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De la grande ville à la métropole

2. Comment définir la métropole?

De nouveaux concepts sont définis pour mieux caractériser les espaces métropolitains, tel celui de « mégalopole » (Gottmann, 1961) qui décrit la région urbaine concentrant la population et les pouvoirs sur la côte Est des Etats-Unis :

« Aucun autre espace d'une telle ampleur aux Etats-Unis ne se caractérise par une telle concentration de population et une telle densité. Il s'est ici développé une sorte de suprématie politique, économique et même culturelle » (ibid. : 8, ma traduction).

9 La liste a été arrêtée par la Commission nationale à l’aménagement du territoire : Lille - Roubaix - Tourcoing, Nancy - Metz, Strasbourg, Nantes - Saint-Nazaire, Bordeaux, Toulouse, Marseille - Aix-en-Provence, Lyon - Saint-Etienne - Grenoble.

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La mégalopole entretient un cercle vertueux en concentrant services et main-d'œuvre qualifiée utiles aux entreprises10. Cet espace est associé à une bonne qualité de vie11 puisque

« les statistiques disponibles montrent que la population de la mégalopole est en moyenne en meilleure santé, que la consommation y est plus forte et que l'avancement professionnel y est plus facile que dans toute autre région de taille comparable » (ibid. : 15, ma traduction).

De grandes synthèses sur la métropole sont publiées avec une définition du concept et des études de cas (Dogan, 1988). Peter Hall lance le concept de « villes mondiales » (Hall, 1965) en étudiant sept métropoles : Londres, Paris, la Randstad Holland, Rhin-Ruhr, Moscou, New York et Tokyo. Il donne une définition de ces espaces qui : « sont des villes où les principales activités économiques du monde se concentrent de façon prépondérante » (ibid.

: 7) et détaille leurs caractéristiques (accessibilité, attractivité, pôles émetteurs et récepteurs de flux). Les monographies qu'il consacre à ces métropoles soulignent le polycentrisme de certaines métropoles ou, dans d'autres cas, insistent sur la concentration des emplois au centre, et présentent quelques grands projets urbains d'envergure métropolitaine, tel le quartier d'affaires de la Défense à Paris. Les leaders de ces villes mondiales sont confrontés aux enjeux de planification territoriale inhérents à la croissance économique et démographique (infrastructures de transports, logements). Manuel Castells souligne pour sa part que

« ce qui distingue cette nouvelle forme [de ville] des précédentes n'est pas seulement sa taille (qui est la conséquence de sa structure interne)

10 La mégalopole résulte du processus de « métropolisation » (page 392) qui a densifié la côte nord-est des Etats-Unis, sous une forme « nébuleuse ». Le changement de la silhouette des villes est un indicateur fort de cette synamique, pas seulement à Manhattan, mais aussi dans les vieux quartiers commerçants de Philadelphie et Boston.

11 Gottmann souligne le paradoxe d’un espace souvent décrit comme un « cancer » (page 15) où la population jouit pourtant d’une bonne santé.

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mais la diffusion dans l'espace des activités, des fonctions et des groupes, et leur interdépendance suivant une dynamique sociale largement indépendante de la liaison géographique » (Castells, 1972 : 35).

Il s'interroge sur les conditions d'implantation des activités économiques : présence d'une main-d'œuvre importante et bien formée, concentration des activités (insertion dans le système de production), aménagement. Il propose une vision marxiste de l'organisation de l'espace urbain marqué par « la lutte des classes » que met en évidence la ségrégation socio-spatiale qu'il étudie. Pour François Ascher, c’est la « métapole » qui permet de décrire la métropole multipolaire ; si cette nouvelle notion peut paraître un peu formelle, elle permet néanmoins de rendre compte des nouvelles configurations urbaines. Les réseaux de communication permettant les échanges entre ces différents pôles revêtent bien sûr une grande importance dans ces analyses. Il écrit ainsi que

« la métapole est l'ensemble des espaces dont tout ou partie des habitants, des activités économiques ou des territoires sont intégrés dans le fonctionnement quotidien d'une métropole. Une métapole constitue généralement un seul bassin d'emploi, d'habitat et d'activités.

Les espaces qui composent une métapole sont profondément hétérogènes et pas nécessairement contigus » (Ascher, 1995 : 34).

