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Chapitre II. Le devenir des morts : enjeux de mémoires, enjeux de sociétés

1. Matérialisation de la mort et survie des morts

Chapitre II. Le devenir des morts : enjeux de mémoires, enjeux de sociétés

« La mort, du moins l’usage social qui en est fait, devient l’un des grands révélateurs des sociétés et des civilisations, donc le moyen de leur questionnement et de leur critique » (Thomas, 1978, p.12).

1. Matérialisation de la mort et survie des morts

Généralement situé en plein air, le cimetière est un espace spécifique – public ou privé – (con)sacré aux morts (Lauwers, 2005). Quel que soit leurs modes de sépulture (inhumation ou crémation), les morts y sont rassemblés après leurs funérailles pour « reposer » au sein de ce qui est souvent désigné comme leur dernière « demeure » (Vovelle et Bertrand, 1983), à savoir plus communément la tombe ou, autres monuments funéraires (tombeaux, mausolées, cavurnes, fosses, etc.). Qu’ils soient individuels ou collectifs, temporaires ou perpétuels, isolés ou regroupés entre eux, abandonnés ou largement visités, richement ornementés ou, au contraire, absolument muets, ces monuments érigés à la mémoire des défunts donnent aux vivants la possibilité de continuer à entretenir un lien − désormais désincarné − avec celui que la mort a enlevé. Nécessaires à la réalisation des processus de deuil, ils incarnent à la fois un support matériel et symbolique des attaches, mais également une empreinte historique des mémoires individuelles et collectives. En effet, alors que le corps humain disparait des regards après sa mort – par inhumation (terre), immersion (eau), crémation (feu)

25 L’expression « espace social » fut à l’origine employé par P. Bourdieu (1984) en sociologie pour montrer que la place que les individus occupent dans l’espace et, par conséquent dans la société, est déterminée par trois facteurs : leur capital économique, leur capital culturel et leur capital social (réseau social). Elle est reprise en 1984 par R. Hérin et al., dans le manuel-manifeste de Géographie sociale pour souligner la connivence existante entre le social et le spatial : « l’espace social est, dans chacune de ses dimensions, simultanément produit, représentation et symbole par lesquels s’exprime la dialectique du social et du spatial » (Hérin et al., 1984, p.118).

Dans la géographie contemporaine, cette expression est moins visible car, comme l’explique F. Ripoll et V.

Veschambre (2014), « l’espace tout court » est à considérer dans sa dimension sociale.

45 ou dispersion (air) −, son souvenir peut être matérialisé par un emplacement concret, repérable dans le cimetière.

1. 1. Consciences de la mort et en sa survie : un construit social

Si M. Heidegger affirme en 1958 : « seul l’Homme meurt, l’animal périt » (Heidegger, 1958, p. 212), c’est qu’à la différence des autres êtres vivants, les êtres humains sont les seuls être au monde qui savent qu’ils devront mourir (Bergson, 1932 ; Thomas, 1975 ; Morin, 1976 ; Ariès, 1977 ; Ndiaye, 2005). Cette affirmation soulève un vieux débat philosophique – encore débattu aujourd’hui − sur la capacité de l’animal à prendre conscience de sa propre mort, de même qu’à envisager celle des autres. Si un certain nombre d’anthropologues, sociologues, philosophes ou encore biologistes ont interrogé cette éventualité dans leurs travaux :

« L’animal se suicide-t-il ? […] Donne-t-il la mort ? […] Sait-il qu’il va mourir? […] A-t-il conscience de l’inéluctabilité de la mort » (L-V Thomas, 1975, p.69-84).

« Quelle connaissance ont-ils de la mort ? pourquoi certains vont-ils se cacher pour mourir ? Quelle est la signification des cimetières d’éléphants ? » (Morin, 1976, p.68).

« Quelles représentations pouvons-nous avoir de l’empathie, de la douleur ou du deuil chez les animaux ? » (Hess, 2013).

