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La prévention par la planification et la gestion urbaine

DEUXIEME PARTIE : UN ETAT IMPUISSANT FACE AUX INONDATIONS

SECTION 2 : LA GESTION DES INONDATIONS PAR LES COMMUNAUTÉS COMMUNAUTÉS

2. Mesures non infrastructurelles pour maîtriser les inondations

2.1 La prévention par la planification et la gestion urbaine

Face à la croissance urbaine, la réglementation en vigueur au Sénégal a vite montré ses limites, puisqu’elle n’a pas pu empêcher la prolifération des quartiers irréguliers. Le cadre institutionnel du secteur urbain apparaît complexe et peu fonctionnel. Ce cadre n’est pas adapté au contexte d’une croissance urbaine rapide et souffre donc d’une insuffisance notable en matière d’application.

En conséquence, les mesures non infrastructurelles du secteur urbain proposées pour réduire le risque d’inondation doivent être simples et d’application facile sur le terrain. Ces mesures poursuivent deux objectifs principaux: le renforcement du cadre institutionnel des collectivités locales et l’intégration des mesures de réduction de risques dans les outils de planification et de gestion de l’espace au niveau communal et intercommunal.

On peut identifier deux axes d’intervention prioritaires à moyen et long terme.

La réalisation d’une cartographie de prévention des risques d’inondation. La mission a constaté l’absence d’une cartographie des zones à risque pour la région de Dakar. Quelques initiatives éparses sont à signaler pour la constitution d’une cartographie de base auprès du Ministère chargé de l’Aménagement ou du Ministère de l’Urbanisme (Projet Jaxaay, Direction de l’Hydrologie). La carte de prévention des risques d’inondation doit être réalisée par l’Etat (Ex : Direction de l’Hydrologie) et doit permettre la réglementation de l’utilisation des sols à l’échelle communale en fonction des risques auxquels ils sont soumis. Cette cartographie doit être précise et crédible surtout si elle est appelée à servir de base à des

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dispositions réglementaires. Ces cartes permettent de délimiter et de classer les zones exposées selon la sévérité du risque. Elles permettent aussi de réserver les emprises nécessaires aux voies et aux servitudes d’écoulement et aux bassins de rétention éventuels. Cette activité doit démarrer en priorité ; elle nécessite une coordination entre institutions (les sources d’information sont diverses) et les résultats seront disséminés le plus largement possible (ADM, 2012).

L’intégration des risques dans les documents d’urbanisme. Le Plan Directeur d’Urbanisme (PDU) de Dakar a été approuvé par le décret du 30 juin 2009. Les zones les plus sensibles aux inondations sont pour la plupart classées à restructurer dans le PDU. Le PDU ne comporte aucune indication sur les zones inondables pour les quartiers de Pikine et Guédiawaye. La révision de ce document, en discussion depuis 2005, est d’une urgence particulière.

Pour le Ministère en charge, il s’agit de doter rapidement les collectivités locales d’outils de gestion de l’espace public, par la réactualisation d’audits urbains, en incluant les zones à risques et les zones prévues pour l’évacuation. Il s’agit de doter les maires de communes disposant encore de terrains agricoles de ces outils pour leur permettre de mener une politique de prévention de l’occupation des espaces inondables et des espaces compris dans le tracé des futures infrastructures primaires (ADM, 2009).

A long terme il s’agit d’intégrer les risques dans les PDU et des PUD (Plan d’Urbanisme de Détail) pour empêcher des futures installations dans des zones à risque. Il s’agira de réviser les termes de référence d’élaboration des plans d’urbanisme pour y intégrer la prévention contre les inondations et prévoir des équipes pluridisciplinaires pour les mener. En effet, la prévention des risques d’inondation ne peut pas être l’affaire des seuls acteurs de l’urbanisme; elle doit aussi impliquer étroitement les responsables du drainage et de l’hydrologie et respecter la logique territoriale des bassins versants (ADM, 2012).

