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Chapitre I. Une démarche de comparaison

Carte 5 : Espace laboratoire n°3

1. De la pratique à la méthode : une réflexion à l’épreuve du terrain

« Solitaire comme des millions d’autres, je me suis engouffrée dans cette existence atomisée, fractionnée, sans autre perspective que la résolution que je professe encore aujourd’hui » (Ziegler, 1975, p.10).

Si « faire » de la géographie s’est pendant longtemps résumé à une approche théorique et quantitative de la discipline dominée par la création de modèles issus de l’analyse spatiale (Retaillé, 2010 ; Claval, 2013), la fin des années 1970 avec la parution de deux nouvelles revues : Espace-Temps (Levy et Grataloup, 1975) et Hérodote (Lacoste, 1976) marque le début d’un tournant épistémologique cherchant à réhabiliter67 la pratique du terrain in situ comme partie intégrante des méthodes de recherche scientifique en géographie sociale (Calberac, 2012). Les réflexions engagées par ces auteur-e-s et alimentées plus tard dans les écrits de nombreux géographes (Brunet et al, 1992 ; Robic, 1996 ; Lacoste, 2003 ; Volvey, 2003, Morelle et Ripoll, 2009 ; Retaillé et Collignon, 2010), inscrivent progressivement l’empirique en tant que processus nécessaire à la collecte de données et à la vérification d’hypothèses. La pratique du terrain est alors associée à une démarche réflexive, « un moment situé dans la construction de la connaissance » (Retaillé, 2010, p.86).

En adoptant une posture propre à la géographie sociale post 1970 et culturelle (Ratzel, 1882-1891 ; Sauer, 1927 ; Bonnemaison, 2000 ; Pitte, 2006 ; Claval, 2012), mais également en embrassant les principes de l’approche ethnographique (Juan, 1995 ; Cefaï, 2003 ; Beaud et Weber, 2010) avec comme appui de lecture et de référence des auteur-e-s tels que : J. Duvignaud, E. Bloch, L-V Thomas, R. Bastide, J. Favret-Saada, M. Godelier, G. Balandier, E. Morin ou encore J. Ziegler, la démarche développée tout au long de cette thèse repose sur une pratique intensive mais avant tout sensible du terrain.

Aux prémices de cette recherche, l’une des premières ambitions méthodologiques était de s’appuyer sur une approche classique hypothético-déductive (analytique). L’objectif consistait à tester, au travers de faits observables sur le terrain, la pertinence des hypothèses définies au préalable de l’enquêtepour revenir ensuite − a posteriori de l’expérience de terrain

à une approche inductive permettant une éventuelle remise en cause des postulats énoncés.

67 La géographie classique ou vidalienne qui se constitue entre 1870 et la première guerre mondiale est l’une des premières à initier la pratique du terrain en géographie en établissant un lien disciplinaire entre la collecte et le traitement des données empiriques. Néanmoins, à la différence d’une démarche réflexive du terrain, il s’agit d’une démarche avant tout descriptive sous l’angle de travaux exclusivement monographiques.

97 Cependant, loin d’atteindre la visée escomptée, cette volonté de départ fut rapidement rattrapée par les réalités du terrain – déconnectées des hypothèses émises en amont dans un contexte occidental lointain − et écartée au profit d’une nouvelle approche inspirée des travaux de J-C Kaufmann, à savoir celle de « l’induction analytique » (Kaufmann, 1996, p.89).

Renversant l’ordre classique des modes de construction d’un objet scientifique, cette approche place le terrain au premier plan de la réflexion. Celui-ci n’est alors plus conçu comme l’instant de vérification des hypothèses préétablies mais bel et bien comme le point de départ d’un processus de construction théorique.

Ainsi, en se fondant sur cette logique Pratique-Théorie (et non l’inverse), la démarche privilégiée fut alors celle de l’« observation/compréhension » (Juan, 1995, p.88) visant à comprendre comment fonctionne un groupe social de l’intérieur à la fois par l’observation mais aussi par la participation à ses activités quotidiennes et/ou événementielles. Evidemment, il va sans dire qu’une telle démarche requiert certaines conditions relatives d’une part, à la place et au degré d’engagement du/de la chercheur-se au sein de son objet de recherche, et d’autre part, au temps nécessaire pour y accéder, y être et se sentir intégré, le comprendre et le restituer. Elle implique une présence dans la durée et l’établissement, progressif, de relations de confiance avec les personnes interrogées.