– pour ne citer qu’eux −, beaucoup ont montré que l’animal, si tant est qu’il puisse être

« lucide » face au danger de mort, est aveugle devant la mort dans le sens où il est aveugle devant sa propre individualité (Zuckermann, 1937 ; Ziegler, 1975 ; Morin, 1976 ; Ariès, 1977 ; Deutsch, 1987 ; Ndiaye, 2005). En effet, la conscience de la mort et de sa survie est sans aucun doute un construit social. Comme l’affirmait E. Morin en 1976 : « Nul ouah…ouah… funèbre n’a jamais signifié "tu vivras dans l’autre monde" » (Morin, 1976, p.71).

Selon ce raisonnement, les êtres humains sont les seuls à prendre conscience de leur propre finitude, à parvenir à se représenter sa mort, à envisager – ou, à anticiper − leurs funérailles, de même qu’à croire en leur survie (Thomas, 1975 ; Bacqué, 2002 ; Destemberg et Moulet, 2007). Aussi, ils sont les seuls à expérimenter26 la mort de « l’autre » (Ariès, 1977)

− ou des « autres » (Heidegger, cité par Ciocan, 2013, p.113) −, à prendre socialement et culturellement en charge les cadavres, à les accompagner, à les ritualiser, ainsi qu’à leurs décerner une sépulture permettant d’ancrer leurs existences passées au sein d’une dimension spatio-temporelle :

« C’est l’Homme social qui construit des pyramides et des sépultures, qui imagine des rites funéraires, qui réfléchit à la mort et qui la porte en lui sa vie durant, grand blessé inguérissable du temps qui passe » (Ziegler, 1975, p.125).

26 Formule reprise par E. Morin dans l’Homme et la mort (1976) : « La conscience de la mort n’est pas quelque chose d’innée, mais le produit d’une conscience qui saisit le réel. Ce n’est que "par expérience" de la mort, comme dit Voltaire, que l’Homme sait qu’il devra mourir. La mort humaine est un acquis de l’individu » (Morin, 1976, p.72).

46 « Parmi les êtres vivants, seul l’Homme a conscience de sa mort à venir. C’est, semble-t-il, parce qu’il est la première créature vivante à enterrer son semblable qu’il est consacré, par la force des choses, un être d’humanité et de culture » (Ndiaye, 2005).

En d’autres termes, les êtres humains ne prennent conscience de la mort – et ne peuvent envisager de l’accepter –qu’à partir du moment où ils engagent socialement et culturellement le/les mort(s) (celui/ceux au(x)quel(s) il se retrouve confronté(s)) dans un processus rituel qui tend à « figer » matériellement son/leurs corps (ou ses/leurs cendres) dans le temps et au sein d’un espace donné. Comme l’écrivait P. Baudry en 1998 : « Aucune société n’abandonne ses morts sans précaution rituelle » (Baudry, 1998, p.7). Face à l’irréversibilité de la mort, la brutalité de son irruption dans la vie des (sur)vivants − des « êtres-pour-l’instant » pour reprendre le terme employé par L. Ndiaye (2005) −, le rituel funéraire permet de rétablir un certain ordre social au sein des groupes affectés, de garantir tout autant la paix des morts que celles des vivants (Urbain, 2005 ; Destemberg et Moulet, 2007). En effet, orner une tombe, la fleurir ou encore la maintenir en état ne sont pas des actes neutres. Ils contribuent à marquer symboliquement la mémoire des morts dans la matérialité des lieux. Pour E. Morin : « le non-abandon des morts implique [la croyance en] leur survie » (Morin, 1976, p.33).

