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CHAPITRE 9 : FONCTIONNEMENT GLOBAL DES DEUX ACTIVITES DE

9.3 Présentation des résultats aux bilans

9.3.1 Présentation des bilans de compréhension narrative

Rappelons que les bilans (annexes 6) de compréhension narrative consistent en une série de tâches attestant de la compréhension textuelle d‟enfants d‟âge préscolaire (Ducret, Jamet &

Saada, 2008). La situation que nous avons choisie pour tester la compréhension narrative dans les groupes LEE/LER est présentée par une série de 5 images. Voilà la même série d‟images utilisée pour les bilans à différents temps :

Figure 8. Série d‟images

119 Déroulement de la situation

L‟enfant est invité à décrire cinq images présentées dans le désordre, identifier les actions et organiser l‟ordre narratif sous-jacent à la série d‟images. Plus précisément la démarche est la suivante. Nous présentons à l‟enfant cinq cartes, une à une, en lui demandant de décrire ce qu‟il voit. Ensuite nous reprenons les cartes en les mettant dans un ordre aléatoire et demandons à l‟enfant de les placer dans l‟ordre « pour que cela raconte une histoire, pour que cela nous dise ce qui se passe »; puis après placement, l‟enfant raconte « l‟histoire » correspondante aux cartes ainsi rangées. Après la production de son récit, finalement l‟enfant répond à trois questions sur le récit. Nous donnons ici un exemple pour chaque type de question : 1) explicites où la réponse est contenue dans le récit? (Que fait le Petit Ours Brun ?) 2) implicites, où la réponse est à inférer à partir du récit (Pourquoi le Petit Ours Brun porte-il une écharpe et des bottes ? (3) situationnelle, où la réponse requiert la référence à la situation dans son ensemble (Pourquoi le Petit Ours Brun est-il content ?)

Tableau 26. Résultats des bilans de compréhension narrative (score moyen du groupe LEE/LER en pourcentage [Scm %] selon le nombre d‟items par épreuve)

T1 LEE

Comme montré dans le tableau 26, nous relevons une progression de l‟épreuve explicite pour les T1 et T4 LEE/LER ; à l‟épreuve implicite à T1, nous constatons un écart entre les deux groupes 70% LEE et 50% LER, à T4, par contre ils affichent un score égal (70%), idem à T1 pour l‟épreuve situationnelle. Comment expliquer ces résultats ? Si l‟on regroupe les réponses, et que l‟on compare LEE/LER sur l‟épreuve explicite et situationnelle, les différences sont très peu marquées, ceci provient surtout du fait que la série d‟images (figure 8) repose sur une activité certainement familière aux enfants des deux groupes, centrée sur des expériences vécues.

Examinons l‟autre volet de la tâche concernant les épreuves de l‟ordre de pose de la série d‟images et le récit produit par les enfants. Notons qu‟à T1 dans les deux groupes pour ces deux épreuves nous constatons un pourcentage relativement faible. Cela dit, pour l‟ordre de pose dès T2, le groupe LEE affiche un score plus élevé et assez constant par rapport au groupe LER qui conserve le même score (25%) au T1 et au T2, il augmente au T3 (75%) pour diminuer au T4 avec un pourcentage de 65%.

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Concentrons-nous à présent sur le faible résultat relevé à T1 pour ces deux épreuves (ordre de pose et récit produit) concernant les deux groupes LEE/LER. Le premier constat par rapport à l‟épreuve ordre de pose résulte dans le fait que ces enfants LEE/LER donnent des descriptions satisfaisantes des images présentées séparément. Mais aussitôt que nous leur demandons de placer dans l‟ordre pour que ça raconte une « histoire », les images (voir figure 8) sont majoritairement mises dans un ordre quelconque concernant la série d‟images reflétant pourtant la réalité de leur contexte de vie. Donnons un exemple de cette construction par groupe LER/ LEE aux 4 temps; deux enfants qui ont choisi à T4 l‟ordre correcte de la série d‟images (ABCDE). Ainsi, l‟enfant du groupe LER à T1, après une description acceptable des cinq images présentées, choisit ainsi l‟ordre des cartes (CADBE) et après que nous lui avons demandé de mettre les images dans l‟ordre pour que cela fasse une histoire, l‟esquisse de récit qui lui est associée est le suivant : « il fait une boule, il marche, il jette la boule de neige ».

Dans cette situation raconter une histoire, équivaut pour lui à décrire chaque carte indépendamment l‟une de l‟autre.

Concernant l‟enfant du groupe LEE après une description correcte des cinq images présentées, choisit l‟ordre (DBCEA) et après que nous lui avons demandé de mettre les images dans l‟ordre pour que cela fasse une histoire, compose ce récit : « C’est un arbre avec des oiseaux, le papa ours et le petit garçon se lancent des boules de neige, sur le nez ».

Dans le cas pour cet enfant du groupe LEE comme pour l‟enfant du groupe LER, chaque image raconte une histoire indépendamment l‟une de l‟autre sans aucun lien apparent pour lui.

Néanmoins il énonce une des actions les plus pertinentes du récit à savoir le papa ours et le petit garçon se lancent des boules de neige sur le nez et une action moins pertinente c’est un arbre avec des oiseaux.

Ainsi les résultats obtenus par les enfants du groupe LEE au T1 n‟ont pas confirmé notre attente. Seulement 1/3 des enfants du groupe LEE ont réussi à placer les 5 images dans le bon ordre ; pour les 2/3 chaque image racontait une histoire sans enchainement temporel. Il est évident que lors de cette situation au T1 pour les deux groupes cela n‟avait pas encore de sens pour eux, du moins, lorsque nous les confrontions à cette situation.