1. 1. « Faire » du terrain ou la nécessité de prendre le temps

J’ai souvent entendu les chercheur-se-s en sciences sociales mentionner le fait qu’ils ou elles : « allaient "faire" du terrain ». Cette phrase, pourtant si ordinaire, m’a longtemps questionné quant à son sens premier. Que laissait sous-entendre réellement le verbe « faire » ? Devais-je y entendre le fait que je devais « fabriquer » mon terrain ? Que je devais le « produire »,

« l’inventer » pour qu’il réponde à mes attentes, aux attentes de ma recherche ? Cette phrase n’avait aucun sens. Je n’avais ni le pouvoir d’agir dessus, ni de le transformer. Par contre, il m’était nécessaire de réfléchir à une « manière de faire », à la mise en place de stratégies me permettant de me positionner en tant que chercheuse étrangère face au caractère matériel et idéel que m’offrait ce terrain. La question qui se posait réellement était de savoir comment

« faire » pour y « accéder », pour y « entrer » ? (Réflexion aparté).

Pendant la durée de la thèse, sept allers-retours ont été réalisés en tout depuis la France vers le Venezuela, le Mexique et le Chili (période 2013-2016). À ces sept séjours, dont les temps sur place varient entre trois et huit mois, il faut ajouter dix mois au Venezuela effectués dans le cadre du Master 1 et trois mois au Mexique dans celui de la réalisation du projet de thèse en Master 2 (Période 2011-2013). Au final, entre les années de Masters et la thèse, presque trois ans de vie et de recherche se sont déroulés hors des frontières de la France, sur le sol latino-américain.

98 Si le temps passé sur le terrain s’est révélé être long, c’est avant tout parce qu’il s’est avéré être nécessaire. En effet, c’est sans conteste grâce à la répétition des séjours, parfois discontinus dans le temps, au sein des mêmes espaces et des mêmes groupes d’études qu’un certain nombre de résultats a pu être obtenu pour la réalisation de cette thèse. Si les premiers voyages ont servi avant toute chose à « l’ouverture » des terrains, à savoir la prise de connaissance et d’analyse des différents contextes géopolitiques, l’établissement de réseaux informateurs de confiance et le repérage des espaces géographiques à étudier, les retours réguliers en France ont permis le tri des données factuelles, la mise en place des hypothèses et la préparation des futurs séjours. Mais alors pourquoi avoir choisi d’accomplir des va-et-vient successifs entre l’« ici » et le « là-bas » (Dupont, 2014), entre une réalité de chercheur-se que je qualifierai de « confrontation directe » et une autre que j’appellerai « confrontation distanciée » ? En quoi finalement un seul séjour sur chaque terrain, même prolongé, n’a-t-il pas été suffisant pour appréhender, analyser et rendre compte de ce travail de thèse ?

Pour répondre à ces questions, je citerai dans un premier temps le géographe L. Dupont dans son article « Terrain, réflexivité et auto-ethnographie en géographie », paru en 2014 dans la revue Géographie et cultures, consacré au rôle du/de la chercheur-se dans la production de la connaissance (Dupont, 2014). En s’intéressant à la posture et au positionnement du/de la chercheur-se en géographie à la fois sur son terrain et, à son retour dans son espace de rattachement institutionnel, il explique cette nécessité de procéder à un « double mouvement », celui de la connivence permettant l’accès aux données et celui de la distanciation pour en produire du sens. Pour lui, cette dynamique permet d’établir le rapport entre l’expérience vécue, perçue et ressentie du/de la chercheur-se au sein de son/ses espaces de recherche et la pensée géographique :

« "Le géographe-auteur" fait le "récit géographique" de deux "histoires" : celle de sa confrontation avec le terrain (la "réalité") et celle de la confrontation de sa pensée avec la logique (ou pensée) du lieu, soit ce qu’on dit là-bas, mais aussi ce qui se dit, ici, dans le milieu académique, sur le territoire exploré. Suivant la méthodologie de l’analyse culturelle, l’on dira que la confrontation avec la réalité géographique interpelle la posture personnelle du chercheur, alors que la logique du lieu, ce qui se dit et ce qu’on pense là-bas, interpelle son positionnement scientifique ». (Dupont, 2014, p.3).

