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De la métropole à la métropolisation : l'effet de la mondialisation

1. La mise en relation des différentes parties du monde

1.2. Les villes européennes entre mondialisation et européanisation

Le réseau urbain européen est surtout composé de villes de 200 000 à 2 millions d'habitants. Cet ensemble est resté relativement stable au fil du temps en dépit d'événements parfois majeurs (destructions liées aux guerres mondiales, par exemple). Si chacune d'entre elles présente des spécificités, des singularités en fonction du contexte politique et historique dans lequel elle est inscrite, les villes européennes se caractérisent néanmoins par une certaine proximité. Leurs morphologies, leurs développements, leurs centralités (les villes européennes s'organisent souvent autour d'un centre historique qui sert de référence dans les pratiques urbaines) présentent des traits communs. Leur proximité spatiale et les nombreux échanges qui en ont résulté ont en effet permis la diffusion d'un modèle urbain ensuite adapté aux configurations locales.

« La ville médiévale apparaît comme le creuset des sociétés européennes, où s'élaborent les nouveaux modèles culturels et politiques, les nouveaux rapports sociaux et les innovations culturelles et organisationnelles favorisés par les interactions de populations diverses » (Le Galès, 2011 : 99).

Le réseau est un ensemble de nœuds et d’axes qui permet la circulation, la captation et aussi la distribution de flux de diverses natures (hommes, richesse, etc.). Le réseau urbain européen a fait l'objet de nombreuses études qui ont mis en évidence la répartition et l'interconnexion des différentes métropoles sur le continent. Christaller a notamment montré l'aire d'attraction d'une ville sur son espace environnant. La recherche s’inscrit dans

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cet héritage : Giuseppe Dematteis constate ainsi que les centralités urbaines en Europe forment un gradient de type centre-périphérie : « 53 % des villes qui ont un rayonnement international sont concentrées sur 20 % du territoire européen » (Dematteis, 1996 : 19). Il propose aussi 3 modèles de réseaux pour l'Europe : le modèle de Christaller, les « réseaux interconnectés à plusieurs niveaux » dans lesquels les liens entre places centrales ne dépendent pas de leurs relations de proximité, et enfin le schéma centre-périphérie. Pour lui, le réseau urbain européen est une combinaison de ces 3 modèles, avec néanmoins une prédominance du troisième. Roger Brunet reprend ces recherches en avançant l'idée d'un « treillage européen ». Il soutient ainsi que

« le dispositif des grandes voies européennes a l'air de respecter ce principe de treillage » (Brunet, 1997 : 43). Il distingue une mégalopole européenne qui va du sud-est du Royaume-Uni avec Londres, jusqu'à la Lombardie en passant par la Ruhr : cet espace se caractérise par une densité forte d’interactions favorisées par des axes structurants (Figure 2). Les caractéristiques de cet espace sont liées à l'histoire et à l'importance des échanges marchands qui s'y sont déroulés dès le Moyen Âge, fixant les hommes et les activités, et créant ainsi une centralité sur plusieurs siècles. Des lors, « sur 18 % du territoire, se trouve la moitié des agglomérations européennes de plus de 200 000 habitants » (Brunet, 1997 : 61).

53 Figure 2 : La mégalopole européenne

Source : Brunet (1997 : 82)

D'autres faisceaux sont repérés, voire anticipés comme celui qui relie les métropoles d'Europe centrale qui est encore en cours de construction (Figure 3). Par ailleurs, l'intérêt du travail de Roger Brunet est de mettre en évidence les facteurs de hiérarchie métropolitaine, c'est-à-dire les éléments qui expliquent leur place dans le réseau. La « hiérarchie de services », la

« segmentation des filières et la division du travail » – c'est-à-dire la spécialisation -, la relation de compétences - c'est-à-dire les synergies, les échanges entre métropoles – qu’il différencie des groupes d'intérêts qui sont des réseaux de villes en fonction d'une caractéristique commune (ce ne sont donc pas ici des réseaux hiérarchiques), et de la logique de projet qui fédère différentes villes autour d'un intérêt particulier, ce dernier élément étant en définitive assez proche de la logique du « partage » (Brunet, 1997 : 50).

54 Figure 3 : Le « treillage » européen

Source : Brunet (1997 : 43)

Tous ces éléments sont intéressants, mais il nous semble que les deux premiers sont vraiment les clés d'explication des hiérarchies métropolitaines dans la mesure où ce sont d'importants facteurs de compétitivité dans un contexte de forte concurrence entre les métropoles. Roger Brunet précise d'ailleurs « qu'en matière de réseaux, ce n'est pas la taille qui fait le poids, mais la densité et la qualité des services rares et des pouvoirs réels » (Brunet, 1997 : 53), une position partagée par d'autres chercheurs qui considèrent aussi que la spécialisation est décisive pour l'internationalisation de la métropole. Ainsi,

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« des villes sont internationales par la concentration d'activités assurant la régulation de relations internationales, […] par l'internationalisation et la spécialisation de leur base productive, […] et en jouant un rôle d'interface entre l'économie mondiale et les régions européennes » (Bonneville, 1996 : 77).

La recherche s’applique en outre à mettre en évidence les liens entre les nœuds du réseau, et pas seulement à présenter sa structure et son évolution. En effet, « un réseau n’existe que par les relations qui unissent les centres, par les hiérarchies que ces relations entretiennent ou affaiblissent, par les différentiels régionaux qu’elles peuvent introduire » (Cattan, 1990 : 106). La mesure du trafic aérien, parce qu’il s’agit de flux plus mesurables que les flux financiers ou les flux d’information, par exemple, a été choisie pour montrer l’accessibilité et l’attractivité des métropoles. A travers les cartes reproduites ci-dessous (Figure 4), on observe que Genève bénéficie d’une « très bonne accessibilité » et d’une « bonne attractivité », ce qui est remarquable pour la taille de la métropole, tandis que Prague n’est pas prise en compte.

