlent. Il

ne s’agit pas pour autant de reconstruire un modèle de l’ensemble du système à partir d’une combinaison d’algorithmes exprimant les différents mécanismes en cause, mais plutôt partir des heuristiques mises en causes pour caractériser les principales informations traitées, portant sur l’état du système, et qui sont à l’origine des prises de décision d’ordre technique, ainsi que de formaliser ces dernières d’une manière intelligible. Pour Caron (1998) il s’agit là d’une construction d’un modèle d’action. Cette construction vise, pour le technicien ou le chercheur, à élaborer une représentation de la réalité qui rende compte de ce qui apparaît important pour l’éleveur dans la conduite du système (Hubert, 1994).

Nous concernant, il s’agit de rendre intelligible les décisions du producteurs par la mise en évidence de cohérences révélées par son comportement. Chauveau (1997) parle du : « résultat

d’une construction de l’observateur à partir des données hétérogènes (observations empiriques des pratiques ; déclarations des acteurs eux-mêmes sur leurs mobiles, motifs et objectifs ; indices logiques identifiés par l’observateur, etc.). Mais aussi de points de vue hétérogènes, ceux des acteurs et ceux des observateurs orientés sur tel ou tel problème ».

Afin d’accéder au sens du discours des éleveurs, Darré (Darré et Hubert, 1993), indique q’il faut tenter d’accéder au "système de pensée" de l’éleveur en augmentant les moyens dont ils disposent pour valoriser les produits du dialogue, pour comprendre, au-delà des actes, les raisons des actes, et, en quelque sorte en amont des raisons invoquées, les façons de concevoir les choses et les évaluer. Cette démarche offre au dialogue avec les éleveurs, comme moyen central de la recherche – action, un statut scientifique mariant à des méthodes d’études agronomiques inspirées du champ de la socio-anthropologie (Darré, 2004, Dupré, 1991 ; Landais et Balent, 1993 ; Lericollais, 1999).

Ainsi le modèle d’action peut s’avérer un concept utile pour décrypter la dialectique entre les

"actes-logiques" de l’éleveur et les circonstances. Après avoir fait l’objet d’une première définition sous l’expression de « modèle général » (Duru et al., 1988), le concept de modèle d’action a été proposé par Sebilotte et Soler (1990) pour représenter l’organisation des prises de décisions des éleveurs dans le cadre d’un processus récursif et adaptatif permanent. L’acteur réajuste ainsi de manière conjointe ses finalités et son action sur la réalité. Il se constitue, pour se faire, un véritable guide pour l’action, dont la représentation, par le chercheur, peut s’organiser autour d’un ou plusieurs objectifs généraux, d’un programme prévisionnel et des "états objectifs" intermédiaires et d’un corps de règles (Caron,

1998). Concernant les corps de règles, B. Hubert (1994), distingue des règles générales et des règles circonstancielles :

« Les premières s’appliquent inéluctablement pour la satisfaction du projet ; elles traduisent

la construction du système en opérations techniques concrètes, quels que soient les évènements du moment.

Les secondes, à l’inverse, sont activées par une information relative à l’état de certains des éléments du systèmes : elles déclenchent conditionnellement des actions, qui connaissent différentes modalités ou dont la mise en œuvre peut être avancée ou retardée selon les conditions du moment. La formalisation de ces règles éclaire sur le système d’information utilisé par l’éleveur dans le processus d’autodiagnostic qu’il met en œuvre pour réaliser ses différentes opérations techniques ».

Par cette approche, il est possible de repérer des décisions remarquables qui scandent la conduite de la campagne annuelle et d’identifier des phases finalisées à partir du découpage issu des décisions remarquables. La mise en évidence de corps de règles, définis à partir de l’observation des pratiques et la formulation de modèles d’action, permet de caractériser les stratégies des producteurs (Caron, 1998).