Au niveau national, il faut envisager l’appui à des études qui visent à atténuer la croissance de la région de Dakar et stimuler la croissance des pôles régionaux afin de promouvoir un développement équilibré, réduire les disparités régionales et endiguer les déséquilibres dans la répartition territoriale de la population, des infrastructures et des activités. Tel est l’objectif de la Stratégie de Partenariat Gouvernement du Sénégal Banque mondiale en préparation (PROGED, 2014).

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réalisation d’investissement de drainage est nécessaire. Il est proposé, comme pour le projet d’autoroute (APIX), que les investissements de drainage proposés (ouverture d’axes d’écoulements des eaux pluviales vers le nord de Pikine et de Guédiawaye) soient accompagnés par une opération de restructuration des quartiers traversés. Cette opération va nécessiter la révision des documents d’urbanisme, la réalisation d’un PUD (préalable à toute restructuration) et va impliquer la mobilisation importante de fonds. Le coût évalué pour la restructuration du quartier de Pikine irrégulier Sud (projet APIX) est de 68 millions de FCFA par hectare (APIX, 2009).

Il faut souligner et reconnaître que l’efficacité des dispositions au niveau des documents d’urbanisme est souvent tributaire des moyens alloués à la mise en application et au contrôle. Aussi, les normes de construction ont tendance à être oubliées à mesure que la mémoire des inondations s’estompe.

Au total, il faut remarquer qu’au Sénégal, pas plus que le code d’urbanisme, les définitions des schémas directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU), des plans directeurs d'urbanisme (PDU), des plans d'urbanisme de détails (PUD) et documents d’aménagement du

territoire (PNAT, PDRI, PIC, PLD, PGAT, SRAT)ne font aucune référence aux inondations

ni aux servitudes qu’elles peuvent dicter en matière de planification de l’urbanisation et d’aménagement de l’espace.

Les populations réclament leur implication dans la gestion des inondations. Elles pensent avoir un rôle important à jouer dans la réflexion et la mise en œuvre de politiques concernant leurs localités. Elles s’insurgent contre les approches top-down qui ont montré leurs limites sur le terrain. D’ailleurs, dans plusieurs localités touchées par les inondations, elles se relaient aux sapeurs pompiers pour assurer le pompage des eaux. Les populations se sentent souvent laissées à elles-mêmes. Elles s’adonnent à des activités de sauvegardes de leur quartier par le désherbage, la canalisation, le pompage, le saupoudrage, la formation des jeunes, la création d’activités génératrices de revenus.

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Figure 17 : Volonté d’implication des populations

« P 14 : (…) Nous ne sommes pas impliqués dans la gestion des inondations. A part le pompage, toutes les autres décisions nous tombent sur la tête. L’Etat décide de notre sort sans nous consulter ». P 16: « la puissance publique ne peut pas régler ses problèmes sans l’implication des populations » P 9 :« la montée en compétence nous permet de distinguer le bon du mauvais et quand l’état nous propose des projets, nous pourrons dire que c’est bon ou pas ».

P 18 « (…) j’ai dit à Monsieur le Ministre vous êtes en train de canaliser partout jeter l’eau à la mer. Savez-vous combien il y a de jeunes qui ne travaillent pas ici. Je lui ai dit que ce n’est pas une solution de jeter cette eau (…) nous avons plus de jeunesse qu’en Europe ».

P 21« C’est pourquoi j’ai proposé qu’on fasse de petites réserves pour utiliser l’eau en haut. Cela peut être des cuvettes ou des bassins. Tous les 100 m on récupère l’eau ou tous les 100 m on fait des cultures »

P 5 : « Il y a des maisons qu’il va falloir casser, mais quand on casse ces maisons, on peut en faire des champs, des places publiques, pour le bien-être de tous.

P 4 : « je vais faire une mise au point, si vous allez au Togo ( Cotonou, Dahomey, cote d’Ivoire) ou dans beaucoup de pays africains, vous trouverez des maisons sur pilotis.

