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La pratique des remontages : un outil d’analyse privile´gie´

=Une pratique encore marginale

Si l’apport des remontages lithiques dans la compre´hension du de´roulement technique et de l’organisation des activite´s dans l’espace des campements pre´- historiques n’est plus a` de´montrer, force est de constater qu’ils participent encore insuffisamment aux e´tudes des occupations me´solithiques. Ce constat re´sulte de conditions de gisement fre´quemment de´favorables a` ce travail ou conside´re´es comme telles, mais aussi d’un certain de´sinte´reˆt pour les questions technologiques, limite´es le plus souvent a` la seule de´finition du style de de´bitage. Le fait que les tentatives de remontage ont ge´ne´ralement porte´ sur l’outillage, et plus pre´cise´ment sur les armatures et les microburins, illustre parfaitement notre propos (Hinout 1995), tout en confirmant la place centrale donne´e a` l’outillage. Outre les quelques succe`s obtenus, impliquant que cette pratique pouvait s’ap- pliquer a` certains types de vestiges lithiques, il est clair que le caracte`re cible´ montre le peu d’inte´reˆt porte´ aux produits de de´bitage ainsi que l’absence d’objec- tifs clairement affiche´s, car en fait, quel inte´reˆt a` se restreindre aux armatures ?

Fig. 12 : Ruffey-sur-Seille A Daupharde : Me´solithique moyen, coexistence d’un foyer a` pierres chauffantes et d’un foyer dont la charge de galets a e´te´ e´vacue´e (a` gauche).

L’e´tude des gisements de plein air de Ruffey-sur-Seille et de Choisey a fortement contribue´ a` re´habiliter cette pratique et a` rompre avec une forme de fatalisme lie´ au pre´juge´ que ce type d’analyse e´tait conside´re´ comme peu porteur. Bien au contraire, certains sites nord-europe´ens avaient de´ja` montre´ l’inte´reˆt de cette de´marche et l’e´tude du site d’Hangest Gravie`re II Nord, dans la Somme, a constitue´ l’un des premiers exemples d’e´tude d’un site me´solithique franc¸ais ou` la pratique des remontages a e´te´ utilise´e de manie`re syste´matique avec succe`s (Ketterer 1992). Alors quoi de plus normal que d’inte´grer cette de´marche au protocole d’analyse, a` partir du moment ou` la position primaire des vestiges est atteste´e.

Si les conditions du gisement peuvent constituer un obstacle a` la re´alisation des remontages, il en est de meˆme de certains cadres d’intervention restreignant la fouille, ce qui a pu donner lieu a` une pratique module´e et adapte´e a` certains objectifs. Bien entendu, les secteurs d’occupations se preˆtant a` une vision spa- tiale inte´grale ont be´ne´ficie´ de tentatives de remontages assez pousse´es, et les secteurs reconnus partiellement n’ont fait l’objet que de tests plus ou moins pousse´s.

Conditionne´es par les contraintes de temps d’e´tude, ces diffe´rentes options ont e´galement e´te´ dicte´es par le potentiel d’informations inte´ressant la structuration spatiale. Ainsi, les secteurs spatialement bien individualise´s ont-ils tous fait l’objet de remontages tre`s pousse´s, a` l’instar du secteur 2 de Pont-sur-Yonne. En effet, il est vite apparu que la re´flexion sur l’organisation spatiale ne pouvait eˆtre de´connecte´e de certaines conside´rations techniques, telles qu’intentions de de´bitage et vocations des productions. Graˆce a` la prise en compte de la carto- graphie des remontages, il a e´te´ possible d’aborder la question de la traduction spatiale de l’activite´ de de´bitage au sens large et plus restrictivement celle de l’utilisation de certains artefacts.

=Me´thodologie

Nous reprenons, comme de´finition du remontage, celle qui a e´te´ propose´e par J. Tixier (Tixier et al. 1980) a` savoir la « multiplication de raccords s’addition- nant entre eux dans le meˆme ensemble ». Ces raccords peuvent eˆtre de trois natures distinctes :

– raccords de de´bitage, ou raccords techniques : des produits remonte´s sur un nucle´us ou entre eux ;

– raccords de cassure, ou raccords d’e´le´ments fracture´s : re´assemblage de pie`ces fracture´es ;

– raccords de ravivage : e´clats de retouche. Cette dernie`re cate´gorie est absente de nos types de remontages.