Par contre, cela n‟est pas le cas pour les autres temps. Voici le récit du même enfant LER36 du T1 et voyons le récit produit aux T2 (dernier bilan en IPE) T3 et T4 (au cycle élémentaire CE1)

T2 : ordre de pose : AEDCB

Récit produit : Après il se passe que lui va faire une boule de neige et il va la lancer. Il refait une boule.

T3 : Ordre de pose : ADBEC

Récit produit : Là il court, il fait une boule, il fait la boule, il marche

A T1 et T3, nous remarquons que le récit de cet enfant ne fait pas figurer de marqueurs temporels ou du moins une absence de conception de l‟existence d‟un ordre temporel des évènements dans une situation familière.

T4 : Ordre de pose : ABCDE

Récit produit : Là il marche et après il regarde dans la neige en marchant après il fait la boule sur un tabouret après il lance les boules dans la neige avec son papa après ils se lancent des boules.

36 Choisi comme prototypique du groupe LER ni le plus avancé ni le plus en retrait

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A T4 il y a une certaine capacité à sérier par étape en s‟appuyant sur l‟enchainement d‟action et la résolution du problème de mettre les cartes dans le bon ordre à partir de la collection complète.

Regardons maintenant le récit de l‟enfant du groupe LEE37 du T1 et voyons le récit produit aux T2 (dernier bilan en IPE) T3 et T4 (au cycle élémentaire école enfantine)

T2 : ordre de pose : ABCDE

Récit produit : il marche, il regarde de la neige, il touche la neige sur la chaise. Il prépare des boules de neige, là ils se lancent de boules de neige.

T3 : ordre de pose : ABCED

Récit produit : Il va voir la neige dehors. Il regarde par terre, après sur une chaise il y a la neige tout plein et il y a un petit oiseau. Maintenant il prépare la boule de neige pour le lancer. Et après il y a des petits oiseaux dans la maison et un autre sur le toit et après il y a des traces avec des chaussures. Il va lancer une boule de neige à le papa et le papa lui a lancé une boule de neige sur le nez.

T4 : ordre de pose : ABCDE

Récit produit : Petit ours brun a deux grosses bottes, un foulard et une combinaison de ski et des gants, après il voit, oh il neige ! C’est blanc par terre, et il a vu un tabouret, il enlève la neige dessus et il va s’asseoir, il demande à son papa de faire des boules de neige et de se les lancer dessus. Et les oiseaux ils font un cui, il dit donne moi à manger et l’autre il est sur le toit de la maison il dit j’en ai mare de jouer au restaurant, après il demande à son papa qu’il joue ensemble de se lancer les boules de neige.

Dans le prolongement de Makdissi et Boisclair (2004), nous disons « sans vouloir induire une structure interne située a priori dans le cerveau de l’enfant » (p. 17), qu‟il apparaît important de saisir comment évolue la « structure du récit » (ibid) des enfants LEE/LER, comment ils construisent, organisent et transforment leurs représentations ? Est-ce que certains passages de représentations élémentaires sont nécessaires avant de parvenir à un niveau de représentation supérieure ? On voit bien au fil des temps (T1, T2, T3, T4) que la capacité à « raconter », à construire un récit évolue pour chaque groupe.

Ici pour les deux groupes LEE/LER à T1 et T2 au niveau de la compréhension l‟action pertinente est pointée, il s‟agit pour le petit ours de jouer à lancer des boules de neige. A ce niveau les enfants ne se représentent pas le récit comme une structure unifiée en un tout. Ils comprennent le récit tout comme si chaque image était une histoire en soi. L‟histoire devient donc une série d‟actions ponctuelles et isolées.

A T3 et T4 (CE1) les enfants du groupe LEE utilisent des connecteurs textuels tels que : après, là, maintenant, et, après ; pour marquer la succession entre les différents éléments du récit tandis que pour LER aux mêmes temps le connecteur après est situé au début du récit. A T2, T3 et T4 le connecteur là est situé en début de récit et marque surtout une juxtaposition et non pas dans l‟optique de montrer une succession entre les différents éléments qui composent le récit.

37 Choisi comme prototypique du groupe LEE ni le plus avancé ni le plus en retrait

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Il est intéressant de noter que les enfants du groupe LEE utilisent un vocabulaire riche et diversifié « je crois qu’il va faire la bataille de boule de neige, je crois que son papa l’attend dehors…il était une fois un petit ours… ». Par rapport à ceux du groupe LER dans le même temps, on peut relever l‟utilisation d‟un vocabulaire correct mais sommaire. À ce propos, nos résultats de recherche rejoignent ceux de Sénéchal et al. (2000) qui mettent en avant l‟importance du dialogue dans la lecture d‟album pour l‟acquisition du vocabulaire au préscolaire.

Au vu de ces résultats nous pouvons à cet égard penser que les récits dans lesquels il s‟agit de rapporter des enchainements d‟événements ou d‟actions issus du contexte de vie des enfants, faciliteraient des liens de causalité et de compréhension narrative, pour autant bien sûr que l‟enfant ait déjà construits les premières notions de « causalité mécanique ou téléonomique » (Ducret et al., 2008), intégrant un lien de succession temporelle entre cause et effet à travers l‟action (Trabasso et al., 1992).