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Présentation critique du fondement de l’intérêt commun des associés

Conclusion du chapitre

Section 1. L’introuvable lien entre principe d’égalité entre associés et contrat de société

B. Présentation critique du fondement de l’intérêt commun des associés

207. Lorsque l’on fouille dans les études consacrées au principe d’égalité entre associés,

on constate que nombreux sont les auteurs qui considèrent que celui-ci s’appuie sur l’intérêt commun242. Certains pensent même que ce fondement est le plus approprié au motif qu’« il

est important que l’obligation pour les associés, de collaborer sur un pied d’égalité et, pour les organes, de traiter les membres de la société de manière égale, trouve son fondement dans le rapport sociétaire »243.

208. Cette opinion se discute, car l’intérêt commun ne semble pas postuler l’égalité entre

associés. Dominique Schmidt le pense également244. Selon lui, la notion d’intérêt commun « n’exige que l’équité, c’est-à-dire l’attribution à chacun de la part qui lui revient dans la société, l’égalité dans le partage proportionnel aux droits de chacun »245.

209. Pour notre part, nous estimons que retenir l’intérêt commun comme la base de

237 J.-M. MOULIN, Le principe d’égalité dans la société anonyme, op.cit., n°42, p. 34

238 Sur cette notion en matière fiscale, voir M. COTTINI, La communauté d’intérêts en droit fiscal français,

contribution à l’étude de l’anormalité en matière de preuve fiscale, th. Aix-Marseille, 1998. Dans le cadre des

groupe de sociétés, voir Q. URBAN, « La ‘communauté d’intérêts’, un outil de régulation du fonctionnement du groupe de sociétés », art. cit.

239 J. THERON, « De la « communauté d’intérêts », RTD. civ., 2009, p. 19, spéc. n°17.

240 D. SCHMIDT, Les droit de la minorité dans la société anonyme, op.cit., p. 57 ; T. HASSLER, art. cit.,

p. 593 ; J.-P. GASTAUD, op.cit., nos14 et s. 241 Voir infra, nos225 et s.

242 M. GERMAIN et V. MAGNIER, op.cit., n°1559; C. PRIETO, op.cit., n°236, p. 156 ; M. GERMAIN,

« L’intérêt commun des actionnaires », art. cit., pp. 14 et 15. Voir également A. CONSTANTIN, Droit des sociétés, 5e

éd. Dalloz, 2012, p. 100, pour qui l’une des conséquences de l’intérêt commun, c’est l’égalité ; PH. MERLE et A. FAUCHON, op.cit., n°70, p. 87, qui affirme que l’intérêt commun implique l’égalité des associés ; M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, op.cit., n°491, p. 239.

243 Y. DE CORDT, L’égalité entre actionnaires, op.cit., n°193, p. 261.

244 D. SCHMIDT, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, op.cit., n°3, p. 2. L’auteur avait toutefois

soutenu auparavant la thèse inverse en affirmant que : « l’intérêt commun implique l’égalité des actionnaires », D. SCHMIDT, « De l’intérêt commun des associés », art. cit., n°4.

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l’égalité, revient à fonder un principe d’action sur un autre d’abstention. En fait, l’intérêt commun n’oblige pas les associés à participer activement à la recherche du profit. Après avoir exécuté leur obligation d’apport, ces derniers ont le droit de ne pas se préoccuper de la gestion de celle-ci. L’unique contrainte mise à leur charge est de contribuer aux éventuelles pertes246.

Et, là encore, ce sera seulement à la dissolution de la société247. Finalement, dans l’absolu, l’intérêt commun oblige seulement les associés à ne pas, par leur attitude, empêcher la société de réaliser son objectif. Ils doivent éviter de nuire aux capacités de celle-ci de créer des richesses. L’intérêt commun apparaît ainsi comme un principe d’abstention. On ne voit pas, dès lors, comment pourrait-il servir d’appui à l’égalité qui est censée être un principe d’action.