Les plans de distribution des ensembles de remontages les plus complets figurent les e´le´ments remonte´s en indiquant leur place dans la chronologie de de´bitage (fig. 13). Quant aux « petits remontages », leurs e´le´ments n’ont fait l’objet que d’un simple positionnement en excluant la notion de liens chronologiques. Dans le cas des remontages les plus complexes, cette cartographie e´le´mentaire risquait d’occulter certaines informations relatives a` l’existence de sens de liaison privile´gie´s, soit d’origine taphonomique soit re´sultant d’un mode de gestion particulier de l’espace occupe´. C’est pourquoi, lors de l’e´tude du sec- teur 2 du site de Pont-sur-Yonne, nous avons re´alise´, pour les seuls remontages les plus significatifs, une repre´sentation des remontages inspire´e de la figuration classique en rose des vents (fig. 14). Elle inte`gre les orientations de chaque axe de liaison en fonction de sa chronologie, ainsi que la traduction graphique quantifie´e par quadrant de 30 degre´s. Le point central de re´fe´rence, qui a servi

I I I I I I

(P. Villa, P. Gendel) (J. Hahn, L. R. Owen)

(D. Cahen, S. Veil) (E. Cziesla)

1 2 a/b4 a 4 b3 5 N 1 2a 3 2b 4a 5 4b N 67173 67174 67175 67176 67177 67178 67179 0 1 m N 664289 664290 664291 664292 664293 664294 664295 éclat lamelle

avivage plan de frappe nucléus

éclat retouché

Schéma de départ

Fig. 13 : Les diffe´rents modes de repre´sentations en plan des remontages.

au calcul des angles, est constitue´ ici par le foyer, structure autour de laquelle s’articulent en principe les diffe´rentes activite´s.

Si ce type de graphique a pour avantage de favoriser l’approche comparative d’un aspect rarement aborde´ dans le cadre de l’analyse spatiale, il a pour inconve´nient de ge´ne´rer une repre´sentation graphique laissant penser que l’aire de dispersion des remontages se trouve syste´matiquement autour du point cen- tral. Pour cette raison, ce type de repre´sentation ne peut eˆtre produit inde´pen- damment de la cartographie du remontage conside´re´.

De plus, la prise en compte des distances de liaison nous a paru constituer un crite`re tre`s important et susceptible de rendre compte de la dynamique spatiale associe´e aux ensembles de remontages, ce qui a donne´ lieu a` une repre´sentation graphique sous la forme d’une courbe de la fre´quence des distances de liaison (fig. 15). Les distances ont e´te´ mesure´es entre chaque pie`ce et sont associe´es a` quatre classes (Cziesla 1987) : de 0 a` 50 cm (courtes), de 50 cm a` 200 cm

1 2 3 4 5 6 11 8 9 10 7 12 26 14 15 21 23 22 24 25 13 27 29 3019 17 28 20 18 16 0-30 30-60 60-90 90-120 120-150 150-180 180-210 210-240 240-270 270-300 300-330 330-360 1 2 3 4 5 6

Fig. 14 : Exemple de repre´sentation en rose des vents de l’orientation des vecteurs de remontage.

0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 4,5 5 5,5 6 6,5 7 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 distance moyenne : 1,63 m numéro de liaison distance de liaison en mètr es

Fig. 15 : Exemple de courbe de la fre´quence des distances de liaison.

(moyennes), de 200 cm a` 400 cm (longues) et supe´rieures a` 400 cm (tre`s longues).

Cette classification permet de dissocier une partie des de´placements fortuits, lie´s au de´roulement de l’activite´ de production des pie`ces lithiques, des de´placements intentionnels caracte´rise´s par le pre´le`vement d’une pie`ce du lieu de de´bitage pour eˆtre emporte´e plus loin. Bien que la limite entre de´placements fortuits et volontaires ne soit pas toujours e´vidente, voire impossible a` fixer, les de´bitages expe´rimentaux montrent souvent que les pie`ces situe´es dans un rayon en dec¸a` de 2 m sont assez fre´quentes et peuvent relever sans proble`me d’un caracte`re fortuit (Cziesla 1987). Pour cette raison, nous aurons tendance a` conside´rer les liaisons de plus de 2 m comme e´tant le fruit de de´placements intentionnels. Les classes de distance ainsi de´finies peuvent se preˆter a` un premier niveau d’interpre´tations dynamiques.

De cette manie`re, les distances courtes peuvent marquer la pre´sence de postes de de´bitage ; les distances moyennes, l’existence de concentrations de de´bitage, caracte´rise´es par le de´bitage de plusieurs nucle´us sur un meˆme lieu ; et les distances longues et tre`s longues peuvent correspondre aux de´placements de produits en vue de leur utilisation, ou re´sulter d’une action de rejet.

Ainsi, l’examen du mode de distribution des distances de liaison participe-t-il pleinement a` l’analyse palethnographique, car il contribue a` pre´ciser le type de traduction spatiale de l’activite´ de taille et a` documenter, selon E. Cziesla, la question de la dure´e d’occupation. Un fort pourcentage de remontages courts pourrait e´voquer un site essentiellement consacre´ au de´bitage, alors que des remontages plus distants seraient un e´ventuel indice en faveur d’une « pe´riode prolonge´e d’occupation du site » (Cziesla 1987, p. 104).

