• Aucun résultat trouvé

Genève et Prague, métropoles en Europe

2. Un passé historique qui compte

2.1. Prague, une ville plusieurs fois capitale

Prague a toujours été une ville de pouvoir : elle a été fondée en même temps qu'une forteresse à la fin du IXe siècle par la dynastie slave ducale puis royale (1085) des Premyslides à Hradčany. Avec le développement économique et politique des XIe et XIIe siècle, cette forteresse est ensuite consolidée en 1135 : un palais de style roman démoli ultérieurement est construit pour le souverain. Assez classiquement, une cité se développe au pied du château au bord de la rivière Vltava dans l'actuel Malá Strana. Mais le peuplement et des activités commerciales s'étendent sur la rive droite à partir de la fin du XIe siècle lorsque le prince Vratislav II établit sa résidence à Vysehrad, plus au sud. C'est donc pour relier les deux rives qu’est construit un premier pont au XIIe siècle, remplacé deux siècles après par l'actuel pont Charles. En 1198, la dynastie des Premyslides devient héréditaire ;

« désormais, le pays un statut clairement défini de fief d'empire : il est placé sous la suzeraineté de l'empereur, mais bénéficie d'une position privilégiée. Le royaume de Bohême prenait ainsi place parmi les grands Etats de l'Europe médiévale » (Michel, 1998 : 40).

Plusieurs aménagements sont entrepris pour protéger la ville comme la construction de remparts au milieu du XIIIe siècle (actuelles avenues Národní třída et Na Příkopě, cette dernière signifiant d’ailleurs « sur les douves »). Une

155

partie des constructions gothiques de cette période furent détruites par les incendies (1291, 1316), de sorte que les édifices historiques à Prague sont majoritairement de styles gothique flamboyant (Notre-Dame du Týn, place de la Vieille Ville, construite à partir de 1380, par exemple) et postérieurs. La dynastie des Luxembourg qui succède aux Premyslides en 1310 marque avec elle l’avènement de Prague comme capitale impériale. Ce changement d’échelle entraîne d’importantes mutations dans la ville sous Charles IV (1316-1378) qui construit un nouveau château et une nouvelle cathédrale à Hradčany.

C’est avec ce souverain que Prague prend la dimension d’une grande ville avec des opérations d’urbanisme de grande ampleur : Charles IV prend en effet la décision d’aménager une Nouvelle Ville (Nové Město) à côté de la Vieille Ville (Staré Město), jalonnée de vastes places (les actuelles places Venceslas et Charles). Il ordonne également la construction d’un nouveau pont en 1357 pour remplacer l’ancien emporté par une inondation : c’est l’actuel pont Charles, long de 500 mètres, qui met en évidence l’avancée technique du moment en étant désormais l’un des plus anciens ponts d’Europe (Figure 33). Sa décoration sera poursuivie à l’époque baroque où seront ajoutées des statues de saints.

156

Figure 33 : Le pont Charles, qui relie les deux rives de la Vltava à Prague, construit au milieu du XIVe siècle sur l’ordre de Charles IV : l’un des plus anciens ponts d’Europe

Cl. Photo. : J.-B. Delaugerre, mars 2009.

Prague devient aussi une métropole culturelle avec la création par le même souverain d’une université en 1348 qui comprend quatre facultés (lettres, droit, théologie et médecine). C’est d’ailleurs aujourd’hui l’une des plus anciennes d’Europe. Prague est déjà à l’époque un centre intellectuel de premier ordre qui attire 3 000 étudiants dans la deuxième moitié du XIVe siècle et qui produit des textes en latin, en tchèque ou encore en allemand. Les nombreux monastères de la ville participent d’ailleurs à cet essor de la connaissance et font de la théologie une discipline très renommée de l’université. Prague est un pôle de pouvoir religieux en étant le siège d'un évêché important qui édifiera d’ailleurs trois cathédrales : d'abord une rotonde construite par saint Venceslas, duc de Bohème et désormais saint patron de République tchèque (début du Xe siècle) et dédiée à saint Guy, puis une cathédrale romane (deuxième moitié du XIe siècle) remplacée par une cathédrale gothique commencée au XIVe siècle – Prague devient en même temps un archevêché – et terminée au XXe avec l'élévation des flèches de la façade. Ce poids religieux explique la densité d’églises et de monastères à

157

Prague surnommée pour cette raison « la ville aux cent tours ». Pendant tout son règne, Charles IV a contribué au développement, au rayonnement et à la prospérité de Prague : nombreux sont ses legs qui subsistent encore aujourd’hui en étant même des emblèmes de la ville comme le Pont Charles (1357).

