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DES POPULATIONS ENTREPRENANTES : LE ROLE DE LA CAPACITE ADAPTATIVE ET DU CAPITAL SOCIAL

CONCLUSION DU CHAPITRE

Au cours des dernières années, plusieurs rapports et revues de la littérature ont commencé à affirmer que l’adaptation au changement climatique constituait le plus grand défi auquel l’humanité était confrontée. Bien que nous souscrivions à une telle affirmation, il est important de préciser que la recherche de l’adaptation pourrait également négliger certains aspects centraux.

En effet, Mark Pelling, se référant à l’adaptation, met en garde sur le fait que le terme « glissant » fait partie de son attrait pour la discussion dans les milieux universitaires et politiques (Pelling, 2011, p. 7 de la partie I), c’est-à-dire que l’adaptation est un concept équivoque.

De même l’adaptation au changement climatique dans le contexte d’une variabilité du climat pourrait négliger différentes faces qu’il serait important de prendre en compte. Le but ici n’est pas de reproduire les divers efforts pour explorer l’importance et la portée du concept d’adaptation. Cependant, nous souhaitons partir des considérations techniques ou de gestion descendantes du changement global afin de prendre en compte sa dimension humaine, ce que Castree qualifie de retard de croissance (Castree et al., 2014). Ainsi, les individus ne doivent pas être considérés comme les bénéficiaires (passifs) d'un processus de politique d'adaptation rationnelle, mais comme des agents actifs cherchant à façonner leur destin (Eriksen et al., 2015).

En termes de fondements épistémologiques et d’encadrement de l’adaptation, il paraît important de reconnaître certaines critiques radicales concernant le déterminisme et le réductionnisme climatiques (Hulme 2010), ou le fait que ce qui est adaptatif est toujours politique et contesté (Eriksen et al., 2015). Ainsi, les auteurs soutiennent que « l'adaptation devrait être explicitement conceptualisée comme un processus politico-social contesté qui modifie la façon dont les individus et les collectivités traitent de multiples types de changements environnementaux et sociaux se produisant simultanément ». De plus, Basset et Fogelman (2013) ont analysé « l’évolution » du concept d'adaptation et sa signification plus récente au sein de la communauté scientifique des changements climatiques, en commentant son retour au premier plan: « pour un écologiste politique, cet intérêt est surprenant étant

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donné l'abandon relatif du concept il y a une trentaine d'années, alors qu'il était largement critiqué pour ses lacunes théoriques ». Leur compte rendu des débats précédents des années 70 et 80 sur la gestion des risques naturels et des catastrophes met en lumière le fossé qui sépare les considérations relatives aux risques « naturalisés », qui se produisent dans des systèmes naturels et sociaux distincts, par rapport à une vision critique de l’économie politique et de production politique de la vulnérabilité. Ils affirment que l’adaptation conçue comme un ajustement et guidée par la vulnérabilité et les impacts, c’est-à-dire l’approche du GIEC, a suivi jusqu’à récemment des lignes de pensée similaires, le climat étant considéré comme naturel ou externe à la société (ibid). Cela a légèrement changé depuis le quatrième rapport du GIEC de 2007. Cependant, reconnaissant l’existence de forces et de conditions non climatiques affectant la vulnérabilité, tout en attirant l’attention sur les réactions aux impacts (manifestations proximales) plutôt que sur leurs causes profondes et structurelles, l'adaptation reste perçue en tant que processus d'ajustement, technocratique et descendant pour réduire les risques biophysiques et leurs conséquences économiques.