Avant de pouvoir aborder ce type de conside´rations, il est ne´cessaire d’obtenir un taux de remontages significatif et suffisant qui sera tributaire des donne´es arche´ologiques ainsi que de l’aptitude du « remonteur » a` re´aliser ce travail en fonction du temps disponible (Pigeot 1987).

Ces conditions sont de nature a` expliquer les diffe´rences de taux de remontage obtenus a` partir des se´ries de Ruffey-sur-Seille, Choisey et Pont-sur-Yonne, ou encore plus re´cemment du site de Lhe´ry, situe´ dans la Marne et fouille´ pre´ala- blement a` la construction de la LGV Est.

Le taux de remontage variera en fonction de la quantite´ de matie`re premie`re a` disposition des tailleurs et du caracte`re plus ou moins diffe´renciable des blocs par ensemble de de´bitage. Lorsque la ressource lithique est assez faible, comme a` Ruffey-sur-Seille ou a` Choisey, le de´bitage est en principe assez pousse´. C’est pourquoi les taux de remontages les plus importants ont e´te´ obtenus a` partir de se´ries issues d’occupations proches d’affleurements de matie`re premie`re, comme Lhe´ry avec 10 % et Pont-sur-Yonne avec 26,78 %.

La production lamellaire, parfois importante et de tre`s petite taille, est en ge´ne´ral moins bien inte´gre´e aux raccords et contribue a` expliquer certaines variations de taux de remontage. De plus, le faible nombre d’amas de de´bitage en contexte d’occupation me´solithique explique en partie la dispersion spatiale assez forte des produits lithiques, caracte`re qui accentue la difficulte´ de re´alisa- tion des remontages.

=Des apports de premier plan

La pratique du remontage dans le cadre de l’e´tude d’occupations me´solithiques bien conserve´es joue de´sormais un roˆle de premier plan, ouvrant des perspec- tives multiples a` caracte`re technique mais e´galement palethnographique. Le taux de remontages remarquable du secteur 2 de Pont-sur-Yonne, avec 26,78 %, est

point d'impact sens du détachement point d'impact vu à la verticale

nucléus

0 5 cm

tre`s similaire a` celui obtenu a` partir de certaines occupations magdale´niennes tre`s bien pre´serve´es comme celles d’E´tiolles, par exemple avec un taux voisin de 20 % (Pigeot 1987), ce qui peut eˆtre conside´re´ comme le marqueur d’une occupation pre´sentant une importante unite´ chronologique et spatiale. Toute- fois, se pose la question du seuil a` rechercher pour espe´rer conduire une analyse satisfaisante. La variabilite´ de ce dernier tiendra compte du type de questionne- ment arche´ologique pre´ce´dant sa mise en œuvre.

Lors de l’e´tude des occupations du Me´solithique ancien des niveaux R4 et R3 du site de Ruffey-sur-Seille, la pratique des remontages visait a` re´pondre a` la question de la contemporane´ite´ des occupations par la mise en relation de secteurs spatialement distincts. Bien que cet objectif ait e´te´ atteint, il aurait e´te´ tre`s utile de poursuivre les remontages afin d’e´valuer plus largement la nature des pie`ces remonte´es, ici prenant la forme d’e´clats ordinaires, et de pre´ciser la fre´quence des relations de ce type.

C’est ainsi que les remontages re´alise´s lors de l’e´tude post-fouille du niveau C2 de Choisey ont be´ne´ficie´ des apports d’un travail de DEA, ciblant ce meˆme type de questionnement spatial (Roncin 2001) (fig. 16). Les apports a` l’analyse spatiale ont e´te´ assez modestes, confirmant l’essentiel des conclusions tire´es de la premie`re phase de remontage. En revanche, les informations a` caracte`re technique et technologique ont e´te´ largement e´toffe´es par cet investissement supple´mentaire.

Qu’il s’agisse de la me´thode de de´tection ou d’analyse de gisements me´solithiques, nous avons bien affaire a` des protocoles particuliers, ceux-la` meˆmes qui nous ont permis d’exploiter au mieux des masses de donne´es conside´rables, collecte´es dans un laps de temps tre`s concentre´, et de favoriser notre re´flexion sur le the`me de l’organisation spatiale. Malgre´ cela, le champ de l’expe´rimentation me´thodo- logique est encore trop limite´, et conside´rer qu’il peut se borner aux deux gisements de Ruffey-sur-Seille et de Choisey serait illusoire. Cette situation pose la question des conditions d’une plus large transposition me´thodologique et celle de la repre´sentativite´ des re´sultats.

C’est pourquoi apre`s avoir conside´re´ la qualite´ des donne´es du site de Pont-sur- Yonne au regard des conditions tre`s particulie`res de leur collecte, le choix de ce gisement s’est rapidement impose´ dans la perspective d’une confrontation me´thodologique et de l’e´valuation de ses apports au domaine de l’organisation spatiale.

Chapitre 2