1. 2. Écrire la tombe pour marquer la mort

« La mort, dans une société, il faut bien qu’elle soit quelque part. Si elle n’est plus (ou est moins) dans le religieux, elle doit être ailleurs ; peut-être dans cette image que produit la Mort en voulant conserver la vie » (Barthes, 1980, p.144)

Survivre. Lorsque la mort est là, effective et apparente, une préoccupation double, universelle, « s’installe » chez les vivants – ou (sur)vivants de la tragédie : celle de survivre à la perte de l’être disparu (autrement dit, de continuer à vivre après sa mort, d’enclencher le processus de deuil) et celle de « faire survivre » le mort au-delà de la mort, dans les mémoires individuelles et collectives (Urbain, 2005, p.115). Sur ce dernier point, les moyens de survie des morts sont multiples. Ces derniers peuvent continuer à « exister » dans l’esprit des vivants grâce aux mythes et aux croyances qui leurs sont assignés (la croyance en la survie de l’âme après la mort par exemple) ; aux rites et aux pratiques qui leurs sont consacrés (tel que le culte des ancêtres – ou culte de la mort − pratiqué dans certaines régions du monde comme en Chine, au Mexique ou en Afrique subsaharienne) ; ou encore grâce aux espaces spécifiques qui leurs sont concédés. Selon L-V Thomas : « Le cimetière et la tombe entérinent après les funérailles la mort biologique » (Thomas, 1975, p. 53).

En effet, la matérialisation de la mort dans l’espace et le temps constitue pour les (sur)vivants un moyen symbolique, visible et significatif, de s’opposer au caractère éphémère et périssable du corps humain, d’assurer la « survie » des morts devenus dès lors invisibles,

47 impalpables, immatériels. Le cimetière ou, plus précisément « l’écriture du cimetière » qu’en offrent les vivants comme le souligne le sociologue québécois R. Lemieux (1985), permet de conserver une trace – plus ou moins fidèle à la réalité −de l’existence des individus désormais gravée dans la pierre, figée dans un environnement :

« Là où le corps est voué à la disparition, enlevé au regard, [l’écriture du cimetière] cherche l’ostentatoire et utilise les matériaux les moins altérables, opposant la durée à l’éphémère ; là où le corps devient poussière, elle s’inscrit dans la pierre, lui opposant sa densité ; là où il repose couché, elle érige ses monuments, là où il est enfoui, enterré, elle s’élève sous forme de stèle » (Lemieux, 1985, p.12)

Face à l’événement de la mort qui oppose simultanément la « rupture » à la

« structure », le « visible » à « l’invisible », le « corps » devenu « poussière » à la « pierre », R. Lemieux met en évidence – tout comme M. Lauwers le fera quelques années plus tard (en 2005) − le fait que le cimetière participe, par le biais des vivants, à faire entrer les morts dans une double histoire : individuelle (l’histoire des morts) et collective (l’histoire sociale). En effet, les cimetières ont pour lui un point commun. Ils constituent en toute société « le lieu d’une trace, d’une écriture, donc d’un rapport à l’histoire » (Lemieux, 1985, p.10-11).

Pourquoi ce rapport à l’histoire ? Car les cimetières sont producteurs de sens.

Témoignages d’une époque, ils renferment un certain nombre d’indices symboliques et significatifs, de puissants marqueurs intergénérationnels sociaux et culturels qui se donnent à lire aux vivants. Ils permettent à la fois de comprendre les liens établis entre passé et présent mais également de retracer les alliances, les conflits de même que les rapports de pouvoir entre les individus et les groupes sociaux. Dans une étude que R. Lemieux consacre aux différentes pratiques et productions sociales de la mort (1982), celui-ci distingue trois types d’écriture susceptibles de survenir dans la vie d’un groupe à l’occasion de la mort d’un de ses membres :

o L’écriture juridique ou « testamentaire » (application de la loi des successions et des biens laissés par le défunt).

o L’écriture religieuse ou « confessionnelle » manifeste généralement lors des rituels funéraires, le fameux « passage à l’église » ou autres lieux de cultes (temples, synagogues, mosquée, etc.).

o Et enfin, l’écriture du cimetière.