Ce XIVe siècle particulièrement brillant pour la Bohème et pour Prague s’achève par une crise politique et religieuse avec la révolution hussite. Comme dans toute l’Europe, les vagues de peste du tournant du XIVe et du XVe siècle marquèrent un temps d’arrêt dans la croissance de Prague dont le seul monument remarquable de l’époque est l’horloge astronomique (1410) située sur la place de la Vieille Ville. Le début du XVe siècle voit aussi la progression des thèses réformistes défendues par Jean Hus qui prêche à la chapelle de Bethléem depuis 1402 ; il défend le refus du commerce des indulgences au concile de Constance (1414) où il est arrêté et brûlé vif. Ses idées sont reprises à Prague, en particulier la communion sous les deux espèces. Les tensions entre hussites et partisans des prêtres catholiques culminent en 1419 lorsque les premiers défenestrent des conseillers municipaux de Nové Město favorables aux seconds. Plusieurs bâtiments gothiques de la ville sont détruits à cette époque, parmi lesquels de nombreux couvents et églises qui sont dévastés. Le XVe siècle est donc surtout un siècle de déclin pour Prague (pertes démographiques sévères) en dépit des tentatives de concorde menées par le roi Georges de Podiebrad (1420-1471) qui agrandit l’hôtel de ville. Mais une nouvelle crise politico-religieuse survient en 1483 au terme de laquelle les utraquistes renforcent leurs positions politiques. Alors que le palais royal se trouve rive droite, ces troubles incitent à réhabiliter le château de Hradčany, sur la rive gauche, dans un style gothique flamboyant et Renaissance (Figure 34). A partir de 1526, Prague entre dans une sphère d'influence plus large, celle du Saint-Empire romain germanique et des Habsbourg. Son poids humaniste se renforce avec notamment l’arrivée des Jésuites qui construisent un collège en 1556. C’est surtout la rive gauche et Hradčany qui fait l’objet de transformations au XVIe siècle : de nombreux palais sont construits proches du château dans un style italien qui a notamment recours à la technique du sgraffite (dessin gravé sur le mortier) en façade (palais Schwarzenberg, par exemple) (Figure 35).

158

Figure 34 : La salle Vladislav du château de Prague construite à la fin du XVe siècle : un mélange de style gothique tardif et d’art Renaissance

Cl. Photo. : J.-B. Delaugerre, avril 2010.

Figure 35 : Le palais Schwarzenberg à Hradčany (1567) construit par la famille des Lobkowicz à côté du château de Prague

Cl. Photo. : J.-B. Delaugerre, mars 2012.

159

Figure 36 : La rue Husova en Vieille-Ville, avec le palais Clam-Gallas (à gauche) construit entre 1713 et 1719

Cl. photo. : J.-B. Delaugerre, mars 2007.

Tous ces monuments montrent l’effervescence culturelle, artistique et scientifique qui traverse les siècles à Prague, encouragée par les souverains comme Rodolphe II (1552-1612) qui collectionne les tableaux des plus grands

160

peintres de l’époque, se passionne pour les mécanismes et attire à la Cour les plus grands savants comme les astronomes Tycho Brahe et Johannes Kepler qui cherchent à mieux comprendre l’organisation de l’univers. Le début du XVIIe siècle est marqué par la reprise des luttes entre catholiques et protestants : la troisième défenestration de Prague (celle des gouverneurs représentant Ferdinand II) conduit l’empereur à affronter et à triompher des troupes protestantes à Bílá hora (« la montagne blanche »). Prague est ensuite pillée par l’armée. La ville fait l’objet d’une reconquête catholique dont le collège jésuite du Clementinum reconstruit en 1622 est l’illustration, tout comme les nombreuses églises baroques à l’objectif édifiant. Les membres de la noblesse édifient aussi des

siècle) : l’une des plus belles églises baroques en Europe

Cl. Photo. : J.-B. Delaugerre, mars 2012.

161

cette Prague est celle que 5 millions de visiteurs admirent chaque année.

L’église saint Nicolas de Malá Strana, construite au XVIIIe siècle, en est l’exemple religieux le plus abouti en proposant un style flamboyant et monumental (Figure 37).