Bref, elles se donnent corps et âme pour leurs communautés, pour sauver leur localité des inondations et des conséquences connexes. Parmi elles, il y en a plusieurs qui n’hésitent pas pour mettre la main aux poches au nom de la communauté. A Yeumbeul, les populations se cotisent pour refaire le mur de l’école tombée lors des pluies de 2015. Alors qu’à Mbao, c’est pour payer un bureau d’étude afin de mieux connaître les points bas. Cela leur à permis de changer l’orientation du pompage des eaux en période d’inondations. Si les populations ont fait montre d’autant d’engagements et acceptent de s’impliquer elles-mêmes, à tous les niveaux, il est donc normal qu’elles soient impliquées dans les moindres décisions. Cela implique impérativement un changement d’approche, pour passer du Top down au bottom-up.

Conclusion du Chapitre

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« Le Plan d’Urbanisme de Dakar 2001 qui couvrait Dakar, Pikine et une partie du Département de Rufisque, a vu le phénomène d’occupation anarchique s’amplifier, pour finalement devenir un problème majeur pour l’urbanisation de la région de Dakar » (MUAT-DUA, 2001: 56). En effet la croissance démographique rapide de la métropole sénégalaise a suscité une forte demande en sols urbains pour l’implantation d’équipements collectifs et d’habitations. Selon Diop (2013), on observe une multiplication d’initiatives venant de divers acteurs dont chacun a sa logique et ses objectifs particuliers. Ce contexte a amplifié une spéculation foncière excluant une grande majorité de la population urbaine pauvre de l’accès à la propriété formelle.

Conclusion de la deuxième partie

Dans l’ensemble, les politiques d’aménagement du territoire et de gestion urbaine n’ont pas pu maîtriser le phénomène de l’urbanisation de la région de Dakar. En référence à la partie du Plan Directeur d’Urbanisme de 1967, qui classait la partie périphérique de la région de Dakar comme « zone rurale », cet espace a été largement consommé par les populations échappant au contrôle des pouvoirs publics. En effet, cet espace considéré rural était régi par un règlement spécifique qui avait pu servir de zones d’opérations d’habitats pour les premières années du nouveau Plan d’Urbanisme, permettant à l’administration d’agir plus facilement sur la base de la loi sur domaine national. Force est de constater que la politique d’aménagement du territoire actuelle souffre d’une faiblesse institutionnelle en matière de planification du territoire, en réglementation urbaine et en politique de logement d'urgence. Les acteurs de l'aménagement et de l'urbanisme ne sont plus des techniciens intervenants dans des projets précis et ponctuels et encore moins des bureaucrates. Aujourd’hui nous en sommes à la prospection des ressources et des opportunités des territoires, à l'analyse des risques et des dynamiques sociospatiales dans l’objectif d’une occupation et d’une exploitation plus judicieuses des territoires. Cependant dans ce contexte actuel, aucune collectivité territoriale du Sénégal n’est dotée d’un outil de planification urbanistique opposable aux tiers de par la Loi, basée sur une analyse des composantes telles que l’urbanisation existante, le régime des pluies et la gestion des risques.

Une situation dont l’autorité ne semble avoir aucune emprise alors que la valeur du foncier est en évolution rapide : les changements illégaux d’affectation du sol soumettent à leur tour, l’espace agricole périurbain à une pression annonciatrice de spéculation repoussant de plus en plus les populations pauvres vers les périphéries lointaines de la métropole souvent

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inappropriée à l’habitation. Or, l’article 75 de l’Agenda ONU-Habitat établit un lien étroit entre la sécurité foncière et la pauvreté : « L’accès légal à la terre est un prérequis stratégique pour la mise à disposition d’un logement adéquat pour tous et le développement d’établissements humains durables touchant les zones urbaines et rurales.» (ONU-Habitat, 2008).

Au delà des questions liées à la planification urbaine, les populations critiquent également l’absence très remarquée de l’Etat surtout pendant les moments difficiles. Dans une société qui a hérité de la colonisation un sentiment attentiste, le fait de ne pas sentir le soutien du gouvernement a été dur à supporter. Mais, au fil des années, n’ayant pas remarqué de changements, les communautés se sont dits :

P1 :« Pourquoi attendre quelqu’un qui ne vient jamais, il a fallu que nous décidions de prendre les inondations à bras le corps » (A Mbengue Yeumbeul).

C’est ce qui explique principalement l’engagement des communautés à prendre leur destin à main pour vaincre les inondations. La question de l’engagement communautaire sera discutée dans la troisième partie.

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