Dans un compte rendu inspirant sur l'inadéquation des idées précédentes sur les systèmes de population et leur environnement en tant que systèmes sociaux et écologiques, Westley et al. (2002), développent une perspective systémique et expliquent pourquoi les systèmes sociaux ne présentent pas seulement des propriétés similaires aux écosystèmes. C’est l’addition de la dimension symbolique, c’est-à-dire comment les gens donnent un sens à leur environnement qui distingue les systèmes sociaux. Ils montrent « comment la dimension symbolique, les structures de signification (les schémas interprétatifs qui donnent un sens à nos activités, parfois décrits comme des mythes, des paradigmes ou des idéologies), permettent aux systèmes sociaux de faire abstraction de leur environnement ». Ils soulignent également qu’: « Une telle capacité à trouver et à construire un sens à travers des processus de communication symbolique permet un niveau d'auto-organisation supérieur à celui des écosystèmes ». Les humains sont capables de générer des attentes, grâce à la prévoyance et ne réagissent pas simplement aux facteurs de stress externes perçus. Leurs groupes créent des structures sociales qui les contraignent ensuite, dans une relation récursive entre structures et agents (Giddens, 1984).

Parmi les autres témoignages sur l’histoire de l’adaptation figure les travaux de Ben Orlove, qui montrent comment le sens du concept a évolué, grâce à l’appropriation par différentes traditions disciplinaires ou évolutions institutionnelles (Orlove, 2009). Il a identifié des

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obstacles conceptuels, tels que 1) l’attention portée aux problèmes aigus à court terme, comme les phénomènes climatiques extrêmes, par opposition aux problèmes chroniques à long terme qui pourraient être encore plus importants; 2) la restriction de l'évaluation aux questions économiques, en mettant de côté le bien-être religieux ou culturel; 3) le terme "adaptation" contient la promesse que les problèmes peuvent être résolus, comme il est fermement établi dans la définition du GIEC, que les dommages associés au changement climatique peuvent être modifiés et que des opportunités bénéfiques peuvent être exploitées, qu'il est difficile de généraliser à la grande diversité situations auxquelles différentes communautés peuvent être confrontées.

En travaillant sur le terrain dans différents lieux, dans des quartiers informels de la périphérie de Dakar, au Sénégal, victimes d’inondations, nous avons progressivement essayé de mettre en place un cadre théorique qui surmonte trois différentes limitations que nous avons identifié dans la littérature sur l’adaptation.

A la lumière de ce qui précède, il convient de noter qu’à travers ce chapitre, nous avons tenté d’étudier la capacité adaptative des communautés dans la banlieue de Dakar avec une dizaine d’associations et de collectifs très actifs dans la lutte contre les inondations. Elle questionne les théories de l’adaptation au changement climatique, notamment celles développées par le GIEC. L’analyse du discours de ces communautés montre que l’adaptation, telle que définie par le GIEC, présente des limites, qu’il convient de préciser. En réalité, les communautés s’intéressent principalement à un développement de leur localité y compris la lutte contre les contraintes environnementales. La question de l’adaptation au changement climatique n’est prise en compte, ni dans le discours, ni dans la pratique. Elle est reléguée à un niveau accessoire, en raison de la prise en charge des questions de développement local qui sont urgentes et contraignantes.

Pourtant, malgré qu’elles soient laissées à elles-mêmes, ces communautés arrivent tant bien que mal à juguler les effets négatifs du changement climatique. Grâce à un capital social relativement élevé, elles prouvent ainsi que l’adaptation est bien un processus sociopolitique et non une affaire des seuls ingénieurs.

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Conclusion partielle

Dans cette partie du pays, comme dans la plupart des pays, les administrations de gestion du développement, de la prévention des catastrophes et de l’adaptation au changement climatique sont séparées et travaillent le plus souvent en vase clos. Mais elles sont surtout absentes sur le terrain. Quand elles sont actives, leurs réalisations ont moins de sens que celles des organisations communautaires. A ce niveau, la logique des pouvoirs publics gagnerait à être revue, en accordant une plus grande place aux initiatives bottom-up et la montée en compétences des communautés, en cherchant une plus grande cohérence, au-delà des soubresauts court-termistes que l’on constate aujourd’hui.