De fait, si la posture du/de la chercheur-se sur son terrain renvoie inévitablement à la question de sa propre subjectivité (la manière dont il ou elle ressent, vit, comprend et interprète les faits observés ou partagés), son positionnement renvoie à celle de l’objectivité de son regard, plus exigeante, permettant de légitimer son approche scientifique (Bellier, 2002). Cette question de la subjectivité, question obsédante et angoissante, s’impose au/à la chercheur-se dès les premiers instants de sa confrontation directe avec son terrain de recherche (Volvey, 2003 ; Volvey et al., 2012). Que comprenons-nous ? Sommes-nous en capacité de comprendre ce qui se déroule sous nos yeux ? Sommes-nous suffisamment à notre place pour discerner le vrai du faux ? Comment interpréter les faits observés ? Comment éviter les raccourcis et les

99 jugements de valeur ? Comment faire comprendre, raconter, transmettre ? Le doute est omniprésent et peut être conditionné par plusieurs facteurs : l’origine, le sexe et l’âge du/de la chercheur-se, la barrière de la langue, le niveau d’intégration au sein des groupes sociaux étudiés, la capacité du moment à recevoir certaines informations, à supporter certaines situations.

1. 2. « Entrer » sur le terrain

C’est en ce sens que le choix de la démarche inductive pour l’élaboration de cette thèse s’est révélé être stratégique. En décidant d’arriver la première fois sur chaque terrain avec le moins possible de bagages théoriques, l’objectif était d’entrer progressivement en relation avec les espaces et les sociétés en s’affranchissant au maximum d’un certain nombre de présupposés (D’Amboise et Audet, 1996). Même si dans la réalité, comme l’explique N. Mohia dans son ouvrage L’expérience du terrain paru en 2008, le/la chercheur-se est déjà « un sujet engagé par sa subjectivité propre et son appartenance à une société donnée » (Mohia, 2008), il s’agissait d’essayer d’acquérir et de pérenniser une double place au sein des groupes sociaux étudiés : une place conscientisée de chercheuse qui observe, interroge prudemment et enregistre minutieusement les données récoltées, et une place imprégnée de femme qui, ôtant ses habits d’enquêteuse, bavarde spontanément, écoute, mange, plaisante, participe aux événements de la vie quotidienne, interagit, se heurte souvent, s’engage parfois. Ainsi, rejoignant les propos de l’anthropologue J-P. Olivier de Sardan dans son article « la politique du terrain » paru en 1995 dans la revue Enquête, j’affirme l’idée que ce processus de familiarisation auprès des groupes sociaux étudiés est d’ores et déjà une manière d’effectuer de la recherche. Il est essentiel pour apprendre à décoder certains faits et gestes, maîtriser sensiblement certains codes et normes locales, accéder subtilement à des déclarations informelles. Le regard n’est jamais neutre (Gotman, 1985), même un-e chercheur-se « en pause » sur son terrain se nourrit, participe à la mise en scène.

« Il faut avoir été confronté à d’innombrables malentendus entre l’enquêteur et l’enquêté pour être capable de repérer les contresens qui émaillent toute conversation de recherche. Il faut avoir appris à maîtriser les codes locaux de la politesse et de la bienséance pour se sentir enfin à l’aise dans les bavardages et les conversations impromptues, qui sont bien souvent les plus riches en informations. Il faut avoir dû souvent improviser avec maladresse pour devenir peu à peu capable d’improviser avec habileté. Il faut, sur le terrain, avoir perdu du temps, beaucoup de temps, énormément de temps pour comprendre que ces temps morts étaient des temps nécessaires » (Olivier de Sardan, 1995).

Impossible alors de chercher à séparer l’expérience scientifique du vécu personnel, les deux s’incorporent aux données recueillies et s’inscrivent dans l’engagement des interprétations du/de la chercheur-se. À ces propos, J-P. Olivier de Sardan va plus loin dans la critique qu’il fait de l’institution en démontrant qu’il existe deux types distincts de chercheur-se-s en sciences sociales : l’un imprégné qui engage, confronte et risque potentiellement son corps ;

100 l’autre, distancé, se tenant volontairement à l’écart des réalités du terrain. Si l’un n’est pas moins estimable que l’autre, les deux ne réalisent, à mon sens, pas la même profession. Pour autant, cette frontière scientifique établie entre ces deux méthodes peut être dépassée s’il s’agit de les articuler sur des temps différents au sein d’une même recherche. En effet, un-e chercheur-se peut tout à fait adopter réciproquement la posture d’acteur et de penseur.

