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Cadrage préalable et théorique

12. Déclinaison de notre problématique pour la thèse

« La majorité des prairies guyanaises ont une production fourragère non stable qui diminue en quelques années par leur envahissement par des adventices. La gestion de ces processus est onéreuse et peu efficace dans la durée.

L’objectif collectif exprimé a été d’atteindre des modalités de contrôle pérenne du couvert fourrager des prairies par des moyens nécessitant peu d’intrants (modalités qui pouvaient s’inspirer de certaines gestions prairiales en cours) ».

Pour réaliser la construction partagée de cette problématique, nous avons réalisé une revue d’études menées en Guyane et dans d’autres régions du monde sur les causes de ces phénomènes invasifs et les possibilités de lutte.

En Guyane, durant les années 1970 et 1980, quatre grands axes d’études ont été explorés : - Le pilotage à la fertilisation azotée relativement élevée 100 à 150 unités.ha-1.an.-1. Vivier

et Coppry écrivaient (1984) que pour éviter les problèmes de dégradation, il fallait

« proposer non plus des systèmes extensifs, rapidement recolonisés par la brousse, comme l’Amazonie brésilienne en connaît tant d’exemples, mais au contraire des systèmes intensifs et bien maîtrisés au plan technique (parcellaire, fertilisation etc.) »,

Béreau et al. (1984) indiquaient qu’il fallait compenser les contraintes pédologiques (et de dynamiques hydriques) afin de permettre aux espèces fourragères exotiques de rester en concurrence vis-à-vis des adventices adaptées à ce milieu (Béreau, 1995). Des études sur prairies à Digitaria swazilandensis en milieu déforesté indique l’importance d’une fertilisation régulière (Bereau et Sarrailh, 1985).

- L’ajustement et l’incidence du chargement ont fait l’objet d’essais. L’incidence du chargement est apparue d’autant plus élevée que la composition floristique était forte en adventices (Vivier et al., 1985) ; essais qui se sont passés au début des années 1980, raison pour laquelle ils ont porté sur des prairies à Digitaria swazilandensis (dont la présence diminue dans les années 1990) qui ont un comportement assez différent des prairies à base de Brachiaria spp.

- La régénération de prairies a été essayée avec des moyens mécaniques (de Larouzière N., 1987). Le griffage a montré qu’il amplifiait l’invasion des prairies par Mimosa pudica (Barbier et Andrieux, 1985).

- Mise en rotation des prairies avec d’autres cultures (soja, riz pluvial) pour casser les processus invasif des adventices. En station cette option s’est révélée pertinente, mais il restait à la mettre en place en situation réelle avec des exploitants qui sont surtout des éleveurs et pas des cultivateurs (Barbier et Andrieux, 1985).

Dans les années 1990, en Amérique tropicale humide, l’élevage exploitait 252 millions d’hectares de pâturages dont 25 à 30 % en prairie cultivée. Les surfaces en cultures fourragères ont connu une très forte croissance dans tous les pays de l’Amazonie (Rippstein et al., 1996). En Amazonie brésilienne, Falesi (cité par Chauvel, 1997), notait que « le remplacement de la

forêt par un système de production qui exporte de faibles quantités d’éléments nutritifs et qui assure, par un couvert végétal dense en perpétuel évolution induirait un renouvellement, un recyclage, prenant le relais de celui de la forêt et qui maintiendrait la fertilité du sol ». Faut-il

encore que le pâturage se maintienne, pour Bastos Da Veiga (1995), la moitié des pâturages installés en Amazonie est affectée par la dégradation (Tourrand et al., 1997).

La gestion des pâturages finissait souvent en friches vendues à des grands propriétaires pouvant disposer de moyens importants34 pour effectuer des reprises. Le maintien en état de ces prairies nécessitait une importante surveillance et de lourds travaux manuels et mécaniques (Peixoto et al., 1994 ; Hostiou, 2003 ; Peron et Evangelista, 2004 ; Zanine et Santos, 2004). Face à l’ampleur de la dégradation des pâturages par des adventices, la recherche au Brésil a d’abord porté ses efforts sur la sélection d’espèces fourragères plus compétitives aux processus d’envahissements des adventices et des attaques d’insectes (Schacht, 1996 ; Mitja et al., 1998 ; Mitja et Robert, 1973). Des études ont aussi porté sur les

possibilités de s’adapter aux contraintes pédoclimatiques en ayant recours à certains amendements (phosphocalciques ou simplement des phosphates naturels) à apporter notamment lors de la création des prairies (Bastos Da Veiga et Falesi, 1985 ; Falesi, 1976 ; Falesi et Bastos da Veiga, 1996 ; Nascimento Junior, 1994 ; Topall, 2001).