La recherche va ensuite s’attacher à mettre en évidence les liens entre métropoles à travers une approche par réseau distinguant des « centres », des

« périphéries » ou des « semi-périphéries », une approche qui établit une hiérarchie métropolitaine mondiale dans la mesure où

« des villes-clés dans le monde servent de “bases” dans l’organisation spatiale et l’articulation de la production et des marchés. Les liens qui en résultent permettent d’établir une hiérarchie des villes mondiales » (Friedmann, 1995 : 146, ma traduction).

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Cette approche cherche à identifier les centres de commandement qui se sont formés sous l’impulsion des multinationales à l’origine d’une nouvelle division internationale du travail. L'évidence d'une économie mondialisée à partir des années 1970-1980 amène à proposer de nouveaux concepts pour qualifier le petit nombre relatif de villes à partir desquelles cette économie est contrôlée.

John Friedman pose l'hypothèse de « world cities » en 1986 en affirmant :

« mon propos est ici d'exposer, de la manière la plus succincte possible, les liens qui existent entre les processus d'urbanisation et les dynamiques économiques globales » (Knox, 1995 : 317, ma traduction). Friedman met en avant le rôle de nœuds et de pôles émetteurs/récepteurs de flux importants (capitaux, migrants) des villes mondiales et les classe ensuite dans une hiérarchie. Cette hypothèse de recherche se transforme en un paradigme de recherche solide : la « ville mondiale » apparaît comme un centre de commandement qui concentre les sièges sociaux, un centre financier qui est un lien entre l’économie régionale/nationale et l’économie mondiale (Knox, 1995).

Les études se concentrent sur le réseau urbain global à travers l'analyse des réseaux de villes et leurs interdépendances, sur la diffusion des processus qui affectent les villes mondiales à leur région environnante et sur la métropolisation. Etablir une hiérarchie des centres de commandement et de contrôle de l'économie mondiale met en évidence le contexte de compétitivité dans lequel évoluent désormais les villes mondiales. John Friedman précise à cet égard que

« les relations hiérarchiques sont essentiellement des relations de pouvoir; la compétition pour progresser dans cette hiérarchie est toujours forte parmi les villes qui luttent pour attirer toujours plus de fonctions de commandement et de contrôle » (ibid. : 23, ma traduction).

Saskia Sassen s’inscrit dans cette perspective en notant que la dispersion spatiale de la production a contribué à la croissance de nœuds de services centralisés qui gèrent et régulent l'économie : « plus l’économie se mondialise, plus forte est la concentration des fonctions centrales dans un

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nombre relativement restreint de sites » (Sassen, 1991 : 35). Les “villes globales”, New York, Londres et Tokyo, sont des centres majeurs de services financiers et concentrent les sièges sociaux des principales multinationales, « ils concentrent les secteurs économiques les plus dynamiques et polarisent les plus hauts revenus » (Sassen, 1991 : 337, ma traduction). La thèse que soutient Saskia Sassen est que plus la mondialisation est forte, plus les villes globales se renforcent en regroupant des fonctions de contrôle, de coordination des activités dispersées comme le montre le poids très fort du secteur tertiaire. Elle soutient que

« la dispersion géographique de la production – qui entraîne son internationalisation – a contribué à la croissance des nœuds de services spécialisés pour la gestion et la régulation de la nouvelle économie qu’émettent et reçoivent les villes mondiales. Les réseaux de communication revêtent une importance capitale dans la mise en relation des villes mondiales qui se caractérisent par des interactions fortes entre personnes, produits et informations. L'analyse des flux de passagers à l'échelle mondiale permet alors de mieux cerner les villes les mieux connectées : la carte illustre l'intensité des liens entre New York, Londres et Tokyo et leur rôle de hubs dans les échanges aériens (Keeling, 1995). John Friedman revient en 2002 sur le concept de « ville mondiale » en soulignant qu’une certaine ambigüité a toujours entouré le concept qui peut faire référence soit à une classe limitée de villes jouant un rôle leader dans l’économie mondiale, soit désigner toutes les villes intégrées de manière assez variable dans le système-monde. Il défend donc une hiérarchie mondiale dans laquelle les métropoles sont classées selon leurs poids dans l’