Néanmoins, la différence d’interprétation se jouera dans le souvenir, dans l’expérience vécue sur le terrain. C’est là toute la complexité et l’art d’associer les savoirs pratiques et théoriques au sein d’une même entité réflexive.

« On peut considérer le "cerveau" du chercheur comme une "boîte noire", et faire l’impasse sur son fonctionnement. Mais ce qu’il observe, voit, entend durant un séjour sur le terrain, comme ses propres expériences dans les rapports à autrui, tout cela va "entrer" dans cette boîte noire, produire des effets au sein de sa machine à conceptualiser, analyser, intuiter, interpréter et donc pour une part va "sortir" de la dite boîte noire pour structurer en partie ses interprétations, au cours du processus de recherche, que ce soit pendant le travail de terrain, lors du dépouillement des corpus ou quand vient l’heure de rédiger.

C’est là toute la différence, particulièrement sensible dans des travaux descriptifs, entre un chercheur de terrain, qui a de ce dont il parle une connaissance sensible (par imprégnation), et un chercheur de cabinet travaillant sur des données recueillies par d’autres » (Olivier de Sardan, 1995).

Bien sûr, accéder à un tel rapport de familiarité avec les groupes sociaux étudiés n’est pas un statut qui s’acquiert en une fois, au travers d’une seule rencontre, d’un seul déplacement. Comme évoqué précédemment, la répétition des séjours au sein des mêmes terrains d’étude, des mêmes groupes sociaux est fondamentale pour espérer instaurer et perpétuer un climat de confiance réciproque. Le ou la chercheur-se qui revient, c’est avant tout celui ou celle qui est déjà venu-e, c’est donc celui ou celle qui reviendra. Jugeant à ma propre expérience de terrain, celle qui résume le mieux ces propos − et qui restera, sans aucun doute pour moi, la plus marquante en termes d’immersion au sein de groupes indigènes − concerne celle réalisée au Venezuela auprès de familles guajiro.

Récit auto-ethnographique d’une expérience de terrain (au féminin) chez les Guajiro au Venezuela (période 2011-2013)

Maracaibo (Venezuela), septembre 2011 à mars 2012 J’avais à peine 21 ans lorsque je suis arrivée, seule, pour la première fois à Maracaibo au Venezuela en septembre 2011. Dotée d’un faible niveau d’espagnol et de peu d’expériences concernant les méthodes d’enquêtes de terrain, il était évident qu’entrer en relation avec les Guajiro ne se ferait pas immédiatement. Au départ, la démarche employée fut avant tout intuitive. L’objectif premier était d’apprendre à maîtriser suffisamment la langue pour être en capacité de comprendre, de se faire comprendre, mais aussi de se défendre verbalement. D’entrée de jeu, il me fallut alors

101 affronter les espaces publics, me mêler à la population locale, écouter les discours du quotidien, absorber les expressions de la rue, imiter, provoquer des rencontres. Très vite, je décidais de me créer une routine de passage journalière dans les marchés populaires et informels du centre-ville, espaces appropriés par un grand nombre de commerçant-e-s guajiro. Dans l’idée de me familiariser avec eux, il s’agissait d’arpenter les marchés de Las Playitas et de Las Pulgas en empruntant chaque jour le même itinéraire.

Peu à peu certain-e-s vendeur-se-s, curieux-se-s de ma présence, commencèrent à me poser des questions relatives à mon identité. Que faisait cette jeune femme blanche à errer chaque jour dans le dédale de ces lieux de consommation ? Étais-je une touriste, une gringa68 – comme ils aimaient à le clamer – ? Une journaliste ? Une fille de bonne famille ? Les interrogations fusaient sur mon passage. Par manque d’assurance, je n’y répondais pas, du moins pas au début. Au bout de quelques mois de présence quotidienne, les commerçant-e-s avaient pris l’habitude de me voir. Sans obligatoirement chercher à me vendre quelque chose, ils ou elles me saluaient et engageaient parfois la conversation. A mon tour, je leur posais des questions, des questions relatives à leur mode de vie, leur travail, leurs origines. Souvent, je leur proposais mon aide sur des temps ponctuels : aller d’un étal à l’autre pour rechercher ou livrer de la marchandise, échanger de la monnaie, garder les enfants, etc. Ainsi, ils ou elles finissaient par me connaître, ou plutôt devrais-je dire « me reconnaître », sans réellement apprendre de moi. J’étais, pour eux, celle qu’ils ou elles désignaient souvent comme la jeune femme blanche vêtue d’un pantalon trop large, à l’accent à couper au couteau.