Aux mêmes périodes, cette problématique a fait l’objet d’études dans de nombreuses régions chaudes à travers le monde. De nombreuses pistes on été explorées. Il peut apparaître toutefois des dominantes dans certains pays ou grandes régions. Un grand nombre d’études ont été menées (et le sont encore) sur les phytocides et leur emploi pour les parcours dans certains Etats des USA, comme le Texas (Baumann, 1999) et comme tous les états du sud (Alley, Messersmith, 1985 ; DiTomaso J.M., 1999 & 2000 ; Ferrel et al., 2006 ; Johnson, 2000 ; Mayeux et Crane, 1983 ;Shiflets T.N., 1994).

Sur la gestion des broussailles par le feu de nombreux travaux ont été conduits en Afrique francophone (Audru, 1977 ; Bruzon, 1994 ; César, 1992 ; Koechlin J., 1963 ;Monnier, 1968 ; Pierre et al. 1995). En Australie le feu et sa gestion ont aussi été observés attentivement (Bebawi et Campbell, 2002 ; Myers et al., 2004 ; Preece N., 1990) et même en Europe (Msika, 1998 ; Fridlender, 1991).

Depuis les années 1990, de nombreuses recherches internationales sur l’embroussaillement de pâture se sont orientées sur les possibilités de lutte et de contrôle biologique, notamment en Australie et aux USA (Louda et Masters ; Julien 2006 ;1993, Quimby et al., 1991 ; Popay et Field, 1996) et aussi en Europe, en témoignent les travaux du CILBA35. Ces recherches nécessitent des travaux de longue durée36 et la sélectivité des bioagresseurs, leurs dispersions peuvent présenter des dangers (Blossey, 1995 ; Blum, 2004 ; Crawley, 1989 ; Delfosse, 1988 ; Heard, 2004 ; Julien, 1992 ; Lawton, 1989). Compte tenu des contraintes propres aux études menées en matière de contrôle biologique, des travaux ont été menés en parallèle, partant du constat que rares sont les opérations ou interventions qui peuvent être durablement efficaces, les travaux sur la gestion des adventices et plus particulièrement des embroussaillements des parcours et des pâturages, ont convergés à partir des années 1995, vers des démarches plus intégrées37 (Brown et Archer, 1999 ; Buckley et al., 2004 ; Coulman, 2003 ; Huguenin et Belge-Bedogo, 1993 ; McKeon et al., 1990 ; Sheley, 1995).

34Engins mécaniques (bulldozer), herbicides anti-ligneux (2,4-D, glyphosate, picloram, triclopyr…) pouvant être pulvérisés par avion…

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Complexe International de Lutte Biologique Agropolis : http://www.cilba.agropolis.fr/ ; CILBA organise un symposium international du 22 au 27 avril 2007 sur le thème de la lutte biologique contre les mauvaises herbes à la Grande Motte (près de Montpellier, France) : http://www.cilba.agropolis.fr/Weeds2007/Welcome.html

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Contraintes, qui au-delà du temps nécessaire, se trouvent surtout dans l’exigence et la difficulté de trouver des bioagresseurs très sélectifs.

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Lutte intégrée : Application rationnelle d’une combinaison de mesures biologiques, chimiques, physiques, culturales ou mettant en oeuvre l’amélioration des végétaux. L’emploi de préparations phytopharmaceutiques y est limité au strict nécessaire pour maintenir les populations d’organismes nuisibles au dessous du seuil à partir duquel apparaît une perte ou des dommages économiquement inacceptables.

Syn. Protection intégrée. CEB, 2004.

Dans la mouvance des recherches sur la gestion intégrée, des études plus particulières ont porté sur le rôle des modes de pâturages.

Ces recherches et ces opérations sur la conduite de pâture ont su montrer combien les modalités (pilotages) de pâtures peuvent être un instrument habile pour gérer l’évolution des compositions floristiques des parcours et prairies (Anderson, 2004 ; Dimanche M., 1995 ; Bousquel V., 1999 ; Crawley, 1983 ; DiTomaso J.M., 1999 ; Lonsdale, W.M. 1993 ; Magda

et al., 2004 ; Meuret et Pradalie, 2002 ; Pinchak et al., 1990 ; Rousset O., 1999 ; Shelev et al.,

1991 ; Watson, 1985).

En Guyane, au milieu des années 1980, le constat a été posé qu’il n’y avait pas une seule cause prépondérante pouvant engendrer la dégradation des prairies38. Exemples de constats parus dans diverses publications : Vivier et Coppry (1984) « La dégradation reflète des

pratiques inadaptées [...] choix des espèces fourragères inadapté, absence de fertilisation, surpâturage, rotation incohérente... ».