Cette dernière écriture intervient après l’étape des funérailles, lorsque le mort occupe désormais la place qui lui correspond dans le cimetière. Les (sur)vivants marquent la tombe (ou autres monuments funéraires) de contenus sémiotiques, sémantiques ou d’éléments décoratifs qui ont pour objectif de renseigner passeurs, promeneurs ou autres visiteurs sur l’identité des individus inhumés. Selon R. Lemieux, ces formes d’écriture doivent – lorsque cela est possible − être décryptées et interprétées comme des « archives » ayant pour fonction d’historiciser les morts dans un contexte et de les situer au sein d’une collectivité. Les noms,

48 origines, dates de naissance, de mort, signes religieux, épitaphes ou objets déposés sur les tombes, etc., sont autant d’éléments qui permettent d’inscrire les morts dans la durée, d’assurer leur reconnaissance, de leur garantir l’accès à la postérité. Grâce à ces éléments, ces derniers peuvent ainsi devenir l’objet d’une toute nouvelle histoire, celle transmise par les vivants.

1. 3. Morts sans sépultures et morts maudits

Cependant, il est important de préciser le fait que ces trois types de rapport à l’écriture que décrit R. Lemieux n’existent pas toujours (du moins, pas nécessairement ensembles). Ils répondent à un contexte bien particulier – celui dans lequel s’inscrit et écrit l’auteur −, à savoir un contexte occidental portant sur les pratiques et représentations entourant la mort au Québec.

En effet, si ce constat est valable pour de très nombreuses sociétés et/ou groupes sociaux, il n’est pas universel. Quelques rares sociétés fonctionnent notamment sans cimetières. C’est le cas dans certaines régions de l’Inde (à Varanasi (Bénarès) par exemple, ville sacrée de l’hindouisme, les morts sont brûlés sur des bûchers funéraires avant d’être déposés dans le Gange), du Népal (les crémations ont lieu généralement sur les berges de la rivière du Bagmâti) ou autres pays de l’Asie du Sud-Est (Vietnam, Birmanie, Laos, Cambodge, etc.). Dans ces régions très marquées par l’hindouisme et le bouddhisme27, la pratique de la réduction des corps par le feu, suivie de la dispersion des cendres dans l’eau, est préférée à celle de l’enterrement. Si la raison de cette pratique funéraire est principalement religieuse, elle s’explique aussi en partie par un refus de matérialiser les morts au sein de monuments individuels. En effet, comme le souligne J-D Urbain dans son ouvrage L’archipel des morts (2005) en s’appuyant des travaux de L-V Thomas (1985), le placement individuel des corps au sein d’édifices funéraires va à l’encontre de l’esprit communautaire encore très largement présent au sein de ces sociétés (également exprimé par D-G Heuzé, 2014). Dans ces cas précis, nul besoin d’ancrer les morts dans un espace unique pour rappeler aux vivants qu’ils doivent s’en souvenir ou les commémorer. La survie des morts passe avant tout par le travail de mémoire individuel et/ou collectif que ces derniers en font, par la pratique de certains rituels consacrés (privés ou publics), de même que par le devoir de transmission :

« Dans ces sociétés traditionnelles, non assujetties aux valeurs de l’individualisme ce sentiment exacerbé du moi, source de désocialisation et de désolidarisation, qui "tranche avec l’esprit communautaire qui subsiste dans les sociétés rurales, tout spécialement dans le tiers -monde archaïque" [Thomas, 1985, p. 43] −, nul souci d’archiver monumentalement les morts, nulle accumulation chosifiante, mais la mémorisation rituelle, le rythme lent et persistant du

27 La crémation est perçue dans les religions hindouiste et bouddhiste comme une libération de l’âme, une troisième naissance qui intervient après la naissance biologique et le mariage (Shatapatha Brahmana, 11.2.1.1).