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Figure 4 : L'accessibilité et l'attractivité des métropoles européennes, selon le trafic aérien

Source : Cattan (1990 : 109).

L’étude confirme la puissance de la mégalopole rhénane, centre décisionnel européen ; pourtant, si

« cette image renvoie certes à une organisation hiérarchique du réseau européen, elle interdit que son organisation y soit réduite. Des villes à

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fonction tertiaire très spécialisée, et dont la portée géographique est au moins continentale, se hissent aux niveaux supérieurs de cette hiérarchie. Nous avons noté des villes comme Genève, Zurich, Francfort et Amsterdam » (Cattan, 1990 : 115).

L’inscription des métropoles européennes dans le réseau continental fait l’objet d’autres recherches qui visent à mettre en évidence les « continuités et discontinuités de la trame des villes européennes » (Rozenblat, 1995 : 22) (Figure 5).

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Figure 5 : le maillage du réseau européen (distances entre les villes de plus de 10 000 habitants)

Source : Rozenblat (1995 : 25).

Le réseau urbain est ainsi caractérisé par la proximité de ses villes, distantes de 25 à 50 kilomètres pour la plupart d’entre elles. Si la mégalopole ressort encore nettement, ces études permettent de distinguer un réseau urbain est-européen caractérisé par un réseau urbain régulier aux villes proches, alors que l’Ouest est plus irrégulier avec des villes plus éloignées, exceptions faites des vallées fluviales.

Mais l’organisation du réseau a fait l’objet de débats et plusieurs modèles ont été avancés, reposant sur des notions distinctes. La mégalopole de

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Brunet est ainsi certes structurante du réseau urbain européen, mais certains chercheurs en ont une vision plus réduite en n’y incluant ni Londres, ni Paris.

Ces deux dernières seraient plutôt les piliers du « centre » du réseau « constitué par un nombre limité de métropoles, pas très éloignées, et en étroite relation les unes avec les autres et qui a une structure polycentrique […]. Londres et Paris exceptés, les pôles du centre ne sont pas les plus grandes villes de l’ensemble européen, mais les plus grandes dans chacun de leur système urbain national » (Cattan, Saint-Julien, 1998 : 3). Ces deux notions consacrent néanmoins un modèle de type centre-périphérie en évolution vers un modèle polycentrique.

Plus récemment, ces effets de proximité ont été analysés sous l'angle de « l'européanisation » qui ne signifie pourtant pas que les métropoles européennes sont en cours d'uniformisation. En effet, l'européanisation des métropoles présente à la fois des formes de convergence, d'institutionnalisation et de résistance aux directives de Bruxelles (Le Galès, 2011). La mise en réseau des métropoles européennes a intensifié leurs échanges de diverses natures, d'étudiants ou d'expertise, par exemple. Environ 120 000 étudiants de l’Union européenne (sur 15 millions) partent ainsi étudier dans un autre pays que le leur. Par ailleurs, l’inscription dans des réseaux métropolitains (institutionnalisation horizontale) voit dialoguer des autorités locales directement entre elles. Cette dynamique s'est surtout développée après la Seconde Guerre mondiale à travers les jumelages qui développaient les relations culturelles ou sportives entre cités pour favoriser les contacts entre les peuples. Par la suite, les réseaux se sont organisés autour de thématiques partagées, d'intérêts communs. Le plus connu est Eurocités créé en 1986 autour de six villes (Barcelone, Birmingham, Francfort, Lyon, Milan et Rotterdam) : ce réseau se veut une plateforme de dialogue entre les 140 villes qui le composent désormais et un acteur influent auprès des autorités européennes avec lesquelles il travaille.

Le réseau urbain européen est donc composé d’un semis de villes proches, mais aussi structuré par des métropoles dont l’aire d’influence va de leur région environnante au monde entier. L’histoire du continent européen et son développement urbain amène à s’interroger sur sa métropolisation : existe-t-il en effet un modèle de métropolisation en Europe ? Cette question guidera

60 métropolisation est un processus qui produit et valorise l’accumulation, la concentration, l’interaction, la polarisation d’externalités perçues de manière positive » (Lacour, 1999 : 72). Nous pouvons aussi retenir deux définitions issues des questionnaires recueillis par Claude Lacour et Sylvette Puissant :

« C'est un processus de concentration spatiale observable à grande échelle. Cette concentration a essentiellement des causes économiques (marché, stratégies des firmes). Elle s'appuie sur le développement des réseaux de communication (transports, télécommunications, etc.). Elle est facilitée par la « relaxation » des réglementations autant dans le domaine économique que dans le domaine spatial. Elle est liée de façon très forte à la mondialisation des échanges. »

« La métropolisation est un processus d'inscription dans l'économie internationale qui s'accompagne de formes de développements urbains spécifiques : différenciation des fonctions et étalement périurbain. » (Lacour et Puissant, 1999 : 31).

On peut retenir que la métropolisation « accentue les avantages comparatifs de quelques villes mondiales ou planétaires » (Hall, 1965). En ce sens, on peut dire qu'il s'agit d'un processus visant à renforcer la métropole comme centre de commandement, dans un contexte de forte concurrence, et ainsi à accroître son rayonnement à l’international. Ce processus qui assure un certain pouvoir à la métropole la distingue de la ville qui se caractérise par sa