Cette expérience dura environ sept mois, les sept premiers mois de mon premier séjour au Venezuela. Elle prit une nouvelle tournure le jour où, alors que j’arrivais dans un des marchés du centre-ville, une famille de commerçant-e-s guajiro que j’avais l’habitude de côtoyer m’annonça la mort d’un de leurs proches. Mettant en relation cet événement avec mon objet de recherche, il me fallut faire vite et révéler dès lors les raisons de ma présence au Venezuela. J’expliquais donc, avec des mots simples afin d’éviter l’embarras dû à mon jeune âge, que j’étais étudiante et que j’effectuais quelques recherches sur la pratique des rites mortuaires indigènes. Aussi, je leur demandais pour la première fois un service : celui de participer à l’enterrement.

Après consultation de la famille en question, je fus autorisée à faire partie du voyage, le premier au sein de leur territoire ancestral, le premier dans la Guajira.

Guajira (Venezuela), mars 2012 L’enterrement dura trois jours. Trois jours pendant lesquels j’apprenais à écouter, à observer. Obnubilée par l’idée de manquer une occasion, j’essayais, tout en restant discrète, d’être partout à la fois. Dès que l’on m’offrait la permission, je filmais,

68Le terme gringo/gringa est un terme familier employé dans de nombreux pays d’Amérique latine pour désigner les étrangers généralement originaires des Etats-Unis, ainsi que leur culture. Il n’est pas obligatoirement péjoratif, tout dépend du contexte et du ton avec lequel il est utilisé. En revanche, il dénomme spécifiquement une partie de la population, les individus de couleur blanche.

102 j’enregistrais, je photographiais. Ils me laissaient faire. Mieux, ils me laissaient une place pour le faire. Sur certaines vidéos filmées à cette occasion, j’entends d’ailleurs encore aujourd’hui des voix s’exclamer : « Déjala pasar, déjala pasar, ella tiene que contar » (« laissez-là passer, laissez-là passer, elle doit raconter »). Pourtant, à peine le rituel d’enterrement achevé qu’on me salua et me reconduisit directement à Maracaibo. Pendant plus de trois mois, je ne reçus plus aucunes nouvelles de cette famille, ni ne remis les pieds dans la Guajira.

Guajira (Venezuela), mai 2012 Quelques mois plus tard, un second voyage me fut proposé par une vieille femme guajiro, Carmen Gonzales, que j’avais rencontré par le biais d’une interconnaissance à Maracaibo. Cette femme, à qui je dédie par ailleurs mon mémoire de Master 1, fut la première personne que j’interrogeai formellement, le 3 décembre 2011. Elle me proposa d’assister, au sein d’un cimetière de Maracaibo, à l’exhumation des restes de deux membres de sa famille − Eloïsa Gonzales (décédée le 06.08.05) et Romer Rodriguez (décédé le 23.11.03) – ainsi qu’à leur ré-enterrement dans le territoire ancestral. Évidemment, j’acceptais et me joignais aux camions vétustes menant vers la Basse-Guajira. Ce séjour dura sept jours pendant lesquels mon statut de femme joua

− si je puis dire − en ma faveur. Le système de filiation guajiro étant matrilinéaire, j’obtenais la protection des femmes et notamment celle de Carmen qui ne tarda pas à m’appeler « mi hija » (« ma fille »). Néanmoins, ma place restait limitée à la

− si je puis dire − en ma faveur. Le système de filiation guajiro étant matrilinéaire, j’obtenais la protection des femmes et notamment celle de Carmen qui ne tarda pas à m’appeler « mi hija » (« ma fille »). Néanmoins, ma place restait limitée à la