« espace des flux », c’est-à-dire selon leur pouvoir économique (Friedmann, 2002). Peter Taylor postule que c’est la myriade de flux entre les différents

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bureaux des entreprises installées dans les métropoles qui constitue le réseau des villes mondiales (Taylor, 2004)12. S’il insiste plus sur les « nœuds » que sur les « flux », donnant davantage à lire une nouvelle hiérarchie qu’un réseau, l’intérêt de l’ouvrage de Peter Taylor réside dans l’apparition de nouvelles villes mondiales de second rang au niveau des pays émergents, dans un monde désormais multipolaire. Cette hiérarchie est mouvante dans la mesure où

« certaines métropoles moins compétitives déclinent au profit d'autres localisations » (Leven, 1978 : 266, ma traduction). Cette question de la définition de la métropole fait toujours l’objet de débats chez les géographes. Si la recherche a affiné le concept en en proposant de nouveaux susmentionnés, des adjectifs sont aussi utilisés pour caractériser la ville. On peut retenir que

« le vocable renvoie à l’idée de régulation, de norme, de domination aussi que l’on retrouve d’ailleurs dans le concept historique de métropole, entendue alors dans ses rapports avec les colonies qu’elle régit » (Lacour et Puissant, 1999 : 1).

L’enquête menée par Claude Lacour et Sylvette Puissant a permis de recueillir et analyser plusieurs définitions de la métropole données par différents experts dont nous reprenons ici trois extraits :

« Une grande ville, une grande ville, caractérisée par la densité et la diversité de sa population et de ses activités économiques. Offrant des infrastructures et des services collectifs suffisamment développés ; des

12 Trois questions guident sa réflexion : à quelle sorte de réseau sont connectées les villes mondiales ? Comment y sont-elles connectées ? Comment mesurer la connectivité d’une métropole ? Pour lui, ce sont les firmes multinationales et les flux de services qu’elles échangent entre elles qui permettent de décrire le réseau des villes mondiales. Il déploie une matrice complexe permettant d’attribuer un score à chacune des 315 villes retenues en fonction des flux des 100 entreprises considérées, ce qui lui permet de les classer. Les secteurs de services retenus sont la comptabilité, la publicité, les services bancaires et financiers, les assurances, les services juridiques et le conseil en gestion d’entreprise. Cet ouvrage très économique montre aussi la difficulté à mettre en évidence un réseau qui reposerait sur des critères plus qualitatifs (échanges d’expertises, flux culturels, par exemple) que quantitatifs.

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services aux entreprises, en choix, qualité, diversité et compétence ; une main-d’œuvre disponible en quantité et qualité, constituant un marché assez vaste ; l'accès à l'information ; ville ayant une autonomie réelle par rapport à d'autres grandes villes dans ses activités économiques. »

« Une agglomération qui bénéficie, grâce à sa taille ou à sa spécialisation, un accès direct à l'ensemble des autres agglomérations mondiales. En ce sens, la métropole est un phénomène récent. »

« La « mère des villes » est la tête d'une armature urbaine hiérarchisée.

Elle est indissociable d'un réseau. Elle est au sommet d'une structure de relations parcourue par des flux réels ou financiers ou culturels. Ces flux ont plusieurs échelles spatiales superposées : régionale, nationale, européenne, mondiale. » (Lacour et Puissant, 1999 : 29).

A l’issue de ce chapitre qui a montré chronologiquement comment s’est construit et décliné le concept de métropole, nous pouvons proposer notre propre définition. Une métropole est une agglomération urbaine où la concentration de population compte moins que la concentration de structures de pouvoir décisionnel. Elle s’inscrit dans un réseau auquel elle est bien connectée par des infrastructures de communication (aéroport international au moins).

C’est une ville qui regroupe des services de tertiaire supérieur et donc de très hauts revenus liés aux qualifications qui y sont requises. Elle rayonne à différentes échelles selon l’importance de ses spécialités. Les conditions-cadres garanties par les autorités doivent permettre de limiter les externalités négatives (manque de logements, problèmes de mobilité, pollution) et conserver l’attractivité de la métropole.

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Chapitre 2.

De la métropole à la métropolisation : l'effet de la