210. En outre, nous devons signaler qu’il existe « des sociétés qui ne cherchent pour elle- même, ou pour les associés, ni le bénéfice, ni l’économie. Il faut qu’elles existent, c’est tout. Et d’autres sont créées pour faire des pertes, qui viendront éventuellement en déduction du bénéfice imposable d’une société qui n’est pas associée »248. Dans ces hypothèses, la

poursuite d’un intérêt commun n’est qu’une « illusion naturaliste »249. Il devient, dès lors,

absurde de vouloir rattacher l’égalité à un principe illusoire.

211. Enfin, il y a lieu de souligner que l’intérêt commun caractérise d’autres conventions

auxquelles le principe d’égalité est étranger. On peut citer l’exemple du mandat d’intérêt commun250. Prévu dans certains cas par la loi251 et appliqué dans d’autres par les juges252, cette convention ne peut être valablement conclue que lorsque les parties s’obligent à participer à la réalisation d’un objet commun253. Elles doivent prendre l’engagement de tout mettre en œuvre pour atteindre l’objectif commun qui a été défini. On notera que ce critère d’« intérêt commun » fait que la révocation du mandat repose sur le consentement mutuel des parties ou une cause légitime254. Pour le reste, l’exécution du mandat doit profiter à tous les

246 Art. 1832 du Code civil.

247 Sauf clauses statutaires contraires ou si la loi en dispose autrement.

248 P. Le CANNU, « Monsieur de Saint-Janvier ou le dépouillement de l’article 1832 du Code civil », art. cit., n°15. 249 M.-A.FRISON-ROCHE, « Régulation et droit des sociétés. De l’article 1832 du Code civil à la protection du

marché de l’investissement », in Mél. offerts à D. Schmidt, éd. Joly, 2005, p. 255, spéc. n°14, p. 261.

250 Sur cette notion, voir J. GHESTIN, « Le mandat d’intérêt commun », in Mél. offerts à Derruppé, éd. Litec,

1991, p. 105.

251 C’est le cas des contrats conclus par les agents commerciaux, voir art. L134-4 du Code de commerce. 252 Voir par exemple Cass. soc., 13 mars 1953, Bull. civ. V., n°212, qui l’applique au mandat consenti à un co-

indivisaire pour gérer le bien indivis ; CA Toulouse, 1er décembre 2009, JCP G, 2010, n°348 ; LPA, 21 avril

2010, p. 6 ; RJDA, 2010, n°742, qui l’applique à un contrat conclu par un agent sportif intéressé par la réussite d’un joueur ; Cass. com., 8 octobre 1969, D. 1970, p. 143, note J. Lambert ; RTD com. 1970, p. 473, obs. J. Hémard, qui l’étend à un contrat de création et de développement de clientèles.

253 J. GHESTIN, art. cit., p. 111.

254 Cass. civ., 13 mai 1885, D. 1885, 1, p. 350. Voir aussi, D. PLANTAMP, « Le point de départ de la période de

117 cocontractants. Pourtant, il n’est nulle part affirmé que les parts qui reviennent aux parties dans les avantages procurés par l’opération doivent être égales. La seule exigence est que le mandant y trouve l’avantage visé et que le mandataire puisse recevoir une rémunération tenant compte des éléments ayant trait à l’opération.

Il apparaît, au terme de cette première section du chapitre, qu’aucune corrélation ne peut être établie ni entre intérêt commun et principe d’égalité entre associés, ni, de manière plus large, entre principe d’égalité et contrat de société.

212. Mais à la différence d’autres conventions, le contrat de société peut donner naissance

à un organisme vivant ; une collectivité agissante dotée d’une personnalité morale et tendant vers un but choisi. Théoriquement, cet organisme est censé être à équidistance entre les associés qui sont ses membres. Ne faudrait-il pas alors chercher le soubassement du principe d’égalité dans la notion de personnalité morale ? Une telle entreprise est toutefois vouée à l’échec puisque plutôt que de le fonder, la personnalité morale détruit le prétendu principe.

Section 2. La négation du principe d’égalité entre associés par la