À la différence de la religion catholique pour qui le feu évoque le supplice, l’enfer ou la destruction (Guetny, 2011), elle est appréhendée en Asie du Sud-Est comme une condition sine qua non pour atteindre le monde des ancêtres, entrer dans le monde du divin. Selon Y. Tardan-Masquelier, historienne des religions et spécialiste de l’hindouisme : « ce qui est cuit appartient aux dieux » (Tardan-Masquelier, 1999, cité par Guetny, Ibid).

49 souvenir quotidien, la survie par la mémoire des morts, intégrés à la vie de tous les jours […] » (Urbain, 2005, p. 134).

Ainsi, pour ces « morts sans lieux » (Urbain, 2005, p. 134), dilués dans l’espace, seul le souvenir actif et collectif des (sur)vivants à leurs égards permet de conserver une trace de leurs existences passées. Celui-ci vient remplacer le besoin de sa matérialisation – davantage exprimé dans les sociétés à « solidarité organique » (Durkheim, 1893) −, à savoir l’idée qui consiste à se remémorer les morts et à en évaluer leurs survies par le biais des monuments funéraires qui leurs sont concédés. En effet, si certaines sociétés traditionnelles (fondées sur le principe de la « solidarité mécanique »28) peuvent faire l’économie de cimetières sans pour autant en oublier leurs morts, cela semble plus difficile dans les sociétés occidentales29 où les représentations contemporaines de la mort sont davantage individualisées (Hanus, 2000a ; Baudry, 2004). Comme le précise J-D Urbain lorsqu’il évoque la manière dont les représentations et attitudes face à la mort – en comparaison à celles des sociétés traditionnelles − ont évolué en Occident, la mémoire des morts ne tient plus tant dans celle transmise activement par les vivants entre eux, que dans celle véhiculée symboliquement par les tombeaux :

« Comme c’est désormais l’usage chez nous [en Occident], la pérennité de nos morts est déléguée non plus à la mémoire active des survivants mais à celle, inerte, des tombeaux » (Urbain, Ibid., p.134).

En cela, matérialiser le lieu du souvenir, de la mort, pouvoir situer ses défunts dans l’espace, a une importance capitale pour les sociétés occidentales contemporaines qui vivent de plus en plus cet événement sous une forme individualisée, pour ne pas dire solitaire (Ariès, 1975 ; Elias, 1987 ; Baudry, 1997). Si les représentations et pratiques socioculturelles collectives qui entouraient autrefois la mort se sont progressivement amenuisées –en raison notamment d’un appauvrissement des liens sociaux au profit de l’individualisme, d’une disjonction de plus en

28 La « solidarité mécanique », terme introduit par Emile Durkheim en 1893 dans De la division du travail social, résulte de la proximité et de liens de similitude d’individus vivants ensemble au sein d’une même communauté.

Ils ont les mêmes croyances, les mêmes valeurs et partagent les mêmes modes de pensée. Le poids du groupe est très important (valeurs de la famille, du travail) et les consciences collectives élevées. Le maintien de la cohésion sociale fait qu’aucun écart à la norme n’est accepté. Elle s’oppose à la "solidarité organique" que l’on rencontre dans les sociétés dites « modernes » (le terme est aujourd’hui – et à raison − fortement contesté car il sous-entend qu’il existerait des sociétés « immobiles » (Boudon et Bourricaud, 1990, p.581), où la cohésion sociale est fondée sur la différenciation et l’interdépendance des individus entre eux favorisé par une division sociale du travail.

29 Le concept de « société occidentale », concept polysémique et très controversé − surtout à l’heure où la mondialisation tend vers une certaine uniformisation des cultures −, est à considérer ici au travers de sa dimension historique et culturelle. Sont considérées ici comme « occidentales », toutes les sociétés qui résultent de l’héritage, ou de l’influence, judéo-chrétienne (ou gréco-romaine). Fondées sur les principes de l’individualisme qui tendent à favoriser les droits et intérêts des individus sur ceux du groupe, elles se distinguent des sociétés dites à « solidarité mécanique », basées sur des liens de similitude et de proximité entre les individus. Aussi, il est important de rappeler qu’avec la colonisation, la culture et les valeurs occidentales se sont étendues en dehors des frontières de l’Europe (en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique, en Asie, en Océanie, de même qu’au Proche-Orient). Cela pose notamment la question de la délimitation des pays occidentaux. L’Amérique latine par exemple est, pour certains auteur-e-s avec qui je partage l’opinion −, considéré comme un occident ou,

« extrême occident » (Rouquié, 1987).