Prague est un centre culturel majeur à l’époque baroque, tant au niveau de l’architecture, de l’art des jardins, de la peinture ou de la sculpture avec des artistes virtuoses comme Matthias Braun qui réalise, par exemple, des groupes de statues pour le pont Charles ou encore les deux atlantes qui encadrent de manière majestueuse et prestigieuse l’entrée du palais Clam-Gallas construit de 1713 à 1719. Ignaz Franz Platzer réalise pour sa part les deux géants en lutte qui font partie des travaux commandés par Marie-Thérèse et menés dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle pour agrandir le château de Prague (Figure 38). Ce dernier va devenir un bâtiment imposant, dominant la Cité depuis la colline.

Figure 38 : Le pont Charles et le Château de Prague

Cl. photo. : J.-B. Delaugerre, mars 2009.

Au XIXe siècle, la ville se dote de voies de transport structurantes : la voirie est améliorée, la gare centrale (hlavní nádraží) est construite en 1840, desservie par le long viaduc urbain de Karlín. En 1870 est inauguré un pont suspendu entre la vieille Ville et le quartier industriel d’Holešovice. L’industrie textile et l’industrie des machines prennent leur essor et occupent de vastes espaces (Smíchov, par exemple) qui feront l’objet de mutations spatiales et

162 Maison municipale et sa décoration luxueuse (Obecní dům, inaugurée en 1912), puis la création des studios de cinéma Barrandov dans l’entre-deux-guerres.

Avec la fin de la première guerre mondiale, Prague qui s’affranchit désormais de l’influence de Vienne, devient la capitale de la Tchécoslovaquie. Les palais de Malá Strana sont transformés en ambassades comme le palais Buquoy qui devient l’ambassade de France. A partir de 1939 avec le régime nazi puis après 1948 et le « Coup de Prague » par lequel les communistes s’emparent du pouvoir, Prague connaît deux totalitarismes qui perturbent sa trajectoire jusqu’en 1989. Le Protectorat de Bohême-Moravie est intégré politiquement et économiquement au Reich, tandis que le bilinguisme est imposé dans l’administration du pays. Toutes les résistances furent écrasées jusqu’au 5 mai 1945 où est proclamée à Prague la restauration de la Tchécoslovaquie. En 1948, les communistes remportent largement les élections législatives, ouvrant la voie à l’intégration de la Tchécoslovaquie au bloc soviétique. Dès 1948, l’administration fait l’objet de purges de grande ampleur : 200 000 personnes membres des autres partis politiques que le parti communiste sont chassées de leur poste. Pendant 20 ans, le régime communiste se consolide jusqu’à l’arrivée du président Dubček qui introduit le « socialisme à visage humain ». Le

« printemps de Prague » (janvier-août 1968) se clôt par l’invasion de Prague par les troupes du Pacte de Varsovie et la mise en place d’une « normalisation ». La suppression de la liberté d’expression qui accompagne celle-ci entraîne l’immolation place Wenceslas de l’étudiant Jan Palach (1948-1969) dont les obsèques rassembleront une foule silencieuse considérable. Moins de dix ans après ces événements, en janvier 1977, la Charte 77, texte fondateur de la dissidence tchécoslovaque est rendue publique. Elle regroupe 242 signataires – des artistes comme Václav Havel, des intellectuels comme le philosophe Jan Patočka, ou des hommes politiques comme Jiří Hájek, désignés comme porte-paroles – qui critiquent le régime, l’accusant de ne pas respecter les droits de

163

l’homme les libertés d’expression, de conscience, ou encore de circuler (Rupnik, 2007). Elle se définit comme

« une communauté libre, informelle et ouverte d’hommes de conviction, de religions, de professions différentes, réunies par la volonté de s’engager à titre individuel et collectif pour le respect des droits de l’homme et du citoyen dans notre pays et partout dans le monde » (Le Manifeste de la Charte 77, 1er janvier 1977).

La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 va entraîner la

« révolution de velours » : de nombreuses manifestations ont lieu à Prague entraînant la chute du régime et l’élection de l’opposant Václav Havel comme président de la république tchécoslovaque le 29 décembre 1989.

« Ainsi furent posées les pierres angulaires d’un système politique pluraliste et d’une refonte radicale du cadre juridique, économique et social. La première phase de ce processus fut parachevée l’été 1990 lors des premières élections – enfin libres après des décennies – de la représentation parlementaire à l’Assemblée et aux Conseils nationaux tchèque et slovaque » (Urban, 1996 : 130).