Le cortège d’adventices courantes est supérieure à soixante espèces (Béreau et Planquette, 1991), mais certaines sont potentiellement plus dangereuses pour le pâturage, car plus envahissantes, notamment : Mimosa pudica, Mimosa pigra, Spermacoce verticillata, Rolandra fructicosa, Sida spp. Solanum spp. « Il s'agit d'espèces bien adaptées au milieu, à enracinement profond et

puissant ; elles inversent - dès la première erreur technique - les termes de la compétition à leur profit ». Dès qu'elles apparaissent, la dégradation de la prairie peut être rapide.

Barbier et Andrieux (1985) observaient que les « pâturages se dégradent rapidement sous

l’influence de facteurs liés notamment au milieu, aux méthodes culturales et à la conduite de pâturage ». Béreau et Sarrailh (1985) indiquaient que « divers facteurs, milieu, homme, plante, animal, individuels ou combinés jouent un rôle déterminant dans l’évolution de la prairie » Béreau et Planquette (1991).

« Outre les conditions pédologiques [de la Guyane...] l’apparition des adventices est sous

l’influence de facteurs liés aux méthodes culturales et à la conduite des pâturages ».

« Aucune technique simple de lutte contre les adventices n'est efficace, bien souvent il faut en

utiliser simultanément plusieurs » Béreau (1995).

« Les suivis d’élevage ont permis de mettre en évidence que cette dégradation rapide [des prairies] était sous l’influence de facteurs liés au milieu (climat, texture des sols, fertilité,

acidité, tassement, hydromorphie) aux méthodes culturales et à la conduite des pâturages »

Béreau (1995).

Pour Letenneur et Matheron (1991) « La dégradation est le fait d’actions diverses

cumulatives qu’il est difficile d’isoler » Lorsque des travaux étaient menés sur un facteur

unique : le chargement (Dedieu, 1985), l’hydromorphie des sols (Favrot et al., 1987), l’aération du sol (de Larouzière, 1987), les résultats acquis ne pouvaient pas être généralisables en raison des interactions entre les différents facteurs pouvant intervenir sur

38Au début des études sur l’embroussaillement en Guyane, les remarques étaient plus ciblées : « La zone des savanes

aux sols plus ou moins podzolizé, [...] enregistre le plus grand nombre de parcelles dégradées » (Vivier et Coppry ,

1984). Il se pose un problème de pérennité lié à l'invasion des graminées par des adventices aux systèmes racinaires

vigoureux, les plus représentées étant les Carex sp.. Ce problème est très général à toutes les aires à horizons de surface sableux à sablo-argileux (2 à 20 % d'argile. » (Cabidoche, 1984) « Si le pâturage s’installe à peu près partout, il se dégrade beaucoup plus rapidement sur les sols à drainage vertical bloqué à faible profondeur. » (Béreau et al., 1984).

l’évolution de la végétation. Toutes les pratiques ayant une influence sur les modes de conduite du pâturage ont commencé à être plus soulignées dans les années 1990. « Parmi les

causes de la dégradation des prairies, le mode d’exploitation est sans doute la plus dominante » (Letenneur et Matheron, 1991).

Dans la même écorégion, sur le terrain de thèse d’Olivier Topall (2001) au Para, Brésil, Michel Duru (1995) avait proposé comme subhypothèse que : « la fertilité physico-chimique

des sols et son évolution [...] n’est pas forcément le principal déterminant de cette évolution

[dégradation des prairies] et qu’en tout état de cause, son poids par rapport aux pratiques

agricoles doit être précisé. ».

Hugues Bergère, Président du SCEBOG, avait réalisé une mission au Para (Brésil) avec Ph. Lhoste, J.F. Tourrand et B. Toutain, en 1993. Il avait relevé une grande diversité dans les modes de conduite du pâturage. A son sens le mode gestion pouvait en grande partie expliquer l’évolution de la végétation des prairies.

A La Réunion, V. Blanfort (1996) a travaillé sur les moyens « d’évaluer l’influence des

pratiques des éleveurs et des facteurs du milieu sur la maîtrise à court terme de la biomasse herbacée et de l’évolution sur un temps plus long de la composition botanique ». Balent et al.

(1993) proposent une démarche de diagnostic « dans le but d’établir un schéma plus

généralisable des relations entre l’état des prairies et les pratiques de gestion dans un environnement donné ». Ces observations et constats nous ont amené à prospecter l’existence

éventuelle de conjugaisons et interactions de facteurs en relation avec l’état de la flore et de la végétation du couvert herbacé des prairies.

Notre problématique présentée précédemment a constitué, avec la situation du sujet, la première étape de notre questionnement scientifique (Mace et Pétry, 2000). La deuxième étape se formule par une question (Roland, 2001) ayant comme fondements ceux retenus dans la problématique et qui définit son orientation à partir des savoir-faire et l’état de l’art. La prédominance de l’effet des pratiques sur l’état des prairies dans un contexte qui a fait l’objet de fort bouleversement anthropique (Balent et Staffort, 1991 ; Balent et al. 1993 ; Blanfort, 1996) a retenu notre attention.