50 plus fréquente des structures familiales, d’une nouvelle organisation du temps du travail basé sur un modèle productiviste ou encore du recul des pratiques religieuses − pour laisser place à une gestion du deuil individuel (Le Guay, 2003 et 2008), la possibilité de localiser les morts dans l’espace intervient comme un substitut, une compensation affective permettant aux vivants de restaurer la présence des absents en « arrimant leur souvenir à la réalité d’une trace, d’un lieu et d’un signe » (Urbain, 1999). Même dans le cas des morts sans corps : marins disparus en mer, alpinistes perdus en montagne, victimes de crash d’avion, soldats morts sur le front, assassinés dissimulés, corps donnés à la médecine, à la science, etc., la présence de cénotaphes – tombeaux érigés à la mémoire d’un défunt mais qui ne contiennent pas de corps – vient remplacer le vide laissé par ces cadavres absents. Aussi, une cérémonie funéraire a généralement lieu (même en présence de cercueils ou urnes vides) pour permettre aux (sur)vivants de rendre la mort effective et d’amorcer enfin la réalisation du processus de deuil (Baudry, 1998). Cette mise en scène symbolique contribue en ce sens à « fixer » définitivement le mort disparu au sein d’une entité géographique reconnue et validée par son entourage – le fameux discours apaisant du « maintenant, je sais où il/elle est, je sais désormais où il/elle repose ».

Le fait de chercher à marquer matériellement la mémoire des morts dans l’espace et le temps (même lorsque ces derniers sont absents physiquement) est un moyen pour les (sur)vivants de surmonter l’angoisse30d’une mort sans visage, invisible et introuvable, de redonner du sens à la perte d’un être cher. Il s’agit là d’une façon symbolique de ne pas laisser mourir le mort une seconde fois, socialement dans l’oubli (Hanus, 2007). Un exemple qui illustre parfaitement ce propos est celui des attentats du 11 septembre 2001 qui ont frappé l’État de New-York aux États-Unis. En effet, suite à cet événement traumatique, les autorités concernées ont décidé d’inscrire le nom des 2.801 victimes identifiées sur un mémorial (the national september 11 memorial & museum) édifié sur le site même où étaient construites les deux tours jumelles du World Trade Center. Les objectifs de cet acte symbolique sont multiples : rendre hommage aux milliers de personnes tuées lors des attaques, soutenir les survivants de la tragédie et leur accorder un lieu de recueillement, marquer les mémoires

Le fait de chercher à marquer matériellement la mémoire des morts dans l’espace et le temps (même lorsque ces derniers sont absents physiquement) est un moyen pour les (sur)vivants de surmonter l’angoisse30d’une mort sans visage, invisible et introuvable, de redonner du sens à la perte d’un être cher. Il s’agit là d’une façon symbolique de ne pas laisser mourir le mort une seconde fois, socialement dans l’oubli (Hanus, 2007). Un exemple qui illustre parfaitement ce propos est celui des attentats du 11 septembre 2001 qui ont frappé l’État de New-York aux États-Unis. En effet, suite à cet événement traumatique, les autorités concernées ont décidé d’inscrire le nom des 2.801 victimes identifiées sur un mémorial (the national september 11 memorial & museum) édifié sur le site même où étaient construites les deux tours jumelles du World Trade Center. Les objectifs de cet acte symbolique sont multiples : rendre hommage aux milliers de personnes tuées lors des attaques, soutenir les survivants de la tragédie et leur accorder un lieu de recueillement, marquer les mémoires